Les relations de la profession et de l’Etat
Yves CHARPENEL, Premier
avocat général à la Cour de cassation
Un peu d’histoire
Les relations entre l’Etat et
la profession notariale en France sont une constante depuis la création des
offices de notaires, héritiers des notaires gaulois du Bas Empire romain.
C’est Saint Louis, au XIIIème
siècle qui nomma les premiers notaires du Royaume de France.
Mais c’est en 1539, par
l'ordonnance de Villers-Cotterêts, que François Ier préfigure ce que sera
l'organisation de la profession de notaire : les actes devront être rédigés en
français, la conservation devra en être assurée et leur existence devra être
consignée dans un répertoire.
La Révolution n'a pas remis
en cause l'institution notariale et c’est Bonaparte, consul à vie, qui donne au
notariat, par la loi du 25 ventôse an XI (le 16 mars 1803), un statut dont les
fondements et les grands principes n'ont pas été, pour l'essentiel, modifiés
depuis.
Cette attention constante des
régimes politiques à réglementer la profession notariale ne s’est jamais
démentie.
En témoigne la grande
ordonnance du 2 novembre 1945 qui modernise l’exercice de la profession et
organise ses structures institutionnelles dont le Conseil Supérieur du
Notariat, avant la loi du 24 juillet 1966 qui l’ouvre aux sociétés de
notaires.
La loi du 31 décembre 1990
élargit encore les conditions d’exercice en rappelant que le notariat peut être
exercé sous la forme de sociétés des professions libérales.
Au XXIème siècle il faut
encore citer la loi du 28 mars 2011 qui étend le champ des offices au
structures interprofessionnelles et bien sûr la loi du 6 août 2015 dite loi
Macron.
Celle-ci porte principalement
sur deux volets.
Le premier est celui de la
rémunération de l'activité notariale, autrement dit, le tarif.
Le deuxième concerne
l'installation des notaires, qui répond à la fois aux anciens critères, avec la
possibilité de céder les offices, et aux nouvelles dispositions visant à une
liberté d'installation relative. C'est une cartographie établie conjointement
par la Chancellerie et l'Autorité de la concurrence pour indiquer les zones
ouvertes où de nouveaux notaires pourront s'installer librement.
Les raisons d’une proximité
persévérante
Si l’Etat, qu’il soit Royaume
Empire ou République, ne renonce jamais à réglementer avec soin cette
profession singulière, forte d’à peine plus de 10 000 membres, c’est qu’il
a depuis longtemps mesuré l’intérêt de garantir aussi bien pour les personnes
privées que pour le domaine public une sécurité juridique essentielle à tous
les échelons de la société : famille, fonction publique, économie.
La sécurité juridique est un
élément de la sûreté. A ce titre, elle a son fondement dans l'article 2 de la
déclaration de 1789 qui place la sûreté parmi les droits naturels et
imprescriptibles de l'homme au même titre que la liberté, la propriété et la
résistance à l'oppression.
L’Etat délègue aux
notaires, officiers publics et ministériels, cette mission de service public
d’authentification et de conservation des actes.
Le sceau que le notaire
appose sur les actes n’est pas le sien, mais celui de la République.
C’est l’Etat qui fixe le
nombre d’offices, en veillant à la bonne couverture de tout le territoire, y
compris dans les zones rurales et les petites communes.
La solidité et l’efficacité
de cette institution se déduit de sa capacité à survivre aux plus grandes
mutations politiques ou économiques, nationales ou internationales.
Ainsi le vaste mouvement
d’intégration européenne qui paraissait pouvoir marginaliser une forme
d’organisation aussi ancienne n’a pourtant pas remis en cause sa légitimité
après l’arrêt rendu à la demande de la Commission européenne en 2007 par la
Cour de Justice des communautés européennes.
Si l’Etat consacre sans cesse
l’existence d’une profession qui conjugue les qualités d’une profession
libérale et d’un office public, c’est qu’il peut s’assurer que le caractère
privé des actes destinés aux particuliers garantit la confiance de ces derniers
en termes de confidentialité, et que le caractère d’officier ministériel
garantit que les enjeux économiques dont les notaires ont à connaître ne seront
pas traités de manière aventureuse.
L’importance des missions
stratégiques confiées au notariat suffit à expliquer la place éminente de
l’Etat :
Son statut particulier
l’investit d’une mission de service public aux termes de l’article 2 de
l’ordonnance de 1945 :
« Les notaires sont des
officiers publics établis pour recevoir tous les actes et les contrats auxquels
les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d’authenticité attaché
aux actes de l’autorité publique ».
Rappelons qu’en tant
qu’officier public et ministériel, il a le monopole de la rédaction de
conventions dans la forme authentique, dans le respect d’un secret
professionnel intangible.
L'Etat lui confie en outre au
moins trois missions particulières par une délégation exclusive de sa propre
autorité. La réglementation assigne ainsi aux notaires des missions et
des obligations qui profitent directement aux services de l’État et aux
municipalités. Ces missions portent principalement sur l’exercice des droits de
préemption, sur la fiscalité et sur la publicité foncière des actes.
Le notaire doit ainsi
calculer et collecter plusieurs impôts dus par les parties à l’occasion d’une
vente. Ce système fait de l’office notarial un guichet unique pour les clients
qui acquièrent ou vendent un bien immobilier.
Le notaire est enfin
responsable de l’enregistrement du transfert de propriété dans le fichier
immobilier. D’après les règles du droit civil français, le transfert de
propriété a lieu dès la signature de l’acte notarié. L’enregistrement de l’acte
dans le fichier immobilier est obligatoire.
Le notaire français est ainsi
la référence incontournable en matière de droit successoral, de droit
immobilier ou encre de droit foncier.
La force exécutoire de ses
actes en fait un véritable magistrat de l’amiable, essentiel pour la
réalisation de l’état de droit.
Sa capacité à exercer, bien
qu’investi de l’autorité publique, ses fonctions dans un cadre libéral, assure
une forme moderne de service public sans coût pour l’Etat, puisqu’il assume la
responsabilité économique de son étude. C’est un professionnel libéral,
rémunéré par ses clients (et non par les contribuables) selon un tarif fixé par
l’Etat pour les services qu’il rend.
Cette souplesse a survécu au
temps en raison de sa souplesse d’adaptation aux évolutions de la société
et de l’économie, mais aussi des liens étroits qu’elle entretient avec
l’Etat.
La place de l’Etat
La présence constante de
l’Etat dans la profession notariale porte principalement sur 5 domaines qui
rythment l’existence du notariat :
Tout d'abord l’accès
à la profession de notaire
La nomination d’un notaire ne
peut intervenir qu’après un processus méticuleux de vérification par les
instances professionnelles et par le procureur de la République qui
constitue le dossier de candidature, reçoit le candidat pour vérifier qu’il
satisfait bien aux 7 conditions prévues par le décret du 5 juillet 1973 :
Une fois le candidat admis
après parution d’un arrêté du Garde des sceaux, le nouveau notaire retrouvera
le procureur de la République au moment solennel et symbolique de la prestation
de serment devant le président du tribunal de grande instance, qui lui
remet alors le sceau, marque de l’autorité publique qui lui sera
personnel tout au long de son activité notariale.
Ensuite le suivi de la vie
professionnelle qui comprend la surveillance et la discipline,
La prévention étant assurée par un dialogue constant entre le parquet général
et les instances professionnelles régionales.
L’ordonnance du 20 avril 1810
sur l’organisation judiciaire et l’administration de la justice dispose en son
article 45 que les procureurs généraux ont la surveillance de tous les
officiers ministériels de leur ressort.
L’article 2 du décret du 12
août 1974, dans sa version issue du décret du 6 janvier 2010, relatif aux
inspections des études de notaires prévoit que le procureur de la
République, accompagné par un membre de la chambre ou par un notaire
inspecteur peut procéder à tous contrôle.
En outre La réception des
plaintes des particuliers, comme l’examen des rapports d’inspection, et
l’analyse des vérifications effectuées sont l’occasion d’échanges locaux et
régionaux qui déterminent les suites à donner.
Un fichier de ces plaintes
est tenu dans chaque parquet local et dans les juridictions les plus
importantes un magistrat du parquet est spécialisé au sein d’un service civil.
Il peut saisir la chambre de
discipline ou le tribunal de grande instance dans les cas les plus graves.
C’est la 1ère chambre civile
de la Cour de cassation qui est majoritairement en charge de la régulation des
contentieux disciplinaires des notaires, alors que la deuxième et la
troisième chambres ont à connaître des litiges où la responsabilité
civile du notaire est en cause, la chambre criminelle traitant les poursuites
pénales diligentées contre les notaires.
L'Etat est également attentif
à l'Organisation professionnelle du notariat.
Ainsi depuis 1945 le notariat
est doté d’organes représentatifs, au premier rang desquels le Conseil National
du Notariat, qui favorisent le dialogue avec l’Etat
Plus de 200 ans
d’expérience commune a contribué à renforcer des liens qui font des
36 procureurs généraux les interlocuteurs privilégiés des notaires
au plan régional, comme les 160 procureurs de la république le sont au plan
local.
L’article 18 du décret de
1974 donne une consistance périodique à cette proximité en ce qu’il prévoit la
communication annuelle, à chaque premier trimestre, au procureur général et au
Garde des sceaux, des conclusions de leurs inspections et des conditions de
leur réalisation
Ces inspections qui sont
inopinée sont faites dans chaque office une fois par an.
Enfin la garantie financière est assurée par le
rôle joué par la Caisse des Dépôts et Consignations, celle-ci est au service de
l’intérêt général tout en étant autorisée par la loi à avoir des activités
concurrentielles. Au titre de ses missions d’intérêt général, elle est reconnue
par le Ministère de la Justice comme le banquier du service public de la
Justice.
Donc les notaires sont des
intermédiaires maniant des fonds qui ne leur appartiennent pas – des fonds de
tiers. Et c’est auprès de la Caisse des Dépôts que, depuis plus de 120 ans ils
déposent ces « fonds de tiers ». C’est même une obligation depuis 2000.
Près de 500 milliards d’Euros
sont ainsi échangés chaque année entre les clients des notaires, pour lesquels
les notaires assument la responsabilité financière.
L'adoption le 6 août 2015 de
la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques est
la plus récente des illustrations de la volonté de l'Etat de resserrer les
liens avec une profession dont l'originalité séculaire, en dépit des
interrogations récurrentes sur son avenir demeure un patrimoine juridique
essentiel de notre paysage juridique français.
|