A. Le testament du non-francophone avant la réforme
Le non-francophone a toujours pu, en droit, faire son testament dans sa langue par-devant notaire. L’objection tirée de l’ordonnance de Villers-Cotterêts du 7 août 1539, qui impose que les actes publics soient rédigés en langue française, ne tient pas. Il faut distinguer dans le testament authentique ce que dit le notaire et ce que dit le testateur. Autant la parole du notaire, qui s’exprime en début et en fin d’acte (comparutions et relation des formalités), doit être écrite en français, car c’est celle de l’officier public ; autant celle du testateur, qui forme le testament proprement dit, est celle d’un particulier libre de s’exprimer dans la langue de son choix.
La Cour de cassation exprime très bien cette distinction dans un ancien arrêt de 1868 où elle valide un testament qui, reçu en Corse, contenait des dernières volontés exprimées en langue italienne :« Attendu qu’en une telle situation [l’italien était le seul idiome familier au testateur et aux témoins], en écrivant les dispositions dans la langue employée par le testateur et connue des témoins, le notaire s’est très exactement conformé aux prescriptions de l’article 972 du Code Napoléon ; Attendu que, pour procéder autrement, le notaire eût dû traduire d’abord de l’italien en français les dispositions dictées par le testateur, puis du français en italien pour en donner lecture au testateur en présence des témoins ; que cette double traduction ne serait pas seulement une source d’erreurs, qu’elle faciliterait encore la fraude et diminuerait les garanties que la loi a voulu consacrer en exigeant la dictée par le testateur et la lecture au testateur en présence de témoins ; Attendu, d’ailleurs,que le notaire s’est conformé aux prescriptions de l’ordonnance de 1539 et des arrêtés des thermidor an II et 24 prairial an XI1, en rédigeant en langue française toute la partie du testament qui était son oeuvre personnelle ».
Mais le non-francophone risquait fort de se heurter à un obstacle de fait. Car son testament ne pouvait évidemment être reçu que par un notaire qui, avec ceux qui l’assistent, savoir un second notaire ou deux témoins (C. civ., art. 971), comprennent sa langue. Or outre que les notaires ne sont pas polyglottes, il est des langues rares.
Quant à recourir aux services d’un interprète, la Cour de cassation l’interdisait absolument. En 1956, elle maintient l’arrêt d’appel qui « énonce justement qu’une telle manière de procéder était susceptible non seulement d’être une source d’erreurs, mais encore de faciliter la fraude et de diminuer les garanties que l’article 972 du Code civil a entendu consacrer en exigeant la dictée par le testateur et la lecture au testateur par l’officier public auquel il a confié “une mission de contrôle directe et de fidélité“ ».
Comme on le voit, ce que cette motivation, largement reprise à la jurisprudence de 1868, exclut, ce n’ est pas la traduction des dernières volontés, c’est l’interposition d’un tiers, lors de la dictée, entre la parole du testateur et l’écriture du notaire, puis, lors de la lecture, entre la parole du notaire et l’écoute du testateur. La contre-épreuve en est donnée par la jurisprudence qui permet que le testament dicté par le testateur dans sa langue soit rédigé en français pourvu que la traduction en soit l’oeuvre du notaire : ce procédé, dont elle souligne les dangers en 1868 pour y préférer le testament écrit dans l’idiome du testateur, la Cour de cassation ne l’interdit pas pour autant .
B. Le testament du non-francophone depuis la réforme
La loi nouvelle lève l’obstacle en prévoyant le recours à un interprète : « Lorsque le testateur ne peut s’exprimer en langue française, la dictée et la lecture peuvent être accomplies par un interprète » (C. civ.,art. 972, al. 4)5. Cette assistance par un interprète appel plusieurs remarques.
1° Elle n’est qu’occasionnelle. Elle n’est requise qu’en tant que de besoin : si, et seulement si, le notaire ou l’autre notaire ou encore les témoins ne comprennent pas la langue du testateur. S’ils la comprennent, le testament peut, comme hier, être reçu sans interprète : il peut l’être entièrement dans la langue du testateur,ou ne l’être que partiellement, pour la dictée et la lecture, mais non pour l’écriture, le notaire assurant la traduction.
2° Le choix de l’interprète appartient au testateur.Mais il n’est pas libre : il ne peut se porter que sur un expert judiciaire, inscrit sur la liste nationale dressée par la Cour de cassation ou sur l’une des listes régionales dressées par les cours d’appel.
3° La mission de l’interprète est de traduire… D’une part, il traduit les échanges entre le notaire et le testateur, permettant ainsi au premier de donner au second le conseil qu’il lui doit. D’autre part, il se substitue au testateur pour la dictée, à laquelle il procède en français, puis au notaire pour la lecture, à laquelle il procède dans la langue du testateur : la loi dit que la « dictée et la lecture » sont « accomplies »par lui.
Il ne semble donc nécessaire ni que le testateur énonce lui-même ses dernières volontés avant qu’elles se soient traduites et dictées en français par l’interprète, ni que le notaire lise le testament en français avant qu’il ne soit traduit et lu par l’interprète au testateur. La première proposition n’est cependant pas assurée. Il est certes matériellement concevable que l’interprète traduise un document que lui remet le testateur. Mais on a peine à concevoir que le testateur reste muet devant le notaire, alors que l’expression des dernières volontés devant l’officier public fait partie intégrante de la solennité du testament notarié .
Le rite de la parole est au testament authentique ce qu’est le rite de l’écriture au testament olographe : il formalise la volonté en même temps qu’il en permet le contrôle ; il oblige le testateur à dire à haute voix et devant le notaire ce qu’il a conçu en son for intérieur ; il permet au notaire, qui l’écoute, de contrôler, ne serait-ce qu’à la manière dont elles sont exprimées,que ses volontés sont bien arrêtées.
La loi précise que « l’interprète veille à l’exacte traduction des propos tenus » : c’est bien le moins…
4° La force probante du testament reçu avec l’assistance d’un interprète appelle quelques précisions. Chacun sait qu’un acte notarié fait foi jusqu’à inscription de faux en écriture publique de ce que le notaire a personnellement constaté dans l’exercice de sa mission, mais de cela seulement.
Ainsi, dans le cas ordinaire, nul ne peut, sans s’ inscrire en faux, soutenir que les volontés transcrites par le notaire ne sont pas celles que le testateur lui a dictées. Et comme il serait extrêmement téméraire de soutenir que la volonté exprimée par le testateur ne correspondait pas à sa volonté réelle, que sa volonté déclarée n’était pas sa volonté interne, le testament notarié offre une très grande sécurité juridique.
Dans le cas où le testament a été reçu avec l’assistance d’un interprète, il fait bien foi jusqu’à inscription de faux de la réalité des déclarations de l’interprète, mais non des déclarations du testateur :outre que celui-ci a peut-être pu ne rien dire (V. supra 3°), ses propos, en tout cas, n’ont pas été transcrits par le notaire. Il est donc possible, sans s’inscrire en faux, de soutenir que l’interprète a mal traduit,par erreur ou par fraude, les dernières volontés du testateur. Ajoutons que la preuve de la non-conformité de la version traduite à la version originale est libre,car on ne saurait prétendre qu’il s’agit de prouver contre l’écrit portant la version traduite, la signature apposée par le testateur étant celle d’une personne qui, par hypothèse, n’en comprenait pas le contenu 8. Que le testament reçu avec l’assistance d’un interprète soit ainsi plus fragile, la Cour de cassation l’avait justement relevé, pour l’interdire, en 1956 (v.supra n°2).
Cela dit, d’une part, ce risque ne doit pas être exagéré : la compétence et l’honnêteté de l’interprète doivent être présumées. Et il peut être éliminé si le testateur a la prudence de coucher ses dernières volontés,exprimées dans sa langue, dans un document annexé au testament authentique9. D’autre part, ce risque était déjà pris par la jurisprudence qui permet que le testament soit traduit par le notaire : la traduction n’ entrant pas dans la mission du notaire, la fidélité peut en être contestée sans devoir s’inscrire en faux. La Cour de cassation souligne bien en 1868 les dangers du procédé (v. supra n°2), même si elle ne l’interdit point.
Source : « Defrénois – La revue du notariat », N° 5 – 15 mars 2015
|