Les principaux problèmes concernant
le droit des contrats chinois
Zhu Xiaozhe
Docteur en droit, professeur à la faculté de droit, Université
des finances et de l’économie de Shanghai
Directeur de l’institut d’études comparatives des droits civils et des
jurisprudences
Chers amis français, honorables
experts et personnalités du monde judicaire
Bonjour !
Je voudrais évoquer avec vous aujourd’hui les principaux problèmes
relatifs au droit des contrats chinois.
La présentation du droit des contrats français faite par Madame
Champalaune du Ministère de la justice français m’a beaucoup inspiré. La
Chine se trouve aussi dans une phase cruciale dans sa réforme des droits
civils, car selon le calendrier établi par l’organe législatif chinois, les Dispositions
généraux du code civil seront adoptés en mars 2018 et le Code civil,
avant 2020. Dans sa présentation, Madame Champalaune nous a appris que
rien que pour modifier son droit des contrats, la France y avait consacré dix
ans, force nous est de constater que la réforme chinoise des droits civils
s’avance un peu trop vite. Aujourd’hui je voudrais décrire brièvement
l’état actuel du droit des contrats chinois et d’en esquisser les
perspectives. Comme c’est un exposé destiné essentiellement aux amis
étrangers, la présentation sera un peu schématisée et nous pourrons bien sûr
discuter par la suite s’il y a des points à éclaircir.
Avant de venir au colloque, je me suis renseigné sur le droit des
contrats français. Le nouveau droit français des contrats a été en partie
traduit par un certain nombre de jeunes juristes chinois, mais comme la
traduction n’est pas encore publiée, difficile de la dévoiler, je me réfère
donc au droit des contrats actuel. En ce qui concerne les obligations, on
constate une similitude entre le droit français et le droit chinois, selon
lesquels les obligations naissent soit d’actes juridiques soit de dispositions
légales. Le droit français distingue deux types d’acte juridique : le
contrat synallagmatique et le contrat unilatéral. Le droit des contrats chinois
de 1999 a défini seulement la relation synallagmatique entre les parties du
contrat, mais l’acte unilatéral, testament par exemple est présent dans
d’autres droits chinois et reconnu par les pratiques juridiques. C’est la
raison pour laquelle on retrouve des correspondances avec les dispositions des
droits civils français. Ensuite, les obligations résultant de l’autorité de la
loi sont intitulées en droit chinois les obligations d’origine légale. Le droit
français inclut dans ces obligations d’origine légale les actes délictuels, la
gestion d’affaires et l’enrichissement injustifié, qui constituent les sources
classiques des obligations d’origine légale. Madame Champalaune a mentionné le
devoir d’information dans le droit des contrats en France à propos de la
responsabilité délictuelle, si je ne me trompe, ce devoir est celui de donner
des informations authentiques, d’en faire part, de les expliquer et de protéger
les parties du contrat au cours de la formation de ce dernier. Cette obligation
d’information a été fixée dans le droit des contrats de 1999 en Chine par les
articles 42 et 43 (responsabilités contractuelles). On peut donc constater que
le droit des contrats en Chine est relativement en phase avec les doctrines
internationales. Voilà la présentation des sources des obligations.
Regardons maintenant les formes d’obligations, qui ont été clairement
définies en droit chinois. La doctrine chinoise classe les obligations en
catégories suivantes : l’obligation de payer, c’est-à-dire une partie
s’oblige à payer le prix de la chose ou à acquitter les dettes. Ce que le Code
civil français appelle « l’obligation de donner » et
« l’obligation de faire », nous les regroupons en une seule
catégorie : l’obligation de payer.
On peut subdiviser l’obligation de payer en deux groupes, à savoir
obligation principale et obligation accessoire. L’obligation principale est
l’objet principal de la transaction visé par les relations contractuelles. Il
existe en parallèle des obligations accessoire, celles qui contribuent à
la réalisation de l’obligation principale. L’emballage, la logistique,
l’installation et les services après ventes par exemple font parties des
obligations accessoires.
Les obligations principales sont faciles à déterminer dans le droit des
contrats en Chine, qui prévoit 15 types de contrats nommés qui ont chacun une
obligation principale de payer. Il existe aussi, en dehors du droit des
contrats, des contrats innommés, contrat touristique par exemple, régis par des
droits spécifiques. Certaines obligations de payer sont stipulées clairement
par les lois, mais ce n’est pas le cas pour beaucoup d’autres obligations de
payer, qui nécessitent une compréhension et explication en fonction du contenu
de chaque contrat. Qu’il s’agisse des obligations principales ou subordonnées,
les infractions à ces obligations entraineront les conséquences juridiques
telles que la demande d’exécution effective, la réparation du dommage jusqu’à
l’annulation du contrat.
La deuxième grande catégorie d’obligation s’intitule « obligation
subordonnée », qui s’est inspirée principalement de l’obligation de
protéger en droit allemand. Ce qui veut dire qu’un contrat qui vise à la
réalisation d’une transaction doit au moins protéger les parties contractantes
et que ces dernières ne doivent pas subir des dommages corporels ou matériels
résultant de la formation ou de l’exécution du contrat. L’article 60 du droit
des contrats chinois a fixé cette obligation subordonnée à travers le principe
de la bonne foi. A mon avis, là aussi, le droit des contrats chinois est assez
avant-gardiste pour avoir concrétisé ce qui restait encore un concept en droit
allemand. Après l’entrée en vigueur du droit des contrats en Chine,
certaines jurisprudences chinoises se sont référée immédiatement à l’obligation
subordonnée. L’infraction à ces obligations provoquent en gros deux
conséquences juridiques : réparation des dommages ou annulation du
contrat.
La troisième obligation s’intitule « obligations passives ». Cette
obligation provient d’un concept en droit civil allemand « Obliegenheit » qui
signifie la contrainte. Influencé par la doctrine de
Taiwan, on l’a traduit par « obligations passives » en chinois. En
cas d’infraction à cette obligation, le créancier ne peut rien exiger, c’est le
débiteur subira des pertes ou dommages s’il ne remplit pas ses obligations.
L’acceptation par le créancier, par exemple, est en fait un droit mais aussi
une obligation passive. La non-acceptation entrainera le transfert des risques,
c’est au créancier de courir le risque relatif au paiement de la dette.
« La faute des victimes » en est un autre exemple, c’est-à-dire un
créancier impayé mais auteur de fautes peut réduire le montant de
l’indemnisation qu’il doit payer par un mécanisme de compensation selon le principe
d’obligation passive. C’est pourquoi la conséquence de cette obligation ne se
traduit pas par ce qu’on peut réclamer de l’autre, mais par ce qu’on risquera
de perdre alors qu’on peut le réclamer légitimement. C’est une notion
d’origine étrangère mais qui se reflète dans certaines règles précises du droit
des contrats chinois, nous pouvons nous en servir facilement pour une
compréhension globale de ces problèmes, cette notion est d’ailleurs acceptée
par la doctrine et les manuels chinois. C’était la brève présentation des
catégories d’obligations en Chine.
En troisième lieu, je voudrais vous parler de la validité des contrats
en droit chinois. Le droit chinois classe les contrats selon leur validité en
plusieurs catégories : contrat valide, contrat nul, contrat révocable,
contrat à efficacité incertaine ainsi que les conditions et délais
supplémentaires du contrat. J’ai remarqué que la France a supprimé, dans la
réforme de son droit des contrats, une notion auparavant très importante pour
le droit des obligations français, à savoir la cause. La cause était une des
conditions déterminantes relatives à la validité des conventions dans le Code
civil français, mais cette notion est absente en droit allemand, comme c’est le
cas pour la plus part des pays de droit continental, qui n’ont pas cherché à la
définir. Il s’agit d’une notion très ancienne, issue du droit roman, servant à
prouver la légalité du contrat. L’évolution actuelle des contrats met l’accent
plutôt sur le consentement des parties, c’est pour cette raison que le nouveau
droit français des contrats, selon mon observation, considère le consentement
des parties comme l’une des conditions essentielles pour la validité des
conventions. Il en est de même pour le droit des contrats chinois : le
contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation et acquiert
une force contraignante une fois que l’offre est acceptée par son destinataire.
On n’en parle pas de la cause. Le droit des contrats français a mentionné
les trois conditions indispensables à la validité des conventions. Sans
expliciter les conditions de la validité des contrats, le droit des contrats en
Chine a seulement disposé, par son article 44, qu’un contrat produit des effets
juridiques dès sa formation. Bien sûr, si on remonte plus loin, l’article 55
des Principes généraux du code civil de 1986 a défini les conditions des
actes juridiques en général : 1. la capacité de contracter des
contractants, 2. la concordance entre la volonté interne et la déclaration
externe de volonté ; 3. la licéité du contrat : c’est-à-dire que le contenu et
le but du contrat doivent être conformes aux dispositions d’ordre public et ne
peuvent porter atteinte à l’intérêt général. Par conséquent il faudra se
référer aux Principes généraux du code civil pour trouver la définition
positive relative à la validité des contrats. Par ailleurs, Dispositions
générales du Code civil en cours d’élaboration en Chine incluent aussi les
règles correspondantes.
A propos du contrat nul, une distinction s’impose par rapport aux
notions françaises. A ce propos, la France parle de la nullité relative et la
nullité absolue. La nullité relative signifie que le contrat pourrait être
valable, cela correspond aux contrats modifiable et révocable régis par
l’article 54 du droit des contrats chinois. La nullité absolue signifiant que
personne ne peut rendre valable ce type de contrat, cela rejoint l’article 52
du droit des contrats chinois, qui prévoit des circonstances spécifiques de
nullité du contrat, celui qui enfreint la loi ou nuit à l’intérêt public comme
par exemple en cas de collusion frauduleuse entre les parties, de violation de
l’intérêt public ou de la loi. L’article 53 dudit droit chinois prévoit
aussi des cas de nullité pour certaines clauses dérogatoires. Voilà en ce
qui concerne la nullité des contrats.
Les contrats révocables concernent l’intérêt particulier entre les contractants. La
partie qui a été victime du dol ou menacée peut exécuter la faculté de demande
en annulation ou en modification du contrat ou renoncer à s’en prévaloir. Cela
correspond au régime de la nullité relative instaurée par le droit
français.
Le contrat à efficacité incertaine concerne essentiellement ceux qui
mettent en cause le pouvoir de représentation ou de disposition. Un contrat
sans pouvoir de disposition est-il valable ? Cette difficulté juridique
appelle une plus ample explication. Prenons la cas d’une transaction qui est
une expression assez générale. Sous l’angle de l’acte juridique, on peut y voir
trois actes juridiques. Le premier est la conclusion du contrat de vente, qui
crée des rapports de droits et d’obligations entre les parties. L’acheteur doit
payer le prix, c’est le deuxième acte, celui de disposer de l’argent. De son
côté, le vendeur doit transférer la propriété de la chose, on a alors le
troisième acte. Il existe une grosse polémique en droit des contrats chinois
sur l’existence de ces trois actes juridiques, mais de plus en plus de juristes
pensent qu’il faut séparer l’acte d’exercer les obligations et l’acte de
disposer. Les récentes interprétations judiciaires de la Cour Suprême stipulent
que si les parties invoquent la nullité du contrat sous prétexte que le vendeur
ne détenait pas la propriété de la chose ou le pouvoir d’en disposer au moment
de la conclusion du contrat, le tribunal populaire rejette la requête, ce qui
veut dire que malgré l’absence du pouvoir de disposition, le contrat est
valable. Mais à quel acte renvoie l’efficacité incertaine ? C’est à l’acte
de disposition. Cela veut dire que l’acte de disposition fait par une personne
sans pouvoir est nul s’il n’est pas autorisé ou ratifié rétroactivement par le
propriétaire de la chose ; si cette condition est remplie, l’acte de
disposition est valable. Voilà le développement de la théorie sur la
disposition sans pouvoir.
Au niveau des types de violation du droit des contrats, quelles que
soient les causes empêchant l’exécution du contrat, nous les regroupons sous
les termes « empêchement de l’exécution » ou « empêchement du
paiement », souvent causés par les débiteurs. Quand il s’agit des
derniers, nous qualifions ces empêchements de « violation du
contrat », qui sont d’ailleurs clairement définies dans le droit des
contrats. Par exemple, l’article 108 mentionne la violation anticipée quand,
avant l’échéance du contrat, une partie dit clairement ou montre par ses actes
qu’elle ne va pas exécuter le contrat. Ceci parce que la Chine s’est inspirée
du système de « anticipatory breach » en droit anglo-saxon.
L’article 110 du droit des contrats définit la disposition relative à
l’inexécution, caractérisée par l’impossibilité d’exécuter le contrat pour des
raisons juridiques ou de fait. Quant aux autres responsabilités liées à
l’exécution du contrat telles que exécutions retardées, exécution viciée,
exécution aggravante ne sont pas clairement définies dans le droit des
contrats, mais reconnue par la doctrine en matière de contrat comme différents
types de violation du droit des contrats. L’exécution retardée signifie le fait
de retarder l’exécution de l’obligation de payer. L’exécution viciée veut dire
que l’objet remis comporte des vices, et ne correspond pas à la qualité
contractuelle ou à la qualité requise par la loi. L’exécution aggravante
correspond au cas où l’exécution de l’obligation fait par le débiteur provoque
des dommages corporels ou matériels supplémentaires au créancier. Il s’agit ici
des concepts classiques du droit continental qui sont inclus dans le droit des
contrats chinois. Un autre type de responsabilité liée à la l’exécution
du contrat est celle de la réception tardive de la part du créancier.
C’est-à-dire que ce dernier ne reçoit pas le paiement du
débiteur.
Par ailleurs, Madame Champalaune a dit dans son exposé que la droit français avait
introduit le dispositif de révision pour imprévision, peut-être l’audience ne
comprend pas tout à fait le sens de ce dispositif, il s’agit en effet de
changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat, ce
qui pourrait conduire à la révision du contrat. Les interprétations judiciaires
de la Cour suprême chinoise ayant défini le principe relatif au changement de
circonstances, le problème ne se pose pas donc pour le droit des contrats
chinois sur le plan législatif.
A propos de la responsabilité contractuelle, je voudrais aussi demander
conseil à nos experts français sur un point assez épineux : l’article 122 du
droit des contrats chinois évoque le problème de la concurrence des
responsabilités, c’est-à-dire la violation du contrat engage à fois la
responsabilité délictuelle et la responsabilité contractuelle. Face à ce
conflit entre les deux règles de droit contraires et incompatibles, la doctrine
française classique, selon la théorie de la concurrence, va en choisir l’une en
excluant l’autre. Le droit des contrats chinois laisse le choix au créancier,
c’est à ce dernier de choisir la responsabilité qu’il souhaitera
poursuivre.
Enfin, quelques mots sur l’architecture du Code civil chinois. Selon le
calendrier établi par les organes législatifs, les Dispositions généraux du
code civil seront verront le jour l’année prochaine. La loi sur les droits
réels, sur laquelle il n’y a pas trop de polémique, peut être incorporée en
entier dans le Code civil. On trouve dans les codes civils français et allemand
le livre sur les obligations qui comprend les contrats, l’enrichissement
injustifié, la gestion d’affaires, les actes délictuels… tandis que les
législateurs chinois envisagent de les séparer en deux parties : le droit
des contrats d’un côté et de l’autre, le droit des responsabilités
délictuelles. Se pose alors un problème majeur : que faire du contenu
classique des Principes généraux des obligations ? J’ai consulté le droit
des contrats français, qui, à part les obligations résultant du contrat,
consacre un chapitre aux autres modalités d’obligations comme obligation
plurale, la classification des obligations et le transfert de ces dernières.
Nous avons déjà posé la question aux législateurs pour savoir comment traiter
ces cas de figure que je viens d’évoquer. Sur le plan doctrinal, la solution
consisterait à ajouter le dispositif concernant le contrat plural lors de
l’élaboration du droit des contrats pour le Code civil, on transposerait
ensuite ce dispositif aux autres relations contractuelles entre créancier et
débiteur. D’autres loi qui font partie du Code civil telles que la loi
sur le mariage et la famille, la loi successorale, la loi relative à la
loi applicable dans les relations civiles et juridiques en lien avec l’étranger
resteront dans l’état actuel. Il n’y aura pas de grand changement.
Merci de votre attention.
|