Ordonnance nº 2016-131 du 10 févr. 2016
réformant le droit des obligations
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Présentation des principales nouveautés
La
loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la
simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et
des affaires intérieures
avait autorisé le gouvernement à légiférer par
ordonnance pour modifier le droit des obligations.
C’est
désormais chose faite avec l’ordonnance nº 2016-131 du 10 février 2016.
Il
s’agit d’un texte majeur. Il est porteur de nombreuses innovations, même si
pour l’essentiel il s’agit de consolider l’état du droit positif, et notamment
de la jurisprudence.
Entrée
en vigueur : l’article 9 de l’ordonnance fixe l’entrée en vigueur du texte
au 1er octobre. Il a donc été dérogé à l’habitude de prévoir des
entrées en vigueur au 1er juillet ou au 1er janvier.
L’ordonnance
n’est cependant pas applicable aux contrats en cours. Ainsi, un contrat
ayant été conclu avant le 1er octobre 2016 demeurera soumis au droit
antérieur. Il est fait exception à ce principe pour trois règles seulement. Le
même article 9 prévoit en effet que « les dispositions des troisième et
quatrième alinéas de l'article 1123 et celles des articles 1158 et 1183 sont
applicables dès l'entrée en vigueur de la présente ordonnance. » Il s’agit
des actions interrogatoires (v. infra).
Il
faut cependant se préparer dès à présent à ce changement. Et ce même dans les domaines
où l’ordonnance ne modifie rien sur le fond. En effet, toute la numérotation
des articles a changé. Il n’y a plus d’article 1134 ou d’article 1382 tels que
nous les connaissions. Les modèles d’actes, de courriers, de consultations,
etc. doivent être adaptés en conséquence.
Quant
au fond, l’ampleur du texte (plusieurs dizaines de pages au JO) interdit d’en
faire dans l’immédiat un commentaire détaillé article par article. De nombreux
ouvrages sont en cours de préparation par les éditeurs.
La
présente note se borne à pointer les principales nouveautés qui peuvent
intéresser la profession notariale. Il est très probable que les difficultés
réelles suscitées par les textes viendront progressivement.
1 - Les dispositions préliminaires
Le
droit des contrats s’ouvre désormais sur un ensemble de dispositions
préliminaires (article 1101 et s.). Le vocabulaire choisi se distingue de celui
de « principes généraux ». Le gouvernement a en effet évité cette
expression, car il ne voulait pas conférer à ces textes une valeur normative
supérieure au reste du Code. Il reste qu’en pratique, les juges interpréteront
l’ensemble du Code à l’aune de ces dispositions.
Or,
parmi elles, certaines sont d’une importance particulière :
*Liberté
contractuelle (art. 1102).
*Bonne
foi dans la négociation, la conclusion et l’exécution des contrats (art. 1104)
alors que l’article 1134 al. 3 ancien se bornait à l’exécution de bonne foi.
*Distinction
des contrats de gré à gré, librement négociés par les parties, et des contrats
d’adhésion, soustraits à la négociation (art. 1110). Le contrat d’adhésion est
soumis à des règles particulières, notamment la possibilité d’un contrôle
judiciaire des clauses abusives (art. 1171) et une interprétation en faveur de
celui qui n’a pas rédigé le contrat (art. 1190). La question se pose de savoir
si un acte notarié peut être un contrat d’adhésion.
2 – Négociation et conclusion du contrat
Les
nouveaux textes reprennent l’acquis jurisprudentiels sur ces points (art. 1112
et s.).
Ils
précisent notamment que « L'initiative, le déroulement et la rupture des
négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement
satisfaire aux exigences de la bonne foi. » Il s’agit là de la reprise du
droit antérieur.
En
revanche, l’article 1112-1 nouveau est très important car il crée une
obligation d’information à la charge des contractants : « Celle des
parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le
consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette
dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant
»
Il
est précisé que ce texte ne concerne pas la valeur du bien. En revanche, il est
d’ordre public et ne peut être écarté par une clause lors des pourparlers.
L’article
L. 1112-2 précise que « Celui qui utilise ou divulgue sans autorisation
une information confidentielle obtenue à l'occasion des négociations engage sa
responsabilité dans les conditions du droit commun. »
Il
s’agit là encore d’une reprise du droit antérieur.
3 – Avant-contrats
Les
articles 1123 et 1124 traitent du pacte de préférence et de la promesse
unilatérale de contrat.
Ces
textes sont nouveaux. Ils consolident l’acquis jurisprudentiel, mais avec deux
nouveautés majeures.
D’abord,
il est créé en matière de pacte de préférence une action interrogatoire :
« Le tiers (qui entend acquérir le bien objet du pacte) peut demander par
écrit au bénéficiaire de confirmer dans un délai qu'il fixe et qui doit être
raisonnable, l'existence d'un pacte de préférence et s'il entend s'en
prévaloir.
»
Cette
disposition est applicable, à compter du 1er octobre 2016, même aux
pactes de préférences conclus avant cette date.
Ensuite,
l’ordonnance revient sur la jurisprudence Civ. 3e 15 déc. 1993 selon
laquelle la rétractation du promettant dans une promesse de vente fait obstacle
à la conclusion du contrat. Il est ainsi prévu que « La révocation de la
promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation
du contrat promis. »
4 - Suppression de la cause
La
cause de l’obligation ou du contrat n’est plus une condition de validité de la
convention. Il suffit qu’il y ait un consentement des parties, que celles-ci
soient capables, et que l’acte ait un « contenu » licite et certain
(art. 1128).
5 – Vices du consentement
Concernant
les vices du consentement, l’essentiel constitue une reprise de la
jurisprudence antérieure. On retrouve ainsi le triptyque : erreur, dol,
violence (art. 1130 et s.). Les notions de « qualités essentielles »
et d’erreur sur les « motifs » sont explicitées, mais sans changement
de fond. La notion de réticence dolosive est consacrée, alors qu’elle ne
figurait pas explicitement dans les anciens textes : « Constitue
également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants
d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre
partie. » (art. 1137, al. 2). Le texte fait le pendant de celui relatif à
l’obligation d’information (art. 1112-2, v. supra).
Nouveauté :
l’ordonnance consacre la notion de « violence économique ».
Art.
1143 : « Il y a également violence lorsqu'une partie, abusant de
l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un
engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et
en tire un avantage manifestement excessif. »
Il
faut donc que deux critères soient réunis : d’abord un état de dépendance,
mais également un avantage manifestement excessif. Ce n’est pas parce qu’un
contractant est poussé par des raisons économiques qu’il y a violence (ex.
vente d’un appartement pour payer une dette fiscale), il faut que cette état de
dépendance ou de faiblesse soit exploitée.
6 – Capacité et représentation
Les
textes nouveaux sont beaucoup plus précis que les anciens quant à la capacité
et à la représentation (art. 1145 et s.). Sur le fond, pas de nouveauté
majeure.
Concernant
la capacité, il est ainsi rappelé que « Les actes courants accomplis par
le mineur peuvent être annulés pour simple lésion » (art. 1149
nouveau ; cf. art. 1305 anc.).
Concernant
la représentation, il est rappelé que « L'acte accompli par un
représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au
représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des
pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des
déclarations du représenté.
» (art. 1156). Il s’agit donc de la théorie
du mandat apparent, déjà reçue par la jurisprudence antérieure.
Une
nouveauté cependant : il est prévu une action interrogatoire en matière de
représentation afin de vérifier les pouvoirs du représentant. Art. 1158 :
« Le tiers qui doute de l'étendue du pouvoir du représentant conventionnel
à l'occasion d'un acte qu'il s'apprête à conclure, peut demander par écrit au
représenté de lui confirmer, dans un délai qu'il fixe et qui doit être
raisonnable, que le représentant est habilité à conclure cet acte. / L'écrit
mentionne qu'à défaut de réponse dans ce délai, le représentant est réputé
habilité à conclure cet acte. »
NB :
Cette disposition est applicable, à compter du 1er octobre 2016,
même aux contrats conclus avant cette date.
7 – Contenu du contrat
Il
est rappelé que le contrat ne peut déroger aux règles d’ordre public (art.
1162 ; cf. art. 6 anc.).
La
jurisprudence Chronopost (Com. 22 oct. 1996) est reprise : « Toute
clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est
réputée non écrite » (art. 1170). Il est ainsi impossible de stipuler une
clause exonérant totalement le débiteur de sa responsabilité en cas de
manquement à l’obligation essentielle du contrat.
Nouveauté :
l’ordonnance instaure un contrôle des clauses abusives dans les contrats de
droit commun, donc hors du strict droit de la consommation. L’art. 1171 prévoit
: « Dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre
significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée
non écrite.
/ L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur
l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la
prestation. »
NB :
la question se posera de savoir si un acte notarié peut être un contrat
d’adhésion, auquel cas ce texte serait applicable. La problématique est la même
que celle qui existe déjà pour les contrats de consommation passés par acte
authentiques, mais sa portée est plus large.
Symboliquement,
l’entrée de ce type de règle dans le Code civil marque l’attention particulière
portée par le législateur à l’équilibre du contrat. Le notaire devra donc faire
preuve de vigilance sur ce point.
8 – La nullité
Les
textes nouveaux confirment la théorie moderne des nullités déjà retenue en
jurisprudence. « La nullité absolue peut être demandée par toute personne
justifiant d'un intérêt, ainsi que par le ministère public. » (art.
1180) ; « La nullité relative ne peut être demandée que par la partie
que la loi entend protéger » (art. 1181).
Deux
nouveautés en ce domaine : d’une part, les textes font référence à la
notion de nullité conventionnelle : « La nullité doit être prononcée
par le juge, à moins que les parties ne la constatent d'un commun accord. »
(art.
1178).
Le
problème est celui des droits d’enregistrement. En l’absence de décision de
justice ordonnant la restitution du bien au vendeur, par exemple,
l’administration fiscale risque de considérer qu’il s’agit d’une seconde
mutation, en sens inverse de la première, et d’exiger à nouveau le paiement des
droits.
Seconde
nouveauté : la création d’une action interrogatoire (comme en matière de
pacte de préférence et de représentation, v. supra). Art. 1183 :
« Une partie peut demander par écrit à celle qui pourrait se prévaloir de
la nullité soit de confirmer le contrat soit d'agir en nullité dans un délai de
six mois à peine de forclusion. La cause de la nullité doit avoir cessé.
/
L'écrit mentionne expressément qu'à défaut d'action en nullité exercée avant
l'expiration du délai de six mois, le contrat sera réputé confirmé. »
NB :
Cette disposition est applicable, à compter du 1er octobre 2016,
même aux contrats conclus avant cette date.
Autre
nouveauté, qui se rapproche de la nullité, les textes consacrent la notion de caducité.
Art. 1186 : « Un contrat valablement formé devient caduc si l'un de
ses éléments essentiels disparaît. » La suite du texte vise expressément
l’hypothèse des ensembles contractuels : « Lorsque l'exécution de
plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération et que
l'un d'eux disparaît, sont caducs les contrats dont l'exécution est rendue
impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l'exécution du contrat
disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie.
/ La
caducité n'intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est
invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné
son consentement. »
9 – Les effets du contrat
Les
textes nouveaux précisent l’effet translatif, en réglant notamment les conflits
de titres en matière immobilière.
Art.
1198, al. 2 : « Lorsque deux acquéreurs successifs de droits portant sur
un même immeuble tiennent leur droit d'une même personne, celui qui a, le
premier, publié son titre d'acquisition passé en la forme authentique au
fichier immobilier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition
qu'il soit de bonne foi. »
Cette
référence à l’acte authentique conforte son lien avec la publicité foncière,
comme l’art. 710-1. Elle avait été suggérée à la Chancellerie par l’IEJ.
Autre
nouveauté : les textes consacrent explicitement la notion de cession de
contrat (art. 1216 et s.). La figure existait déjà (ex. cession de bail en cas
de vente de l’immeuble loué, art. 1743 C. civ.). Sur le fond, pas de changement
majeur.
10 – La condition
Les
textes relatifs à la condition ont été modernisés.
Sur
le fond, un changement sensible : la réalisation de la condition
suspensive est par principe dépourvue d’effet rétroactif, alors que c’était le
cas auparavant. Les parties peuvent toutefois décider de faire jouer la
rétroactivité si elles le souhaitent (art. 1304-6). Cette question est
potentiellement très importante en matière de transfert de propriété. La
rétroactivité implique que l’acquéreur a été propriétaire dès la conclusion du
contrat même si la condition se réalise ensuite. Cela implique notamment qu’il
supporte les risques de la chose depuis la conclusion du contrat.
11 – La cession de créance
La
règle de l’article 1690 du Code civil est abandonnée : la cession de
créance est opposable aux tiers dès la date de l’acte, fût-il sous seing privé
(art. 1323). Aucun acte authentique (par notaire ou huissier) n’est plus
requis. Si la date fait l’objet d’une contestation, il appartient au
cessionnaire d’en rapporter la preuve. Il est donc toujours intéressant de
recourir à un acte ayant date certaine, ou de faire enregistrer la cession si
elle est passée sous seing privé. Surtout, l’horodatage électronique appelé à
se développer permettra de prouver sans difficulté la date de l’acte.
Pour
être opposable au débiteur, la cession doit lui être notifiée. Tant que cette
formalité n’est pas accomplie, et même si le débiteur a connaissance de la
cession, il est fondé à l’ignorer. Il peut donc toujours payer son créancier
initial ou même négocier avec lui une novation, une remise de dette, l’octroi
d’un terme, etc…
Autre
nouveauté intéressante : les textes re, , connaissent la possibilité de
stipuler qu’une créance ne sera pas cessible (art. 1321, al. 4). Une telle
clause sera prohibée dans les relations commerciales (art. L. 442-6 C. com.),
mais peut être très intéressante entre particuliers.
NB :
contrairement à ce qui avait été annoncé par plusieurs commentateurs du projet
d’ordonnance, le retrait litigieux n’est pas abrogé. Il demeure simplement régi
au titre de la vente, aux articles 1699 et s. Il est donc toujours possible
d’appliquer ce mécanisme en cas de cession d’une créance litigieuse.
12 – La reprise de dette
Les
textes consacrent la cession de dette (art. 1327). Elle n’existait pas dans le
Code civil, mais est connue d’autres législations (notamment le droit allemand,
v. § 413 et s. BGB).
L’opération
de « reprise de dette » pourra donc se faire de manière indirecte par
novation ou délégation, en créant une nouvelle obligation, ou directement, par
le biais d’une cession de dette (ex. le sous acquéreur d’un immeuble assume la
dette d’emprunt ayant financé l’achat du bien par l’acquéreur initial).
Le
régime de la cession de dette pose quelques difficultés, notamment quant à la
question de l’opposabilité des exceptions.
Les
textes relatifs à la novation et à la délégation sont quant à eux remaniés. Ils
consolident la jurisprudence sans apporter de réelles modifications.
13 – La subrogation
Contrairement
à ce qui avait un temps proposé par la Chancellerie, les textes définitifs
conservent la distinction entre la subrogation légale et la subrogation
conventionnelle.
Cette
dernière peut avoir lieu à l’initiative du créancier (ex. affacturage) ou à
l’initiative du débiteur (ex. rachat de prêt bancaire). Dans ce dernier cas, le
Code civil exigeait que le contrat de prêt et la quittance subrogative soient
passés devant notaire (art. 1250 anc.).
Les
nouveaux textes opèrent une distinction (art. 1346-2) : l’acte notarié
n’est pas nécessaire lorsque le créancier subrogeant « concourt » à
l’acte. La portée exacte de cette expression demeure à déterminer.
Autre
précision apportée par les textes : le subrogé n’a droit qu’à l’intérêt
légal, à moins qu’il ait stipulé, avec le débiteur, un autre intérêt. Surtout,
les intérêts ainsi produits sont couverts par les garanties initialement
consenties au subrogeant, ce qui était auparavant discuté. Les textes
confirment l’opinion exprimée par Me Frémeaux et M. Grimaldi (La garantie
hypothécaire des intérêts dus au créancier subrogé, Defrénois, 2011, p. 959) s.
14 – La preuve des obligations
Concernant
la preuve, les textes sont tout au plus retouchés, mais le droit n’est pas
modifié au fond.
Les
articles relatifs à l’acte authentique (art. 1369 et s.) sont une reprise
textuelle des dispositions actuelles.
Comme
on pouvait le craindre, l’acte contresigné par avocat fait son entrée dans le
Code civil (art. 1374).
NB :
l’ordonnance prévoit l’abrogation des articles 66-3-2 et 66-3-3 de la loi du 31
déc. 1971, siège actuel de l’acte contresigné. Cependant, on notera que
l’article 66-3-1 n’a pas vocation à disparaître : il est donc toujours
prévu, mais hors du Code civil, que « En contresignant un acte sous seing
privé, l'avocat atteste avoir éclairé pleinement la ou les parties qu'il
conseille sur les conséquences juridiques de cet acte. »
Ce
maintien est regrettable à un double titre. D’une part, sur le fond, la règle
est difficile à comprendre : l’avocat se constitue-t-il une preuve de
conseil donné par son seul contreseing ? D’autre part, sur la forme, le
résultat est complexe : le régime de l’acte contresigné est éclaté entre
le Code civil et la loi du 31 déc. 1971 ce qui ne constitue en rien une
simplification du droit.
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