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La réglementation de la libéralité et la protection des certains héritiers en Droit positif français

Sommaires : La loi chinoise sur la succession a été promulguée le 10 avril 1985.  L’enrichissement matériel apporté par la réforme économique depuis une trentaine d’années se reflète dans les mentalités en Chine.  La disposition des biens par le de cujus exerce une influence importante sur la paix familiale et l’harmonie sociale.  La loi chinoise sur la succession n’a disposé que succinctement par son Article 19 que « le testament doit réserver une part nécessaire de l’héritage aux héritiers qui souffrent d’un défaut de capacité de travail et de source de revenus ».  Cette disposition ne paraît plus adaptée aux besoins de notre société.  L’auteur de cet article tente de présenter brièvement le régime de la réserve héréditaire en Droit français depuis le 1re janvier 2007, avec le souci de donner quelques éléments de réflexion à ceux qui s’intéressent au Droit de succession chinois.

 

Mots clés : France, succession, testament, réserve héréditaire, part disponible, notaire

 

Dans la société actuelle chinoise, le plus malheureux pour les enfants, semble être le fait que le père puisse donner tout son héritage à la jeune belle-mère, ou sa femme de ménage, ou tout autre genre de tiers y compris un animal de compagnie.  L’affaire la plus médiatisée semble être celle de la succession de Professeur KUANG Ankun, qui a fait l’objet de nombreux reportages en 2008.  Depuis 1992, les deux fils de Professeur Kuang ont introduit deux actions contre sa deuxième épouse.  Pourtant, deux fois leur demande a été rejetée.  La raison est simple, le testament de M. Kuang est juridiquement impeccable : après ma centième année, tous les meubles et immeubles qui m’appartiennent seront donné à ZHU Juxian.  Autant la forme que le contenu du testament satisfont aux conditions imposées par la Loi sur la succession du 10 avril 1985 : testament écrit avec l’assistance d’un tiers et en présence de deux témoins ; aucun des successibles ne souffre d’un défaut de capacité de travail ou de source de revenus.  La loi n’interdit pas un acte qui ne contrevient pas aux règles impératives, les juges ne peuvent naturellement sanctionner les demandes des deux fils de M. Kuang.

 

Cependant, les deux fils ont persisté devant le tribunal pendant dix-huit ans.  Pourquoi ?  Tout n’est pas à chercher que du côté du goût à la fortune, il faut aussi penser au lien du sang, au bon sens.  Mais là n’est pas le sujet du présent article.  L’auteur présentera sommairement comment le Droit français positif réglemente la libéralité par les particuliers à fin de protéger les droits de certains héritiers, justement en privilégiant les liens du sang.

 

Selon l’Article 893 du Code civil, la libéralité ne peut prendre que deux formes : donation entre vifs ou testament.  Au moment de la disposition, lorsque le disposant est sain d’esprit, son consentement n’est vicié ni d’erreur, ni de dol, ni de violence, de plus la cause ne s’oppose ni à l’ordre public ni aux bonnes mœurs, et la forme de disposition est solennelle ; cependant le contenu de la disposition, c’est-à-dire, les biens à disposer, doit se soumettre à une condition essentielle : la réserve héréditaire.  Il est important de parler de cette notion connue des juristes chinoise pour deux raisons : premièrement, elle représente une réponse à l’actualité des besoins que manifeste la société chinoise ; deuxièmement, la succession et la donation en Droit français ont été modifiées considérablement par la Loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 et la Loi n°2006-728 du 23 juin 2006, ce qui ne semble pas avoir été reporté dans la littérature juridique en Chine.[1]

 

Nous présenterons d’abord quelle est la position du Droit ancien français sur la libéralité (I), ensuite, en Droit positif, la notion de la réserve héréditaire (II), le contenu de la réserve héréditaire (III), les sanctions de sa violation (IV) et les exceptions permises par la loi (V).

 

 

I.    La position de la libéralité en Droit ancien

 

Ni la loi ni les coutumes ne peuvent tout prévoir, au moins tenant compte des sentiments de l’homme.  Pourtant, la disposition à titre gratuit est un moyen important de montrer l’affection ou l’aversion.  C’est pourquoi il existe le choix entre une succession ab intestat et une succession avec testament.  Puisque les sentiments sont rarement figés et que le testament est une expression de volonté unilatérale, alors tant que le disposant jouit de la capacité, il peut modifier sa volonté jusqu’à son dernier soupir.[2]

 

Le testament était un moyen essentiel pour les romains de disposer de leurs héritages.  Un romain mort ab intestat, comme un chinois mort sans enfant, est un malheur.  De plus, un testament romain dispose sur la totalité de l’héritage. [3]

 

Par contre, en Droit ancien français, le testament a eu une signification plus religieuse que pécuniaire : il était établi pour sauver les âmes des pécheurs.  Pour ce faire, il devenait efficace d’offrir plutôt à l’Eglise qu’aux pauvres. [4]  C’est pourquoi l’église en Europe a été pendant une longue période l’établissement le plus riche en ce bas monde.

 

Mais l’homme n’est jamais un individu absolu, il est tout d’abord membre d’une famille.  Les biens qu’il possède comprennent souvent des biens transmis par ses prédécesseurs.  Plus exactement, historiquement, les biens appartenaient plutôt à la famille et non aux individus.  Cela est aussi vrai historiquement en France qu’en Chine.  De plus, si tout était laissé à la volonté individuelle, il deviendrait difficile d’imaginer à quelles fins les biens pourraient être destinés.  Partant, le Droit romain (1) et le Droit ancien français (2) organisent tous deux le testament à l’intérieur de certaines limites.

 

1.  La réglementation de testament en Droit romain

Le Droit romain imposait non seulement des conditions de forme pour garantir l’authenticité d’un testament,[5] mais encore des conditions sur le fond.  Par exemple, il fallait instituer ou exhéréder ses enfants formellement ; lorsqu’un enfant était nommé, des biens devaient lui être effectivement attribués.  Lorsqu’un testament déshéritait les enfants, il pouvait être annulé par un recours de querela inofficiosi testamenti – une action d’immoralité ou encore une action de folie : le testateur doit être fou car il va jusqu’à déshériter ses propres enfants : le testament est bien la preuve cette folie. [6]  Cette action d’immoralité s’étendait ensuite aux donations et aux dots démesurés.[7]

Parallèlement, le régime de part legitima a été établi, de 1/4 de la succession dérivé de la succession ab intestat à 1/3 ou 1/2 fixé par Justinien selon le nombre d’enfants laissés.  De plus, les motifs légitimes d’exhérédation étaient prévus.[8]

Ainsi, la part légitime (de fait la réserve héréditaire) est devenue un régime complet en Droit romain.  Non seulement les héritiers dépouillés pouvaient tenter une action d’immoralité, mais encore les héritiers désavantagés pouvaient recourir à une action en complément (ou action en réduction aujourd’hui en Droit français).[9]

 

2.  La réglementation du testament en Droit français ancien

Jusqu’à la Révolution française, les Droits n’étaient pas uniformes dans toutes régions en France.  Dans le nord, c’était plutôt le Droit coutumier, dans le sud, le Droit écrit, i.e. le Droit romain.  Comme présenté ci-dessus, le droit écrit utilisait la notion de part légitime qui s’appliquait à la succession, aux donations et aux dots.  Nous regarderons brièvement le Droit coutumier.

Si l’on remonte jusqu'au milieu du VIIIe siècle, on rencontre l’usage de « la part du mort », 1/3 des meubles était brûlé ou enterré avec le défunt.  Plus tard, elle a servi comme legs pieux.  Et les 2/3 étaient acquis à la veuve et aux enfants.[10]

Au début du XIIIe siècle, dans les régions de Paris et d’Orléans où évoluait le Droit commun, le montant de la réserve était des 4/5.  Toutefois, à l’époque, l’assiette de la réserve était limitée sur les biens propres, i.e. c’était seulement les biens provenant de la famille qui étaient considérés comme appartenant à la famille. [11]  A une période où la richesse matérielle se créait lentement, cette réserve sur les biens propres pouvait assurer la transmission des biens au sein de la famille.  Cependant, le développement du capitalisme a rendu possible l’acquisition subite d’une fortune au cours d’une seule génération.  L’assiette de la réserve devait porter également sur les acquêts.

Il a fallu attendre la Révolution pour effacer les différentes pratiques.  Néanmoins, le Code civil de 1804 ne définissait pas la notion de réserve héréditaire, mais le concept complémentaire : la quotité disponible.  Lorsque le de cujus laissait un enfant légitime, la quotité disponible était 1/2 des biens ; deux enfants légitimes, 1/3 des biens ; trois ou plus enfants légitimes, 1/4 des biens (Article 913).  Il faut remarquer qu’il s’agissait des enfants légitimes ; les enfants naturels étaient écartés.  L’article 914 disposait le cas applicable aux ascendants.  Selon Portalis, membre de la commission de rédaction du Code civil, la quotité disponible peut avantager ou désavantager un enfant ; elle peut ainsi sanctionner la puissance paternelle, permettant au père « de punir, de récompenser, de réparer des inégalités entre les enfants ».[12]

 

Si le régime de réserve héréditaire peut se vanter d’une longue histoire, sa définition législative est toutefois très récente.

 

 

II.              La notion de la réserve héréditaire

Le Code civil consacre un chapitre entier au régime de la réserve héréditaire : Chapitre III du Titre II du Livre Troisième.

Selon l’Article 912 créé par la Loi n°2006-728 du 23 juin 2006,[13] « La réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s'ils sont appelés à la succession et s'ils l'acceptent ».  Donc, dans la réserve héréditaire se trouvent trois éléments : certains héritiers (et non pas tous successibles), une partie de l’héritage et une transmission libre de charge.

Face à la réserve héréditaire se trouve la quotité disponible, i.e., « la part des biens et droits successoraux qui n'est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités ».

La volonté publique se rencontre avec la volonté individuelle dans un même article.  Il est fortement intéressant de noter que la définition de la réserve héréditaire est présentée avant celle de la quotité disponible.  Est-ce que cette organisation représente une pensée générale, plus concrètement, que la liberté individuelle n’est possible que lorsqu’elle est encadrée dans l’ordre public ?

Nous nous concentrons sur le contenu de la réserve héréditaire.

 

 

III.         Les taux de la réserve héréditaire

Les taux de la réserve héréditaire varient selon la composition et le nombre des héritiers réservataires.  Trois situations sont possibles : le de cujus laisse des enfants (1) ; il ne laisse pas d’enfants, mais un conjoint survivant (2) ; il ne laisse ni enfant ni conjoint survivant (3).

 

1.  Le de cujus laisse des enfants

En Droit positif, les enfants légitimes et les enfants naturels, jouissant du même statut, ont tous droit à la réserve héréditaire. Alors que la Loi n°72-3 du 3 janvier 1972 conservait jusqu’à une certaine mesure la distinction entre les enfants légitimes et les enfants naturels établie par une loi du 25 mars 1896, la Loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 leur a donné l’égalité.

L’article 913 du Code civil dispose que les libéralités, soit des donations soit des legs,

-         ne pourront dépasser 1/2 des biens du disposant en présence d’un seul enfant laissé par le de cujus ;

-         1/3, en présence de deux enfants ;

-         1/4, en présence de trois ou plus enfants.

Il faut toutefois s’interroger sur la manière de calculer le montant total de la réserve héréditaire dans la situation où un enfant renonce à la succession.  C’est-à-dire, faut-il compter la part du renonçant ?  La réponse est non, sauf dans deux exceptions.

L’une des exceptions est que le renonçant est représenté dans la succession (voir aussi l’article 754).  Donnons un exemple : le de cujus laisse deux enfants.  L’un d’eux renonce à la succession ; toutefois, il a lui-même deux enfants (donc petits-enfants du de cujus).  Dans ce cas, la réserve héréditaire doit compter deux enfants, i.e., 2/3 de l’héritage ; les deux enfants du renonçant recevant ensemble 1/3, soit chacun 1/6.

L’autre exception est que le renonçant réunit la qualité de bénéficiaire d’une libéralité et qu’il est soumis aux dispositions de l’article 845 du Code civil – la libéralité doit être rapportée dans la masse de succession.  Quelles sont les dispositions de l’article 845 ?  En général, lors de l’ouverture de la succession, le bénéficiaire de la libéralité peut demander de conserver les biens reçus, et dans la limite de la quotité disponible du de cujus.  Toutefois, lorsque le disposant exige expressément le rapport en cas de renonciation, le renonçant doit rapporter les biens reçus et il sera compté dans les héritiers réservataires.  Pourtant, le rapport se fait en valeur et non pas en nature.  Le renonçant doit indemniser les autres héritiers à concurrence de l’excédent entre la valeur effectivement reçue et les droits qu’il aurait dû avoir dans le partage s’il y avait participé normalement.

En l’absence de ces exceptions, le renonçant ne sera pas compté parmi les héritiers réservataires.  Par exemple, le de cujus laisse deux enfants A et B.  A n’a pas d’enfants et renonce à la succession.  Le de cujus désigne C comme légataire universel.  En ce cas, la totalité de réserve héréditaire est de 1/2 qui revient à B.  Et C prend l’autre 1/2, ici la quotité disponible.

 

2.  Le de cujus ne laisse pas d’enfants, mais un conjoint survivant

C’est la situation prévue par l’article 914-1 du Code civil.  Cet article a été créé par la Loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001, entrée en vigueur le 1re juillet 2002.

Le conjoint survivant, à défaut d’enfants laissés par le de cujus, jouit d’un droit de réserve héréditaire ; son taux est concrètement de 1/4 des biens.

La loi impose une seule condition au conjoint survivant – il n’est pas divorcé du de cujus ; même une instance en divorce en cours et une séparation de corps ne font pas d’obstacle.

La Loi n°2006-728 du 23 juin 2006 a apporté des modifications à l’article 914-1, sans toutefois changer le taux de réserve héréditaire du conjoint survivant.

 

3.  Le de cujus laisse ni enfant ni conjoint survivant

« A défaut de descendant et de conjoint survivant non divorcé, les libéralités par actes entre vifs ou testamentaires pourront épuiser la totalité des biens », ainsi prévu l’article 916 du Code civil.

Dans l’esprit chinois où la piété filiale exige le soutien des ascendants, l’on est conduit à se poser une question : que fait-on en présence des parents survivants ?

La réserve héréditaire des ascendants avait été établie par la Loi du 13 mai 1803, qui faisait l’objet de l’ancien article 914 du Code civil.  Après modification par la Loi n°72-3 du 3 janvier 1972, cet article prévoyait une réserve de 1/2 en présence des ascendants dans chacune des lignes paternelle et maternelle, et 1/4 en présence des ascendants dans une seule ligne.  Cette réserve a été pourtant supprimée par la Loi n°2006-728 du 23 juin 2006.

Selon les travaux parlementaires, trois raisons principales sont à la base de cette abolition :[14]

-         les ascendants sont déjà protégés par une pension alimentaire ;

-         la réserve des ascendants va à l’encontre du développement économique qui transmet la richesse aux générations à venir et non pas à celle qui va disparaître ;

-         la réserve des ascendants peut provoquer ou accentuer la tension entre le conjoint survivant et les ascendants.

Toutefois, en Droit successoral français, le droit de retour offre une protection aux ascendants.  Selon l’article 738-2 du Code civil, lorsque le de cujus n’a pas de postérité, ses parents survivants peuvent exercer un droit de retour sur les biens que celui-là avait reçus de ses parents par donation ; le taux de retour est fixé à un 1/4 à chacun des père et mère, dans la limite de l’actif successoral.

 

Des trois points présentés ci-dessus, l’on peut constater que le Droit successoral français accorde une place primordiale aux intérêts des enfants ; le conjoint survivant ne vient qu’en l’absence des enfants et les ascendants ne sont plus couverts par le régime de la réserve héréditaire.  Nous verrons ensuite quels effets peuvent produire les libéralités excédant la quotité disponible.

 

 

IV.              La sanction de la violation de réserve héréditaire – la réduction

Le fait que la totalité des libéralités excède la quotité disponible ne conduit pas nécessairement la nullité des libéralités.  La mesure de correction installée par la loi est la réduction (2) qui nécessite d’abord une imputation (1) ; de plus, l’action en réduction peut être abandonnée par les personnes intéressées (3)

 

1.  L’imputation des libéralités

Lors du règlement de la succession, en présence d’héritiers réservataires, il faut vérifier si les libéralités n’excèdent pas la quotité disponible, en procédant aux étapes suivantes :

-         Calculer la masse successorale ;

-         Déterminer la réserve héréditaire et la quotité disponible ;

-         Imputer les libéralités sur la quotité disponible ou sur la réserve héréditaire ;

-         Réduire les libéralités excessives.

(1) La masse successorale peut être réalisée par cette formule :

Les biens existants – les dettes actuelles + la valeur des biens donnés.

(2) De la masse successorale et la liste des héritiers réservataires, on peut arriver à la quotité disponible :

La masse successorale * le taux légal.

(3) Ensuite, il faut imputer les libéralités soit sur la quotité disponible soit sur la réserve héréditaires selon les règles édictées par la loi.  Ces règles sont contenues dans les articles 919-1 au 930 du Code civil.  Nous nous limiterons à présenter deux règles principales.

Lorsque le bénéficiaire est un héritier non réservataire ou un non successible, les libéralités s’imputent sans aucun doute sur la quotité disponible.  Lorsque le bénéficiaire est un héritier réservataire, il faut vérifier la volonté du disposant : une libéralité faite hors part successorale ou en avancement de part successorale.  Lorsqu’il s’agit d’un avancement de part successorale et que le bénéficiaire accepte la succession (nous n’étudierons pas le cas où il renonce à la succession), la libéralité s’impute sur sa part de réserve, et subsidiairement sur la quotité disponible (article 919-1).  Lorsque le disposant a déclaré expressément que la libéralité est faite hors part successorale, elle s’impute sur la quotité disponible, l’excédent sur la part réservataire (articles 919 et 919-2).  Donc, il y a dans ce cas cumul de la réserve et de la libéralité sur la tête de cet héritier réservataire.  Par exemple, le de cujus laisse deux enfants A et B, la masse successoral est de 600, et une donation de 500 est faite à A en avancement de sa part.  Selon les règles énoncées, la quotité disponible est de 200, la totalité de la réserve héréditaire de 400, 200 pour chacun de A et B.  Dans ce cas, 200 de la libéralité sera d’abord à imputer sur la réserve de A, et les autres 200 sur la quotité disponible.  Il reste encore un excédent de 100 qui doit être réduit et rapporté à la masse.

La deuxième règle concerne l’imputation : la libéralité la plus ancienne sera imputée d’abord ; i.e., le legs risque d’être le premier réduit.  Lorsque les donations dépassent déjà la quotité disponible, il y aura une réduction de la donation la plus récente ; lorsqu’il existe plusieurs donations faites en même temps, il y peut avoir une réduction au pro rata (article 923).

A travers l’imputation, il est possible de déterminer si les libéralités faites par le de cujus excèdent la quotité disponible et si elles empiètent sur  la réserve des certains héritiers.  Lorsque les intérêts des héritiers réservataires sont atteints, il peut avoir lieu une réduction des libéralités.

 

2.  La réduction

Puisque le patrimoine d’une personne reste toujours un chiffre indéterminé, i.e., il change dans le temps, même avec un calcul le plus minutieux, les libéralités peuvent dépasser la quotité disponible, de la volonté ou non du de cujus.  Pourtant, un excédent des libéralités sur la quotité disponible n’entraîne pas une réduction automatique, la libéralité excédante mais non réduite est toujours valable (article 920).[15]  La réduction doit être demandée par les héritiers réservataires et éventuellement les ayants cause de ceux-ci. [16]

En pratique, la réduction peut être faite souvent par la voie amiable plutôt que procédurale.  De plus, l’indemnité résultant d’une réduction est en principe en valeur et non pas en nature ; la raison de cela est toute simple : la volonté de maintien de la sécurité juridique des transactions achevées.

Ici, un point mérite d’être mentionné particulièrement.  Si la réduction peut être souvent faite à l’amiable, c’est non seulement la volonté des parties mais encore du fait d’un élément extérieur important – le notaire.  Le Code civil actuel contient plus de 2.500 articles, dont plus de 90 ont un rapport direct ou indirect avec les notaires.  Pour une personne physique, de sa conception jusqu’à sa mort, les notaires interviennent dans presque à toutes les étapes importantes de sa vie civile : adoption, tutelle, mariage, divorce, succession, partage, etc.  Pour ce qui est relatif à la succession, on peut mentionner la convention matrimoniale (article 1394), la conservation et l’exécution des testaments olographe et mystique (article 1007, sans mentionner le testament notarié), l’établissement de la qualité d’héritier (article 730-1), l’inventaire de la succession (article 789), la gestion du patrimoine des mineurs et des majeurs sous tutelle (article 507) et la publicité foncière (articles 2416 et 2524).  En tant que juriste professionnel, le notaire offre des services en continu à la famille ; il connaît ainsi l’évolution de la famille et de ses biens.  Lors de la succession, il est sans doute le meilleur conseil juridique de la famille.  De plus, il est conseil de la famille et non pas celui d’un membre particulier de la famille ; ainsi son avis peut être impartial.  D’où, lorsque les libéralités faites par le de cujus excèdent la quotité disponible, le notaire est en mesure de fournir  des conseils juridiques neutres et raisonnables.

 

3.  L’exercice ou l’abandon du droit de réduction

Il a été mentionné ci-dessus, que le droit de réduction est un droit de demande.  Le Droit français accorde la liberté aux intéressés de renoncer à ce droit de manière postérieure ou anticipée.  La renonciation anticipée, i.e., organisée avant la mort du de cujus, est souvent faite pour faciliter la transmission d’un bien déterminé de la famille, par exemple une entreprise familiale.  Toutefois, la renonciation anticipée doit répondre à des conditions strictes : elle doit spécifier le bénéficiaire de la renonciation, et elle doit être acceptée par le futur de cujus.  L’accord du futur défunt est exigé pour éviter une renonciation impulsive ou sous pression de son bénéficiaire potentiel. [17]  Etant donné que la renonciation peut produire des effets importants sur le renonçant, l’article 930 du Code civil commande l’établissement de la renonciation par acte authentique spécifique, que l’acte soit reçu par deux notaires et signé par le renonçant en présence des seuls notaires.  Il est évident cette organisation a pour but d’assurer au maximum la libre expression de la volonté du renonçant.

Lorsque le titulaire de l’action en réduction entend exercer ce droit, il doit le faire dans un délai de cinq ans à compter de l’ouverture de la succession, ou de  deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès (alinéa 2, article 921).  Comparé avec le délai de trente ans avant la modification apportée par la Loi du 23 juin 2006, le délai actuel est grandement abrégé.  Il est évident que le législateur cherche à ne pas perturber la stabilité juridique en général tout en protégeant les intérêts des héritiers réservataires.

Reste à savoir si cette protection est absolue.

 

 

V.    Les exceptions à la réserve héréditaire

En sus de la renonciation de l’héritier réservataire, du point de vue du disposant, la loi ne permet la dérogation à la réserve héréditaire que dans un seul cas – il existe un fait d’indignité prévu par la loi.

Les faits d’indignité sont constitués des actes de nature pénale commis par l’héritier contre le défunt.  Ils peuvent être de deux natures : exhérédation d’office (1) et exhérédation judiciaire (2).

 

1.  L’exhérédation d’office

D’après l’article 726 du Code civil, un héritier est d’office indigne de succéder lorsqu’il est condamné :

-         comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ; ou

-         comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.

 

2.  L’exhérédation judiciaire

Selon les articles 727 et 727-1 du Code civil, après l’ouverture de la succession, à la demande d’un héritier ou du ministère public, le Tribunal de Grande Instance peut prononcer l’indignité contre un héritier lorsque celui-ci est condamné :

-         comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ;

-         comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle pour avoir volontairement commis des violences ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner ;

-         pour témoignage mensonger porté contre le défunt dans une procédure criminelle ;

-         pour s'être volontairement abstenu d'empêcher soit un crime soit un délit contre l'intégrité corporelle du défunt d'où il est résulté la mort, alors qu'il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers ;

-         pour dénonciation calomnieuse contre le défunt lorsque, pour les faits dénoncés, une peine criminelle était encourue.

Un héritier indigne est logiquement exclu de la succession ; et il est tenu de rendre tous les fruits et tous les revenus dont il a eu la jouissance depuis l'ouverture de la succession (article 729).

Pourtant, les enfants de l’indigne ne seront pas sanctionnés par la faute ce celui-ci.  Peu importe si l’héritier indigne est vivant ou non, ses enfants viennent à la succession de leur chef ou par l’effet de la représentation (articles 729-1 et 755), ce qui signifie qu’une part doit être comptée dans le calcul de la réserve héréditaire.

En revanche, le Droit successoral respecte au maximum la volonté du de cujus.  Même si un héritier est frappé d’une cause d’indignité prévue aux articles 726 et 727, lorsque le défunt, postérieurement aux faits condamnés et à la connaissance de ceux-ci, a déclaré expressément qu’il entend de maintenir l’indigne dans ses droits héréditaires, celui-ci ne sera pas exclu de la succession (article 728).

Comparé avec les dispositions de l’article 7 de la Loi chinoise sur la succession, le régime français paraît disposer d’une flexibilité qui fait complètement défaut en Droit chinois.

 

 

Nous avons présenté les grandes lignes du régime de réserve héréditaire en Droit positif français.  Il est possible de constater que le droit des libéralités n’est pas sans limite, qu’il est soumis aux règles de l’ordre public.  Sauf convention expresse entre l’héritier et le de cujus, et une cause d’indignité prévue par la loi, le défunt ne peut porter atteinte aux droits héréditaires de certains héritiers.

Par rapport au Droit successoral chinois, le régime de la réserve héréditaire en Droit français semble être plus complet et détaillé, maintenant à la fois une efficacité et flexibilité, ce qui mériterait des études approfondies.  Particulièrement, lorsque les libéralités portent atteinte à la réserve héréditaire, cela ne provoque pas la nullité absolue des donations ou des legs comme prétendu ou voulu par certains auteurs en Chine ; au contraire, la législation française offre une solution de « régularisation », de « correction » dans un cadre légal et à la demande des titulaires de droit.  S’il faut protéger les droits héréditaires de certains héritiers, il faut aussi respecter au maximum les dernières volontés du de cujus tant que cela ne trouble pas l’ordre public ni la paix familiale.

 



[1] Par exemple, les deux articles sur http://www.sunstu.com/bbs/thread-27411-1-1.html et http://www.lawtime.cn/info/lunwen/mfjicheng/2006102651469.html citent encore le Code civil de 1982.

[2] « Ambulatoria est voluntas defuncti usque ad vitae supremum exitum. » Ulpien (D., 34, 4, 4)

[3] Lévy, Castaldo, p.1179.

[4] Lévy, Castaldo, p.1181.

[5] Par exemple, un certain nombre de témoins pour un testament oral ; date et signature de la main du testateur pour un testament olographe.  Il existait aussi des testaments par acte public qui sont notés par un scribe officiel et conservés par l’autorité publique, ce qui ressemble à un testament notarié d’aujourd’hui.  Lévy, Castaldo, p.1194. 

[6] Lévy, Castaldo, p.1286.

[7] Lévy, Castaldo, p.1288.

[8] Lévy, Castaldo, p.1288.

[9] Lévy, Castaldo, p.1289.

[10] Lévy, Castaldo, p.1290.

[11] Lévy, Castaldo, p.1292.

[12] Lévy, Castaldo, p.1300.

[13] Entrée en vigueur le 1re janvier 2007.

[14] Delfosse, Peniguel,p.145.

[15] Cass. 1re civ., 21 janvier 1969. http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000006978106&fastReqId=727803819&fastPos=4

[16] Selon l’article 921 du Code civil, les ayants cause de l’héritier réservataire peut exercer ce droit de réduction ; ses créanciers peuvent aussi l’exercer par la voie oblique.

[17] Delfosse,Peniguel,p.190.


 

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