1- Le crédit est indispensable à l’économie moderne, à tous les stades : de la recherche, à la production et à la consommation. Or, il n’y a pas de crédit sans sûreté. Les sûretés sont indispensables au crédit, et ceci de trois manières au moins :
- d’abord, elles assurent le créancier qu’il sera payé, en cas de défaillance du débiteur, par un procédé juridique alternatif.
- Ensuite, elles permettent au prêteur de se refinancer, en transmettant sa créance ; soit à un autre banquier (crédit interbancaire), soit à un fonds qui lève de l’argent auprès du public, notamment en titrisant la créance de prêt ; or, seules les créances garanties par une sûreté peuvent être titrisées et circuler sur le marché correctement.
- Enfin, l’existence de sûretés garantissant les crédits est prise en considération pour apprécier les risques des banques, et par conséquent leur valeur financière.
2- Les sûretés peuvent être de deux ordres :
- soit une personne physique ou morale s’engage aux côtés de l’emprunteur, et paiera le créancier si l’emprunteur ne le fait pas. Ce sont les sûretés personnelles. En France, d’après le Code civil (réformé sur ce point en 2006), il y a trois types de sûretés personnelles : le cautionnement, la garantie autonome, la lettre d’intervention.
- Soit, le prêteur obtient qu’un bien lui soit donné en garantie, sur lequel il exercera ses poursuites en cas de défaillance de l’emprunteur. Ce sont les sûretés réelles. A la suite d’une profonde évolution du droit français, le droit de garantie donné au créancier sur un bien peut être de deux ordres :
o Traditionnellement, c’est un droit de préférence sur la valeur du bien. En cas de défaillance du débiteur, le créancier devra réaliser le bien et sera payé par préférence aux autres créanciers sur le prix. Il peut aussi se faire attribuer le bien, ce qui lui évite d’avoir à le faire vendre. Correspondent à cette définition trois sûretés traditionnelles : l’hypothèque (sur les immeubles), le gage (sur les meubles corporels) et le nantissement (sur les meubles incorporels). Il faut ajouter que dans de nombreux cas, la loi donne à un créancier, en raison de la qualité de sa créance et pour favoriser son crédit, un droit de préférence ; ce sont les privilèges (par exemple, le prêteur pour l’achat d’un immeuble bénéficie d’un privilège sur l’immeuble financé, garantissant le remboursement du prêt).
o Mais aujourd’hui, une autre catégorie de sûretés réelles s’est développée et a été consacrée dans le Code civil : le créancier acquiert la propriété d’un bien, qu’il conserve pendant toute la durée du crédit, et qu’il rendra si le crédit est remboursé ; ou qu’il conservera définitivement dans le cas contraire. Ces propriétés-sûretés ont un grand avantage pour le créancier : le bien donné en garantie sort du patrimoine du constituant dès l’octroi du crédit, si bien que le créancier n’a pas à réaliser sa sûreté et ne risque pas d’être primé par un créancier préférable. Il a un droit exclusif sur le bien, l’exclusivité que donne la propriété. Correspondent à cette définition : la vente avec réserve de propriété, la cession fiduciaire de créance, d’une certaine manière, le crédit-bail, et surtout la fiducie-sûreté qui vient d’être consacrée et organisée par le législateur français (2007 et 2009).
3- Les relations entre la crise économique actuelle et les sûretés sont nombreuses, mais peu apparentes.
La crise économique actuelle se traduit par un ralentissement de la production et de la circulation des richesses, voire même une récession. Elle met de nombreux emprunteurs dans l’impossibilité de rembourser leurs dettes et de trouver de nouveaux crédits. Elle entraîne une perturbation générale des mécanismes d’évolution des biens et rend les prévisions très incertaines. Les sûretés doivent affronter deux situations dramatiques : le surendettement des particuliers (consommateurs) qui touche de plus en plus d’emprunteurs ; et les difficultés financières des entreprises qui affectent les entreprises de toutes tailles.
Cette crise économique a été préparée par une crise financière, à l’origine de laquelle se trouve un dysfonctionnement des sûretés réelles. On sait en effet que la crise des subprimes vient du surendettement des acquéreurs immobiliers aux USA, déclenché par la variation des taux d’intérêts et surtout l’insuffisance de la garantie immobilière par rapport au montant du crédit. Les créances de prêts, titrisés dans des instruments financiers complexes, sont devenues douteuses à cause de l’insuffisance des sûretés réelles. On peut dire que l’origine de la crise de confiance généralisée, notamment entre banques, provient des défauts du système de sûretés américain, qui ne garantit pas une proportionnalité entre le crédit octroyé et la valeur de la sûreté. Dans les pays européens comme la France, on peut penser que cela ne se serait pas produit, parce que précisément il existe un mécanisme juridique permettant de garantir la suffisance de la garantie immobilière, par rapport au crédit : l’intervention obligatoire du notaire, en matière immobilière, qui répond non seulement de la validité de la sûreté immobilière, mais de la valeur suffisante de celle-ci, et même, d’après un arrêt très récent de la Cour de cassation, de l’adaptation du crédit aux capacités respectives des parties (cass. Civ.1, 28 mai 2009).
4- On voit donc que les sûretés sont en relation directe avec l’activité financière et économique d’une nation.
On examinera, dans les grandes lignes, quelles sont les conséquences de la crise économique sur les sûretés, avant de tirer quelques leçons de cette crise.
5- Les conséquences de la crise sur les sûretés peuvent être ramenées aux deux observations suivantes.
La crise économique augmente considérablement les difficultés des emprunteurs et par conséquent les défaillances des débiteurs. On pourrait en déduire que les sûretés sont appelées à jouer de plus en plus fréquemment leur rôle. Et pourtant, c’est le contraire que nous observons : une atteinte à l’efficacité des sûretés en cas de crise. Pourquoi donc ? C’est que l’intérêt du créancier est alors primé par un intérêt supérieur qui devient pressant en cas de difficulté financière : le redressement de l’entreprise (intérêt social, pour les salariés et sous-traitants ; intérêt économique général, pour l’Etat, la région ou la commune) ; le désendettement du consommateur, afin d’éviter sa marginalisation et son exclusion sociale. Si bien que le créancier, même muni de sûretés, ne peut pas faire valoir sa créance, en totalité ou en partie.
6- S’agissant des difficultés financières des entreprises, la France a institué depuis longtemps une procédure collective qui impose à tous les créanciers, même munis de sûretés, une discipline dont la première manifestation est l’interdiction de recevoir le paiement de leur créance.
Cette procédure collective a été réformée à de nombreuses reprises : 1985, 1994, 2005,2008.
Aujourd’hui, son objectif principal est la sauvegarde des entreprises. Elle est déclenchée dès que le débiteur rencontre des difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter ; c’est à dire avant même qu’il ne soit défaillant. Cette procédure est ouverte par le tribunal et elle commence par une période d’observation au cours de laquelle doit être recherchée activement, avec le concours des créanciers, une solution pour l’entreprise. Si l’on en trouve une, le tribunal adopte un plan, qui peut imposer à tous les créanciers des délais de paiement (dix ans maximum) et, s’ils acceptent, des remises de dettes. Si aucune solution n’est possible, l’entreprise est mise en liquidation. Alors seulement dans ce cas, les créanciers munis de sûretés réelles peuvent exercer leurs droits.
On pourrait penser que lorsque les créanciers ont une sûreté personnelle, ils peuvent au moins exercer leurs poursuites contre le garant, puisque celui-ci est extérieur à l’entreprise en difficulté.
Mais la loi qui a institué la procédure de sauvegarde et les réformes récentes ont voulu protéger les dirigeants de l’entreprise, qui sont souvent les garants personnels, contre les conséquences de l’ouverture d’une procédure collective : le créancier ne pourra donc pas poursuivre les garants personnes physiques.
7- S’agissant des difficultés financières des particuliers consommateurs, la loi a prévu, depuis 1989, une procédure de traitement du surendettement, qui comporte une suspension des poursuites des créanciers – qui deviendra automatique très prochainement – et la négociation d’un plan de redressement avec les principaux créanciers. A défaut d’accords, des mesures homologuées par le juge sont imposées aux créanciers (rééchelonnement des dettes, réduction des intérêts ou suspension des créances). Il existe même depuis 2003 une procédure de rétablissement personnel, pour les consommateurs dont la situation est la plus grave ; cette procédure aboutit à l’effacement de toutes les dettes non professionnelles du débiteur. Dans ce cas, le créancier muni d’une sûreté personnelle est mieux traité : il peut poursuivre celle-ci, mais la sûreté personnelle est souvent une personne physique, proche du consommateur surendetté, qui peut elle-même se trouver surendettée.
8- Ces restrictions imposées aux créanciers ont poussé ceux-ci à rechercher des sûretés qui leur évite d’avoir à exercer des poursuites et à réaliser leur garantie ; ceci afin d’échapper à la règle d’interdiction des poursuites, ou de suspension, et d’interdiction de recevoir le paiement. Ceci aussi, afin d’éviter à subir les fluctuations du marché et la perte, peut être temporaire, de valeur de leur garantie. C’est ce qui explique le développement de la propriété-sûreté, soit de manière radicale, par l’attribution initiale au créancier de la propriété d’un bien (fiducie-sûreté et réserve de propriété), soit de manière atténuée, en se faisant promettre par le constituant le transfert de propriété en cas de défaillance (pacte commissoire), ce qui évite d’avoir à saisir et vendre le bien.
La loi française n’est pas hostile à ces procédés. Au contraire, elle les consacre et les encadre, qu’il s’agisse du pacte commissoire (réforme de 2006) ou de la propriété-sûreté (réformes de 2006, 2007, 2009). Mais en cas de procédure collective de l’entreprise débitrice, le pacte commissoire est inefficace. Quant à la propriété-sûreté, elle est efficace, sous certaines réserves (fiducie-sûreté sans dépossession du constituant).
Ainsi, l’une des conséquences paradoxales de la crise est-elle de pousser au développement de sûretés finalement assez primitives, mais qui donnent aux créanciers une situation solide.
9- Si l’on voulait tirer quelques leçons de la crise actuelle, en matière de sûreté, il faudrait insister sur l’absolue nécessité de respecter une double proportionnalité :
- proportionnalité du montant du crédit et de son coût à la valeur du bien donné en garantie. C’est ainsi que la loi française oblige désormais à évaluer la charge hypothécaire grevant un immeuble, ce qui constitue un plafond ; et à évaluer le bien en cas de fiducie rechargeable, au moment de la recharge.
- Proportionnalité du montant du crédit aux biens et revenus de l’emprunteur et de sa caution, personne physique. La loi française prévoit qu’un cautionnement lès proportionné est inefficace.
Mais encore faut-il que la vérification de cette proportionnalité soit assurée par des professionnels responsables. C’est ce qui explique le développement contemporain de la responsabilité des banquiers pour crédit excessif. Et c’est ce qui explique le rôle central des notaires, en Europe continentale, en matière notamment de crédit garantie par une sûreté immobilière.
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