Le 28 octobre dernier, a été signé au Conseil supérieur du notariat le premier acte authentique sur support électronique. Il a été suivi de la conclusion du premier acte de vente totalement dématérialisé. Ces innovations montrent la pleine capacité du notariat à s’adapter au temps contemporain, qui est celui de l’immédiat, ainsi qu’à la domination de l’informatique et aux changements profonds qu’elle entraîne.
L’adaptation constante à la société, à l’humain, dans sa diversité et ses évolutions explique la longévité exceptionnelle de l’une des plus anciennes professions juridiques. Le notaire est étymologiquement le secrétaire, celui qui note, regarde et retient. Sur les tablettes, son support de travail, le notaire romain, appelé tabellion, rédige et constate les conventions passées entre individus. Il ne bénéficie cependant pas d’une délégation de pouvoir lui permettant de conférer une force probante particulière à ces actes.
Les notarii de la France du XIIIe siècle sont des greffiers qui se sont peu à peu détachés des juridictions civiles et ecclésiastiques dont ils étaient issus. Les notaires épiscopaux, royaux, seigneuriaux, partagent une fonction particulière : celle d’authentification des actes qu’ils rédigent et de leur conférer force exécutoire.
Une évolution décisive se produit avec la Révolution française qui abolit la vénalité et l’hérédité des charges et établit un statut unique pour le notariat. Une loi du 25 ventôse an XI (16 mars 1803) définit les notaires comme « les fonctionnaires publics établis pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d’authenticité attaché aux actes de l’autorité publique, et pour en assurer la date, en conserver le dépôt, en délivrer les grosses (copies exécutoires) et expéditions ». Cette disposition, à un mot près, celui de fonctionnaire public, aujourd’hui remplacé par le terme d’officier public, est restée la même jusqu’à ce jour. Elle figure désormais dans l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat.
La permanence du statut comme de la fonction du notaire porte-t-elle pour autant la marque de l’immobilisme ? Je viens de souligner la faculté d’adaptation d’une profession qui a su évoluer pour correspondre aux exigences contemporaines. Mais ces transformations vont de pair avec une stabilité qui est un autre trait marquant de la profession de notaire.
I- La fonction notariale : un rôle stabilisateur
Le notaire n’a-t-il pas précisément été conçu à la Révolution comme un agent de stabilisation d’une société en plein déchirement ? C’est là le sens des propos célèbres d’un conseiller d’Etat, qui affirmait, lors des travaux préparatoires de la loi de l’an XI : « Pour établir sur des bases inébranlables le droit de propriété, la liberté civile, le repos des familles…, une quatrième institution (après les tribunaux, le juge de paix et les ministres du culte !) est nécessaire (...) Ces fonctionnaires désintéressés, ces rédacteurs impartiaux, cette espèce de juges volontaires qui obligent irrévocablement les parties contractantes, ce sont les notaires ; cette institution est le notariat».
« Institution », « Juges volontaires », les notaires, dans l’architecture révolutionnaire, sont investis d’une fonction pacificatrice de première importance. Officiers ministériels, ils sont soumis aux règles propres à ce statut, numerus clausus (nombre limité), vénalité de la charge, qui garantissent en retour une stabilité de la profession et justifient l’autorité dont elle est investie. Cette autorité, source de stabilité, provient en premier lieu dans le monopole accordé au notaire de dresser des actes authentiques. « Témoin privilégié, dont l’attestation a, aux yeux de la loi, une valeur exceptionnelle », le notaire confère à l’acte authentique une force probante d’une intensité particulière puisqu’elle vaut jusqu’à inscription de faux. L’inscription de faux, rappelons-le, exige de démontrer que le notaire a mentionné volontairement une inexactitude à propos d’un fait relevant des constatations personnelles qu’il est habilité à faire. La force probante particulière de l’acte authentique s’étend encore à sa date, certaine, faisant foi à l’égard des parties comme des tiers, ce qui permet de fixer le point de départ de nombreux délais, et d’éviter par là de futures contestations. La sécurité de la preuve est de plus renforcée par l’obligation de conservation imposée au notaire, qui s’étend à tous les actes authentiques dressés par le notaire.
L’autorité particulière que confère à un acte l’intervention du notaire se prolonge dans un autre caractère propre à certains actes notariés, la force exécutoire. Tels des jugements, des actes rédigés devant notaire peuvent ainsi être assortis de la formule exécutoire, ce qui rend possible une exécution forcée sans que l’intervention d’une juridiction ne soit requise.
Là encore, le notaire joue pleinement son rôle pacificateur, d’auxiliaire de justice prévenant la survenance de différends futurs. En résulte un domaine d’intervention particulièrement large pour le notaire.
La loi exige pour certains actes graves, à titre de condition de validité, la rédaction devant notaire d’un acte authentique. Il en va ainsi pour la reconnaissance d’enfant naturel, la donation, le contrat de mariage, la constitution d’hypothèques. Mais un juge peut aussi désigner un notaire pour l’élaboration d’actes qui seront plus tard homologués par le tribunal. Ainsi, en cas de divorce ou de succession litigieuse, un notaire peut être désigné pour procéder aux opérations de liquidation ou de partage. Plus généralement, l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit que le pouvoir d’authentification du notaire s’applique aux actes auxquels les parties « doivent ou veulent faire donner le caractère d’authenticité ». Tout sujet de droit peut ainsi avoir recours au notaire, pour tout acte sous seing privé. Le domaine des actes susceptibles d’être rédigés par notaire est, de ce fait, quasiment sans limites.
Car l’intérêt, pour un particulier, d’avoir recours au notaire ne se résume pas à des garanties sur la matérialité de l’acte, sa preuve, sa conservation, sa force exécutoire. Le notaire est, selon une ancienne expression, un « tabellion intelligent », qui doit rédiger un acte en s’efforçant de comprendre les volontés de ses clients et de les transposer dans des termes juridiques adéquats. Dans un arrêt du 28 juin 1961, la première chambre civile de la Cour de cassation précise : « il est en effet possible au notaire rédacteur du testament authentique de poser certaines questions ou de donner certaines précisions au disposant, pourvu que sa rédaction corresponde exactement à la volonté exprimée oralement du testateur ». L’exigence de fidélité du contenu de l’acte à la volonté initiale de l’individu, si elle reste première, se conjugue avec un véritable devoir de conseil.
Ce devoir de conseil porte à la fois sur la technique juridique, l’opportunité et la moralité de l’opération juridique en cours. Il peut aller de la simple suggestion à des mises en garde, dans l’esprit de médiation, qui en fait un « magistrat de l’amiable ». Dans son objet même, ce devoir de conseil a évolué. Conçu à l’origine comme le conseiller des familles, le notaire est devenu aussi le conseiller du monde des affaires, intervenant dans la mise au point d’une fusion de société ou d’opérations de promotion immobilière. Mais le notaire n’est pas pour autant libre de tout faire. Dès le XIXème siècle, des interdits ont été posés par le législateur. Les opérations de spéculation portant sur les fonds qui lui sont remis, et, plus généralement, toute activité bancaire ou de courtage, lui sont interdites.
De tels interdits reflètent une autre caractéristique de la profession : la surveillance dont elle fait l’objet, rançon de l’importance des fonctions qui lui sont dévolues.
II- Une profession surveillée
La surveillance des notaires est l’œuvre conjointe du législateur, de l’autorité judiciaire et des instances professionnelles. Est ainsi marqué le double caractère de la profession de notaire, dépositaire d’une parcelle de l’autorité publique, et, à ce titre, contrôlée par elle, et néanmoins activité libérale, ayant ses structures de contrôle autonome.
Les structures officielles du notariat -les chambres départementales, les conseils régionaux et le conseil supérieur - sont hiérarchisés territorialement en rapport avec l’organisation judiciaire, le tribunal de grande instance et la cour d’appel intervenant à différents stades : accès à la profession, contrôle, discipline. Ainsi, le conseil régional des notaires représente l’ensemble des notaires du ressort d’une cour d’appel, ce qui crée des liens privilégiés entre le président du conseil régional et le premier président de la cour d’appel et le procureur général près celle-ci. De même, comme on le verra plus loin, le conseil régional qui peut prononcer des sanctions disciplinaires, contre un notaire est nécessairement, dans ce domaine, en étroite relation tant avec le tribunal de grande instance qu’avec la Cour d’appel.
S’agissant de l’accès à la profession, les règles juridiques, dans leur rigueur, sont révélatrices de la surveillance dont fait l’objet le notariat. Six conditions sont posées à l’article 3 du décret du 5 juillet 1973 : être de nationalité française, ne pas avoir été l’auteur de faits contraires à l’honneur, à la probité et aux bonnes mœurs, ne pas avoir été mis à la retraite d’office, destitué, radié, révoqué, ou s’être vu retirer un agrément ou une autorisation pour le même type d’agissements, ne pas avoir été frappé de faillite personnelle ou d’une autre sanction analogue. A côté de ces exigences négatives, un haut niveau de compétence est requis. En effet, outre une maîtrise de droit ou un diplôme reconnu comme équivalent, les candidats à la profession doivent être titulaires d’un diplôme d’aptitude aux fonctions de notaire et du certificat de fin de stage ou du diplôme supérieur du notariat. Des dispenses sont néanmoins possibles après quelques années de pratique professionnelle dans un office de notaire.
La nomination d’un notaire n’intervient qu’après un contrôle étroit, effectué conjointement par le procureur de la République, responsable de la surveillance des études notariales, et les instances professionnelles. Le procureur de la République constitue le dossier d’accès à la profession de notaire. Il interroge le candidat, mesurant ainsi son sérieux et sa motivation, vérifie qu’il satisfait aux conditions d’accès à la profession, recueille les avis de la chambre départementale et du conseil régional sur la personnalité du candidat. Le procureur de la République transmet ensuite le dossier au procureur général, en l’accompagnant d’un avis. Le procureur général étudie le dossier, rend un avis, et communique le tout au Ministre de la Justice qui décide de la nomination.
Est ensuite laissé au notaire le choix d’exercer seul ou de constituer une société civile professionnelle, elle-même titulaire de l’office notarial, ou regroupant plusieurs notaires. Le choix d’une forme sociétaire a une incidence sur l’intensité du contrôle auquel est soumis le notaire. Dans cette hypothèse, le procureur de la République doit examiner l’équilibre de la société, la valeur des parts sociales acquises, l’opportunité d’un associé supplémentaire et les chances d’intégration du nouvel associé dans la société. Grâce à cet examen, le procureur de la République est à même de vérifier la solvabilité du candidat et la fiabilité financière du dossier, car, avant tout, c’est la capacité d’endettement du candidat et les recettes attendues qui sont évaluées. En quelque sorte, ces enquêtes sont destinées à vérifier que le futur notaire est en mesure de prendre en charge la fonction de notaire avec ses obligations y relatives, ce qui permet de diminuer les risques d’échec, et notamment l’insolvabilité du candidat, laquelle, en plus de nuire à la réputation de la profession, crée aussi un risque pour les clients de l’office.
Après sa nomination par arrêté du Ministre de la Justice pour un mandat sans limite de durée, le notaire doit prêter serment devant le Président du Tribunal de Grande Instance dans le mois de son arrêté de nomination, témoignant de son engagement envers la puissance publique, qui lui donne un sceau, symbole de la délégation de pouvoir.
La surveillance dont fait l’objet le notaire ne s’arrête pas là. Un contrôle permanent s’exerce sur lui tout au long de sa carrière, prenant la forme d’inspections régulières qui sont l’œuvre des organisations professionnelles, à la diligence de leur président, sous l’égide du procureur de la République. Ces inspections donnent lieu à l’établissement d’un rapport qui engage la responsabilité des inspecteurs.
Ces inspections sont assurées par des notaires inspecteurs choisis dans une liste établie par le conseil régional et par des inspecteurs de comptabilité, lesquels ont un large pouvoir d’investigation. Ainsi, chaque année, une inspection de l’office permet de s’assurer à la fois de la régularité des livres de compte et de la légalité des actes authentifiés. Mais des inspections inopinées sont également organisées, à l’initiative des parquets, du ministère de la Justice ou des présidents des organisations professionnelles, inspections portant, soit sur une question particulière, soit sur l’ensemble de l’activité professionnelle d’un notaire. Il appartient alors à l’autorité qui a prescrit l’inspection, de fixer la nature de la mission des inspecteurs. Le fait de ne pas collaborer avec les autorités professionnelles ou le parquet, est constitutif d’une faute disciplinaire.
Si des irrégularités sont constatées, les inspecteurs en informent immédiatement le parquet ainsi que les organisations professionnelles. Chaque fois que des irrégularités graves commises par un notaire sont portées à la connaissance du procureur de la République ou du procureur général sans qu’elles aient été signalées par les inspecteurs ou par les présidents des organismes de la profession, ces magistrats du parquet peuvent ordonner une enquête pour savoir s’il n’y a pas lieu à poursuites disciplinaires ou pénales contre ceux qui ont omis de dénoncer les manquements constatés.
III- Responsabilité et régime disciplinaire du notaire
La responsabilité des notaires a connu un essor remarquable aux XIXème et XXème siècles. Observable dans l’ensemble des professions, il s’explique par un accroissement de l’exigence sociale de sécurité. Mais la participation des notaires à des opérations économiques de grande importance a rendu plus urgente encore leur responsabilité. Domaine complexe et source fréquente de contentieux, la responsabilité des notaires suit aujourd’hui la ligne de partage bien connue entre responsabilités civile, pénale et disciplinaire.
La responsabilité civile du notaire pour erreurs et fautes involontaires prend sa source dans le droit commun de la responsabilité. En conséquence, le triptyque formé par la faute, le dommage et un lien de causalité entre eux, et sanctionné par le principe de la réparation, s’impose ici comme ailleurs, une nuance devant toutefois être apportée sur le lien de causalité, « les caractéristiques spécifiques de la fonction notariale pouvant être de nature à emporter certaines adaptations »[1].
Il en va ainsi de la question du régime de responsabilité applicable, obligatoirement complexe, en raison du double aspect de la fonction notariale, qui est « contractuel dans sa démarche et légal dans son organisation[2] ». De ce fait, certains auteurs ont suggéré d’appliquer alternativement les régimes de la responsabilité délictuelle et de la responsabilité contractuelle. La question du fondement textuel de la responsabilité notariale a été tranchée par la Cour de cassation, pour qui la responsabilité des notaires est de nature délictuelle. Plusieurs arrêts récents rattachent cette responsabilité à la mission de rédaction des actes. Ainsi, la première Chambre civile a pu juger le 22 novembre 2007[3] que « les obligations du notaire qui ne tendent qu’à assurer l’efficacité d’un acte instrumenté par lui et qui ne constituent que le prolongement de sa mission de rédacteur d’acte, relèvent de sa responsabilité délictuelle », alors que l’autre engagement qu’avait souscrit en l’espèce ce notaire, de tenir les comptes des parties à la suite des actes qu’il avait instrumentés, constituait une obligation contractuelle. Un arrêt du 23 janvier 2008[4] confirme que la responsabilité du notaire est essentiellement délictuelle.
Selon un auteur, la faute du notaire doit s’apprécier au regard de son « devoir légal d’authenticité » et de son « devoir jurisprudentiel de conseil[5] ». L’authenticité, obligation de résultats, tendant à garantir l’efficacité des actes, et le conseil, obligation de moyens, bénéficiant à tous les clients sans distinction, dès l’instant où le notaire a été saisi et jusqu’à l’achèvement de sa mission, sont les deux occasions majeures de la mise en cause de la responsabilité des notaires. Ces deux obligations ont une portée considérable, qui n’est pas sans limites, comme peut le montrer un arrêt du 6 juillet 2004 de la première Chambre civile de la Cour de cassation sur l’étendue du devoir de conseil : « l’obligation d’efficacité et le devoir de conseil du notaire rédacteur d’un prêt et d’un acte de cautionnement accessoire à celui-ci, ne s’étendent pas, en l’absence de mission particulière, à l’opération réalisée postérieurement sans son concours[6] ».
Les notaires de France reçoivent plus de 4.5 millions d’actes par an, et moins de 1 sur 1.000 de ces actes font l’objet d’une action en responsabilité, le plus souvent, pour manquement au devoir de conseil, et dans 2 cas sur 3, l’action en responsabilité n’est pas accueillie par les juges.
Pour protéger les clients de l’office, toute clause limitative ou exonératoire de responsabilité est nulle, d’une nullité d’ordre public.
Selon le décret du 20 mai 1955, dans ses articles 11 et suivants, lorsque la responsabilité du notaire est engagée, un système particulier d’indemnisation de la clientèle, fondé à la fois sur la solidarité professionnelle, qui prend en charge collectivement les risques, et sur une logique d’assurance individuelle, est mis en œuvre.
Ainsi, « dans chaque ressort de cour d’appel, sous le contrôle du conseil régional des notaires, une caisse commune garantit la responsabilité des notaires à l’égard de leur clientèle[7] », et chacune de ces caisses régionales est chapeautée par une caisse centrale placée sous le contrôle du Conseil supérieur du notariat pour organiser le financement des caisses régionales. Cette garantie collective, dont on a dit qu’elle est une institution originale, qui constitue pour la clientèle des notaires, une sécurité que n’offre aucune autre profession, s’applique surtout à l’ensemble des conséquences pécuniaires de la responsabilité civile encourue par les notaires défaillants. La défaillance n’est pas à confondre, dans ce cas, avec l’insolvabilité des notaires, mais elle consiste pour les notaires en cause à ne pas respecter leurs obligations et à créer par son attitude défaillante, un risque pour les usagers et la profession dans son ensemble.
Cette garantie collective intervient en renfort de l’assurance individuelle souscrite obligatoirement par les notaires, en vertu de l’article 13 du décret du 20 mai 1955. En aucun cas, l’assurance ne fait obstacle au jeu de la garantie collective.
La responsabilité pénale, qui est sensiblement plus lourde pour les officiers publics et ministériels à raison de leurs fonctions spécifiques, est susceptible d’être engagée notamment si le notaire a sciemment constaté des faits inexacts. Il est alors accusé de faux en écriture publique, puni de 15 ans d’emprisonnement au lieu de 3 ans pour le faux simple. De même, l’abus de confiance commis par le notaire est passible de 10 ans d’emprisonnement au lieu de 3 ans seulement, s’il est commis par un simple citoyen. En outre, aux sanctions pénales peuvent s’ajouter des condamnations à des dommages et intérêts en faveur de la victime. L’assurance individuelle du notaire n’intervient pas pour réparer les dommages causés par une infraction pénale volontaire commise par lui. C’est la caisse de garantie des notaires qui va assumer cette réparation, prise ainsi en charge par la profession, quitte pour elle à engager une action récursoire contre le notaire défaillant. Pour information, le coût de cette garantie collective représente environ 1.65% du chiffre d’affaire d’une étude notariale, nonobstant la forme sociétaire qu’elle emprunte.
La faute disciplinaire est définie à l’article 2 de l’ordonnance du 28 juin 1945 de façon large. Elle correspond à « toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout fait contraire à la probité, à l’honneur et à la délicatesse, commis par un officier public ou ministériel, même se rapportant à des faits extra-professionnels… ». La faute s’apprécie aussi par référence aux règles du droit positif en considération des textes propres à la profession (règlement des compagnies, règlement national des notaires) ou encore en fonction de l’appréhension commune des bonnes mœurs et des bons usages. La faute disciplinaire peut se rapporter aux actes de la vie professionnelle, mais également à ceux commis hors activité professionnelle, de telle sorte que les rapports qu’entretient le notaire avec ses confrères et avec ses clients, ou encore avec les magistrats, peuvent être l’occasion de fautes disciplinaires.
Les fautes disciplinaires peuvent faire l’objet de sanctions variables, selon leur gravité. Il n’existe pas, le plus souvent, d’indications textuelles quant à la nature de la sanction à infliger, selon le degré de gravité de la faute disciplinaire, ce qui signifie alors que les instances disciplinaires compétentes ont une appréciation très libre de la gravité de la faute, sauf dans les cas où la loi impose une sanction particulière.
Conformément à l’ordonnance du 28 juin 1945, le notaire peut être poursuivi disciplinairement, soit devant l’instance disciplinaire de la profession –la chambre de discipline du conseil régional des notaires-, soit devant le tribunal de grande instance, et sanctionné par l’une des peines suivantes : le rappel à l’ordre, la censure simple; la censure devant la chambre assemblée; la défense de récidiver; l’interdiction temporaire; la destitution.
Le régime disciplinaire de la profession est, en effet, dual.
Les peines les plus graves -la défense de récidiver, l’interdiction temporaire, la destitution- ne peuvent être prononcées que par le tribunal de grande instance, le conseil régional ayant cependant la possibilité de proposer une peine, et, sur recours, par la cour d’appel.
La défense de récidiver est une peine de nature morale et s’entend comme une remontrance solennelle de l’autorité judiciaire donnée au contrevenant de ne pouvoir indûment recommencer.
Les deux dernières peines, quant à elles, emportent privation du droit d’exercer la profession.
L’interdiction temporaire, tout d’abord, correspond aux situations les plus graves, mais ne justifiant pas pour autant l’élimination de l’officier public. Quant à la durée de l’interdiction, elle est souvent fonction du type de situation, et semble plus courte lorsqu’il s’agit de réprimander un acte isolé et plus longue s’agissant de plusieurs infractions.
La destitution enfin, est la déchéance de la qualité de notaire de façon définitive. Elle vise essentiellement à réprimer les manquements graves et répétés à la déontologie notariale. Dans les cas où le notaire sanctionné est suspendu, interdit ou destitué, un administrateur est alors nommé à sa place afin d’assurer la permanence du service notarial.
Le rappel à l’ordre et la censure sont les peines prononcées par la chambre de discipline du conseil régional des notaires, peines purement morales, à l’encontre de notaires ayant commis des négligences et ayant fait preuve de mauvaise volonté sans pour autant avoir révélé d’intention malhonnête. Le rappel à l’ordre et la censure simple sont ainsi considérés comme des peines morales exécutées par le fait même du prononcé de la décision, de sa consignation au registre des délibérations et de sa notification. Dans la censure devant la chambre assemblée, le prononcé de la décision est combiné à une réprimande. La décision de la chambre de discipline du conseil régional peut faire l’objet d’un recours devant la cour d’appel conformément à l’article 37 de l’ordonnance précitée du 28 juin 1945.
Le régime disciplinaire peut être précédé d’un mécanisme préventif, constitué de trois mesures de sûreté qui sont mises en œuvre avant la sanction proprement dite : la curatelle, la suspension provisoire et la démission d’office.
La curatelle intervient dans le cas où l’inspection ou des vérifications comptables auraient révélé de la part du notaire inspecté, des irrégularités, des négligences, des imprudences ou un comportement de nature à créer un risque pour l’ensemble de la profession. Dans cette hypothèse, après avis donné au procureur de la République et au président de la chambre de discipline du conseil régional des notaires, un curateur est nommé par la caisse de garantie pour une durée maximale d’un an, mais susceptible de renouvellement. Le curateur a des pouvoirs similaires à ceux des inspecteurs de comptabilité et s’il découvre des irrégularités importantes, il doit en aviser le président de la caisse de garantie et le procureur de la République, qui ont la capacité de déclencher une action disciplinaire.
La suspension provisoire d’un notaire peut être prononcée quand il fait l’objet de poursuites pénales et disciplinaires et que les circonstances le justifient. Cette suspension ne correspond pas à une sanction, mais à une mesure préventive destinée à assurer la sécurité des usagers et maintenir la confiance que les usagers entretiennent à l’égard de la profession notariale dans son ensemble. La suspension cesse de plein droit lorsque les actions pénales et disciplinaires sont éteintes.
Enfin, la démission d’office est une mesure administrative prononcée quand le notaire n’a pas prêté serment dans le mois de sa nomination, et surtout dans l’hypothèse de l’empêchement d’exercer ou de l’inaptitude. Dans ce cas, le Ministre de la Justice ne peut déclarer la démission d’office qu’après que le Tribunal de grande instance a constaté l’empêchement et l’inaptitude de l’intéressé à exercer la profession de notaire.
Ici aussi, dans les domaines de la responsabilité et du régime disciplinaire du notaire, on remarque la compétence complémentaire du parquet et de la profession, témoignant encore et toujours du statut hybride du notaire, à la fois profession libérale et officier public.
Conclusion
Le notaire n’est pas isolé dans l’exercice de sa profession. En raison de son statut, entre officier public et profession libérale, et de ses fonctions, notamment son devoir d’authentification pour lequel il jouit d’un monopole, il est surveillé conjointement par ses pairs et les magistrats. Dès le début de son parcours professionnel, il est soumis à un contrôle du parquet, prolongé ensuite par des inspections régulières. La mise en œuvre de sa responsabilité civile et pénale sanctionne les excès qui n'ont pu être évités par le jeu des mécanismes préventifs. Une surveillance étroite s'exerce ainsi pleinement à l'égard des notaires, ces auxiliaires qui, incarnant en quelque sorte un visage quotidien et débonnaire de la justice, ont pour fonction première de faire naître confiance et sécurité entre sujets de droit.