LA PROTECTION DES PERSONNES
VULNERABLES : PRINCIPES GENERAUX ET PROTECTION DE LA PERSONNE
Shanghai
– juin 2017
par
Michel
GRIMALDI
professeur à
l'Université Panthéon-Assas (Paris II)
1. Longtemps, le droit civil a
identifié trois catégories de personnes vulnérables, dont il veillait à
protéger les intérêts en les dotant d’un régime dit d’incapacité :
incapacité dont on précisait aussitôt qu’elle était de protection (pour la
distinguer des incapacité de sanction ou de suspicion). Ces trois catégories de
personnes, c’était l’enfant, la femme mariée et certains adultes. La femme
mariée une fois rendue capable en 1938, sont restés l’enfant et certains
adultes. Mais quels adultes ? Disons sommairement que longtemps ce furent
les fous, les simples d’esprit et les excentriques, mais que depuis, ce sont
aussi et surtout les personnes âgées, qui – conséquence de l’allongement de la
durée de vie humaine – sont souvent plus âgées que naguère et dont, pour cette
raison les facultés mentales ou corporelles sont plus souvent altérées.
Il ne sera ici question que des
adultes.
2. D’un point de vue sociologique, la situation de l’adulte
vulnérable s’est ressentie des mutations qu’a connue la société française. On
en signalera ici deux, qui concerne les structures familiales et les
patrimoines familiaux.
w S’agissant des structures
familiales, on a vu, en France comme ailleurs, une famille rurale,
nombreuse et stable, se transformer en une famille urbaine, restreinte, mobile
et dispersée. Cette mutation a rendu plus difficile, et donc plus rare, la
prise en charge par les familles elles-mêmes de ceux de leur membres que leur
handicap ou leur âge interdit d’abandonner à eux-mêmes. Là où, jadis, on s’occupait
en famille, entre soi, sans recours à l’Etat ni au juge, de ses faibles
d’esprit ou de ses vieux, on doit aujourd’hui, pour cause d’éloignement, mettre
en place un régime de protection juridique.
Certes, la famille joue un rôle dans
le fonctionnement des diverses institutions protectrices, car c’est très
généralement l’un de ses membres qui reçoit mission de protéger
l’intéressé ; mais elle a cessé d’être le lieu clos où l’on protège les
personnes malades ou âgées hors du droit.
w S’agissant des patrimoines
familiaux, on a longtemps considéré que
celui qui dissipe sa fortune
devait être placé sous un régime de protection : le prodigue était traité
comme un faible d’esprit. Il s’agissait, certes, de lui éviter de tomber en
état de besoin, mais il s’agissait sans doute aussi de protéger l’héritage de
ses proches. Or aujourd’hui où la dimension familiale des patrimoines s’est
estompée et où l’on cherche à stimuler la consommation pour doper l’économie,
les personnes âgées apparaissent comme des acteurs du développement économique
dont il n’y a pas lieu de modérer les dépenses. Aussi bien, la prodigalité
n’est-elle plus visée, depuis une loi de 2007 (dont on parlera plus loin),
parmi les causes d’ouverture d’une mesure de protection.
C’est seulement lorsqu’une personne
bénéfice de prestations sociales (allocations vieillesse, allocations maladie,
allocations familiales, allocations chômage) que, suivant cette même loi, elle
peut faire l’objet de mesures d’accompagnement s’il dissipe, par
incompétence, maladresse ou faiblesse de caractère, l’argent qu’il perçoit de
la solidarité nationale. Ces mesures sont d’ailleurs tantôt conventionnelles,
c’est-à-dire librement consenties par l’intéressé qui passe un convention avec
le département, tantôt judiciaires, c’est-à-dire imposées par le juge.
Et, dans ce cas, elles peuvent aller jusqu’à un dessaisissement de l’intéressé
qui perd la libre disposition des prestations sociales qui luis sont allouées.
3.
D’un point de
vue juridique, la protection des
personnes vulnérables ne pouvait pas rester à l’écart des évolutions de fond
qui, ces dernières décennies, ont transformé le droit civil. Ainsi, le droit
civil des personnes et de la famille, où s’inscrit la protection des personnes
vulnérables, a été secoué par un puissant mouvement de contractualisation :
là où jadis l’ordre public régnait, le pouvoir des volontés individuelles s’est
accru ; le contrat, et plus généralement l’acte juridique, a gagné du
terrain. On le constate en matière d’attribution de nom (qui peut souvent être
choisi), de divorce (qui est possible par consentement mutuel), de régimes matrimoniaux
(qui peuvent être librement modifiés) ou encore de succession (où le défunt
peut confier à un tiers le mandat de gérer ses biens après sa mort). On le
vérifie aussi en matière de protection des personnes vulnérables : il a
été créé un mandat de protection future qui permet à chacun de charger
une personne de son choix de le représenter le jour où son état ne lui
permettra plus de pourvoir seul à ses intérêts.
Ce mouvement s’explique par la poussée
des droits fondamentaux et des libertés individuelles : le mandat de
protection future, en particulier, repose sur l’idée que chacun doit pouvoir
organiser lui-même par avance les modalités de sa protection future plutôt que
de s’en remettre, le moment venu, à sa famille, au juge ou l’Etat. Sans doute
aussi, l’Etat trouve-il dans ce désengagement, dans cette déjudiciarisation,
une source bienvenue d’économie budgétaire. Mais Charles Gijsbers vous en dira
plus tout à l’heure
4.
La protection
des personnes vulnérables a été profondément réformée par une loi du 5 mars
2007, depuis lors complétée par une ordonnance du 15 octobre 2015.
Elle peut être schématiquement
présentée en trois temps, en considérant d’abord les principes généraux (A) sur
lesquels il repose, puis la protection de la personne (B) et enfin la
protection des biens (C).
A. Les
principes généraux de la protection
Ces principes sont au nombre de six.
5.
Premier principe : le principe de nécessité (C. civ. art. 428 ). Ce principe
emporte plusieurs conséquences :
- Il ne faut pas ouvrir un régime de
protection si celle-ci est suffisamment assurée par le droit commun : par
la règle de droit civil qui prescrit la nullité de tout acte juridique
passé sous l’empire d’un trouble mental, ou par la mesure de droit pénal
qui incrimine l’abus de faiblesse ;
- Le besoin de protection doit avoir
été médicalement constaté : le pouvoir médical est incontournable
dans la mise en place d’un régime de protection (alors que, parfois, le pouvoir
judiciaire n’intervient pas) ;
- La mesure est toujours provisoire,
c’est-à-dire à durée limitée et révisable.
6.
Deuxième principe : le principe de subsidiarité (C. civ., art. 428). Ce principe
signifie d’abord qu’une mesure de protection ne doit être ouverte que si
celle-ci ne peut être assurée par une voix moins contraignante : assis,
lorsque la personne est mariée, son régime matrimonial peut suffire à assurer
sa protection, notamment par l’application des règles prévoyant des transferts
de pouvoirs entre les époux lorsque l’un d’eux est hors d’état de
manifester sa volonté.
7.
Troisième principe : le principe de proportionnalité (C. civ., art. 428). Ce principe signifie que la mesure de protection doit
être adaptée à la vulnérabilité la personne : il implique donc une individualisation
de la mesure.
w Cette individualisation est
d’abord l’œuvre de la loi. En effet, après avoir posé en principe qu’une
mesure de protection suppose que l’intéressé souffre soit d’une altération de
ses facultés mentales qui trouble son discernement, soit d’une altération de ses
facultés corporelles qui entrave l’expression de sa volonté (C. civ., art. 425),
la loi prévoit une gamme de 4 mesures en fonction de la gravité de l’altération :
- La sauvegarde de justice, qui
est conçue pour ceux qui ont besoin d’une protection temporaire (à raison, par
exemple, d’une hospitalisation) ou qui doivent être représentés pour
l’accomplissement d’un acte déterminé (la vente d’une maison), laisse à
l’intéressé sa pleine capacité. Mais elle lui permet d’obtenir l’annulation
pour lésion ou la réduction pour excès des actes juridiques qu’il conclut ;
- La curatelle, qui est conçue
pour la personne qui a besoin d’être contrôlée de manière continue
dans les actes importants de la vie civile, place l’intéressé sous un régime d’incapacité
avec assistance : il ne peut accomplir les actes importants qu’avec
l’autorisation de son curateur ;
- La tutelle et l’habilitation
familiale (créée en 2015), qui sont conçus pour la personne qui a besoin d’être
représentée d’une manière continue dans les actes de la vie
civile (tutelle) ou de certains d’entre eux (habilitation familiale), placent l’intéressé
sous un régime d’incapacité avec représentation : il ne peut pas
agir par lui-même, c’est son tuteur ou la personne habilitée qui agit en son
nom. Le particularisme de l’habilitation familiale par rapport à la tutelle
tient au lien de famille, de plus très étroit, unissant la personne protégée à
son protecteur (ascendant, descendant, frère ou sœur, conjoint, partenaire uni
par un pacte civil de solidarité ou concubin) et à la plus grande souplesse de
la protection qui tient à une moindre intervention du juge dans la gestion des
biens de la personne protégée.
Précisons qu’aujourd’hui les mesures
les plus répandues sont la curatelle et la tutelle : la sauvegarde de
justice n’offre qu’une faible protection et l’habilitation familiale est trop
récente encore pour que l’on puisse en apprécier le succès.
w Cette individualisation est ensuite
l’œuvre du juge, qui peut adapter la mesure légale qu’il retient
(tutelle ou curatelle) au cas particulier qui lui est soumis : il peut
ainsi augmenter ou diminuer les pouvoirs que la mesure retenue conserve en
principe au majeur protégé. De plus, le juge peut procéder à cette adaptation
soit lors de l’ouverture de mesure, soit au cours de celle-ci : il peut,
par exemple, autoriser le majeur en tutelle à faire un testament, alors qu’en
principe la tutelle emporte une incapacité de tester.
w Cette individualisation est enfin
l’œuvre de l’intéressé, qui, à certaines conditions, peut moduler le
mandat de protection future qu’il conclut avec le protecteur qu’il s’est choisi.
8.
Quatrième principe : le principe du droit à la protection (art. 415). La loi énonce très clairement
que la protection des personnes vulnérables est un devoir pour les
familles et la collectivité, que cette protection doit être assurée dans le
respect des droits fondamentaux, des libertés individuelles et de la dignité de
la personne.
Voilà pourquoi la protection des
personnes vulnérables est placée sous la surveillance du pouvoir judiciaire,
éclairé, le cas échéant, par des médecins. Ainsi, avant de prendre une mesure
concernant la personne protégée, le juge doit, sauf impossibilité médicale,
entendre la personne (laquelle peut se faire assister d’un avocat ou, avec
l’accord du juge, de toute autre personne) ; le juge peut toujours visiter
ou faire visiter une personne protégée, et convoquer la personne chargée de la
protection.
Deux observations d’appoint :
-
La
difficulté éprouvée à la mise en œuvre de ce devoir par la collectivité est
d’ordre financier. La protection des personnes vulnérables coûte cher : elle
absorbe une part non négligeable de l’activité du juge des tutelles. Et de
plus, malgré le coût qu’elle représente, cette protection n’est pas toujours
performante, car le juge des tutelles est souvent dépourvu des compétences
économiques et financières que requiert une bonne gestion patrimoniale. C’est
pourquoi, par souci d’économie et d’efficacité, la loi tend aujourd’hui à
promouvoir des mesures de protection, telles le mandat de protection future et
l’habilitation familiale, où le juge
est en net retrait : tantôt la protection est aménagée sans lui
(mandat de protection future fait par acte notarié) ; tantôt
son intervention est fortement diminuée
(habilitation familiale).
-
Dès
lors que la mesure de protection emporte une incapacité (curatelle, tutelle,
habilitation familiale) qui peut emporter la nullité de l’acte irrégulièrement
passé par la personne protégée, il faut que les tiers puissent en être
informés. La publicité de la mesure de protection est une condition de la
sécurité juridique. Elle est assurée en France par une mention qui est portée
en marge de l’acte de naissance de la personne protégée.
9.
Cinquième principe : le principe de la protection et de la personne et du
patrimoine (C. civ., art. 415). Cette double protection est une tradition de droit
français, mais la loi de 2007 la proclame avec une force particulière :
elle énonce en des termes très généraux que « les
personnes protégées reçoivent la protection de leur personne et de leurs biens ».
Et, le régime de la tutelle et de la curatelle contiennent une Section tout
entière consacrée à la protection de la personne.
B. La protection
de la personne
La protection de la personne est assurée
par des règles relatives à trois catégorie d’actes.
10.
La première catégorie concerne
les actes relatifs à un bien particulier, dont la dimension personnelle est
évidente : à savoir la résidence de
la personne protégée. La résidence, en effet, peut avoir une grande valeur
patrimoniale (songeons à un bel appartement à Paris), mais elle a aussi une
valeur extrapatrimoniale : la valeur que chacun trouve à son cadre de vie,
qui est le lieu où il cultive l’intimité de sa vie privée. Consciente de cette
dimension de la résidence, la loi impose de conserver au majeur protégé, autant
qu’il est possible, son logement ainsi que les meubles le garnissant.
Et elle assimile la résidence secondaire à la résidence principale.
La règle est importante quand on sait
combien le maintien du cadre de vie peut être important pour l’équilibre
psychique des personnes vulnérables, spécialement pour la préservation du moral
des personnes âgées. Il n’est pas douteux que cette règle, qui a pour objet un
acte patrimonial, à pour finalité la protection de la personne.
11.
La deuxième
catégorie comprend les actes qui, sans
porter ni sur un bien ni sur la personne même de l’intéressé, présentent un
caractère et impliquent une appréciation strictement personnels : déclaration
de naissance, reconnaissance d’un enfant, exercice de l’autorité parentale,
décision sur le nom d’un enfant, consentement à sa propre adoption ou à celle
d’un enfant…
Ces actes-là, le majeur protégé peur
les accomplir seul, quelle que soit l’importante portée patrimoniale de
certains d’entre eux (reconnaître un enfant, c’est en faire son héritier).
De ces actes personalissimes, on peut
rapprocher le testament, qui est un acte de dernières volontés. Aucune
représentation, ni même aucune assistance ne sont concevables : on ne peut
tester que pour-soi-même et sans le contrôle d’un tiers. L’alternative, pour la
loi ou pour le juge, est entre la liberté et l’interdiction : parfois la
loi prend le risque de la liberté (ainsi, pour le majeur en curatelle), parfois
elle choisit la rigueur de l’interdiction (ainsi, pour le majeur en tutelle).
12.
La troisième catégorie réunit les décisions relatives à la personne de
l’intéressé. Le principe est que le majeur les prend seul, dans la
mesure où son état le permet. Il s’agit notamment du choix de la résidence, des
relations, des activités de loisir, ou encore d’un traitement médical…. Il
s’agit aussi des directives anticipées (CSP, art. 1111-11), qui
consistent en une déclaration écrite par laquelle une personne précise ses
souhaits quant à sa fin de vie pour le cas où, à ce moment-là, elle ne pourrait
exprimer ses volontés : ses souhaits sur la nature et sur la poursuite des
traitements dont elle ferait l’objet (souhaits que le médecin devra, le cas
échéant, prendre en compte).
Mais cette liberté n’est ni absolue,
ni générale.
-
Elle
n’est pas absolue, car l’état de la personne peut conduire le juge,
usant de son pouvoir d’individualiser la mesure de protection (supra, n° 7), à décider que la personne
protégée sera assistée et même, en cas de tutelle, représentée
pour l’ensemble ou pour certaines des décisions relatives à sa personne :
par exemple, pour le changement de résidence, ou pour une inscription à telle
ou telle activité de loisir, pour un voyage à l’étranger. Toutefois, le protecteur
doit obtenir une autorisation spéciale du juge (ou du conseil de
famille) si l’acte considéré porte gravement atteinte à l’intégrité corporelle
de la personne protégée (comme une opération lourde) ou à l’intimité de sa vie
privée (p. ex., reportage télévisé dans la maison où la personne, âgée ou
handicapée, est hébergée).
-
Elle
n’est pas générale, puisque, suivant les dispositions de la loi, donc
hors toute décision du juge, certains actes relatifs à sa personne peuvent être
soumis à autorisation, voire lui être carrément interdits. Exemples d’actes
pour lesquels la loi impose une autorisation : le mariage ou l’engagement
dans un pacte civil de solidarité (version française du partenariat enregistré),
qui doit être autorisé, par le curateur en cas curatelle, par le juge (ou le
conseil de famille) en cas de tutelle, et ce après audition de l’intéressé et,
le cas échéant, recueil de l’avis des parents et de l’entourage. Exemple d’acte
que la loi frappe d’interdiction : l’acte portant désignation
d’un tiers de confiance (L. n° 2002-203, du 4 mars 2002), qui consiste en
une déclaration écrite par laquelle une personne désigne, pour le cas où elle
serait atteinte par la maladie et dans l’impossibilité d’exprimer ses volontés,
un tiers à consulter sur la nature et l’interruption des traitements médicaux
dont elle pourrait faire l’objet ; cet acte, qui est permis au majeur en
curatelle, agissant seul, est purement et simplement interdit au majeur en
tutelle.
C. La
protection des biens
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