I - Introduction
En 2013, un article publié dans la revue Russe « La Pravda de la ligue des jeunes communistes » intitulé Les métiers condamnés à disparaître après 2020, a fait grand bruit dans la société via sa diffusion par Internet. Parmi les métiers mentionnés, figure la profession de notaire. Selon cet article, « le travail des notaires va être remplacé par la nouvelle technologie.La signature électronique rendant possible le travail à distance, on peut vérifier l’authenticité de la signature, la réputation et le casier judiciaire de la personne concernée en utilisant des bases de données, sans qu’il ne soit nécessaire d’avoir un quelconque intermédiaire. »1 Il est incontestable que la signature électronique a déjà conquis des domaines traditionnellement réservés aux notaires. On peut s’ interroger alors sur la probabilité de la disparition du notariat. Ce dernier peut-il coexister avec la signature électronique ? Quelle est la place pour les notaires dans un monde informatisé ?
II - Le tournant dans la crise : La proposition du concept « notariat intelligent»
La notion de « notariat intelligent» s’inspire de celle de « ville intelligente ». Ce concept émergeant désigne une ville utilisant les technologies de l’information et de la communication dans les divers secteurs urbains, pour améliorer les services urbains ou encore réduire ses coûts. Dans son rapport annuel, le gouvernement de Shanghai a promis de promouvoir la construction de la « ville intelligente » en 2014 afin de faire bénéficier aux citoyens d’une vie plus simple et plus pratique.2
On est confronté à une explosion informatique depuis l’entrée dans le 21e siècle. D’après des statistiques, la valeur annuelle créée par l’économie informatique atteint déjà 2 660 milliards de RMB.3 Ces développements ont profondément bouleversé notre manière de vivre au quotidien. Aujourd’hui, le commerce via internet, la prise de rendez-vous médical sur le net, et l’achat en ligne de billets de transport sont devenus des choses banales. Les métiers traditionnels trouvent souvent de nouvelles opportunités en intégrant Internet dans leurs activités. C’est précisément dans cette combinaison entre les technologies de l’information et les services traditionnels notariaux que nous proposons le concept de « notariat intelligent », concept qui vise à améliorer la qualité du travail et à promouvoir des transformations sur les formes de services.
III - Faisabilité du « notariat intelligent»
1- Fondement factuel
La combinaison des technologies informatiques et la profession de notaire connaît déjà des précédents.Si l’on reste sur la seule région de Shanghai, on peut déjà citer les services avant-gardistes tels que la plateforme informatique traitant les demandes de services notariaux, ou encore la boîte pour la conservation de mails électroniques. On voit apparaitre dans beaucoup d’autres régions de Chine des nouveautés comme « le notariat-nuage » ou « le notariat- Wechat », etc. Force est néanmoins de constater que ces mesures n’atteignent que très imparfaitement au but initialement prévu. L’une des issues possibles pour sortir de cette impasse consisterait à se concentrer à nouveau sur la vérification des données individuelles de nos clients, et de leur livrer, via la combinaison du notariat et de la signature électronique, une sorte de « carte d’identité électronique ». Cela permettrait de créer en amont un lien étroit entre l’identité réelle d’une personne et son identité dans le monde virtuel. De cette manière, tout comme les passagers qui peuvent prendre le TGV en utilisant uniquement leurs cartes d’identité réelle, nos clients pourraient aussi profiter de services notariaux élémentaires dans le monde virtuel via leurs signatures électroniques dont l’authenticité serait garantie à la fois par le notariat et par le Centre digital de certification.
2- Fondement juridique
a) La loi de procédure civile
L’article 63 de la Nouvelle loi chinoise de procédure ivile, entrée en vigueur le 1er janvier 2013 dispose que « Sont des preuves /.../ 5. Les données informatiques /.../ ». C’est la première fois que ces données informatiques sont admises par le législateur à titre de preuve indépendante. Néanmoins, il est facile de reproduire, de faire circuler ces données, et elles sont vulnérables vis-à-vis des falsifications qui sont d’ailleurs difficiles à discerner à première vue. Il existe certes des mesures techniques pour vérifier leur authenticité. Il n’en demeure pas moins que ces mesures nécessitent un temps et un effort considérables, qui sont en outre extrêmement coûteux. Par conséquent, l’utilisation de la signature électronique garantie par le notariat peut assurer en amont leur authenticité.
b) La loi sur la signature électronique
Selon la Loi chinoise sur la signature électronique,entrée en vigueur le 1er avril 2005, « L’auteur de la signature électronique est tenu de réparer les dommages causées à ceux qui font confiance à la signature ou aux fournisseurs des services de certification informatique, ou si toutes les parties intéressées n’ont pas été informées de cesser d’ utiliser la signature pour créer d’autres données informatiques après avoir été informé de la perte ou la probable perte de confidentialité de cette signature, ou en encore s’il n’a pas donné aux fournisseurs des services de certification informatiques l’information intégrale et correcte, ou s’il commet d’autres fautes comparables. » 4 « Le fait de falsifier, d’usurper ou d’utiliser la signature électronique d’autrui est susceptible d’être sanctionné pénalement si l’acte constitue un crime, et l’auteur de l’acte est en outre tenu de réparer les préjudices causés aux tiers. »5 Ces règles établissent une présomption en faveur de la validité des signatures électroniques utilisées.
IV - L’idée générale du «notariat intelligent»
La créat ion et l ’appl icat ion de la signatur e électronique ainsi que la construction d’une base de données électroniques sur le notariat sont les trois composantes du ‘ notariat intelligent ‘. Elles se lient et se complètent les unes les autres.
1- La création de la signature électronique
En règle générale, la création des signatures électroniques est faite par les Autorités de certification (AC) reconnues par le gouvernement. Le document contient les informations suivantes : les informations sur l’autorité d’émission, celles sur l’utilisateur de la clé publique, la signature de l’autorité compétente, la date d’expiration, etc. À l’heure actuelle, avec la promotion faite par la Municipalité de Shanghai, la signature électronique connait une vaste application dans le programme dit de « Passe multifonctionnel pour les personnes morales ». L’entreprise obtient, lors de son immatriculation, une [clé] pour la signature électronique qui contient ses informations essentielles. Les procédures ultérieures, telles que le paiement des impôts, se réalisent entièrement dans un environnement informatique, ce qui a été apprécié unanimement. Or, le même procédé se heurte à des obstacles consubstantiels face aux individus : les usagers personnes physiques n’ont pas encore une idée claire sur la signature électronique ; le champ d’application est relativement limité et les autorités de certification n’ont pas encore développé des voies efficaces destinées aux individus.
Le notariat a au contraire desavantages incomparables en ce qui concerne les effets sociaux : le notariat est le symbole de la crédibilité publique, il est en contact avec les différents aspects de la société, et toute personne – les institutions du gouvernement, les entreprises nationales ou étrangères, les individus ordinaires – est le client potentiel des notaires. Les caractéristiques respectives du notariat et de la signature électronique assurent leur parfaite combinaison. Les effets juridiques de la signature électronique peuvent être renforcés grâce à la crédibilité dont bénéficie le notariat, et le caractère de proximité de la profession du notariat peut servir aussi à promouvoir une application extensive de la signature électronique.
2- L’application de la signature électronique
L’émission de la signature électronique n’est que la première étape du « notariat intelligent ». Encore fautil découvrir ses nouvelles applications pour que cette nouvelle forme de signature puisse se développer de manière durable. Ces applications peuvent se regrouper sous deux catégories : la plateforme fournie par les notaires destinés aux services notariaux électroniques, la liberté pour le titulaire d’utiliser sa signature électronique.
a) La demande et les renseignements en ligne des services notariaux
C’est l’étape la plus simple à réaliser et en même temps la plus importante parmi toutes les plateformes qui doivent intervenir lors du développement du «notariat intelligent». En particulier, elle est en lien direct avec la construction de la base de données du notariat. Cette plateforme est de plus une impulsion importante pour l’intégration du notariat dans un monde informatique. Les renseignements en ligne sont devenus aujourd’hui la réalité et plusieurs études notariales à Shanghai, telles que Dongfang, Yangpu et Changning, ont déjà leurs propres plateformes ;leurs clients peuvent recevoir des services en utilisant un identifiant et un mot de passe, et cette pratique connaît déjà un certain succès. Mais contrairement à ces modes classiques de service en ligne qui ne traitent que les demandes nouvelles, la signature électronique réunie en son sein toute information relative aux données personnelles du client, l’histoire des services notariaux fournis, le contenu de ces services, l’enregistrement de son niveau de crédibilité, etc., de sorte que la simple vérification d’identité se transforme en une collection systématique et en une conservation intégrale des données personnelles. C’est là que réside l’apport fondamental de la signature électronique dans le monde notarial. De plus, la signature électronique peut s’intégrer sans difficulté dans des logiciels comme Wechat, qui rend son utilisation encore plus facile. Dans le même temps, la création de la signature électronique et tous les services ultérieurs constitue une source stable d’ activités pour les notaires ce qui représente unecertaine valeur économique.
b) La plateforme pour la conclusion des contrats électroniques
Le monde des affaires se caractérise aujourd’hui par l’augmentation considérable des transactions réalisées dans différentes régions ou même à l’échelle internationale. Il est concevable pour les notaires de créer une plateforme destinée à conclure des contrats électroniques. Toutes les parties se connecteraient via leurs propres signatures électroniques garanties par le notariat, et les apposeraient sur le même document contractuel. À cela s’ajouterait l’apposition de la signature électronique fournie par l’étude notariale.Une fois la démarche achevée, les notaires pourraient donner aux parties le contrat solennel ainsi réalisé. Ce type de contrat électronique serait non seulement facile à opérer et à utiliser, il serait en outre doté d’une crédibilité liée à l’acte authentique, ce qui bénéficierait à toutes les parties contractantes. Si les conditions techniques étaient réunies, il serait même concevable de développer le service à distance, ce qui permettrait de créer de nouvelles possibilités pour l’avenir du notariat.
c) L’utilisation de la signature électronique dans lescourriers électroniques
Le titulaire de la signature électronique peut l’utiliser comme il le souhaite. Par exemple, il peut utiliser la signature électronique donnée par l’étude notariale lors de l’émission des mails quotidiens. La date d’ usage est envoyée au serveur de l’étude notariale sous forme de l’horodatage. Avec le consentement du titulaire de la signature, le contenu du mail peut aussi être envoyé au serveur en même temps. Si ultérieurement survenait un litige, il pourrait demander à l’étude notariale les informations conservées afin de prouver la véracité du contenu du mail, ce qui lui permettrait d’éviter le risque de la perte de preuves importantes.
d) L’application de la signature électronique dans les cas de droit d’auteur sur Internet
Dans le monde virtuel, la divulgation des informations est souvent rapide et anonyme, ce qui rend délicat la protection des oeuvres sur Internet. Tout d’abord, ceux qui publient les web-séries et les blogs emploient souvent des pseudonymes ou des noms d’emprunt, ces dénominations bénéficiant souvent d’une plus grande réputation que les noms réels des auteurs.Par conséquent, comment protéger les noms d’emprunt et les pseudonymes tout en identifiant le véritable auteur, constitue un problème urgent. De plus, en droit chinois, le droit d’auteur s’acquiert de manière automatique. D’après les dispositions de la Loi chinoise sur les droits d’auteur, ce droit est né automatiquement une fois que l’oeuvre est réalisée, sans besoin d’aucune formalité d’autorisation ou d’enregistrement. Dès lors, la date précise de la réalisation de l’oeuvre faite sur Internet semble indéterminable dans la mesure où cette donnée est susceptible d’être falsifiée. La présence de la signature électronique permet de résoudre ces deux difficultés susmentionnées. Elle permet à son titulaire d’utiliser les noms d’emprunt et les pseudonymes visà-vis des tiers sans que son identification ne pose le moindre problème. Après avoir achevé l’oeuvre sur Internet, l’auteur peut apposer sur le fichier sa signature électronique et envoyer une copie ainsi que l’horodatage au serveur de l’étude notariale afin de fixer la date précise de la réalisation de l’oeuvre. En bref, l’introduction de la signature électronique rend plus efficace la protection des oeuvres sur Internet.
3- L’établissement d’une base de données notariale
Après une trentaine d’années de restauration de la profession, le nombre d’affaires traitées par les notaires connaît une croissance exponentielle. Si on prend Shanghai comme exemple, les 21 études notariales de la ville ont reçu 511 mille demandes au cours des 11 premiers mois de 2013.6 Ces demandes contiennent des informations importantes concernant la date de naissance des individus, leurs liens de parenté, leurs parcours scolaires, etc. Malheureusement, ces informations n’attirent guère d’attention et ne font pas l’objet d’une synthèse ou d’une analyse détaillées, ce qui constitue sans doute un grand gaspillage dans une société de l’ information. Par conséquent, ces informations sont dénommées « la richesse en sommeil » par nos collègues clairvoyants. Une fois réveillées, ces données pourraient fournir une base solide pour le développement de la profession notariale.
a) L’enregistrement des fichiers électroniques des actes notariaux
L’objectif de la base de données notariale consiste à transformer les actes notariaux sur papier en fichiers électroniques téléchargeables et consultables en ligne. Certes, ce travail se présente comme une mission presque impossible en raison du volume colossale des documents accumulés sur plus de 30 ans. Il n’en demeure pas moins que plus on commencera ce travail tardivement, plus il sera difficile d’atteindre le but. Ce qui importe, c’est de commencer dès maintenant et d’informatiser le contenu des nouveaux fichiers, et ensuite de l’étendre de manière progressive aux affaires antérieures. Ce travail de collecte des données est certes difficile, mais il constitue une tâche indispensable puisque l’on ne peut pas parler du «big data notarial » sans ces données élémentaires.
b) La capture des informations clés du notariat
La deuxième étape pour réaliser le « big data notarial » consiste à améliorer la capacité de capter et d’ analyser des informations élémentaires. Ainsi, dans le système des projets pour les actes authentiques, les notaires peuvent extraire les informations relatives à leur clients concernant leur statut personnel, leur relation familiale, leur situation financière etc., lorsqu’ils rédigent les actes authentiques portant sur le lien de parenté ou sur les successions. Un autre exemple : pour les personnes physiques ou morales qui empruntent et remboursent des fonds de manière régulière dans leur carrière professionnelle, les notaires peuvent enregistrer les informations telles que le montant des prêts et les incidences du remboursement. Ces données se connectent comme un arrière fond, et elles se combinent avec la signature électronique personnalisée ci-dessus mentionnée, formant ainsi une chaîne digitale qui contient les diverses informations sur une personne : sa date de naissance, son apparence physique, son statut familial, son curriculum vitae, son réseau social, sa situation financière ainsi que son niveau de crédibilité. Ces différentes chaînes digitales ont pour destination les études notariales, ce qui donne à cette dernière un avantage incomparable au niveau de l’information, et lui garantit une place irremplaçable dans notre société.
c) La communication entre les différentes bases de données notariales informatiques
À l’heure actuelle, plusieurs études notariales ont déjà consacré beaucoup d’efforts dans le processus d’informatisation, et elles ont déjà obtenu un certain succès dans ce domaine. Force est néanmoins de constater qu’il existe toujours des obstacles en ce qui concerne la vérification et la consultation des documents notariaux entre les différentes études. Il faut garder en tête que l’établissement des bases de données notariales informatiques n’est pas une innovation propre à une ou à deux études notariales isolées, mais cela concerne l’avenir de la profession dans son entier, de sorte que les notaires doivent agir comme un groupe unifié face aux nouveaux défis. L’ intégration de toutes les bases de données notariales informatiques dans chaque ville ou même à l’échelle nationale va créer sans nul doute un grand avantage compétitif pour le notariat, ce qui lui permettra d’ accroître son influence dans la société, et d’améliorer en même temps son image publique.
V. Conclusion
Le notariat a entamé le processus d’informatisation relativement tôt comparé à d’autres professions juridiques. Déjà en 2012, la mise en oeuvre du système « notariat-nuage » par l’étude Lujiang à Xiamen et celui du « Coffre-fort des preuves » par l’étude Dongfang à Shanghai, marque le premier pas des services notariaux en ligne. Malgré cela, on doit avouer que ce processus progresse lentement. Les explications sont multiples. D’une part, il y a encore des obstacles techniques à surmonter, d’ autre part, le notariat se concentre principalement sur les domaines d’activités traditionnelles dont l’utilité n’a pas totalement disparu. Mais s’il est vrai que la technologie rend plus facile et plus efficace le travail des notaires, elle menace en même temps la survie de la profession. Si on est parfaitement conscient de ce risque, peut-on encore prendre à la légère ce changement de donnée factuelle ? La crise et la chance sont les deux faces d’une même médaille, et la chance est souvent cachée dans la crise. La profession du notariat a déjà obtenu un succès remarquable aux cours des 30 années passées. Elle a aussi contribué au développement de la société. En même temps, nous avons développé une série de normes et un mode de travail plus ou moins efficaces.Néanmoins, il faut aussi constater que personne ne peut échapper à la révolution technologique. La seule issue concevable est de s’intégrer de manière active dans cette révolution et d’essayer de devenir le maître qui fixe les règles du jeu. L’apparition du concept de « notariat intelligent» et sa maturation peuvent de manière certaine élever le niveau de qualité des services notariaux dans l’ère de l’information et amener le notariat à marcher dans la bonne direction.
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