1. La loi du 13 mars 2000, qui a introduit dans le Code civil l'acte instrumentaire sur support électronique, a admis, après quelque hésitation (1), que pussent être ainsi dématérialisés non seulement l'acte sous seing privé, mais aussi l'acte authentique. L'article 1317 du Code civil qui, jusque-là, se bornait à définir l'acte authentique, contient désormais un second alinéa suivant lequel cet acte « peut être dressé sur support électronique s'il est établi et conservé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ».
Mais, de l'aveu même de la loi, l'acte authentique électronique une fois admis dans son principe, il reste à définir les modalités de son établissement et de sa conservation (2). D'évidence, en effet, les prescriptions du décret du 26 novembre 1971 « relatif aux actes établis par les notaires », toutes prises en contemplation d'un acte authentique sur support papier, sont souvent en porte-à-faux dès lors que l'on raisonne sur un support électronique. Que l'on songe, par exemple, à celles du premier alinéa de l'article 7 : « Les actes des notaires sont établis de façon lisible et indélébile sur un papier d'une qualité offrant toute garantie de conservation ».
Limités à l'acte notarié (3), les développements qui suivent porteront successivement sur son établissement (I) et sa conservation (II).
I. L'établissement de l'acte
2. Deux observations liminaires sont de nature à orienter la réflexion.
En premier lieu, le support électronique présente toute son utilité dans le cas où l'acte juridique est conclu à distance, c'est-à-dire dans l'hypothèse dite du contrat entre absents, où l'accord se fait entre des parties se trouvant en des lieux différents (4). Grâce aux capacités de circulation d'un document électronique, l'acte peut être dressé aussi rapidement que si les parties étaient en présence l'une de l'autre : la distance est abolie et gagné le temps nécessaire à la franchir. Il est d'ailleurs banal de souligner la vocation transfrontalière du commerce électronique. On ne saurait donc, sans contradiction, après avoir réclamé et obtenu l'acte authentique électronique, repousser l'acte authentique à distance (5).
En second lieu, aujourd'hui comme hier, il n'existe qu'un seul acte authentique : celui que l'article 1317 du Code civil définit en son premier alinéa comme l'acte « qui a été reçu par officiers publics ayant le droit d'instrumenter dans le lieu où l'acte a été rédigé, et avec les solennités requises ». La dualité du support, papier ou électronique, n'affecte pas l'unité de la notion d'authenticité. C'est donc à partir de cette notion même que doivent être définies les conditions d'établissement de l'acte notarié électronique (6).
Reste que l'unité d'une notion n'exclut pas son évolution (7) sous l'effet des mutations économiques, sociales ou technologiques. Or, précisément, la question est ici de savoir si, à l'heure de l'acte authentique électronique à distance, il faut maintenir les contraintes de l'authenticité traditionnelle (A) ou prendre le risque d'une authenticité renouvelée (B).
A. Les contraintes de l'authenticité traditionnelle
3. L'acte authentique, témoignage d'un officier public. - L'acte authentique se définit naturellement comme un acte instrumentaire (instrumentum), comme un écrit qui constate un acte juridique (negotium) et qui, donc, si l'on raisonne sur une convention, rapporte l'identité des parties, le contenu et la date de leur accord. En général, il n'est qu'un instrument de preuve, sa fonction n'étant que de préconstituer, c'est-à-dire de constituer avant tout litige, la preuve de la convention qu'il renferme ; mais, parfois, il est nécessaire à la formation même de la convention et devient alors, par dérogation au principe du consensualisme, une condition de forme nécessaire à sa validité (8). La distinction entre le formalisme ad probationem et le formalisme ad validitatem est bien connue.
Cette première définition reste insuffisante. Elle permet de distinguer l'acte authentique de l'acte juridique, mais non de l'acte sous seing privé : acte qui, lui aussi, est un acte instrumentaire, un écrit constatant une convention et qui, lui aussi, est généralement dressé ad probationem mais est parfois requis ad validitatem (9).
Elle doit être doublement précisée.
- En premier lieu, alors que l'acte sous seing privé est établi par les parties elles-mêmes, qui y reconnaissent entre elles l'existence et le contenu de leur convention, l'acte authentique est dressé par un tiers, le notaire, qui est le témoin de l'existence et du contenu de la convention (10). C'est pourquoi, d'abord, la signature essentielle à la perfection des deux actes n'est pas la même : un acte sous seing privé ne se conçoit pas sans les signatures des parties ; un acte notarié peut exister sans elles, mais non sans celle du notaire (11) - comme le montrent les articles 11 du décret du 26 novembre 1971, qui prévoit des cas où l'acte notarié n'est pas signé par les parties (12), et 1316-4 du Code civil, qui précise que c'est la signature de l'officier public qui « confère l'authenticité à l'acte ». C'est pourquoi, ensuite, le notaire doit, comme tout témoin, être un tiers objectif : d'où les empêchements pour cause de parenté ou d'alliance qu'édictent les articles 2 et 3 du même décret.
- En second lieu, et c'est là l'essentiel, le notaire n'est pas un témoin officieux, une personne privée que les parties chargeraient de constater leur accord. Il est un témoin officiel, une personne qui tient de l'Etat la mission de constater les conventions des particuliers, de les authentifier (13). Dans les systèmes juridiques de droit latin où la prévention des litiges importe à la paix publique autant que leur résolution (14), l'organisation d'une bonne preuve préconstituée relève des missions de l'Etat autant que celle d'une bonne justice (15) : il y existe un service public de l'authenticité dont la mission est de prévenir le contentieux (16), comme il y existe un service public de la justice, chargé de le traiter. Le conseiller Réal a tenu des propos restés célèbres sur cette complémentarité du notariat et de la magistrature (17).
4. Conséquences : force probante et force exécutoire. - Tout naturellement, c'est de cette investiture étatique du notaire, c'est de sa qualité de « témoin privilégié », selon l'expression de Planiol (18), que l'acte notarié tire la double force qui le caractérise : sa force probante et, par suite, sa force exécutoire.
- S'agissant de sa force probante, on la sait très supérieure à celle d'un acte sous seing privé. Alors que celui-ci peut être combattu par un autre écrit, un acte authentique ne peut être contredit que très difficilement, suivant la procédure d'inscription de faux, que l'on dit longue et périlleuse. Or, s'il offre une telle résistance à la preuve contraire, c'est parce qu'il porte le témoignage d'un officier public et non un témoignage ordinaire qui, comme tel, pourrait être détruit par tous modes de preuve. Ceux dont les constatations sont faites au nom de l'Etat et en détiennent le sceau doivent être crus sur parole.
- Quant à la force exécutoire de l'acte notarié, elle s'explique par sa force probante et donc finalement comme celle-ci. C'est parce que l'acte authentique fait foi jusqu'à inscription de faux de son origine, de son contenu et de sa date, qu'il a force exécutoire : c'est parce que l'obligation qu'il constate est tenue pour certaine que l'on peut passer immédiatement à l'exécution. Inversement, c'est parce que l'acte sous seing privé n'offre pas cette certitude qu'il n'a pas la force exécutoire : c'est parce qu'il ne fait pas foi de son origine, les signatures qu'il porte pouvant être déniées, et que la preuve contraire à son contenu peut être beaucoup plus facilement rapportée qu'il faut vérifier l'existence de l'obligation avant de passer à l'exécution.
Ce lien entre la force probante et la force exécutoire (19) apparaît clairement dans la loi du 25 ventôse an XI, qui dispose, d'abord, que « tous actes notariés feront foi en justice et seront exécutoires dans toute l'étendue de la République » (art. 19, al. 1er), puis précise aussitôt que la force exécutoire se trouve suspendue dès lors que la force probante vacille sous le coup d'une plainte en faux (al. 2) (20). Il est reconnu par la doctrine (21). Enfin, il a été consacré récemment par la jurisprudence européenne, avec l'arrêt Unibank, rendu par la Cour de Luxembourg le 17 juin 1999 (22) : pour dénier à un acte sous seing privé (au sens du droit français) la nature d'un acte authentique au sens de l'article 50 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et donc lui refuser la force exécutoire internationale consacrée par cette Convention, la Cour déclare que le caractère authentique de l'acte - c'est-à-dire, dans l'esprit de la Cour, sa sincérité, sa véracité - « doit être établi de manière incontestable » (23).
Ainsi, la force exécutoire de l'acte notarié s'explique, comme celle de la décision de justice, par la certitude de l'obligation : « A l'axiome res judicata pro veritate habetur, répond la devise lex est quodcumque notamus », observait Jacques Flour (24). Et leur commune justification explique que le créancier puisse en attendre les mêmes qualités, notamment de célérité : suivant une autre jurisprudence européenne, mais de la Cour européenne des droits de l'homme, celle de l'arrêt Estima Jorge, du 21 avril 1998 (25), l'acte authentique doit, comme une décision de justice, être exécuté dans un délai raisonnable, sous peine de violer le droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (26).
5. Corollaires : pas d'acte authentique sans officier public ; pas d'acte authentique sans témoignage. - De ce que l'acte authentique est l'œuvre d'un officier public qui porte son témoignage résultent deux conséquences.
- La première est que l'acte qui porte le témoignage d'un tiers, qui n'est pas un officier public, ne saurait valoir comme acte authentique. Ainsi, rien n'interdit qu'un acte sous seing privé soit dressé avec l'assistance d'un professionnel du droit, témoin de l'accord des volontés. Et, de fait, beaucoup le sont avec celle d'un avocat qui, après l'avoir rédigé, le signe en même temps que les parties. Mais, faute d'avoir été dressé par un officier public (27), cet acte est dépourvu des effets propres à l'acte authentique : il l'est de sa force probante particulière, car le témoignage de l'avocat pourra être librement combattu, et il l'est, par suite, de sa force exécutoire (28).
- La seconde est que l'acte émanant d'un officier public, mais qui ne porte pas son témoignage, ne peut valoir comme acte authentique. Or, le témoignage suppose une connaissance directe des faits qui en forment l'objet : le témoin se définit comme « celui en présence de qui se produit, par hasard ou à dessein, un fait ou un acte » (29) ; nul ne peut se prétendre témoin de ce qu'il n'a ni vu ni entendu lui-même, de ce qu'il n'a pas constaté de propriis sensibus. D'où la jurisprudence, classique et constante, suivant laquelle l'acte notarié ne fait foi jusqu'à inscription de faux que « des faits que l'officier public y a énoncés comme les ayant accomplis lui-même ou comme s'étant passés en sa présence dans l'exercice de ses fonctions » (30).
D'où il suit que la réception d'un acte notarié implique la présence physique des parties (31) : l'acte notarié n'est un témoignage public de la réalité de la convention qu'autant que les parties ont émis leur consentement en présence du notaire, qu'autant qu'elles ont comparu par-devant lui, comme il est dit dans les formules en usage. Corrélativement, un acte notarié ne pourrait ni prouver ni être exécuté contre un débiteur que l'officier public n'aurait pas vu et entendu consentir (32).
La présence physique des parties explique d'ailleurs certaines obligations du notaire qui se rattachent à son devoir d'authentification : par exemple, celle de ne pas authentifier l'acte lorsque l'existence ou la qualité du consentement de l'une des parties est manifestement douteuse (33). Seule, en effet, cette présence permet au notaire d'exercer un contrôle élémentaire du consentement.
6. Conséquence sur l'établissement d'un acte authentique électronique à distance. - Dans la conception traditionnelle de l'authenticité, la forme électronique ne saurait donc dispenser de la nécessité, pour chaque partie, d'exprimer son consentement devant le notaire. Elle doit s'accommoder de l'obligation d'une comparution personnelle, d'une présence physique devant l'officier public. C'est dire que, si l'acte est fait à distance, il suppose le concours de deux notaires qui, chacun situé au lieu où se trouve l'une des parties, recueillent leur consentement respectif (34).
Il convient donc d'écarter deux thèses extrêmes, pareillement excessives.
- La première, trop stricte, exclut l'acte authentique à distance, au motif qu'un seul et même notaire devrait recueillir le consentement des deux parties (35). Mais pareille exigence n'est formulée nulle part. Bien au contraire. D'une part, il est certain qu'un même acte notarié peut être reçu par plusieurs notaires : les articles 1317 du Code civil et 9 de la loi du 25 ventôse an XI le permettent implicitement, le premier, en définissant l'acte authentique comme « celui qui a été reçu par officiers publics... », le second, en précisant que les actes notariés « pourront être reçus par un seul notaire » (36). D'autre part, il n'est pas dit que chacun des notaires devrait recevoir le consentement de toutes les parties (37). Bref, l'unicité de l'acte instrumentaire n'implique pas l'unicité de notaire : elle n'exclut pas la réception des consentements par plusieurs notaires (38). Le droit comparé conforte cette analyse : au Canada, dans la province du Québec, la loi sur le notariat prévoit le concours de plusieurs notaires et permet même que l'un d'eux soit un notaire étranger, pourvu qu'il exerce ses fonctions dans un Etat membre de l'Union Internationale du Notariat Latin (39).
- La seconde, trop libérale, admet l'acte authentique à distance dans lequel le notaire recueille à distance les consentements des parties, en dialoguant avec elles. Mais comment le notaire pourrait-il alors être certain de l'identité de son interlocuteur ? Une signature électronique est sujette à prêt ou à vol : un code se donne ou se dérobe. Certes, la présence physique n'exclut pas non plus l'usurpation d'identité. Mais il est évidemment plus facile de se servir du code d'autrui que de se faire passer physiquement pour lui ; l'identité numérique est sujette à fraude bien plus que l'identité physique (40).
En outre, comment le notaire pourrait-il vérifier la qualité, au moins apparente, du consentement d'un contractant invisible, d'un contractant qui s'oblige « hors sa vue », pour reprendre les formules en usage ? Comment pourrait-il vérifier que le contractant s'engage librement, qu'il n'est pas sous l'emprise d'un trouble mental apparent ou qu'il ne cède pas à la pression de son entourage, notamment à celle d'un tiers qui serait à ses côtés ? Alors, pourtant, que cette vérification est inhérente à son devoir d'authentification (41). Bref, il y a des « mines qui ne trompent pas » lorsqu'il s'agit d'apprécier la réalité et le sérieux d'un consentement ; encore faut-il que l'on voit la mine de l'intéressé...
7. Déroulement de la passation d'un acte authentique électronique. - Soit la vente d'un immeuble situé à Bordeaux. Le vendeur et l'acquéreur se trouvent respectivement à Paris et Marseille, ni l'un ni l'autre ne souhaitent se déplacer.
Le projet d'acte ayant été préparé par celui des notaires auquel le règlement national des notaires attribue la minute - et qui aura, de ce fait, la qualité de notaire instrumentaire -, chacune des parties se rend chez son propre notaire. Un dialogue à distance va alors s'engager sur la mise au point de l'acte définitif : les deux notaires, le notaire instrumentaire et le notaire distant, se connectent sur leur réseau intranet sécurisé R.E.A.L. et un logiciel approprié leur permet de travailler ensemble, simultanément, sur l'acte à régulariser, dont le texte s'affiche à l'identique sur leur ordinateur. L'accord une fois réalisé sur un texte, chacune des parties y appose sa signature électronique en présence de son notaire qui reçoit ainsi son consentement. Puis chacun des notaires y appose la sienne : d'abord le notaire distant, puis le notaire instrumentaire, dont la signature rend l'acte authentique selon les termes de l'article 1316-4 du Code civil. L'acte est alors définitif, comme il le serait s'il avait été dressé sur support papier. Il a pour date celle de la dernière des signatures, soit celle du notaire instrumentaire. Ainsi, le notaire instrumentaire ne recueille que le consentement de la partie présente physiquement dans son office, le consentement de la partie distante étant recueilli par le notaire distant, ce qui est mentionné dans l'acte.
Comme on le voit, cette procédure ne remet nullement en cause l'authenticité traditionnelle liée à la présence physique de chacune des parties « par-devant le notaire ». Cela dit, deux questions peuvent être posées.
- L'acte est-il reçu par un ou plusieurs notaires ? A l'évidence, il l'est par au moins deux notaires dans l'exemple ci-dessus, même si un seul d'entre eux reste détenteur de la minute. Cela n'a rien de choquant lorsque l'on songe au cas de l'acte sur support papier reçu par un notaire en substitution de l'un de ses confrères : le consentement y est reçu par le notaire substituant, l'acte est inscrit sur le répertoire de chacun des notaires, substituant et substitué, mais il reste aux minutes de ce dernier.
- Contre lequel des deux notaires devra s'inscrire en faux celle des parties qui contredirait la véracité de l'acte ? Contre celui qui a reçu son consentement ? ou, si ce n'est pas le même, contre le détenteur de la minute ? ou encore contre les deux ? Tout dépendra de la nature du faux allégué, matériel ou intellectuel ; mais, devant la difficulté de prouver l'altération frauduleuse de la vérité, l'ensemble des notaires ayant concouru à l'authentification de l'acte sera à l'évidence inquiété jusqu'à ce que l'instruction révèle l'auteur de l'éventuelle infraction.
L'acte une fois définitif, son contenu est figé. Toute modification qui lui serait apportée doit être immédiatement détectable. Mais alors, c'est de sa conservation qu'il s'agit : il en sera parlé plus loin (cf. infra, II). Auparavant, il convient de s'interroger sur un éventuel renouvellement de l'authenticité, qui permettrait d'affranchir l'établissement de l'acte de la présence physique des parties.
B. Les risques d'une authenticité renouvelée
8. Récurrence de la question. - A l'ère du numérique, qui est celle de l'acte juridique à distance (42), il est permis de s'interroger sur un renouvellement de l'authenticité (43), sur un nouveau fondement de la force probante et de la force exécutoire, qui permettrait au notaire de recevoir un consentement à distance. Déjà en 1971, l'institution des clercs habilités fut l'occasion d'une étude de cet ordre, à laquelle son auteur, Jacques Flour, donna un titre resté célèbre : Vers une notion nouvelle de l'authenticité (44).
Aujourd'hui, la réflexion peut être conduite de lege lata et de lege ferenda.
9. De lege lata : les procurations sous seing privé. - En l'état actuel du droit positif, deux objections peuvent être formulées contre l'analyse traditionnelle de l'authenticité, contre la nécessité de la présence physique des parties.
La première est tirée du recours aux procurations sous seing privé, qui seraient usuelles en matière de vente immobilière ou de prêt. Elle est dénuée de toute pertinence. Car, précisément, lorsque l'une des parties est représentée par un mandataire muni d'une procuration sous seing privé, l'acte n'est pas authentique à son égard, faute que le notaire ait été le témoin de son consentement : ni la force probante de l'acte ni sa force exécutoire ne pourront lui être opposées. Ainsi, l'emprunteur auquel on demande le remboursement d'un prêt qu'il aurait donné mandat sous seing privé de conclure peut, sans devoir s'inscrire en faux, contester devoir la somme portée dans l'acte authentique qui ne pourra tenir lieu contre lui de titre exécutoire (45). Il lui est loisible de contester l'existence ou le contenu du mandat suivant les règles applicables aux actes sous seing privé : de dénier sa signature ou, s'il la reconnaît, de prouver, par un autre écrit, contre le contenu de la procuration (46).
C'est ce qui résulte de récents arrêts de la Cour de cassation qui décident que « l'annexion d'un acte sous seing privé à un acte authentique ne lui confère pas la force probante de celui-ci » (47) et, en particulier, que « les procurations, simplement annexées à un acte notarié, ne constituent pas des actes authentiques » (48). Comme l'observe un auteur, quoique ayant fait l'objet d'une annexe (49), « l'acte sous seing privé conserve sa valeur probante originaire » et, « contrairement à ce qui est acquis pour l'acte authentique, la charge de la preuve de la sincérité de l'acte sous seing privé incombe à celui qui s'en prévaut » (50).
Cette jurisprudence appelle deux précisions, liées.
D'une part, sa portée sur l'acte juridique lui-même, sur le negotium, varie selon le cas. - Ou bien l'authenticité était indifférente à la validité de la convention et, naturellement, le recours aux procurations sous seing privé ne saurait en emporter la nullité. Que l'instrumentum n'ait ni la force probante ni la force exécutoire de l'acte authentique ne réagit pas sur le fond. Tel est fort heureusement le cas général, notamment lorsqu'il s'agit d'une vente immobilière (51) ou d'un prêt. - Ou bien l'authenticité était requise pour la formation même de la convention, et le recours aux procurations sous seing privé en justifie la nullité. Tel est le cas, par exemple, lorsqu'il s'agit d'une donation (52). - Ou bien l'authenticité permettait d'échapper à un formalisme particulier, et le recours aux procurations sous seing privé neutralise cette permission. Le cas le plus usuel est celui du cautionnement. Un cautionnement notarié est exempté du formalisme de l'article 1326 du Code civil, qui exige une mention manuscrite de la caution ; mais un mandat sous seing privé donné par la caution ne l'est pas : si la caution a donné mandat sous seing privé sans satisfaire aux exigences de ce texte, la forme authentique de la convention ensuite passée en son nom ne la prive pas de la possibilité de se soustraire à son engagement (53). C'est précisément ce qu'a jugé la Cour de cassation dans les arrêts qui viennent d'être cités (54).
D'autre part, dans le dernier de ces trois cas, l'effet propre de l'acte notarié, qui se trouve neutralisé par le recours à un mandat sous seing privé, procède, non pas du devoir d'authentification du notaire, mais de son devoir de conseil. Car ce n'est pas l'existence mais la qualité du consentement de la caution qui est en cause : si l'acte authentique est soustrait aux exigences de l'article 1326 du Code civil, c'est parce que la caution ayant consenti par-devant notaire, son consentement a dû être éclairé par l'officier public, tenu envers lui d'un devoir de conseil. Pour autant, ce qui est ainsi jugé à propos du devoir de conseil vaut pareillement pour le devoir d'authentification : si un consentement exprimé dans une procuration sous seing privé ne peut être éclairé par le notaire, pas davantage ne peut-il être constaté par lui.
10. De lege lata (suite) : les clercs habilités. - La seconde objection qui, en l'état du droit positif, peut être formulée contre la nécessité de la présence physique des parties est tirée de l'institution des clercs habilités. Depuis un décret du 26 novembre 1971, remplacé par une loi du 25 juin 1973, un acte peut être authentique bien que le consentement des parties ait été recueilli par un clerc habilité à cet effet, et non par le notaire qui simplement y appose ensuite sa signature.
L'objection est forte, si forte même que Jacques Flour avait pu, au lendemain du décret, mettre en doute l'authenticité de l'acte dressé dans de telles conditions (55) et qu'il fallut rien moins qu'une loi pour lever ce doute.
Faut-il, pour autant, reconstruire l'authenticité à partir de l'institution des clercs habilités ? Induire de cette institution un principe général suivant lequel le notaire ne serait plus un témoin privilégié ? Ou ne faut-il pas plutôt y voir une singularité (56), dont l'analyse resterait à faire (57) mais qui ne remet pas en cause le fondement traditionnel de l'authenticité ? Sans doute, ce second parti est-il le plus sage. D'abord, parce que l'habilitation est enfermée dans certaines limites : elle est exclue pour un certain nombre d'actes solennels ; elle est exercée sous la surveillance et sous la responsabilité du notaire ; elle ne peut être imposée aux parties, toujours libres d'exiger que le notaire instrumente en personne (art. 10, al. 3 à 5, L. 25 ventôse an XI). Ensuite, parce que le parti contraire créerait de lege ferenda le risque d'une disparition de l'acte authentique.
11. De lege ferenda : l'invocation du statut du notariat. - A dessein de justifier qu'un consentement électronique puisse, dans le décret à venir (58), être reçu à distance, peut-on expliquer la force probante et la force exécutoire de l'acte authentique autrement que par la foi due au témoignage d'un officier public, qui a vu et entendu les parties s'accorder ?
Deux explications de substitution sont concevables.
La première est tirée de l'organisation et, plus généralement, du statut de la profession notariale. Le numerus clausus qui permet d'en contrôler l'accès, la discipline qui s'y observe et s'y exerce ainsi que les redoutables sanctions, civiles et pénales, auxquelles s'exposent ceux qui manquent aux devoirs de leur charge, tout cela suffirait à justifier la force particulière de l'acte notarié.
Mais, autant le statut du notariat explique assurément la foi prêtée aux constatations de l'officier public (59), autant il ne saurait justifier que, de ces constatations, l'on tirât des conclusions hasardeuses ou téméraires. Or, comme on l'a déjà dit, le risque d'usurpation d'identité est infime dans le cas d'une comparution physique, alors qu'il est bien réel dans le cas d'un dialogue électronique à distance (60) ; il serait donc dangereux, s'agissant d'établir la réalité d'un accord, d'assimiler à la constatation faite sur le vif du consentement d'un présent, la constatation faite sur écran du consentement d'un absent.
Autrement dit et d'un simple point de vue rationnel, la signature d'un notaire ne peut conférer les effets de l'authenticité à l'acte sur lequel elle est apposée qu'autant qu'elle vient clore une procédure au cours de laquelle l'officier public a procédé à certaines opérations de nature à établir la réalité de la convention qu'il porte. S'il en était autrement, la signature du notaire cesserait d'être crédible et, sauf à la tenir pour magique (61), ses effets seraient tôt ou tard remis en cause. A cet égard, la jurisprudence de la Cour européenne de Luxembourg, celle de l'arrêt Unibank (62), est instructive : la force probante, d'où procède la force exécutoire internationale reconnue par la Convention de Bruxelles, suppose une certitude qui recouvre, non pas seulement la signature et la date, mais aussi le contenu de l'acte (63) ; ce qui implique un contrôle effectif de la teneur même de la volonté des parties. Or, comme il a déjà été dit, la comparution personnelle permet un contrôle évidemment plus étroit qu'un dialogue à distance.
En outre, la suppression de la présence physique amputerait le devoir d'authentification, en ce que le notaire ne serait plus en mesure de constater que le consentement est bien réel et libre et, s'il ne l'est pas, de refuser d'authentifier, comme il en a aujourd'hui le devoir (64).
12. De lege ferenda (suite) : l'invocation de la compétence et du devoir de conseil du notaire. - Une seconde explication de substitution fut exposée par Jacques Flour, pour la récuser, il y a trente ans. Elle est tirée de la compétence du notaire et de son devoir de conseil (65) : le savoir-faire du notaire garantit la qualité de l'acte ; la bonne exécution de son devoir de conseil garantit la qualité du consentement des parties. De telles assurances justifieraient la force exceptionnelle de l'acte qu'il reçoit.
Mais la qualité d'une convention est une chose, son existence en est une autre ; tout comme la qualité du consentement est une chose et sa réalité en est une autre. Or, c'est de l'existence de la convention, c'est de la réalité du consentement qu'il s'agit lorsque l'on parle force probante et force exécutoire ; ce n'est pas de leur qualité (66).
Ce sont d'autres effets de l'acte notarié qui procèdent de la compétence et du devoir de conseil du notaire. Ainsi, l'exclusion, qui n'est d'ailleurs qu'occasionnelle, du formalisme protecteur du consentement des parties : on a vu, par exemple, que la mention manuscrite requise par l'article 1326 du Code civil n'a pas à être apposée sur un acte notarié (67). Des deux qualités du notaire, celle de professionnel du droit et celle d'officier public, c'est la première qui explique cette exclusion (68).
13. Conclusion. - Aujourd'hui, où la valeur de l'authenticité se trouve reconnue dans un nombre croissant de pays (69) et consacrée au niveau européen (70), il serait malvenu de la fragiliser. On souhaitera donc que l'avènement de l'acte authentique électronique ne soit pas l'occasion d'une imprudence : il ne faudrait pas que, pour éluder les contraintes qu'implique le fondement traditionnel de l'authenticité, à commencer par la présence physique des parties, on lui en substituât un nouveau qui, en même temps qu'il supprimerait ces contraintes, ne justifierait plus que l'on reconnût aux actes faits par des notaires la double force probante et exécutoire (71).
II. La conservation de l'acte
14. Obligation légale. - Le garde des Sceaux disait récemment : « Je tiens à souligner un aspect essentiel de l'acte notarié, sa conservation. La minute de l'acte authentique, conservée pendant cent ans dans l'office notarial, confère aux parties une sécurité et un confort irremplaçables, que ne peut offrir un autre acte professionnel » (72).
L'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 confère au notaire la mission de recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent donner le caractère d'authenticité. Mais il ne borne pas sa mission à la réception de l'acte, ni même à l'exécution des formalités subséquentes. Il y ajoute l'obligation d'en conserver le dépôt. La conservation de l'acte ne connaît pas de limite de temps : simplement, la responsabilité en est transférée au-delà de cent ans aux archives publiques.
Les autres officiers ministériels n'ont d'obligation de conservation que pendant trente ans. Quant aux actes sous seing privé, c'est aux parties elles-mêmes qu'il incombe de les conserver... à leurs risques et périls (73).
Cette obligation a pour corollaire l'impossibilité pour le notaire, sauf décision judiciaire, de se dessaisir de l'original de l'acte, de sa minute (74). Il ne peut qu'en délivrer, selon des règles strictes, des copies authentiques ou expéditions, revêtues, le cas échéant, de la formule exécutoire. Ses associés et successeurs le peuvent aussi (75).
15. Modalités actuelles : rappel sommaire. - La conservation des actes notariés relève, comme leur établissement (76), du décret du 26 novembre 1971.
Sur les modalités de conservation des minutes, le décret ne dit rien. Ce qui n'a rien de surprenant : les pouvoirs publics n'ont pas jugé utile de réglementer la conservation de documents sur support papier dont la responsabilité incombe à chaque office.
En revanche, le décret impose aux notaires de tenir un répertoire au jour le jour de tous les actes qu'ils reçoivent (art. 21). Ce répertoire contient un résumé succinct de l'acte : il énonce la date, la nature et l'espèce de l'acte juridique (vente, bail...), ainsi que les noms des parties et toutes les mentions prescrites par les lois et règlements. Il doit ainsi permettre de reconstituer les données essentielles de l'acte en cas de perte ou de destruction de l'original. Il est tenu en deux exemplaires dont l'un doit être déposé chaque année au greffe du tribunal de grande instance du ressort de l'office notarial (relevons ici que le greffe du tribunal de grande instance de Paris accepte dès à présent que lui soit remise une copie numérisée sur Cd-rom du répertoire établi sur support papier).
Notre propos concernera autant les minutes que le répertoire.
16. Difficultés posées par le support électronique. - Dans le cas d'actes notariés sur support électronique, trois obstacles doivent être surmontés pour en assurer une bonne conservation.
D'abord, l'altérabilité de supports autres que le papier. La N.A.S.A. n'a-t-elle pas perdu les données liées aux vols lunaires habités, qui se sont trouvées effacées des bandes magnétiques sur lesquelles elles étaient enregistrées ?
Ensuite, l'évolution des techniques et des standards de lecture des supports électroniques, magnétiques et optiques. Une conservation pérenne suppose une capacité de relire les données et donc de les conserver indépendamment de leur format d'origine, qui est lié à des matériels et logiciels voués à une obsolescence certaine.
Enfin, le risque d'altération du document lors d'une migration de son support électronique d'origine vers un autre support, papier ou électronique...
Ces obstacles ne sont que trop réels pour les actes notariés qui, rappelons-le, doivent être conservés à l'infini : par les notaires pendant cent ans, par les archivistes publics au-delà. D'où la très vive inquiétude des uns comme des autres.
17. Inquiétude des professions et silence des pouvoirs publics. - Cette inquiétude s'est manifestée dans de nombreux commentaires de la loi du 13 mars 2000. Il n'est qu'à lire l'ouvrage publié par la mission de recherche « Droit et Justice » (77) ou le manuel pratique Les archives électroniques publié par la Direction des archives de France (78) ou, encore, la récente étude d'un auteur (79), qui observe justement que « le sujet de la conservation, qui se présente comme une difficulté accessoire pour l'acte sous seing privé, est en réalité une complication substantielle pour l'acte authentique ». Et il faut ici rappeler un avertissement justement lancé : « La conservation à long terme des données numériques est une opération coûteuse. Mais, reconstruire des données perdues, détériorées ou détruites l'est encore plus » (80).
Or, autant les pouvoirs publics européens ou nationaux ont pris, sur la signature électronique, de nombreuses dispositions, autant ils ne semblent pas avoir consacré la même énergie réglementaire à l'archivage. Il existe simplement un projet de recommandation du Conseil de l'Europe qui invite les Etats membres à « organiser l'archivage des documents électroniques dans le domaine juridique, et ce d'une manière telle que le document ainsi archivé puisse être tenu pour fiable et valide alors même que les services d'archives ne seraient plus en mesure de vérifier les signatures électroniques initiales » (81).
Cette recommandation plaide ainsi pour l'institution d'autorités d'archivage et la définition de politiques d'archivage - tout comme, pour la mise en œuvre de la signature électronique, ont été instituées des autorités de certification, et définies des politiques de certification. Elle pose ainsi la question de savoir si la responsabilité de l'archivage qui incombe aujourd'hui pendant cent ans au seul office du notaire qui a reçu l'acte, doit être maintenue pour les actes dressés sur support électronique. La réponse ne peut venir que d'une concertation plus générale entre la profession notariale et les autorités publiques - ministère de la Justice et Direction des archives de France - sur les modalités pratiques de la conservation des actes.
18. Modalités de conservation de l'original. - Pour surmonter les trois obstacles qui ont été indiqués (82), deux opérations doivent être réussies.
- D'abord, l'établissement d'un format pérenne de conservation des données, afin d'éviter que les ordinateurs de demain et leurs systèmes d'exploitation ne permettent plus de relire et d'exploiter les données conservées. Il semble qu'un format « image » permette d'y parvenir, à condition que le format choisi ne nécessite aucun logiciel de traitement interposé (83).
- La migration régulière des données et des métadonnées - c'est-à-dire des données invisibles à l'écran qui structurent le document (84) - sur de nouveaux supports matériels qui interdisent toutes modifications des données enregistrées. Ces supports existent d'ores et déjà (85).
La responsabilité de celui qui doit archiver les actes sur support électronique consistera donc à assurer régulièrement, au fur et à mesure des avancées technologiques, cette migration des données et métadonnées sur des nouveaux supports pérennes en termes de lisibilité, et ce dans des conditions garantissant la conformité des données migrées aux données originales.
Cette garantie est essentielle. En effet, d'une part, le produit de la migration sera certes un clone de l'original, mais il ne sera plus cet original ; d'autre part, la première migration aura détruit les signatures numériques originales, de sorte qu'aucun contrôle ne pourra plus être fait sur l'original migré, alors détruit ou illisible. Il importe donc que le responsable de cette migration ne puisse être soupçonné d'une quelconque falsification. Ce qui pose la question de la création d'une autorité d'archivage.
19. Pour une institution centrale d'archivage. - Il serait inconvenant et à vrai dire absurde d'imaginer que le notaire rédacteur ou son successeur, qui opérerait la migration vingt, trente ou cinquante années après la signature de l'acte, en profite pour le falsifier. Ce n'est pas en ces termes que se pose la question de savoir si on doit laisser au seul notaire rédacteur la responsabilité de l'archivage de ses actes numériques.
Ce sont le coût et la technologie de la conservation et de la migration qui doivent être pris en compte. Un notaire est un juriste, non un technicien de l'informatique (86). Lui demander de garantir la préservation des données numériques de ses actes le conduirait à solliciter et à payer un tiers spécialiste de la matière, par hypothèse extérieur à la profession notariale. C'est dire que l'un des aspects essentiels de l'authenticité échapperait au notariat et que le coût pour chaque office risquerait d'être très lourd. Or, de la même façon que le notariat français a construit son architecture (87) de signature électronique nationale R.E.A.L., qu'il contrôle et dont le coût est mutualisé, il doit réussir à créer une architecture d'archivage qu'il maîtrisera et dont la charge financière sera supportée par la collectivité des notaires.
Certes la tradition notariale française veut que chaque notaire archive ses actes. Mais, d'une part, cette tradition n'est pas unanimement suivie en France même : les notaires de Paris, entre autres, ont mis en œuvre une structure commune d'archivage qui permet à ceux qui le souhaitent de confier leurs actes et leurs dossiers au minutier géré par la Chambre des notaires de Paris. D'autre part, le droit comparé atteste qu'elle ne se retrouve pas dans des pays proches du nôtre : en Espagne, où l'office notarial disparaît avec la retraite de son titulaire, la chambre des notaires dont il dépend récupère le « protocole » (minutier) du notaire qui se retire et elle en assure la conservation.
On préconisera donc que la profession notariale mette au point un minutier central où chaque office notarial possédera son « coffre-fort » personnel, auquel il aura un accès à la fois exclusif, pour préserver la confidentialité de ses actes, et libre, pour délivrer des copies aux intéressés. Chaque notaire en partagera, avec la profession, la responsabilité : au notaire, la responsabilité de l'alimentation du minutier et de l'accès aux données ; à la profession, la responsabilité de migrations successives fiables et fidèles.
En outre, un archivage électronique est d'autant plus sûr que l'on pratique la « redondance », c'est-à-dire, pour un même document, des enregistrements multiples : sur différents types de supports et sur plusieurs serveurs situés en des lieux distincts (88).
20. Délivrance des copies. - La conservation des actes électroniques ne constitue pas une fin en soi. Elle n'a d'autre finalité que de permettre la délivrance de copies susceptibles de circuler. Il ne faut donc pas négliger les conditions dans lesquelles les copies pourront être délivrées et circuler sans perdre leur caractère authentique.
Cette délivrance appelle trois observations.
En premier lieu, la copie sera toujours identique à l'original. Seul l'horodatage lié à la signature électronique du notaire permettra de distinguer la version première en date, la minute, des copies ultérieurement établies et signées par le notaire.
En second lieu, il faut permettre le transfert d'un support - électronique ou papier - sur l'autre, sans faire perdre à la copie le caractère de l'authenticité attaché à l'original. L'officier public qui a authentifié l'acte original ou son successeur, doit pouvoir en délivrer des copies sur un support différent de celui de cet original. Ainsi, le client qui aura signé l'acte sur support électronique doit pouvoir en recevoir une copie authentique sur papier. Et, inversement, le client qui a signé l'acte sur support papier doit pouvoir en obtenir une copie authentique sous forme électronique qui circulera sur les réseaux électroniques rapidement et en toute sécurité. En particulier, le notaire pourra toujours, quel que soit le support de l'original, adresser aux organismes publics, et notamment aux autorités chargées de l'exécution, un document sur support électronique ayant la double force probante et exécutoire. On voit les avantages d'une telle circulation, à l'heure de l'avènement d'un titre exécutoire européen (89).
En troisième lieu, l'édition sur support papier d'un acte électronique sous seing privé n'a aucune force probante. Seule une expertise du disque dur portant le document original permettra de vérifier la conformité de la copie à l'original. En revanche, l'acte authentique bénéficiera du maintien de la force probante de l'acte ainsi transféré d'un support à l'autre, car la signature électronique du notaire ou de l'autorité ayant conféré l'authenticité garantit la validité de la copie électronique, comme sa signature manuscrite et son sceau garantissent aujourd'hui la conformité de la copie papier à l'original papier jusqu'à inscription de faux.
21. Affaire à suivre, avec, d'abord, la publication du décret annoncé par la loi (90) et, ensuite, l'application que le notariat voudra bien en faire...
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(a)Nous commençons, dans ce numéro, une réflexion sur l'acte authentique électronique. Celle-ci sera suivie, dans une prochaine livraison, d'une étude de M. le professeur A. Raynouard intitulée « Sur une notion ancienne de l'authenticité : l'apport de l'électronique ».
(1)Le projet de loi, dans sa version initiale, ne concernait que les actes sous seing privé. C'est au Sénat que la réforme fut étendue aux actes authentiques.
(2)V. C. Paul, Rapport de la commission des lois, 23 février 2000, Doc. Ass. nat., no 2197 : « S'il est évident que l'acte authentique ne saurait rester en dehors de la révolution numérique, c'est une chose d'affirmer qu'il peut être dématérialisé, c'en est une autre de rendre effective cette affirmation ».
Une commission, constituée par la Chancellerie, travaille actuellement à l'élaboration d'un projet de décret.
(3)Dans les développements qui suivent, l'expression « acte authentique » désignera, sauf précision contraire, le seul acte notarié.
(4)Sur laquelle, v., A. Bénabent, Droit civil, Les obligations, Précis Domat, 5e éd. 2001, no 68 ; J. Ghestin, Le contrat, LGDJ, nos 346 et suiv. ; Ph. Malaurie et L. Aynès, Les obligations, Cujas, nos 392 et suiv. ; F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Les obligations, Précis Dalloz, nos 15 et suiv.
(5)V. les réflexions très lucides de G. Rouzet, « L'acte authentique à distance. Pour un aménagement du droit français de la preuve », in Mélanges R. de Valkeneeer, Bruylant, 2000, spéc. nos 26 et suiv.
(6)Autrement dit, il convient de rechercher comment un acte authentique peut être électronique et non comment un acte électronique pourrait être authentique : c'est de l'authenticité qu'il faut partir...
(7)Exemple très notarial : l'acte de notoriété qui, en matière successorale, sort profondément transformé de sa consécration par la loi du 3 décembre 2001.
(8)Exemples : donation ostensible (art. 931, C. civ.), contrat de mariage (art. 1394, C. civ.), subrogation conventionnelle par la volonté du débiteur (art. 1250, C. civ.), constitution d'hypothèque (art. 2127, C. civ. ; mais l'authenticité n'est requise que du côté du constituant), vente d'un immeuble d'habitation à construire (art. L. 261-11, C.C.H.), contrat de location-accession (art. 4, L. 12 juillet 1984), etc.
(9)Exemples : contrat de promotion immobilière relatif à un immeuble à usage d'habitation (art. L. 222-3, C.C.H.), contrat de vente d'un navire francisé (art. 10, L. 3 janvier 1967), clause compromissoire (art. 1443, N.C.P.C.).
(10)J. Ghestin et G. Goubeaux, Introduction générale, no 616 : « Le rôle du notaire est de constater officiellement l'acte que les parties doivent ou veulent faire authentifier ».
(11)Le défaut de signature du notaire est une cause de nullité absolue de l'acte authentique, v. Cass. civ. 1re, 29 no, vembre 1989, Bull. civ. I, no 368 ; Defrénois 1989, art. 34802, obs. J.-L. Aubert. Certes le défaut de signature d'une partie l'est aussi (Cass. civ. 1re, 28 novembre 1972, JCP éd. N 1973, II, 17461, note M. Dagot), mais sauf les cas où la loi l'admet (v. la note suiv.) : tempérament inconcevable pour la signature du notaire.
(12)Art. 11, al. 4, D. 26 novembre 1971 : « Quand les parties ne savent ou ne peuvent signer, leur déclaration à cet égard doit être mentionnée à la fin de l'acte ».
(13)P. Catala, « Le formalisme et les nouvelles technologies », in Le Formalisme, Journée Jacques Flour (organisée par l'Association Henri Capitant), Defrénois 2000, art. 37210, no 16 : « La qualité d'officier public du notaire [...] fait de lui un témoin privilégié de la formation de l'acte authentique, auquel s'attache, dès lors, une présomption très forte de véracité ».
(14)Toute une veine littéraire illustre, en France, un sentiment de défiance envers le procès, notamment, au XVIIe siècle, avec Racine, dans Les plaideurs, ou La Fontaine, dans Le chat, la belette et le petit lapin ou L'huître et les plaideurs.
(15)C. Demolombe, Cours de Code Napoléon, t. 29, no 230 : « Les actes extrajudiciaires, dressés par les officiers ministériels, sont, en effet, ceux dont le but est d'établir en matière civile, dans l'ordre des intérêts privés, la preuve des droits et des obligations des citoyens. Dans cet ordre, les officiers publics, qui ont la charge de recevoir et de dresser les actes authentiques sont principalement : les notaires, les officiers de l'état civil, les greffiers des tribunaux, les huissiers ».
(16)V. R. Stürner, « L'acte notarié dans le commerce juridique européen », Rev. dr. comp. 1996, p. 315 : l'auteur souligne l'importance du notariat « pour le sort de la juridiction préventive en Europe ».
(17)Rapport au Corps législatif sur la loi du 25 ventôse an XI relative à l'organisation du notariat : « A côté des fonctionnaires qui concilient et jugent les différends, la tranquillité appelle d'autres fonctionnaires qui, conseils désintéressés des parties, aussi bien que rédacteurs impartiaux de leurs volontés, leur faisant connaître toute l'étendue des obligations qu'elles contractent, rédigeant ces engagements avec clarté, leur donnant le caractère authentique et la force d'un jugement en dernier ressort, perpétuant leur souvenir et conservant leur dépôt avec fidélité, empêchent les différends de naître entre les hommes de bonne foi, et enlèvent aux hommes cupides, avec l'espoir du succès, l'envie d'élever une injuste contestation. Ces conseils désintéressés, ces rédacteurs impartiaux, cette espèce de juges volontaires qui obligent irrévocablement les parties contractantes, sont les notaires ».
(18)M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. 2, no 90 : « L'officier public est donc un témoin privilégié dont l'attestation a aux yeux de la loi une valeur exceptionnelle ». Et, depuis, v. l'étude fondamentale de J. Flour, « Sur une notion nouvelle de l'authenticité (Commentaire des articles 11 et 12 du décret no 71-941 du 26 novembre 1971) », Defrénois 1972, art. 30159, p. 977 et suiv.
(19)Si la force probante et la force exécutoire sont liées, c'est en ce sens seulement que la première est une condition nécessaire à la seconde, mais non que la seconde serait une conséquence obligée de la première : il ne peut y avoir force exécutoire sans force probante, mais il peut y avoir force probante sans force exécutoire (v., par exemple, le cas du Québec - où, pourtant, les notaires ont réclamé, mais en vain, que force exécutoire fût reconnue à leurs actes, RTD civ. 1999, 750).