Présentation du dispositif d’habilitation familiale
CENTRE NOTARIAL DE SHANGAI
22 juin 2017 – 9h00
Mélanie BESSAUD
magistrate
Rédactrice au Bureau du droit des personnes et de la
famille de la Direction des affaires civiles et du sceau
Ainsi
qu’il vous l’a été présenté un peu plus tôt, le droit français de la protection
des majeurs vulnérables résulte de la grande réforme du 5 mars 2007, qui a
souhaité affirmer la primauté familiale.
L’article
415 du code civil rappelle ainsi que la protection des personnes majeures est
un devoir des familles et de la collectivité publique et l’article 450 pose le
principe d’une désignation d’un membre de la famille ou d’un proche pour
assumer la mesure de protection.
Dans
cet esprit, le mandat de protection future prend lentement son essor depuis
2009 puisque près de 5 000 mandats ont été mis en oeuvre, dont 90 % sont des
mandats notariés. Les dernières statistiques établies par le ministère de la
justice en juin 2017 mettent en évidence une augmentation progressive du nombre
de mandats mis en œuvre, qui était de 1 354 pour la période comprise entre
le 1er janvier 2009 et le mois de juin 2012 et qui atteint 1 083
pour la seule année 2016.
Parallèlement,
le nombre de mesures de protection ouvertes auprès des juges des tutelles est
resté relativement stables, grâce aux dispositions de la loi de 2007 et malgré
un vieillissement de la population qui s’accélère. Au 31 décembre 2015,
715 000 mesures étaient en cours d’exécution, dont 383 000 tutelles.
Toutefois,
ces mesures ne répondent pas aux hypothèses des situations familiales et/ou
patrimoniales les plus simples : en effet, très souvent, la famille
s'occupe déjà de la gestion des biens de la personne à protéger par le biais
de procurations, sans que le juge ait jamais été appelé à intervenir.
C'est
la vente de la maison pour régler l’hébergement de la personne en maison de
retraite qui oblige le plus souvent la famille à saisir le juge, lorsque le
notaire constate que le majeur ne peut valablement consentir.
Un
groupe de travail sur les tribunaux d'instance s’est tenu au Ministère de la
Justice en 2013 : une de ses propositions portait sur la création, sous
certaines conditions, d'une habilitation au profit des enfants de la personne
hors d'état de manifester sa volonté, pour agir en son nom.
C’est
de cette idée, soutenue par l’association nationale des juges d’instance qu’est
née la réforme de l’habilitation familiale.
Juridiquement
l’idée était donc d’organiser un mode de protection consensuel, reposant sur
l’implication des proches, plus particulièrement des enfants, lorsque la
personne concernée n’a pu pas anticiper sa propre vulnérabilité par la
conclusion d’un mandat de protection future.
La
mesure, qui ne prévoit pas de contrôle périodique des comptes ou n’ouvre pas la
possibilité de désigner une personne privée, y compris au sein de la famille,
pour contrôler la personne habilitée, a donc été comme un mécanisme de
représentation au formalisme allégé, au bénéfice de situations familiales
simples, le plus souvent à faibles enjeux patrimoniaux et à faibles risques de
dissension familiale.
L’absence
d’intervention du juge des tutelles, sauf difficultés ponctuelles ou actes
particuliers une fois l’habilitation ordonnée, se fonde donc sur les garanties
apportées par les proches.
Au-delà
de la simplification pour les familles, la question de la décharge des juges
des tutelles a bien sûr été évoquée et il a été estimé que ce dispositif
pourrait réduire de l'ordre de 15 % le nombre de mesures de tutelle.
Le
nouveau dispositif de l’habilitation familiale a été institué par le
gouvernement, après que le Parlement l’ait habilité à légiférer par ordonnance
sur ce sujet (loi n° 2015-177 relative à la modernisation et à la simplification
du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires
intérieures).
L’ordonnance n°
2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit
de la famille a donc introduit dans le code civil les articles 494-1 à 494-12
et le décret n° 2016-185 du 23 février 2016, les articles 1260-1 à 1260-13 du
code de procédure civile.
Cette
nouvelle mesure a pu être mise oeuvre à compter du 26 février 2016 et les
données statistiques provisoires pour l’année 2016 permettent d’estimer à
3 000 le nombre d’habilitations familiales prononcées en moins de 10 mois.
L’ordonnance a été ratifiée par
la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle adoptée en lecture
définitive par l’Assemblée nationale le 12 octobre 2016.
I- Présentation de l’habilitation familiale
La
mesure d’habilitation familiale est une mesure de protection juridique, conçue
comme un mandat, reposant sur un consensus familial.
ØUne
mesure de protection juridique
L’habilitation
familiale a été conçue comme une mesure de protection juridique.
En
tant que telle, elle est soumise aux dispositions générales du code civil
et notamment :
-
à l’article 415, qui impose de respecter le principe de nécessité, les libertés
individuelles, les droits fondamentaux et la dignité de la personne, dans son
seul intérêt ;
-
aux articles 416 à 418 portant sur le devoir de surveillance générale du juge
des tutelles et du procureur de la République sur les mesures de protection de
leur ressort.
Ø Un mandat
familial, proche du fonctionnement du mandat de protection future
S’agissant
d’un mandat ordonné par le juge, sur présentation d’un certificat médical
circonstancié rédigé par un médecin inscrit sur la liste établie par le procureur
de la République, prévu à l’article 431 du code civil, l’habilitation familiale
est soumise aux dispositions spécifiques prévues aux articles 494-1 à 494-11 du
code civil ainsi qu’aux dispositions générales relatives au mandat qui ne lui
sont pas contraires.
Ø Un
dispositif reposant sur le consensus familial
L’habilitation
familiale a vocation à être ordonnée dans les situations consensuelles où
chacun s’accorde sur le choix d’un proche pour représenter la personne en
situation de vulnérabilité et sur les modalités de protection de celle-ci. La
vérification de l’existence de ce consensus familial est une des conditions de
délivrance de l’habilitation.
II- Les acteurs de l’habilitation familiale
Il
convient de distinguer la personne protégée dénommée par les textes
comme : « la personne à l’égard de qui l’habilitation a été
délivrée ou la personne à l’égard de qui l’habilitation a été demandée ») et
la personne habilitée (celle qui exerce la mesure de protection).
ØLa personne
protégée
L’habilitation
familiale vise les hypothèses dans lesquelles une personne est hors d’état
de manifester sa volonté pour l’une des causes prévues à l’article 425 du code
civil, c’est-à-dire en raison d’une altération, médicalement constatée,
soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles, de nature à
empêcher l’expression de sa volonté.
Sont
donc exclues les personnes qui seraient considérées comme étant hors d’état de
manifester leur volonté pour une autre cause, à savoir un éloignement ou une
situation d’absence.
ØLa ou les
personnes habilitées
-
L’habilitation
ne peut être délivrée qu’à des proches
Il
résulte de l’article 494-1 du code civil que peuvent être habilités à
représenter un proche hors d’état de manifester sa volonté une ou plusieurs
personnes parmi :
-
les
ascendants,
-
les
descendants,
-
les
frères et sœurs,
-
le
conjoint, le partenaire auquel elle est liée par un pacte civil de solidarité
ou le concubin, à moins que la communauté de vie ait cessé entre eux.
L’exercice
de l’habilitation ne peut donc pas être confié à un mandataire judiciaire à
la protection des majeurs.
Le
juge peut désigner plusieurs personnes habilitées, déterminant alors pour
chacune d’elles les conditions d’exercice de sa mission. La mesure est ainsi
adaptée, notamment, au cas de parents d’un enfant handicapé qui pourront
solliciter ce type de mesures.
La
personne habilitée étant nécessairement un proche, elle exerce sa mission à
titre gratuit, sous réserve de la possibilité pour le juge de fixer le
versement d’une indemnité (article 419 du code civil), selon l’importance des
biens gérés ou la difficulté d’exercer la mesure.
- Les
conditions que doit remplir chaque personne habilitée
La
personne habilitée doit remplir les conditions pour exercer les charges
tutélaires.
Ainsi,
ne peuvent être désignés, à l’égard de leurs patients, les membres des
professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux.
De même, le fiduciaire ne pourra être habilité pour assister ou représenter le
constituant. Sont également visés par cette interdiction les mineurs non
émancipés, les majeurs qui bénéficient d'une mesure de protection juridique,
les personnes à qui l'autorité parentale a été retirée et les personnes à qui
l'exercice des charges tutélaires a été interdit en application de l'article 131-26 du code pénal.
- Le
choix de chaque personne habilitée
Le
juge choisit la personne habilitée, selon l’étendue de la mesure, en
fonction des intérêts patrimoniaux et personnels de la personne faisant l’objet
de l’habilitation. Le juge doit en outre s’assurer de l’adhésion, ou à
défaut, de l’absence d’opposition légitime au choix de la personne habilitée
des proches visés à l’article 494-1 du code civil qui entretiennent des
liens étroits et stables avec la personne ou qui manifestent de l’intérêt à son
égard. Au regard de l’importance du choix de la personne habilitée lors de la
délivrance d’une habilitation familiale, la cessation de ses missions par la
personne habilitée pour quelque cause que ce soit entraine la fin de
l’habilitation elle-même.
- La
responsabilité de la personne habilitée
La
personne habilitée engage sa responsabilité à l’égard de la personne
représentée pour l’exercice de l’habilitation qui lui est conférée, dans les
mêmes conditions que le mandataire désigné dans le cadre d’un mandat de protection
future, soit dans les conditions prévues à l’article 1992 du code civil qui
prévoit que : « Le mandataire répond non seulement du dol mais
encore des fautes qu’il commet dans sa gestion ». Le mandataire est
donc responsable de ses fautes de gestion, volontaires ou non.
En
outre, le juge peut toujours révoquer une habilitation familiale lorsque son
exécution est de nature à porter atteinte aux intérêts de la personne protégée.
3 – Le champ d’application de l’habilitation
familiale
ØL’habilitation spéciale
Aucune
durée n’est prévue pour la mesure d’habilitation spéciale puisqu’elle est
prononcée pour passer un ou plusieurs actes déterminés et a vocation à prendre
fin par la réalisation des actes énumérés dans le jugement.
Il
est néanmoins possible de modifier le champ de l’habilitation familiale
spéciale (article 494-10 du code civil) sous réserve que la mesure n’ait pas
déjà pris fin.
En
application des dispositions de l’article 494-3 du code civil, la demande doit
être effectuée par les personnes ayant qualité pour solliciter l’habilitation
familiale et le juge ne peut modifier l’étendue de l’habilitation ou y mettre
fin qu’après audition de la personne protégée - sous réserve qu’elle soit en
mesure d’être entendue - et de la personne habilitée (article 1260-6 nouveau du
code de procédure civile).
ØL’habilitation générale
L’habilitation
est générale lorsqu’elle porte :
-
soit
sur l’ensemble des actes patrimoniaux ou personnels,
-
soit
sur l’ensemble des actes patrimoniaux et relatifs à la personne.
Sous
réserve des actes soumis à des règles particulières, la personne habilitée peut
accomplir l’ensemble de ces actes, sans solliciter de nouvelle autorisation
spécifique du juge des tutelles.
L’habilitation
générale a en revanche une durée maximale de 10 ans. Un renouvellement est
possible, qui peut, lui, aller jusqu’à 20 ans lorsque l’altération des facultés
personnelles de la personne protégée n’apparaît manifestement pas susceptible
de connaître une amélioration selon les données acquises de la science, ce qui
doit être établi par un certificat médical.
En
vue d’un tel renouvellement, le juge doit :
-
procéder
à l’audition de la personne faisant l’objet de la mesure d’habilitation dans
les mêmes conditions que pour le prononcé initial de la mesure ;
-
procéder
à l’audition de la personne habilitée.
Ø Les actes visés par l’habilitation
familiale
-
Les
actes relatifs aux biens
L’article
494-6 du code civil détermine le champ des actes possibles sur les biens de la
personne à protéger dans le cadre de l’habilitation familiale par la formule
suivante : ce sont les actes que « le tuteur a le pouvoir
d’accomplir, seul ou avec une autorisation, sur les biens de l’intéressé ».
Sont
donc visés les actes conservatoires, d’administration et de disposition
nécessaires à la gestion du patrimoine de la personne à protéger. Sont
également visées les actions en justice tendant à faire valoir les droits
patrimoniaux de la personne protégée. Toutefois la personne habilitée devra
solliciter une autorisation du juge des tutelles pour engager l’action en
nullité ou en réduction des actes qui auraient été accomplis par la personne
faisant l’objet de l’habilitation dans les conditions posées à l’article 494-9
du code civil.
Il
résulte de la lettre de l’article 494-6 du même code que les actes interdits au
tuteur (articles 509 et suivants du code civil) ne peuvent en revanche être
compris dans le champ de l’habilitation familiale, à l’exception des actes de
disposition à titre gratuit mais dans ce cas, l’article 494-6 impose
l’autorisation préalable du juge des tutelles.
-
Les
actes relatifs à la personne
,
Quelle
que soit la portée de l’habilitation familiale, le juge peut habiliter un
proche, en fonction de ce que nécessite la situation du majeur concerné, à
accomplir des actes relatifs à sa personne.
Pour
ces actes, l’habilitation s’exerce selon les règles générales édictées aux
articles 457-1 à 459-2 du code civil (selon la distinction des actes
strictement personnels ou personnels qui vous a été présentée en début de
matinée).
Ainsi,
ce n’est que lorsque la personne faisant l’objet de l’habilitation sera dans
l’impossibilité de prendre une décision éclairée que le juge pourra prévoir
l’assistance, voire autoriser la représentation par la personne habilitée, en
application des dispositions de l’article 459 du code civil.
Il
convient de préciser que les dispositions de l’article 1220-3 du code de
procédure civile sont rendues applicables à l’habilitation familiale[1]
de sorte que le juge des tutelles ne pourra statuer sur une requête relative à
la personne de l’intéressé qu’après l’avoir entendue ou appelée, sauf si son
audition est de nature à porter atteinte à sa santé ou si celui-ci est hors
d’état d’exprimer sa volonté.
ØLes actes soumis à une protection
particulière
-
La
question du conflit d’intérêt
La
personne habilitée ne pourra, par principe, accomplir un acte pour lequel elle
serait en conflit d’intérêt avec la personne faisant l’objet de l’habilitation.
Toutefois, à titre exceptionnel, le juge pourra l’autoriser à accomplir un tel
acte si l’intérêt de la personne protégée l’impose (acceptation d’une
succession par exemple).
-
La
question du logement et des actes relatifs aux comptes et livrets de la
personne protégée
L’habilitation
constitue néanmoins une mesure de protection juridique soumise aux dispositions
communes applicables à cette catégorie d’actes.
A
ce titre l’habilitation familiale est soumise aux dispositions protectrices de l’article
426 du code civil relatives au logement et aux meubles meublants de la personne
protégées. Ainsi, la disposition des droits relatifs à son logement ou à
son mobilier nécessitera une autorisation du juge des tutelles. Lorsque l’acte
de disposition sera envisagé en vue de l’accueil de l’intéressé en
établissement, l’avis préalable d’un médecin n’exerçant pas une fonction ou
n’occupant pas un emploi dans cet établissement est requis.
Les
dispositions de l’article 427 du code civil relatives aux comptes bancaires de
la personne protégées s’appliqueront également, sous réserve
des dispositions du premier alinéa relatives à la modification des comptes ou
livrets ouverts au nom de la personne protégée et à l’ouverture d’un autre
compte ou livret dans un établissement habilité à recevoir des fonds du
publics. En effet, ces actes ne seront soumis à une autorisation du juge des
tutelles que s’il l’indique expressément dans sa décision. Tel est le sens des
dispositions de l’article 494-7 du code civil.
[1] Par renvoi de l’article 1260-6 nouveau du code de procédure civile.
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