Comment les notaires français font rayonner le droit
Source : le 8
décembre 2018, Le Journal du Dimanche
De la question des "enfants fantômes" à celle de
l'insécurité foncière, les officiers publics de l'Hexagone œuvrent au
renforcement de l'État de droit, de la Chine à l'Afrique.
Ils
sont connus pour être au rendez-vous des grandes étapes de la vie des Français.
On le sait moins : les notaires de l'Hexagone sont aussi engagés en dehors de
nos frontières. Voici une forme particulière de soft power à la française :
leurs compétences en matière de construction d'un État de droit sont
recherchées aux quatre coins de la planète. L'exemple le plus frappant est sans
doute celui de l'état civil. Sous l'impulsion de Laurent Dejoie, notaire à
Vertou, nombre de ces officiers publics sont engagés sur la question des
"enfants fantômes". Aujourd'hui, des centaines de millions de mineurs
dans le monde - principalement en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, mais
aussi aux confins de l'Europe - sont privés d'un droit fondamental : celui
d'avoir une identité reconnue, tel qu'inscrit dans la Convention des droits de
l'enfant, dont on fête cette année le 25e anniversaire. En clair : ces enfants
n'existent pas officiellement pour les administrations de leurs pays, n'ayant
pas été enregistrés à la naissance.
L'importance de l'acte de naissance
Conséquence directe : privés d'accès à la santé, à l'éducation et
aux services sociaux de base, ces derniers peuvent être les victimes de tous
les trafics ou abus. "Pour de nombreux enfants, ne pas avoir d'acte de
naissance signifie la fin de l'école : au Sénégal, par exemple, il faut des
papiers pour continuer à étudier après le certificat d'études en fin de
CM2", illustre ainsi Clément Alline, réalisateur du documentaire Les
Enfants fantômes : un défi pour l'Afrique, diffusé en juin 2018 sur
LCP puis Canal+. "Au Mali, il est même impossible de voir un enfant non
déclaré entrer en CP, ce qui les exclut encore plus rapidement du système
scolaire", ajoute-t-il. A un niveau plus collectif, l'existence d'enfants
fantômes rend impossible la mise en œuvre de politiques publiques efficaces.
"Lorsqu'on est un de ces enfants, on a plus de chances d'être pauvre que
les autres tout en n'étant pas recensé comme tel, illustre Clément Alline. Il
n'existe donc pas de solution pour éradiquer la pauvreté dans le monde si une
partie de celle-ci n'est pas comptabilisée."
L'état civil est l'acte
initial de l'organisation de la vie en société
Mobilisé sur la question, le député de l'Aisne Jacques Krabal
résume cet enjeu à sa façon : "L'état civil est un instrument de
développement économique et social qui permet aux décideurs politiques
d'orienter au mieux leurs actions. Il ne consiste donc pas simplement à donner
par écrit un nom, une date et un lieu de naissance à un individu. Il est l'acte
initial de l'organisation de la vie en société."
1,5 million d'enfants régularisés en 2017 en Côte d'Ivoire
Résoudre ce problème prendra du temps. Cela passera par des
actions concrètes, au plus près des populations. La recette a déjà fait ses
preuves. En 2017 en Côte d'Ivoire, les notaires français ont œuvré en synergie
avec l'Unicef pour développer l'état civil grâce à la collaboration de trois
ministères locaux (Éducation, Intérieur et Justice). Grâce à une procédure
simplifiée, l'opération lancée a permis de régulariser 1,5 million d'enfants
sans identité.
A l'échelle des grandes institutions internationales, un travail
de lobbying est indispensable. Le député Jacques Krabal porte ce combat au
sein de l'APF (Assemblée parlementaire de la francophonie), jeune institution
de 50 ans qui regroupe 87 Parlements et dont il est secrétaire général
parlementaire. "L'un des objectifs de l'Assemblée parlementaire de la
francophonie est de 'promouvoir la démocratie, l'Etat de droit et les droits de
la personne', explique Jacques Krabal. C'est pourquoi l'APF se doit d'inviter
et d'accompagner tous les Parlements de l'espace francophone à légiférer pour
mettre en place des registres d'état civil fiables, gratuits et laïques.
L'Assemblée parlementaire de la francophonie souhaite aussi promouvoir une
stratégie commune avec toutes les autres organisations parlementaires
internationales, les ONG et opérateurs privés afin d'éradiquer ce scandale
humain et politique, car pour réussir à éradiquer ce fléau il faut une
coopération multilatérale."
Tout en précisant que le numérique peut aussi aider à combattre
ce fléau. Comme par exemple l'application iCivil, inventée par le Burkinabé
Adama Sawadogo, soutenu par l'OIF et par les notaires francophones.
L'insécurité foncière
L'état civil n'est pas un sujet uniquement humanitaire mais aussi
juridique, lié à la construction d'un État de droit. Et ce n'est pas le seul.
Les notaires hexagonaux sont aussi mobilisés dans plusieurs pays pour résoudre
le problème de l'insécurité foncière. Le Conseil supérieur du notariat
travaille notamment à Madagascar ou aux Comores, dans des pays où il n'existe
plus de cadastre, d'identification du foncier. Il les aide à reconstituer un
véritable droit foncier, condition indispensable pour attirer les investisseurs
internationaux. Le CSN organise également des formations, des universités, des
échanges qui permettent d'élever le niveau de compétences de ces pays.
Dernière illustration : le Conseil supérieur du notariat est
présent depuis près de vingt ans en Chine. Il a notamment créé en 2001 le
Centre sino-français de formation et d'échanges notariaux et juridiques à
Shanghai, qu'il dirige et finance conjointement avec le Bureau de la justice de
Shanghai. Ce centre, entièrement consacré aux échanges juridiques
franco-chinois en Chine, a formé plus de 5.000 juristes au droit français et a
aidé à la rédaction de plusieurs lois.
En 2013, le Centre de recherche en droit notarial a ouvert au sein
de l'université de droit et de sciences politiques de Chine à Pékin. Cette
dernière est directement consultée par le Conseil des affaires d'État chinois
pour ses réformes législatives, en particulier en matière de droit foncier, de
droit de l'environnement, ou encore sur des sujets d'éthique et de déontologie.
Tous ces exemples illustrent bien le rayonnement du droit continental face au
droit anglo-saxon, auquel les notaires français contribuent. Avec pour objectif
de construire un monde plus harmonieux. Rien de moins. |