1. Le notariat a su s’adapter à la mobilité croissante des personnes et des capitaux et il intervient aujourd’hui de plus en plus dans des situations internationales. Ceci se manifeste à plusieurs égards.
D’une part, le notariat a à sa disposition des instruments proprement internationaux. On songe au testament international issu de la Convention de Washington du 28 octobre 1973, entrée en vigueur le 1 er décembre 1994 ; Il s’agit là d’un acte de portée internationale qui se voit reconnaître une large reconnaissance. Cette forme de testament qui vaut également dans les relations internes, peut aussi trouver à s’appliquer si la succession s’avère, au jour du décès, internationale.
D’autre part, le notaire a de plus en plus l’occasion d’assurer les parties d’un conseil éclairé : il pourra les assister dans le choix de la loi applicable à une vente immobilière mais aussi dans celle applicable au régime matrimonial des époux, avant ou au cours du mariage.
2. Mais il y a plus. Ce qui importe, c’est que l’acte authentique circule librement, tout en conservant sa valeur d’incontestabilité et par là même sa force exécutoire.
La circulation des actes authentiques a ses avantages : amoindrissement du coût des transactions internationales, et simplification des procédures. Il en résulte un renforcement de la confiance entre les parties et une réduction du nombre des contentieux. En effet, l’activité notariale se situe en amont même du litige.
A cet égard, on peut rapprocher la circulation des actes authentiques de celle des décisions judiciaires bien que leur autorité soit différente de celle de l’acte authentique qui ne tranche pas un litige mais ils ont une même fonction : renforcer un rapport ou un état de droit. L’acte authentique pourrait bénéficier de l’effet d’entraînement des décisions judiciaires. Il en résulte un anéantissement des frontières et une sécurité juridique accrue.
3. Toutefois, la discontinuité des ordres juridiques dresse, assurément, des obstacles variés à la circulation du titre authentique. Tous ne sont pas d’égale importance.
Les contraintes concrètes liées à la langue de rédaction de l’acte ne sont pas déterminantes car elles n’affectent pas la nature même de l’acte. Il en va de même des exigences d’une légalisation. Il s’agit d’une simple formalité certifiant l’origine de l’acte.
Ce qui est plus essentiel, c’est la reconnaissance de la fidélité et de la véracité de l’acte c'est-à-dire de l’acte authentique en tant que tel. La seule mobilité internationale de l’acte ne suffit pas : il faut réaliser en droit international privé une véritable effectivité qui traduise la puissance de l’acte authentique. Or, l’acte authentique abrite un contenu privé. Le notaire joue un rôle réceptif ( = il reçoit) d’un acte ou d’un fait juridique, produit de volontés privées auxquelles il confère une régularité apparente. L’autorité est l’auteur de l’instrumentum et non du negotium lequel reste soumis à la règle de conflit qui lui est propre : la validité de la reconnaissance sera soumise à la loi applicable à la filiation. Il n’en demeure pas moins que l’intervention de l’autorité ne se borne pas à délivrer l’authenticité, mais affecte indirectement le negotium. C’est précisément là la supériorité de l’acte authentique par rapport à l’acte sous seing privé : seul titre de preuve, ayant des effets limités, simple titre pour les parties, sans force exécutoire et non opposable aux tiers.
4. Cette supériorité de l’acte authentique sur l’acte sous signature privée se confirme davantage encore en droit international. En effet, la circulation des actes authentiques existe déjà en droit commun (I) et est renforcée dans le cadre communautaire (II).
I. Le droit commun
Deux points doivent être successivement étudiés : la réception (A) et l’exécution (B) de l’acte authentique.
A/ La réception de l’acte authentique étranger
5. Non seulement l’acte authentique peut être pris en considération (a) : il existe et on ne peut le méconnaître, mais encore il peut bénéficier d’une véritable reconnaissance de plein droit, appelé aussi efficacité substantielle (b), c'est-à-dire qu’il s’intègre véritablement à l’ordre juridique de l’Etat requis, c'est-à-dire de l’Etat où il est invoqué.
6. a) Prise en considération de l’acte authentique.
La difficulté préalable est celle de l’exigence même de l’acte authentique.
Ceci relève de la loi compétente au fond : c’est elle qui imposera ou non que la reconnaissance volontaire de filiation, une hypothèque, un acte de l’état civil, une procuration soient établis par acte authentique
Etroitement lié à l’exigence de l’authenticité, le contenu de l’acte authentique suppose le recours à l’équivalence : c'est-à-dire la substance commune suffisante qui permette l’articulation des systèmes.
Cette équivalence se situe d’abord au plan de la nature de l’autorité compétente.
La jurisprudence a adopté une attitude relativement libérale. Par exemple, dés lors que l’autorité étrangère est intervenue, conformément à sa loi (lex auctoris), pour établir officiellement un fait d’état civil, ces actes seront de véritables actes de l’état civil au regard de la loi compétente.
L’équivalence se situe ensuite au plan de la fonction remplie par l’autorité étrangère lors de l’établissement de l’acte. S’il n’y a pas eu de réception régulière par l’autorité étrangère, l’équivalence est écartée.
L’équivalence une fois admise, l’acte authentique multiplie ses effets : validité de l’opération, opposabilité aux tiers d’un droit et force probante de l’acte. Sur ce dernier point, l’on doit considérer que dés lors que l’acte authentique étranger est assimilé à un acte authentique français par exemple, il aura la force probante qui lui est reconnue par le droit français.
7. b) Reconnaissance de plein droit
Lorsqu’il est doté d’une efficacité substantielle, l’acte authentique rayonne en tant qu’élément faisant partie de l’ordre juridique de l’Etat requis. L’acte de notoriété sera reconnu de plein droit en France ; Tout se passe comme si l’on était en présence d’un jugement reconnu en France de plein droit sans exequatur : le rapport de droit modifié par le juge ou par le notaire est pleinement efficace en France sans procédure particulière.
Un exemple récent vient d’en être donné par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 juin 2009 (Cass.civ.1. 4 juin 2009, D.2009, 2004). En l’occurrence, un acte notarié de 2002 avait été produit en France par Mme X pour justifier de son état civil et notamment de sa date, son lieu de naissance et de sa filiation ; ce document avait été certifié par le Consulat de Chine en France comme établi dans les formes prévues par loi chinoise. Observant que rien ne permettait de mettre en cause la véracité de la signature de l’acte ou de la qualité du signataire, l’acte de naissance devait recevoir effet en France.
8. Ce qui est décisif, c’est que la reconnaissance de plein droit s’accompagne d’une présomption de régularité de l’instrumentum: c'est-à-dire qu’il n’y a pas de contrôle d’office de la régularité de celui-ci. Et parallèlement, même si cette reconnaissance de l’acte authentique ne purge pas le negotium des vices dont il serait susceptible d’être affecté, le negotium est valable ou présumé valable tant qu’aucune action en nullité n’a abouti. Ainsi, un acte de partage établi à l’étranger, en l’occurrence en Tunisie, entre tous les cohéritiers dont aucun n’est absent ou incapable, concernant des immeubles en France et en Tunisie sera considéré comme valable et obligatoire entre les parties ( Cass. civ.1.19 novembre 2008, RCDip, 2009 p.296).
B/ L’exécution de l’acte authentique étranger
9. La force de l’acte authentique se vérifie davantage encore lorsqu’il s’agit de le faire exécuter. S’agissant du droit commun, la procédure d’exequatur s’impose. Et cet exequatur ne concerne que l’instrumentum en tant que tel et non pas le negotium, c'est-à-dire qu’il ne concerne pas en principe le contenu même de l’acte.
10. Toutefois, la forme authentique donne une apparence de régularité qui se rapproche de l’efficacité de l’acte lui-même, de son contenu. L’exequatur de l’instrumentum rejaillit nécessairement sur le negotium. Une créance paraissant fondée en son principe deviendra alors une créance non sérieusement contestable : il s’en suit, conséquence non négligeable, que le créancier aura des prérogatives plus importantes. Il pourra engager un référé- provision ou une référé-exécution lui permettant de recouvrer tout de suite une somme d’argent ou d’obtenir l’exécution par le débiteur.
Le droit communautaire renforce cette position.
II. Le droit communautaire
11. Dans l’Union Européenne, la suppression des frontières économiques a conduit à mettre en place un espace judiciaire européen tant au plan des décisions judiciaires que des actes authentiques.
Nombreux sont les sources communautaires qui concernent directement ou indirectement la circulation des actes authentiques dans l’espace européen. Déjà la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 prévoyait dans son article 50 l’extension de la force exécutoire de l’acte authentique d’un Etat contractant à un autre Etat contractant et le Règlement 44/2001 du 22 décembre 2000 sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale va dans le même sens. Mais cela ne concernait pas tous les actes authentiques compte tenu du champ d’application matériel de la Convention. L’intervention désormais des Règlement communautaires notamment en matière matrimoniale et de responsabilité parentale ( Rgt. n°2201/2003 du 27 novembre 2003 dit Bruxelles II bis) et en matière d’obligations alimentaires (Rgt.n°4/2009 18 décembre 2008) ont étendu le champ des actes visés qui bénéficient des mêmes règles. La préparation d’un Règlement communautaire en matière de successions prolongera ce mouvement.
On assiste ainsi sur le plan communautaire à la mise en œuvre de règles générales offrant à l’acte authentique un mécanisme simplifié d’exécution ( A) ainsi qu’à la création d’un instrument spécifique le Titre Exécutoire Européen (TEE) ( B).
A/ Les règles générales
12. Elles résultent principalement de l’article 58 du Règlement 44/2001 précité. Les actes authentiques bénéficient du mécanisme simplifié d’exécution prévu pour les décisions. Et la Cour de justice des communautés européennes a défini la notion d’acte authentique. L’authenticité a été établie par l’autorité publique, elle doit porter non seulement sur la signature mais aussi sur le contenu de l’acte, enfin l’acte doit être exécutoire par lui-même dans l’Etat où il a été établi. Ainsi n’est pas un acte authentique un titres de créance danois, exécutoire selon la loi danoise, mais signé uniquement par le débiteur et par une tierce personne venue en qualité de témoin de la signature du débiteur. Aucune autorité publique n’était intervenue ( CJCE Unibank A/S 17 juin 1999, aff. C-260-99).
13. Dés lors qu’il s’agit bien d’un acte authentique, il sera exécuté dans les autres Etats contractants, le contrôle par le juge étant considérablement allégé. Il se contente de contrôler qu’on est bien en présence d’un acte authentique, exécutoire dans l’Etat d’origine et qui ne heurte pas l’ordre public de l’Etat requis. Le respect de ces trois conditions suffit. Aucun contrôle de la compétence de celui qui a dressé l’acte, ni de contrôle de la loi appliquée par ce dernier.
La procédure d’exécution simplifiée est présentée par requête devant le président du tribunal de grande instance qui accordera l’exécution.
B/ Le titre exécutoire européen.
14. Plus récemment, dans le prolongement de la reconnaissance mutuelle des décisions et actes authentiques, le droit communautaire a prévu trois procédures simplifiées. Deux instituent de véritables procédures européennes uniformes qui ne concernent que les litiges transfrontaliers.( Il s’agit de la procédure d’injonction de payer européenne , Rglt CE n°1896/2006 du 12 décembre 2006 applicable à partir du 12 décembre 2008,et de la procédure européenne de règlement des petits litiges, Rglt CE n°861/2007 du 11 juillet 2007 applicable à partir du 1er janvier 2009).
15. Plus important est le titre exécutoire européen, dit TEE, lequel résulte du Règlement n°805/2004 du 21 avril 2004 entré en vigueur le 21 janvier 2005(en réalité à partir du 21 octobre 2005). Ce texte a précisément pour objet d’étendre à l’entier territoire communautaire l’extension de la force exécutoire de titres nationaux : il peut s’agir d’une décision, d’une transaction ou plus vraisemblablement d’un acte authentique. Comment ? Tout simplement par assimilation totale des titres certifiés aux titres nationaux dans l’Etat requis de l’exécution.
a). Cela suppose certaines conditions.
16. Tout d’abord, il ne peut s’agir que d’une créance monétaire, d’une créance de somme d’argent. Le champ du texte est donc étendu.
Ensuite, il faut que l’acte authentique porte sur une créance incontestée. La créance est réputée incontestée lorsqu’elle a été reconnue par le débiteur, soit expressément, soit tacitement. Elle réputée incontestée tacitement lorsque soit il ne s’y est pas opposé au cours d’une procédure judiciaire, soir par le défaut de comparution ou de représentation à l’audience s’il l’avait contestée
Enfin, l’acte doit avoir été certifié comme titre exécutoire européen par la juridiction d’origine, c'est-à-dire par l’autorité ayant rendu la décision ou pour un acte authentique par celui qui a établi l’acte. Pour être certifié, le titre doit être exécutoire dans le pays d’origine.
b) Si ces conditions sont remplies, les conséquences sont claires.
17. En premier lieu, un titre national bénéficie d’une efficacité communautaire. Il circule sans difficulté d’une part et d’autre part, son exécution ne peut être refusée dans l’Etat membre d’exécution sauf circonstance exceptionnelles ( ex. art.21 cas d’incompatibilité avec titre déjà existant entre les mêmes parties et pour la même cause).
En second lieu, et c’est lié au point précédent, aucune contestation n’est possible dans l’Etat requis d’exécuter l’acte.
Conclusion
18. Consacrée en droit commun, renforcée dans le cadre communautaire, la circulation internationale des actes authentiques est une réalité. L’authenticité est donc, à l’évidence, une garantie d’efficacité et de circulation d’un acte dans l’ordre international.
Par voie de conséquence, elle offre au notaire, qui doit saisir ces occasions, de nouvelles perspectives d’intervention dans le domaine international .
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