Le notaire est, traditionnellement, le conseiller par excellence des familles, particulièrement dans la gestion de leur patrimoine. Il connaît personnellement ses clients qui lui sont généralement fidèles. Cette fidélité s’explique, notamment, par le fait que les notaires doivent conserver pendant 100 ans les actes authentiques qu’ils établissent. Ainsi leurs clients savent qu’ils retrouveront chez lui la preuve des grandes opérations juridiques faites pendant leur vie, et celles de leurs ancêtres.
Le rôle du notaire auprès des familles s’exprime d’abord par le conseil. Le conseil est pour lui un devoir : il a la charge d’éclairer ses clients sur l’état du droit civil, commercial, fiscal et même, aujourd’hui, du droit international privé en raison de la mobilité des populations. Connaissant la situation patrimoniale et personnelle de ses interlocuteurs, le notaire leur démontrera les avantages et les inconvénients de telle ou telle opération et préconisera la solution qui lui paraît la meilleure.
C’est ainsi que l’aide du notaire jalonne les grands moments de la vie familiale, depuis le mariage jusqu’au décès. Les actes qui accompagnent ces grands moments sont souvent des actes authentiques, mais ils peuvent aussi être des actes extérieurs au domaine réservé du Notariat. Par exemple, l’authenticité est imposée par le contrat de mariage, ainsi que pour les modifications ultérieures que les époux voudront apporter à leur régime matrimonial. Mais si ceux-ci décident de créer une ou plusieurs sociétés pour organiser une entreprise commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale, ils auront le choix entre une grande variété de modèles dont la réalisation peut se faire par des actes sous seing privé. Bien que l’on sorte alors du domaine de l’authenticité, c’est encore le notaire, parfois assisté d’un expert comptable, qui guidera ses clients vers les formules les plus appropriées aux personnes et à leur situation. Ce devoir de conseil, s’il est mal exercé, expose l’officier ministériel à une responsabilité civile professionnelle pour faute.
Le rôle du notaire en matière familiale est particulièrement décisif, et même exclusif, quand il s’agit de préparer la transmission héréditaire du patrimoine entre générations qui se succèdent. Le droit français incite de plus en plus les personnes à préparer de leur vivant leur future succession. Dans cette perspective, il est possible de procéder par donation ou testament. Les donations se font par acte authentique à l’exception des dons manuels portant sur des sommes d’argent ou des objets mobiliers. Quant aux testaments, les deux modèles les plus répandus sont la forme authentique et la forme olographe qui est sous seing privé. Il est rare que les donations entre vifs portent sur la totalité du patrimoine des donateurs. Par suite, la grande majorité des successions donne lieu à un partage lorsqu’il existe plusieurs héritiers. Le notaire est alors l’auxiliaire indispensable dont les héritiers ont besoin pour liquider l’actif et le passif de la succession et aboutir à un partage nécessairement authentique s’il y a des immeubles dans la masse indivise.
Le droit français des successions et des libéralités (Titres I et II du Livre III du Code civil) vient d’être profondément réformé par une loi du 23 juin 2006. Cette réforme a sensiblement accru le rôle du Notariat dans la préparation des successions futures. Une institution nouvelle apparaît sous le nom d’un « mandat à effet posthume » qui doit être donné par le mandant et accepté par le mandataire en la forme authentique avant le décès du mandant (articles 812 à 812-7 nouveaux du Code civil).
Le mandataire aura pour mission l’administration ou la gestion de la succession pendant un délai variable selon les cas, de deux ou cinq ans, que le juge peut proroger. Ce mandat doit être justifié par un intérêt légitime et précis, lié à la personne d’un héritier (jeunesse, handicap, etc.) ou au patrimoine successoral (entreprise commerciale ou libérale, etc.). Il peut porter sur l’ensemble de la succession ou sur un bien déterminé. La situation qui en résulte porte une atteinte sérieuse à la propriété de l’héritier, qui possède normalement la maîtrise de l’héritage. Elle le prive momentanément de la possession des biens successoraux. C’est dire que le notaire devra exercer soigneusement son devoir de conseil envers le client qui lui demande de recevoir un acte authentique portant ces lourdes conséquences.
Une autre loi, en date du 5 mars 2007, réformant la condition des majeurs protégés, introduit dans le droit civil français un second exemple de mandat authentique à effet différé. Ce mandat, dit « de protection future », est une mesure de précaution prise par une personne pour le cas où il lui deviendrait impossible de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération de ses facultés mentales ou physiques (articles 477 à 491 nouveaux du Code civil). La même mesure peut aussi être décidée par des parents pour le cas où un enfant à leur charge ne pourrait pas pourvoir seul à ses intérêts.
Le mandataire choisi par le mandant peut être une personne physique ou une personne morale légalement habilitée. Sa fonction est de représenter dans les actes de la vie civile la personne dont les facultés mentales ou physiques sont altérées ; elle peut être étendue à la protection de la personne elle-même. La durée du mandat de protection future est variable. Il débute lorsque survient le handicap en vue duquel il était prévu ; il prend fin si l’état de santé de la personne protégée se rétablit ou si cette dernière vient à décéder. Dans le détail, les règles de ce mandat sont complexes, ce qui justifie amplement l’intervention d’un notaire et la forme authentique de l’acte.
D’autres innovations, également très importantes, ont été apportées par la loi du 23 juin 2006 en matière de donations. Certaines tiennent compte de l’allongement de la vie humaine et permettent d’attribuer directement tout ou partie de la succession à la deuxième génération, c’est-à-dire aux petits-enfants du défunt. Il faut évidemment que l’héritier de la première génération renonce en tout ou en partie à hériter de son parent : il s’efface au profit de ses propres enfants. Ceci peut permettre de répartir l’héritage entre une première génération qui a de cinquante à soixante ans et une seconde de vingt à trente ans, la première approchant de la retraite et la seconde abordant la vie active. Sur ce thème de la « donation transgénérationnelle », la flexibilité de la loi permet de multiples combinaisons que le notaire pourra adapter aux situations familiales en tenant compte du nombre de successibles, de leurs besoins et de la composition du patrimoine successoral.
Une autre forme nouvelle de donation est apparue dans la loi de 2006 sous le nom de « libéralités graduelles ». Elle a pour singularité de comporter pour le donataire l’obligation de conserver durant sa vie les biens donnés qui adviendront après sa mort à des personnes désignées par le donateur. Cette formule permet par exemple d’attribuer à un enfant handicapé des biens dont les revenus assureront sa subsistance et dont ses frères ou ses neveux bénéficieront après sa mort. Autre exemple : un mari fait une libéralité graduelle à sa seconde épouse en disposant que les biens échoiront, à la mort de celle-ci, à ses propres enfants et non aux enfants que sa femme a pu avoir lors d’une précédente union. Ici encore, il est clair qu’un notaire avisé pourra bâtir des solutions originales adaptées à la diversité des problèmes familiaux qu’il rencontrera dans sa pratique.
Ces modifications profondes apportées au système successoral français ont pour caractéristique commune la part croissante faite au pouvoir des volontés individuelles aux dépens des dispositions impératives de la loi. La régression de l’ordre public est particulièrement nette en ce qui concerne la réserve héréditaire, c’est-à-dire la part intangible que tout enfant ou descendant devrait recevoir. C’est ainsi que dans la donation transgénérationnelle, l’héritier du premier degré renonce à tout ou partie de ses droits en faveur de sa descendance. Dans la libéralité graduelle, le premier gratifié renonce au pouvoir de disposer des biens qu’il reçoit pour qu’ils puissent bénéficier à d’autres après sa mort.
Il est même permis par la nouvelle loi qu’un héritier réservataire présomptif renonce par avance à attaquer des libéralités non encore réalisées qui porteraient atteinte à sa part de réserve. Cette décision est si lourde de conséquences que le législateur exige la présence de deux notaires pour recevoir cette renonciation anticipée.
Commentant la loi du 23 juin 2006, un auteur a écrit : « La réforme vaudra ce que le Notariat en fera ». Cette reconnaissance du pouvoir notarial est un hommage à la créativité des officiers ministériels, mais en même temps une mise en garde contre un excès de timidité ou d’audace. Souhaitons leur de réussir.