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Allocution de Monsieur Pascal CLEMENT, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux

Mesdames, Messieurs,

Je suis particulièrement heureux de pouvoir m'exprimer devant un public composé d’aussi éminentes personnalités, d’universitaires réputés et de professionnels du droit. Je le suis d'autant plus que nous sommes dans un lieu, le Centre sino-français de formation et d'échanges notariaux et juridiques, qui constitue un pôle d'excellence reconnu et un beau point de référence pour attester de l’excellente qualité de nos échanges juridiques bilatéraux.

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Dans une société devenue mondialisée, je crois que le droit et la pratique juridique, sont devenus des enjeux économiques de première importance.

Le diversité des règles économiques est désormais pleinement intégrée dans toute stratégie d’entreprise, tant pour conquérir des marchés, pour gagner des contrats que pour conforter des positions fortes dans le monde des affaires internationales.

Dans le même temps, l’idée d’un « marché du droit » ne cesse de se renforcer grâce aux échanges croissants qui s’établissent entre les étudiants, les enseignants et les professionnels du droit tous issus de pays et de traditions diverses. Nous assistons à la formation d’une véritable « communauté » universelle de juristes où chaque membre est entraîné à utiliser et à s’approprier les domaines d’excellence des différentes législations au seul bénéfice de ses prescripteurs et sans trop se soucier d’un quelconque nationalisme juridique.

Le droit constitue bien un élément à part entière de l’attractivité économique d’un pays.

C’est là, plus qu’hier, une vérité d’évidence et la France entend bien continuer à en tirer toutes les conséquences en termes d’adaptation et de modernisation de son système juridique sans pour autant renoncer à ce qui fait l’originalité de sa tradition.

Notre pays se refuse ainsi à toute forme d’uniformisation des systèmes juridiques. Ma ferme conviction, partagée je le sais par beaucoup d’entre vous, est que nous n'avons pas - les uns  ou les autres - à nous couler dans un « moule  unique » sous le fallacieux prétexte de la recherche d'une efficacité, à mon sens plus volontiers proclamée que véritablement démontrée.

Osons le répéter avec force.

Nul droit n'est par « essence » supérieur aux autres. Chaque système juridique possède ses avantages et aussi ses inconvénients, ses points forts et ses faiblesses. Aucun ne peut prétendre à une absolue et complète supériorité sur tous les autres.

Il est donc de l'intérêt bien compris de chacun de nos pays, confrontés à l’intensité de la compétition économique internationale, de préserver au mieux ses traditions et sa culture juridiques, tout en favorisant les  évolutions inspirées des meilleures expériences étrangères.

C’est ce chemin original que la finance veut emprunter.

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Il existe d’un côté des pays de culture juridique dite de « Common Law », d’origine anglo-saxonne, et de l’autre des Etats qui se sont dotés d’un système juridique de droit écrit, le plus souvent codifié. Ces derniers – le fait est assez peu souvent rappelé - représentent près de 60% des pays dans le monde !

Le droit chinois comme le droit français appartiennent à cet ensemble fortement inspiré par la tradition civiliste.

Nous nous trouvons ainsi côte à côte, la France et la Chine, pour mesurer à son juste niveau la portée des critiques qui, sous couvert d’évaluer l’efficacité du droit des pays dans le monde de l’économie, s’appliquent en fait  à ériger la « Common law » en modèle unique de référence.

Dès lors, plutôt que de m’en tenir à une attitude stérile de confrontation entre les systèmes, je préfère souligner devant vous les atouts du droit continental et plus précisément ceux du droit romano-germanique sur lequel repose notre système français.

Ce droit présente la particularité d’être un droit écrit facilement accessible et compréhensible pour tous les justiciables. Pour autant, la précision de ses règles  n’entrave pas le libre travail d’interprétation du juge afin de permettre aux règles de s’adapter aux évolutions de la société.

Les influences réciproques qui existent entre la loi, la jurisprudence, la pratique et la doctrine ont forgé un ensemble original, riche, en constante évolution et pour tout dire profondément moderne.

C’est un droit qui a su épouser la complexification croissante de la vie actuelle, notamment dans le monde des affaires, tandis que les grands principes sur lesquels il s’est construit restent les garants de sa cohérence et de sa pérennité.

La France a ainsi toutes les raisons de rester très attachée au modèle de droit continental et de chercher à en assurer la plus large promotion. C’est en ce sens que nous avons récemment créé, sous l'impulsion du Président de la République, une Fondation dont la mission précisément consiste à en diffuser les principes et  à en valoriser les meilleures réalisations.

Nous avons souhaité en faire une véritable structure d’émulation. La Fondation pour le droit continental répond ainsi à  trois objectifs majeurs :

·        renforcer la présence internationale des acteurs du droit, principalement dans le domaine économique,

·        soutenir les entreprises dans la maîtrise du risque juridique et judiciaire à l’international,

·        et enfin, mettre en œuvre une stratégie d’influence, notamment envers les bailleurs de fonds internationaux.

 

Dotée d’une structure souple, la Fondation réunit quatre catégories d’intervenants sur la scène juridique - les entreprises, les pouvoirs publics, les professionnels du droit et du chiffre, l’enseignement supérieur -.

J’ai personnellement souhaité que les besoins du secteur privé soient mieux pris en compte. C’est la raison pour laquelle ce secteur joue au sein de l’institution un rôle d’animation tout à fait prépondérant.

La Fondation est en voie d’être complètement finalisée et, dès à présent, son association de préfiguration s’engage dans des actions concrètes et opérationnelles, notamment en partenariat avec d’autres Fondations étrangères.

Ce nouvel instrument est bien à la hauteur de nos ambitions.

Nous voulons associer la communauté des juristes à travers le monde. La Chine, de ce point de vue, présente un intérêt stratégique majeur. Nous pouvons en effet faire beaucoup de choses ensemble comme en témoigne la journée de formation en Chine sur la gestion des contentieux qui est actuellement en préparation et qui est très attendue par les professionnels.

D’autres actions ont par ailleurs été lancées. Elles sont déjà un grand succès. Je veux parler de la mise en place dès septembre 2002 du programme « cent juges » qui programme sur cinq ans la formation en français de magistrats chinois ou encore, plus récemment, de la signature de conventions de coopération entre la Cour supérieure de Pékin, le tribunal de commerce de Paris et le Tribunal de Grande Instance de Paris, de la convention qui vient d’être signée entre le Parquet général et le Parquet suprême de la Cour de Chine en vue d’organiser des échanges et des travaux en commun. Enfin, je me réjouis que des discussions se déroulent actuellement entre la Cour supérieure de Wuhan et la Cour d’appel de Bordeaux pour formaliser des actions de coopération.

En cherchant à promouvoir le droit continental, notre but n’est cependant pas d’établir une forteresse. Il nous arrive même, comme cela a pu être le cas ces dernières années, de nous inspirer ponctuellement des dispositions issues de la « Common Law » !

La position de la France est donc parfaitement claire.

Nous ne croyons pas à l’efficacité « par nature » d’un modèle unique. One size fits all, comme disent parfois les anglo-saxons -. 

Nous ne craignons pas de revendiquer, comme la Chine le fait avec conviction, les qualités du droit écrit. Ces qualités – sécurité, transparence, prévisibilité -  sont d’ailleurs appelées à jouer un rôle de plus en plus déterminant dans un monde où les acteurs sont nombreux mais ne présentent pas tous le même degré de fiabilité.

La filiation romano-germanique de notre tradition juridique ne constitue pas un frein à une ouverture à d'autres traditions, dés lors que celles-ci peuvent apporter une contribution utile à la solution de problèmes complexes.

Voilà quelles sont les raisons de fond qui ont motivé et qui motivent encore notre distance – le mot est faible – vis-à-vis de l’approche adoptée par la Banque Mondiale au travers de ses différents rapports « Doing Business ».

La vive et légitime sensibilité que nous avons marquée sur le traitement de ces questions par la Banque mondiale est aussi celle de la communauté juridique chinoise, dont je sais qu’elle partage notre ambition de promouvoir les qualités du droit écrit.

Au reste, c’est la méthodologie même de l’élaboration de ces rapports qui paraît contestable, et pour tout dire dépourvue de l’élémentaire consensus scientifique qui aurait été nécessaire.

Qu’on en juge … Dix critères seulement suffisent selon ces rapports pour évaluer tout l’environnement des affaires !

En réalité, nous nous trouvons face à une « méthodologie » qui s’appuie presque entièrement sur une philosophie déclinée sans nuance et, dont le postulat de base est que, tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à un corpus de règles est néfaste à la vie des affaires.

Une telle approche est regrettable, et je n’ai cessé, avec l’ensemble de la communauté juridique française, de la contester.

Ma conviction est qu’en effet la vie économique a besoin de règles précises et claires pour garantir la sécurité des transactions, pour s’assurer de la transparence des contrats et enfin pour garantir l’accès au droit à chacun.

Le « moins disant », en matière de régulation et de procédure, n’est donc pas forcément un synonyme de progrès.

Dès lors, mon sentiment est que les rapports « Doing Business » fondent leurs analyses sur une approche trop simplificatrice du droit.

Peut-on du reste prendre sérieusement en considération un rapport qui met la France au 35ème rang mondial pour sa facilité à faire des affaires, et la Chine au 93ème rang ?

Face à cette vision à courte vue, je constate avec beaucoup de satisfaction que la Chine et la France ont adopté des positions critiques très sembables.

Nos deux pays ont d’ailleurs tout intérêt à associer leurs efforts, à se rapprocher pour échanger, se concerter et coopérer.

Pour mieux illustrer encore notre position, je voudrais évoquer devant vous, puisque nous nous trouvons au Centre sino-français de formation et d'échanges notariaux et juridiques, un exemple tout à fait significatif. C’est celui de la prise en compte de la sécurité juridique des transactions immobilières, celle-là même qui est parfaitement garantie dans nos deux pays par l'intervention des notaires. Il est tout à fait frappant de constater que cette dimension, pourtant essentielle de la vie des affaires, reste mal comprise, pour ne pas dire tout simplement ignorée par les rédacteurs de « Doing Business ».

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Je ne saurais conclure mon propos d’aujourd’hui sans rendre un vibrant hommage au travail remarquable effectué par le Centre sino-français de formation et d'échanges notariaux et juridiques.

Ce Centre est en effet devenu depuis six ans un lieu d'intense coopération juridique entre nos deux pays, une coopération basée sur la connaissance réciproque des systèmes juridiques et sur les échanges entre professionnels et universitaires.

Son ambition, que je souhaite encourager, est d'accroître et de diversifier son activité en s'ouvrant à d'autres partenariats. Voilà, je le crois, un instrument extraordinaire propre à favoriser les échanges entre les professions juridiques de nos deux pays et j’espère, qu'à l'avenir, il pourra continuer à proposer des modalités originales de coopération, mettant l'accent sur les pratiques et les expériences de terrain.

J’observe que les avocats français eux aussi  ont de leur côté développé plusieurs formes de coopération, au nombre desquelles figure l'installation de cabinets en Chine. Ils ont pu mettre en œuvre à travers l'association franco-chinoise pour le droit économique (AFCDE) des actions de coopération remarquées entre les barreaux de nos deux pays. Le dynamisme de l 'AFCDE permet aujourd’hui à l'ensemble des professionnels de mieux connaître et de diffuser le droit économique.

 

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Mesdames, Messieurs,

Comme vous le voyez, la coopération entre la France et la Chine dans le domaine du droit et de la pratique juridique est  dense et tout à fait prometteuse.

Les perspectives sont immenses et je souhaite ardemment que notre coopération puisse encore s’amplifier et rayonner dans tous les domaines.

Cette coopération doit aussi, pour notre plus grand profit à tous, associer d'autres partenaires. Je sais que la Commission européenne et la Chine négocient actuellement les termes d’un projet relatif à la création d'une école de droit euro-chinoise.

Sachez que la France se prépare, dès maintenant et avec d’autres pays de l’Union européenne, à apporter le moment venu son active contribution à cet ambitieux projet.

Je vous remercie de votre attention, et surtout de votre engagement dans la coopération juridique franco-chinoise.

 


 

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