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6. Responsabilité professionnelle notariale - la fin de la responsabilité contractuelle

Responsabilité professionnelle notariale : la fin de la responsabilité contractuelle

 

David BOULANGER

 

Un arrêt en date du 6 juin 2018 (17-13975) rendu par la Première Chambre civile de la Cour de cassation permet de rappeler la dualité de la nature de la responsabilité professionnelle notariale, c’est-à-dire extracontractuelle ou contractuelle ; mais, il illustre parfaitement l’orientation jurisprudentielle vers une responsabilité quasiment systématiquement mise en œuvre sur le terrain délictuel. En l’espèce, un notaire avait, par actes notariés, reçu des ouvertures de crédits aux fins de financer des constructions destinées à être vendues, et garanties par des sûretés réelles entre une banque et des sociétés civiles immobilières. Puis, la banque reproche au notaire de ne pas lui avoir versé les prix des ventes intervenues. Pour apprécier la responsabilité du notaire, les juges du fond se placent sur le terrain de la responsabilité contractuelle, mais la Cour de cassation les censure au motif « que les obligations du notaire qui tendent à assurer l'efficacité d'un acte instrumenté par lui et qui constituent le prolongement de sa mission de rédacteur d'acte relèvent de sa responsabilité délictuelle. »

Ainsi, la jurisprudence tend à abandonner l’idée d’une responsabilité civile du notaire de nature contractuelle (I) ; même si naturellement, l’action ne pourrait aboutir que si les conditions de la responsabilité délictuelle sont réunies contre le notaire (II).

I-                    La nature délictuelle de la responsabilité du notaire.

La nature de la responsabilité professionnelle notariale dépend, en théorie, de l’appréciation de la mission accomplie par le notaire. De manière générale, on peut retenir soit une responsabilité contractuelle laquelle sanctionne l’inexécution d’une obligation par une partie à un contrat valablement formé (art. 1231 et suivants, Code civil), soit une responsabilité extracontractuelle ou délictuelle, laquelle sanctionne un fait dommageable commis en dehors de tout engagement contractuel (art. 1240 et suivants, Code civil). Dès lors que la relation entre le notaire et son client se développe dans un cadre contractuel, on pourrait penser que la responsabilité notariale devrait être de nature contractuelle.

Cependant, l’arrêt du 6 juin 2018 montre bien les faveurs jurisprudentielles pour une responsabilité délictuelle. En effet, face à la multiplication des obligations légales de cet officier public, et à l’élargissement du domaine de son devoir de conseil, la Cour de cassation préfère dorénavant retenir une responsabilité de nature extracontractuelle. En quelque sorte, le notaire a des devoirs statutaires susceptibles d’entraîner sa responsabilité professionnelle, sans qu’on ait à justifier d’une convention avec ses clients (v. Civ. 1, 6 mars 1984, n° 83-11445). D’ailleurs, le fondement statutaire du devoir de conseil et, corrélativement, de celui d’assurer l’efficacité des actes reçus est consacré par la Cour de cassation depuis le début des années 1970 (Civ. 3, 10 juillet 1970, n° 68-13508 68-13564).

A partir de là, le rétrécissement, voire la disparition de fait, de la responsabilité contractuelle des notaires rend parfaitement théorique la dualité traditionnelle de la nature de leur responsabilité. Celle-ci ne pourrait continuer de présenter un intérêt que si la responsabilité pénale du notaire était recherchée au titre d’un abus de confiance (art. 314-1, Code pénal), lequel exige une convention entre les parties.

Evidemment, et l’orientation jurisprudentielle a pu, sans le dire expressément, être influencée par le fait qu’une responsabilité civile de nature délictuelle fondée sur l’article 1240 du Code civil,  est plus favorable aux clients « victimes » qui peuvent ainsi obtenir une réparation intégrale des conséquences dommageables de la faute notariale, même si celles-ci n'étaient pas prévisible à l'époque de l'acte (Civ. 1, 16 octobre 1962, Bull. Civ. I, n° 422). A l’inverse une responsabilité contractuelle limite la réparation aux seules conséquences prévisibles lors de l'accomplissement de la mission contractuellement définie.

II-                  Les conditions de la responsabilité délictuelle du notaire.

Pour que la responsabilité fondée sur l’article 1240 du Code civil soit retenue, il convient, classiquement, d’établir une faute, un dommage et un lien de causalité. Ces trois éléments doivent évidemment être rapportés pour que le notaire soit civilement responsable.

D’une part, puisqu’on fait référence aux obligations statutaires du notaire, sa faute est abstraitement appréhendée. On se réfère à un notaire modèle compétent ; il a toutes les connaissances juridiques utiles afin d'appréhender les difficultés de la situation de ses clients. Il est impartial, car il est le conseil de toutes les parties, sans en favoriser une au détriment de l’autre. Et, il est prudent ; c’est-à-dire qu’il ne se fie ni aux parties ni aux autres intervenants professionnels, et il n’oublie pas le risque d’instabilité du droit. Ce sera à la victime prétendue de prouver la faute du notaire (Civ. 1, 22 avril 1981, n° 80-11398), sous réserve du jeu de présomptions susceptibles de profiter aux clients…

Ainsi, le notaire qui procède à une notification par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ne commet pas de faute si le destinataire s’abstient d’aller retirer le courrier à la poste (Civ. 1, 14 février 2018, n° 17-10.514, 184). Par contre, est fautif le notaire qui ne fait rien pour déjouer le dol d’un vendeur, alors qu’il aurait pu annexer à son acte la copie d'un jugement rendu antérieurement, mais s’est contenté de le relater imparfaitement (Civ. 3, 14 déc. 2017, n° 16-24170). Néanmoins, le notaire qui instrumente un acte de vente, n'est tenu d'aucun devoir d'information et de conseil envers les tiers dont il n'a pas à protéger les intérêts et qui ne disposent pas d'un droit opposable aux parties (Civ. 1, 3 mai 2018, n° 17-12473).

D’autre part, il faudra établir un préjudice certain et actuel (Civ. 1, 8 nov. 2017, n° 16-23197). Celui-ci pourra consister dans une perte de chance. Par exemple, le notaire engage sa responsabilité pour manquement à son devoir de conseil, s’il s’avère que sa cliente a perdu une chance de choisir l’option la plus favorable au décès de son époux (Civ. 1, 22 nov. 2017, n° 16-26169).

Enfin, le notaire ne peut voir sa responsabilité retenue que s'il existe un lien de causalité direct et certain entre la faute commise et le préjudice subi (Civ. 1, 21 juin 2005, n° 03-15578). Ainsi, en date du 8 février 2017, la Première Chambre civile de la Cour de cassation (Civ. 1, 8 févr. 2017, 5 arrêts : n° 15-29077, 15-29080, 15-29081, 15-29082, 15-29083) a admis la condamnation d’un notaire à indemniser le préjudice d'une banque consistant en la perte des intérêts perçus sur un prêt, dès lors que « les fautes du notaire ont contribué directement à la résolution du contrat de vente, la résolution du contrat de prêt n'étant que la conséquence de celle de la vente ». Néanmoins, les juges écartent ou limites le lien de causalité en cas d'incertitude sur le rapport entre la cause et le dommage. Par exemple, le notaire qui érige en condition suspensive l'autorisation par le juge des tutelles de la vente immobilière par des enfants mineurs est fautif, toutefois le préjudice est limité dès lors que « n'est pas établi que la carence dans l'obtention de l'autorisation du juge avait été causée par sa faute » (Civ. 1, 25 janv. 2017, n° 15-25642).

 

 


 

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