Deux systèmes juridiques sont en concurrence dans le monde : le système anglo-saxon ou de common law qui se veut le promoteur de la libéralisation de l’activité économique, et le système romano-germanique ou de droit latin, orienté vers sa régulation.
L’un privilégie la rapidité, au nom de l’efficacité. Il engendre inévitablement la prise de risques, donc des contentieux ultérieurs. L’autre s’attache à la sécurité, qui implique des contrôles préalables, donc un certain formalisme.
Le choix entre l’un ou l’autre des systèmes, outre l’influence culturelle qu’il peut avoir ("le droit est à la société ce que la grammaire est à une langue"), a une incidence déterminante sur la stratégie économique d’un pays : faut-il privilégier la rapidité et l’on choisit alors le système de common law(1). Doit-on privilégier la sécurité, et l’on adopte alors le système du droit latin.
Beaucoup d’esprits bien pensants, et sûrs d’eux, généralement des technocrates de la finance, de l’économie ou de la politique, ont estimé que le libéralisme généralisé, la libre concurrence à l’échelle mondiale, était la seule manière d’assurer le bien être de l’homme, but ultime, en fin de compte de toute politique. Pour cela, disaient-ils, il fallait faire confiance à l’économie de marché, sans l’entraver de règles (elle s’autorégulerait), permettre la concurrence, conduisant à la baisse des prix donc à l’augmentation du pouvoir d’achat, du confort et des richesses personnelles, en un mot au bonheur parfait.
Quelle erreur d’analyse ! Quel comportement autiste d’imaginer une telle chimère, de vouloir imposer ce libéralisme par tous les moyens, et de persévérer sur une telle fausse piste. L’avoir maintenue, malgré les voix qui s’élevaient contre une telle politique, a mené au résultat que nous connaissons aujourd’hui : une crise financière et économique mondiale.
(1) Ainsi les rapports Doing Business analysent l’efficacité d’un système juridique exclusivement à partir du critère de la rapidité, évaluée en nombre de jours pour réaliser une opération déterminée. Dans ces conditions, la France, par exemple, est classée au 130è rang pour la rapidité des transactions immobilières, juste devant le Zimbabwe.
Les notaires, au contact des réalités du terrain, ont observé, jour après jour, les dégâts considérables de telles orientations, de cette politique aberrante d’apprenti-sorcier, conduisant à la dictature du tout marché (I).
Une analyse objective et concrète des choix effectués par ces décideurs montre en effet le caractère suicidaire de telles options, et la nécessité incontournable d’une régulation équilibrée de l’économie de marché. Aucune société, aucun corps social, aucune structure ne peut fonctionner sans un certain nombre de règles, destinées à les organiser, à les contrôler et à les faire évoluer avec mesure (II).
I- Les méfaits de la dictature du tout marché :
1) L’aspect économique : les dérives de la mondialisation :
Elle découle de deux constats complémentaires : les excès du libéralisme et ceux de la libre concurrence :
- Les excès du libéralisme
La politique du libéralisme est une stratégie utilisée par les anglo-saxons, forts de leur prodigieuse puissance, pour gagner la conquête économique de la planète.
Or, elle constitue un double subterfuge : au plan psychologique d’abord, au plan juridique ensuite :
* Au plan psychologique, lorsqu’on évoque "libéralisme", beaucoup comprennent "liberté" et assimilent les deux, ce dont profitent largement les tenants de cette stratégie. Or il y a un antagonisme total entre libéralisme et liberté. Le libéralisme, c’est l’absence de règles ou un minimum de contraintes, c’est-à-dire, en réalité, la loi du plus fort, la loi de la jungle. La liberté, à l’inverse, implique des règles. La liberté de l’un s’arrête où commence celle de l’autre. Des limites sont donc nécessaires. Elles permettent un fonctionnement régulé, donc équilibré des relations sociales. "Entre le faible et le fort, c’est le droit qui protège et la liberté qui opprime".
* Au plan juridique, le principe du libéralisme permet au plus fort d’importer plus facilement ses propres règles puisqu’il veille à ce qu’il n’existe pas de règles locales. Il les impose et en fait une condition "sine qua non" de son investissement dans un pays cible(1) voire même d’imposer son propre droit dans un pays coopérant(2).
Par ce deuxième subterfuge, celui qui a pour objectif la conquête juridique, la conquête économique devient plus facile au niveau institutionnel. On retrouve la même stratégie au niveau professionnel, avec le principe de la libre concurrence.
(1) Cf rapport de 2005 d’un attaché militaire français en Albanie à propos de la coopération américaine "le contrôle du système juridique est une condition sine qua non d’une coopération économique avec un pays"
(2) Il en est ainsi de certains contrats de coopération entre les Etats-Unis et certains pays d’Afrique qui stipulent que le droit américain sera applicable en matière de droit du travail et le droit des sols.
- Les excès de la libre concurrence
Il découle de l’autorisation donnée aux acteurs économiques de définir librement les prix du marché, à faire en sorte que le "meilleur gagne".
Deux questions se posent cependant à ce propos :
1- la libre concurrence est-elle le meilleur moyen d’assurer le bonheur de l’homme ? C’est un postulat imposé une fois encore par quelques technocrates de l’économie mondiale, américains ou bruxellois sans aucun processus démocratique. Jamais les citoyens, donc les consommateurs, pourtant directement concernés, n’ont été amené à s’exprimer soit par référendum soit à travers le Parlement européen pour donner leur avis sur ce choix politique pourtant fondamental pour eux.
2- comment trouver le meilleur produit ou le meilleur service dans un marché concurrentiel ? Aucun critère objectif ne permet de le faire. C’est le marché, une fois encore, qui doit en théorie le permettre, mais l’absence de règles crée une véritable anarchie face à laquelle le citoyen est livré à lui-même.
Il en découle trois dérives dont on mesure aujourd’hui les conséquences :
* Le consommateur, acteur essentiel de ce marché, va rechercher le meilleur prix sans se rendre compte le plus souvent de la différence de qualité entre deux produits qui se ressemblent. Cette recherche du meilleur prix (quelle que soit la qualité) devient alors la priorité et l’on arrive aux dérives qui se multiplient ces derniers temps : jouets chinois blessant les enfants, lait chinois avarié, risques pris par les compagnies aériennes low-cost sur la sécurité, innombrables produits rappelés en usine pour défaut de fabrication, etc.
* Le consommateur est par ailleurs perdu dans les tarifs proposés, car il est particulièrement difficile de comparer des produits dont les caractéristiques essentielles indiquées sur l’étiquette ne sont pas les mêmes, ou des services dont les prix varient chaque jour selon le niveau du marché (train, avion).
* Cette libre concurrence conduit enfin à des ententes illicites entre ceux qui dominent le marché : après avoir éliminé les petites entreprises qui ne peuvent durablement réduire leurs marges, ils s’entendent ensuite, discrètement, pour fixer des prix convenus entre eux, mettant ainsi fin en réalité à toute situation de libre concurrence.
2) L’aspect juridique : les dérives du droit anglo-saxon
1- Le droit anglo-saxon favorise les excès du libéralisme
Le droit anglo-saxon correspond aux caractéristiques du libéralisme économique : peu de règles pour encadrer les activités. Le contrat est l’élément essentiel de toute relation juridique, ce qui permet à celui qui est économiquement le plus fort d’imposer ses clauses, donc sa loi, à celui qui est le plus faible.
C’est la raison pour laquelle les pays anglo-saxons et notamment les Etats-Unis le favorisent, voire imposent le droit de common law pour régir les relations juridiques donc économiques avec les pays concernés par cette coopération.
2- Le droit anglo-saxon favorise les excès de la libre concurrence
Le droit anglo-saxon correspond aux caractéristiques de la libre concurrence : au plan professionnel, trois aspects le caractérisent :
* C’est tout d’abord le domaine de la profession unique, celle d’avocat, qui peut tout faire, agent immobilier, rédacteur d’acte, avocat plaidant ou assureur, créant ainsi à la fois une confusion dans les fonctions exercées, préjudiciable au consommateur (il est facile de plaider à partir d’un contrat qu’on a rédigé) et une confusion des genres, le particulier n’étant plus aiguillé dans le choix du juriste dont il a besoin, comme c’est le cas dans le système de droit latin, par la spécificité de chaque profession (notaire, avocat, huissier, etc).
* Le droit anglo-saxon privilégie la liberté d’installation, conduisant à concentrer les professionnels dans les grandes villes et à désertifier économiquement les campagnes ou les sites moins favorisés. Il n’y a pas de quadrillage du territoire dans un domaine, l’accès au droit, où il est important que le plus grand nombre de citoyens puisse bénéficier de services juridiques.
* Le droit anglo-saxon préconise la liberté des tarifs des professionnels. Ceci conduit à leur permettre de sélectionner les dossiers les plus rentables, les clients les plus intéressants, et à refuser de traiter les dossiers les moins rémunérateurs. Au bout du compte, cela revient à interdire aux moins favorisés l’accès aux services juridiques non contentieux. L’aide judiciaire, pourtant onéreuse, ne concernant en effet que le domaine contentieux, on se prive ainsi de l’effet redistributif d’un tarif permettant en réalité une aide juridique indirecte, autofinancée par la rémunération des actes les importants qui financent ceux rédigés à perte(1).
II- La nécessité d’une régulation équilibrée de l’économie de marché :
Cette régulation est précisément offerte par le droit latin, dont les caractéristiques sont en opposition avec celles du droit anglo-saxon (1).
Par ailleurs, le notaire, qui est la pierre angulaire de ce système juridique, est le juriste de l’amiable au service de cette régulation (2)
1) Le système de droit latin, un instrument juridique de régulation économique
Les caractéristiques du système de droit latin peuvent être présentées par comparaison avec le droit anglo-saxon:
1- Les différences entres le droit latin et le droit anglo-saxon :
(1) Ainsi, en France on estime que près d’un acte sur trois est rédigé à perte, si l’on compare son coût réel et l’émolument prévu par le tarif des notaires
*Les Sources
- En common law , c’est le procès, donc la jurisprudence. La loi est un accessoire des décisions judiciaires
- En droit latin la loi, ce sont les codes, la loi, les normes, la jurisprudence est un accessoire des textes.
* Les Modes de preuve
- En common law, tous les moyens de preuve sont équivalents : le témoignage a la même valeur que l’écrit
- En droit latin, il existe une hiérarchie des moyens de preuve : acte authentique, acte sous seing privé, témoignage, présomptions
* La Procédure
- En common law, la procédure est accusatoire : l’absence du juge chargé, comme chez nous de rechercher la culpabilité éventuelle de la personne concernée, en position de faiblesse s’il n’a pas les moyens financiers d’être assisté d’un " bon avocat" partie et le plaideur plaide coupable ou non coupable.
- en droit latin, la procédure est inquisitoire : l’existence et l’intervention d’un juge protège l’intéressé contre les excès éventuels.
* L’organisation des professions
- En common law, il existe, à de rares exceptions près, une profession unique, celle de sollicitor ou de lawyer
- En droit latin, les professions sont diversifiées et réglementées selon leur rôle spécifique.
2- Les effets
- L’un, la common law, est le droit du procès, du contentieux, l’autre le droit latin, celui de l’accord, du non contentieux.
à le procès est naturel en droit anglo-saxon, il est un accident en droit écrit
- L’un, la common law, est un droit orienté vers la rapidité que l’on confond avec efficacité; il convient mieux au droit des affaires. L’autre, le droit latin, est un droit orienté vers la sécurité; il s’adapte davantage au droit des biens ou de la famille.
à le libéralisme du droit anglo-saxon s’adapte à l’urgence des affaires mais augmente le contentieux et les risques de dérive (crise financière subprimes)
- Dans le système de common law, l’action doit l’emporter sur les vérifications : mieux vaut s'engager que vérifier. Dans celui de droit latin, les contrôles préalables sont la priorité : mieux vaut prévenir que guérir.
à le formalisme du droit latin protège le consommateur; imposé en amont, il évite beaucoup de procédures en aval. " Le formalisme est la sœur jumelle de la liberté" (HIERING)
2) Le notaire, juriste de la régulation économique apportée par le notariat dans le monde :
1- Le développement de l’institution notariale
Il est lié à la réponse adaptée qu’apporte aujourd’hui le notariat à ce que sont les besoins fondamentaux d’un Etat de droit moderne
* Les objectifs fondamentaux d’un Etat de droit
• la sécurité juridique
- il existe un lien direct entre sécurité juridique et développement économique : la sécurité juridique crée la confiance, qui permet le crédit, donc les investissements, et par suite le développement économique et le progrès social.
- il existe un lien direct entre sécurité juridique et notariat : tous les pays recherchent la sécurité juridique pour favoriser les investissements ; le droit latin répond à ce besoin de sécurité juridique ; or le notaire est le juriste de droit latin ; donc le notaire est le juriste de la sécurité juridique
• la prévention des conflits
- un procès constitue un souci pour un citoyen et un risque pour une entreprise : on n’en connaît pas le résultat, son coût et sa durée. Le coût de la justice devient exorbitant (2,5 % du PIB au USA soit l’équivalent du budget de la Hongrie ou de la Turquie
- de nombreuses civilisations repoussent l’idée du procès (en Chine, faire un procès c’est perdre la face)
- une autre règle d’or explique le développement du notariat comme moyen d’assurer la paix juridique : la paix juridique vise à la prévention des conflits, donc à la recherche d’un équilibre contractuel qui dépend de la neutralité de cet "arbitre" du contrat qu’est le notaire.
• la libéralisation contrôlée de certaines activités
- Beaucoup de pays ont des problèmes budgétaires : il faut réduire le nombre de fonctionnaires
- L'Etat doit se concentrer sur des activités régaliennes
- Certaines activités sont cependant considérées comme stratégiques :
• savoir qui possède quoi, qui finance quoi et de quelle manière
• les impôts liés à l'immobilier, difficile à délocaliser constituent des ressources importantes pour un Etat.
- l'institution notariale répond exactement à ce choix politique :
• le notaire est un professionnel libéral
• le notaire est un officier public contrôlé par l'Etat
* Ce qu’apporte le notaire à un Etat de droit:
• le notaire est le juriste de la sécurité
C’est pourquoi on lui attribue un rôle fondamental dans le domaine immobilier :
- le droit de propriété est un droit fondamental de l’homme :
• déclaration des droits de l’homme (1789)
• charte européenne des droits fondamentaux (projet)
• le droit de propriété est un aspect de la liberté
• la propriété a un rôle économique, social et stratégique essentielle dans le développement d'un pays
- les systèmes de publicité immobilière, quels qu'ils soient, sont contrôlés par des professionnels qui dépendent de l'Etat. Il y a toujours un double contrôle soit par un Juge et un professionnel du droit (notaire le plus souvent) soit par un responsable de l'Administration et un professionnel contrôlé par l'Etat (notaire / conservateur des hypothèques, notaire / enregistreur, notaire / directeur de cadastre ou notaire / directeur de l'enregistrement foncier)
- les conséquences de l’insécurité sont pénalisantes pour l’économie : • la comparaison édifiante entre le contentieux immobilier en Europe et aux USA : il y a 50 fois moins de procès en Europe qu’au Etats-Unis
• la crise des subprimes révèle le besoin de cette sécurité juridique, puisqu’elle est le résultat à la fois d'une absence de contrôle au détriment des banques (titres de propriété falsifiés, erronés, hypothèques non révélées, personnes n'ayant pas capacité ou pouvoir pour signer les actes (25% des cas)) et d'une absence de conseils au préjudice des emprunteurs (signatures précipitées avec le couteau sous la gorge).
• le notaire est le juriste de la transparence
- vis-à-vis des parties à un contrat :
• vérification de l’identité, de la capacité, du consentement
• la comparution devant le notaire est essentielle.
→ contact entre les parties et le notaire
→ possibilité de donner des conseils
→ lecture de l’acte à haute voix devant les clients
- vis-à-vis de l’Etat :
• obligation d’enregistrer dans la circonscription fiscale du lieu d’exercice du notaire
→ pas de délocalisation fiscale possible
• l’acte authentique est un moyen de lutter contre le blanchiment d'argent sale
→ il permet la traçabilité des acteurs et des fonds utilisés.
→ les cessions de parts des sociétés immobilières sont obligatoirement authentiques dans beaucoup de pays européens).
• obligation de régler les droits de mutation sous sa responsabilité (argument très fort pour la création d’un notariat libéral en Chine et en Russie notamment).
• contrôle du fonctionnement des offices notariaux par le Procureur de la République (inspections)
• obligation de dénonciation en cas de soupçon de blanchiment (directive européenne)
• comptabilité notariale ayant un caractère public et officiel (contrôlée par des inspections régulières)
• le notaire est le juriste de l’amiable :
- il doit respecter une éthique spécifique qui lui impose neutralité et impartialité
- il doit être le juriste d'un contrat ou d’un dossier et non celui d'un client
- il doit rechercher l’équilibre du contrat (contrat gagnant/gagnant)
- il a l’obligation d’un devoir de conseil adapté aux circonstances : Nécessité de protéger le faible contre le fort, le consommateur face au professionnel
- il doit procéder à tous contrôles et vérifications préalables pour prévenir les conflits
- il doit rechercher un mode non judiciaire alternatif de règlement des conflits (divorces, successions)
- il doit jouer un rôle d’arbitre (au sens large), d’interface, de conciliateur, de médiateur
• le notaire est un juriste responsable
- il est soumis à une responsabilité civile très large :
• obligation de vérification, de contrôle, d’information, de conseils
• obligation d’expliquer la loi et de l’appliquer : "le notaire est l’instituteur de la loi"
• cette responsabilité civile est de nature délictuelle et non pas contractuelle
- il est soumis à une responsabilité professionnelle particulière :
• sanctions disciplinaires spécifiques
- il est soumis à une responsabilité pénale aggravée en raison de son statut :
• faux en écriture publique
• non déclaration de soupçon de blanchiment
• complicité de fraude fiscale
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