La réforme du droit des successions et des libéralités a été adoptée par le Parlement le 23 juin 2006 et est entrée en vigueur le 1er janvier dernier. Malgré trois tentatives de dépoussiérage en 1988, 1991 et 1995, les règles n’avaient pratiquement pas changé depuis 1804. Complexes et peu efficaces, elles étaient particulièrement mal adaptées aux réalités économiques d’aujourd’hui.
La réforme vise notamment à mieux respecter la volonté de celui qui souhaite transmettre son patrimoine, notamment quand l’ensemble des héritiers s’accorde avec cette volonté. Elle organise également de nouvelles formes de transmission, notamment en encourageant la conclusion de « pactes successoraux ». Le droit français des successions et des libéralités jusqu’à présent très rigide s’ouvre ainsi à la « contractualisation ».
1/ Pacte successoral : des héritiers pourront consentir à être privés de la réserve.
La grande innovation est la possibilité, dorénavant, pour un héritier de renoncer à demander la réduction des « libéralités (donations) » décidées du vivant du donateur. Ainsi, un chef d’entreprise, pourra transmettre - de son vivant - la totalité de ses activités à son conjoint ou à un enfant, dès lors que ses autres enfants auront renoncé à leur part de réserve. Il s’agit d’un nouveau pacte sur succession future. La donation ou le legs, dont on renonce à demander l’éventuelle réduction, peut concerner une entreprise ou tout le patrimoine
Il s’agit d’un changement majeur par rapport au droit français jusqu’à ici en vigueur : un parent ne peut priver son enfant de sa part de réserve (part d’héritage qui lui revient de droit), même si ce-dernier a donné son accord ! Ainsi, dans le cas où le parent aurait consenti des donations ou legs et si ces libéralités sont attentatoires à la réserve, l’enfant dispose d’une action au jour du règlement de la succession : l’action en réduction. L’exercice de cette action peut créer une indivision sur le bien donné, ce qui génère un certain nombre de difficultés, voire même peut provoquer la cession du bien. Pour une entreprise par exemple, les conséquences sont rapidement catastrophiques.
Non seulement la réforme permet désormais à un héritier de renoncer à sa part de réserve, du vivant de son parent, mais cette renonciation ne sera pas considérée comme une donation : il n’y aura pas double imposition, soit un avantage fiscal considérable.
cinq conditions…
Cette renonciation est, néanmoins, soumise à des conditions :
1) le renonçant doit avoir la capacité de donner (être sain d’esprit et le consentement doit être exempt de vices)
2) La renonciation nécessite l’accord du parent-donateur.
3) L’acte de renonciation doit préciser les bénéficiaires de la renonciation
4) La renonciation ne peut créer des obligations à la charge du donateur (pour éviter les chantages)
5) L’acte de renonciation doit être passé devant deux notaires.
… et un bémol sur la révocabilité
Notons cependant que la décision de renonciation n’est pas irrévocable, ce qui introduit un élément de fragilité. Le renonçant pourra ainsi demander la révocation de sa renonciation s’il est dans un état de besoin qui disparaîtrait s’il n’avait pas renoncé à ses droits. Cette notion « d’état de besoin » est floue, ce qui risque d’être une source d’insécurité juridique. Deux éléments tentent de limiter cette incertitude potentielle : l’action doit être introduite dans un délai d’un an à compter de l’ouverture de la succession et la révocation ne sera prononcée qu’à concurrence des besoins du renonçant.
2/ Faciliter la transmission du patrimoine à des générations différentes
Autre innovation : la « donation-partage transgénérationnelle ». Ainsi, un grand-père pourra transmettre tel bien à un de ses deux fils et tel autre bien aux enfants de l’autre fils, sur la part de réserve de ce-dernier. Au décès du grand-père, les gratifiés (petits-enfants) seront réputés tenir leurs droits de leur auteur. Fiscalement, l'administration ne percevra les droits qu'une fois, selon le régime fiscal applicable aux petits-enfants, sans remise en cause lors du décès de l'enfant.
De même, désormais, les enfants issus d’unions différentes pourront participer à une même donation-partage pour y recevoir, aussi bien des biens propres de leur auteur que des biens communs, sans que l’autre époux ne soit codonateur. Fiscalement, tous bénéficieront dans cette hypothèse, du tarif en ligne directe sur l'intégralité de la valeur du bien donné
Rappelons que la donation-partage est l’acte par lequel un parent organise, de son vivant, la transmission de ses biens à ses enfants, sauf exception, et ce, à titre de partage anticipé.
Ainsi, la réforme a élargi le champ d’application des donations-partages aussi bien s’agissant des personnes que concernant les biens objets de la transmission. L’ancien 1075 du code civil réservait les donations-partages aux seuls descendants. Désormais sont visés : les « héritiers présomptifs », c'est-à-dire tous ceux qui sont susceptibles d'être appelés à la succession, donc les frères et sœurs par exemple. De même, les donations-partages pourront se faire entre descendants de générations différentes, qu’ils soient ou non héritiers présomptifs du donateur. Ces dispositions - combinées avec la renonciation à l’action en réduction pour atteinte à la réserve - faciliteront la transmission du patrimoine à des générations différentes.
Enfin, s’agissant de l’avantage considérable concernant les donations-partages, qui est de retenir comme valeur d’évaluation des biens transmis celle du jour de la donation, ceci est également envisageable en cas de donation-partage transgénérationnelle, si deux conditions sont réunies : consentement de tous les enfants du donateur et absence de réserve d’usufruit portant sur une somme d’argent. Sinon c’est la valeur au jour du décès, compte tenu de l’état au jour de la donation qui sera retenue.
Attention, toutefois, les enfants non allotis ou n'ayant pas reçu toute leur part de réserve conservent une action en réduction, si et seulement s’il n’existe pas à l’ouverture de la succession d’autres biens pouvant composer leur part de réserve.
Donation-partage des droits sociaux d’une entreprise aux tiers est possible.
Pour assurer un équilibre et une continuité de son activité, il est possible, aujourd’hui comme hier, pour un chef d’entreprise de transmettre une partie de sa société à ses enfants et petits-enfants et une autre partie à ses salariés.
Jusqu’à présent, des personnes tierces pouvaient participer à une donation-partage que dans le cas où le bien transmis est une entreprise individuelle (loi du 5 janvier 1988), alors que la nouvelle loi étend la donation-partage en présence d’un tiers aux droits sociaux représentatifs d’une entreprise.
Donner un bien à une personne à charge pour celle-ci de le remettre à une autre.
Le chef d’entreprise, à la veille d’une retraite, peut désormais transmettre ses activités à son jeune enfant, en faisant transiter ce patrimoine professionnel par le patrimoine d’une autre personne (le conjoint par exemple).
La réforme bouleverse en effet les règles en la matière. Alors que le projet gouvernemental comportait peu de dispositions concernant « les libéralités graduelles et résiduelles », les parlementaires, quant à eux, ont adoptés un certain nombre de propositions très intéressantes. Dans ces deux cas, le second gratifié tient ses droits de l’auteur de la libéralité. En présence d’un enfant handicapé, ces techniques seront à conseiller.
S’agissant des libéralités graduelles qui supposent la transmission successive d’un bien (conserver en nature un bien reçu pour le transmette, à son décès, à une personne désignée par le donateur), le principe a été renversé : les substitutions sont désormais valables peu importe l'existence d'un lien de filiation existant entre le disposant et les bénéficiaires successifs, alors qu’en l’état actuel elles ne sont autorisées que sous conditions strictes (cadre familial).
Néanmoins, la substitution ne peut avoir lieu à l’infini : la charge est limitée à un degré.
S’agissant des libéralités résiduelles, c’est-à-dire des libéralités consenties par une personne au profit d’une autre à charge pour cette dernière de transmettre à une personne déterminée ce qu’il reste de la libéralité, elles pourront à l’avenir concerner aussi bien les donations que les legs. Dans cette hypothèse, la charge ne peut grever la part de réserve du premier gratifié (sauf à prévoir la renonciation à l’action en réduction, analysée ci-dessus) et ce dernier peut vendre le bien reçu sans que les biens acquis en remploi ne profitent au second gratifié. Mais le premier gratifié ne peut léguer les biens reçus, ni les donner si le donateur prévoit une telle clause. Ainsi, une personne pourrait léguer à son conjoint tout ou partie de son patrimoine, dont son entreprise, ses enfants consentent à renoncer à leur action en réduction pour atteinte à la réserve. Au décès du conjoint, les enfants retrouveront éventuellement leur propriété.
A noter enfin qu’ici aussi, au niveau fiscal, il n’y aura pas de double imposition.
|