LA PROTECTION DE LA PERSONNE DU MAJEUR
Catherine PHILIPPE
La loi du 3 janvier 1968 s’était
essentiellement préoccupée de la protection des intérêts patrimoniaux du
majeur, non pas qu’elle se soit désintéressée de sa personne, mais tout
simplement, parce qu’à l’époque, on considérait que cette question incombait à
la famille ou, pour les cas les plus lourds, relevait de la législation sur les
hospitalisations psychiatriques (Th. FOSSIER et Th. VERHAYDE A.J. Famille avril
2007 p. 164).
Après 1968 la pratique a fait émerger des
interrogations très concrètes concernant les décisions relevant du domaine
personnel (santé – lieu de vie…). Corrélativement le rapport FAVARD, dont s’est
largement inspiré la réforme de 2007, de même que le Conseil de l’Europe (recommandation
du 23 février 1999) ont insisté sur la nécessité de protéger tout à la fois la
personne et le patrimoine du majeur.
Ce double objectif est très présent dans la
loi du 5 mars 2007, l’article 415 nouveau CC en fait un résumé :
« les personnes majeurs reçoivent la protection de leur personne et de
leurs biens ».
La réforme organise une sorte de gradation
des textes qui concernent la personne. Il est possible d’envisager trois
paliers, trois catégories de dispositions : l’esprit général de la loi
(I), une ligne de conduite (II), des textes spécifiques (III).
I – L’ESPRIT GÉNÉRAL DE LA LOI
La réforme compte un grand nombre de
dispositions qui de manière très directive, ou plus subtilement, visent la
personne même du majeur ; ces textes donnent « l’ambiance » de
la loi, ils vont guider l’application et l’interprétation de la réforme, on les
retrouve tant dans le Code civil que dans le Code de l’action sociale et des
familles.
Toutes les mesures envisagées par la loi du 5
mars sont empreintes du souci de la personne :
1.
Mesure d’accompagnement social personnalisé ou
MASP (art. L 271-1s CASF)
Cette mesure résulte d’un contrat -donc
d’un engagement personnel- avec le département. Elle concerne certes un aspect
gestion des ressources mais également un volet accompagnement social
individualisé (al. 1e).
2.
Mesure d’accompagnement judiciaire ou MAJ (art. 495 CC)
Certes il s’agit d’une mesure relative à la
gestion des prestations sociales mais elle est mise en œuvre parce que la santé
et la sécurité du majeur sont compromises. En outre les conditions qui
entourent son prononcé et son fonctionnement sont empreintes du souci de
protéger la personne.
3.
Le mandat de protection future
D’une part la volonté d’anticiper en usant de
cette technique juridique relève d’une décision personnelle, d’autre part le
mandat peut s’étendre à la protection de la personne (art. 479 al. 1e)
et les garanties offertes dans el cadre de la curatelle ou de la tutelle lui
sont alors applicables (art. 457-1 à 459-2 CC).
4 . La manière
dont la loi les encadre est le signe manifeste de l’intérêt porté à la personne
du majeur : la mesure doit être nécessaire (art. 428), elle est prise dans
le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité
de la personne (art. 415 al. 2), elle a pour finalité l’intérêt de la personne
protégée (art. 415 al. 3), elle est proportionnée et individualisée (art. 428
al. 2).
La
mesure n’est prononcée qu’une fois que la personne a été entendue, si elle le
souhaite accompagnée d’un avocat, et un certificat médical circonstancié doit
être fourni (art. 431 CC).
II – UNE LIGNE DE CONDUITE
- L’art. 459 al. 1e prévoit que « la personne
protégée prend seule les décisions relatives à sa personne ».
Le législateur fait immédiatement preuve de
réalisme puisqu’il ajoute « dans la mesure où son état le permet ».
o Quel
que soit l’état de la personne le législateur a estimé qu’il existe des
domaines où « l’acte personnel est tellement intime que nulle tutelle ou
curatelle ne saurait jamais s’y immiscer ». Ces domaines sont visés à
l’art. 458 CC.
-
déclaration de naissance de l’enfant
-
reconnaissance,
-
actes de l’autorité parentale relatifs à la
personne de l’enfant
-
déclaration du choix ou du changement de nom de
l’enfant
-
consentement à sa propre adoption ou à celle de son
enfant.
o En
dehors de ce domaine, si l’état de l’individu ne lui permet pas de prendre seul
les décisions éclairées relatives à sa personne, l’art. 459 al. 2 offre des
solutions graduées.
-
1ère solution
Le juge ou le conseil de famille, s’il a été
constitué, peut prévoir que le majeur bénéficiera pour l’ensemble des actes
relatifs à sa personne ou ceux d’entre eux qu’il énumère (nouvelle gradation)
de l’assistance de la personne chargée de sa protection (donc intervention du
majeur et de son curateur ou de son tuteur)
-
2ème solution
Au cas où cette assistance ne suffirait pas, le
juge ou le conseil de famille peut, le cas échéant, après l’ouverture d’une mesure
de tutelle, autoriser le tuteur à représenter l’intéressé. Mais même
dans ce cas la personne concernée reçoit toutes informations sur sa situation
personnelle (art. 457-1).
III – LES SITUATIONS PARTICULIÈRES ENVISAGÉES PAR LE LÉGISLATEUR
1.
Le mariage
-
lorsque le majeur est en curatelle l’accord du
majeur est nécessaire ainsi que celui du curateur ou du juge (art. 460 al. 1e).
-
Lorsque le majeur est en tutelle l’article 460
alinéa 2 CC exige l’accord de ce dernier, l’autorisation du juge ou du conseil
de famille après audition des futurs époux et ??, le cas échéant, de l’avis des parents et de l’entourage.
2.
Le divorce
-
Lorsqu’une personne est placée sous un régime de
protection l’article 249-4 CC interdit de recourir au divorce par consentement
mutuel ou pour acceptation du principe de la rupture. Ne peuvent donc être
utilisés que le divorce pour faute ou pour altération définitive du lien
conjugal.
-
Lorsqu’on est en présence d’une curatelle le majeur
qui exerce l’action le fait avec l’assistance du curateur (art. 249 al. 2
CC) ; la personne protégée contre laquelle est exercée l’action en divorce
se défend elle-même avec l’assistance du curateur (art. 249-1).
-
Lorsque le régime de protection est une tutelle la
demande est présentée par le tuteur avec l’autorisation du conseil de famille
ou du juge des tutelles. Si le divorce est formé contre le majeur l’action est
exercée contre le tuteur (art. 249 et 249-1).
-
Enfin, lorsque la majeur est placé en sauvegarde de
justice la demande en divorce ne peut être examinée qu’après organisation de la
tutelle ou de la curatelle (art. 249-3).
3.
Le pacte civil de solidarité
-
Dans le cadre d’une curatelle la conclusion du PACS
nécessite l’assistance du curateur (art. 461 al. 1e) et la rupture
de celui-ci ne nécessite l’intervention du curateur que pour la liquidation
(art. 461 al. 3 CC).
-
Dans l’hypothèse d’une tutelle la conclusion du
PACS nécessite l’autorisation du juge ou du conseil de famille après audition
des futurs partenaires et recueil le cas échéant de l’avis des parents et de
l’entourage. L’intéressé est donc assisté par le tuteur lors de la signature de
la convention mais non lors de la déclaration conjointe au greffe (art. 462 al.
1e et 12 CC).
-
La personne en tutelle peut rompre le PACS par
déclaration conjointe ou par décision unilatérale, la formalité de
signification est opérée à la diligence du tuteur. La rupture unilatérale peut
également intervenir sur l’initiative du tuteur autorisé par la juge ou le
conseil de famille après audition de l’intéressé et recueil, le cas échéant, de
l’avis des parents et de l’entourage (art. 462 al. 4 et 5). Pour les opérations
de liquidation le majeur en tutelle est représenté par le tuteur (art. 462 al.
7 CC).
4.
Le choix de la résidence et des relations
personnelles (art. 459-2 CC)
La personne protégée choisit le lieu de sa
résidence et entretient librement des relations personnelles avec tout tiers
parent ou non. En cas de difficulté c’est le juge ou le conseil de famille qui
statue.
5.
Les actes de nature patrimoniale à
connotation personnelle
Il s’agit d’opérations soit qui portent sur des
liens ayant une valeur affective marquée (logement, meubles garnissant ce
logement, souvenirs, objets à caractère personnel (art. 426) soit qui sont de
nature à porter atteinte à l’autonomie de la personne (comptes ou livrets art.
427 soit qui relèvent de mobiles strictement personnels (testament –
donations). Ces actes font l’objet de textes spécifiques.
6.
Le droit de vote
L’article 5 du code électoral prévoit que le
juge, lorsqu’il ouvre ou renouvelle une tutelle doit statuer sur le maintien ou
la suppression du droit de vote de la personne protégée.
7.
La santé
L’article 459-1CC prévoit l’application
prioritaire de dispositions du code de la santé publique et du code de l’action
sociale et des familles.
Dans tous les cas de figure la personne a le
droit d’être informée de son état de santé et son consentement aux soins qui
lui sont prodigués doit être recherché.
Des textes spéciaux abordent des questions
telles que les essais thérapeutiques, les dons d’organes, les prélèvements,
l’accès au dossier médical, la stérilisation, l’assistance médicale à la
procréation, l’interception volontaire de grossesse, l’examen des
caractéristiques génétiques de la personne, la fin de vie…
8.
L’hypothèse du danger (art. 459 al. 3 CC)
-
La personne chargée de la protection du majeur peut
prendre à l’égard de celui-ci les mesures de protection strictement nécessaires
pour mettre fin au danger que du fait de son comportement, l’intéressé ferait
courir à lui-même. Elle en informe sans délai le juge ou le conseil de famille.
-
Sauf urgence la personne chargée de la protection
du majeur ne peut sans ‘l’autorisation du juge ou du conseil de famille prendre
une décision ayant pour effet de porter atteinte à l’intégrité corporelle de la
personne protégée ou à l’intimité de sa vie privée.
CONCLUSION
La protection de la personne du majeur :
un principe on ne peut plus respectable et à respecter.
Une mise en œuvre concrète plus délicate eu
égard notamment au manque de personnel et de moyens.
Ce qui est certain en revanche c’est que
aucun professionnel en charge, à un titre ou à un autre, d’un majeur protégé,
ne peut faire l’économie de l’aspect personnel des mesures et se dédouaner en estimant
avoir «bien géré » une question médicale, pratique ou financière.
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