Menée par M. SHANG Zhongqiang, conseiller permanent de l’Association du Notariat de Shanghai, la délégation shanghaïenne était en France du 23 juin au 7 juillet pour une formation sur les systèmes juridique et judiciaire en France et notamment sur son institution notariale. Cette délégation était composée de notaires, de juges et de fonctionnaires de l’administration de la Justice. Cette formation portait sur le rôle et le fonctionnement des juridictions françaises de chaque degré, le champ d’activités des notaires en France, les conditions d’accès à la profession notariale, la garantie professionnelle, la rédaction des actes notariés et leurs effets. Grâce à cette formation et aux échanges approfondis avec nos homologues français, nous avons pu non seulement acquérir des connaissances sur les principaux éléments du système notarial français, mais aussi sur les fondements de ce système, ce qui nous a beaucoup inspiré.
- La structure principale du système notarial français
I- Panorama du notariat français
En France, le notariat est une profession ayant une longue histoire. Aujourd’hui, on compte plus de 8 546 notaires dans toute la France, dont 17% sont des femmes. L’âge moyen d’un notaire en exercice est 49 ans. Il y a plus de 51 000 collaborateurs dans les études. Le nombre d’études notariales en France est de 4 502. Les notaires français interviennent principalement dans les domaines de l’immobilier, de la construction, des affaires d’entreprise et familiales. Les prêts bancaires font partie des activités des notaires. Cependant, les notaires n’ont pas le monopole dans ces domaines et sont en concurrence directe avec les avocats. Lors de son intervention au cours d’une transaction immobilière, le notaire perçoit au nom de l’Etat un droit de mutation. Depuis ces dernières années, les notaires français ont étendu leurs domaines d’activités à de nouvelles activités telles que : la participation à la négociation des transactions immobilières, au transfert d’une entreprise ou à la gestion du patrimoine personnel ; parallèlement à cela, les notaires, à demande d’un tribunal, interviennent dans la liquidation des successions, le partage des biens communs après un divorce et dans toutes sortes de médiation ou d’arbitrage.
II- Le statut juridique spécial du notaire et les effets juridiques spéciaux des actes notariés
« Les notaires sont les officiers publics, établis pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d'authenticité attaché aux actes de l'autorité publique. » Les termes de l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut du notaire déterminent le caractère double du notaire : à la fois professionnel libéral et officier public.
Grâce au statut spécial du notaire, l’effet juridique d’un acte notarié présente des avantages sans équivalent par rapport aux actes sous seing privé. De façon concrète, premièrement, un acte notarié a une date certaine et le notaire utilise toutes ses connaissances professionnelles afin de garantir que le contenu de l’acte respecte à la fois les volontés des parties en cause et les règlements. Il est donc incontestable sans procédure spécifique fixée par la loi. Deuxièmement, l’acte notarié a force probante. Classé premier dans la hiérarchie des preuves, il est considéré comme ‘la reine des preuves’. Troisièmement, l’acte notarié a force exécutoire, tout comme un jugement rendu par un tribunal. Contrairement à un acte sous seing privé, qui doit préalablement être présenté à un juge pour recevoir une exécution forcée, l’acte notarié peut être directement remis à un agent d’exécution tel un huissier de justice.
III- Formation des notaires : formation initiale et formation continue
Vu le statut spécial des notaires et les effets juridiques spéciaux des actes notariés, l’accès à la fonction notariale et la nomination du notaire est une procédure complexe. En France, il existe deux voies pour accéder à la profession notariale : la voie universitaire et la voie professionnelle. Peu importe la voie choisie, un haut niveau d’études d’au moins 7 ans est requis pour être notaire. Le tableau suivant montre de façon claire le cursus à suivre pour devenir notaire.
En vertu des dispositions du Règlement national de la profession, le notaire a l’obligation de se former durant toute sa carrière : chaque notaire doit recevoir au moins 30 heures de formation par an. Ainsi, la Chambre des Notaires organise chaque année des formations portant sur les nouvelles lois ou sur des connaissances nécessaires à la pratique notariale. Ces dernières années, de nombreuses réformes en matière des droits des successions, de l’urbanisme et des sûretés sont entrées en vigueur. Par exemple, la réforme dans le domaine des successions a augmenté la part du conjoint vivant et diminué celles des parents ; elle a simplifié la dévolution successorale et précisé le délai de remboursement de la dette du défunt par son héritier. Elle a supprimé les limites de la donation. Toutes les Chambres des Notaires de France ont donc organisé des formations sur ces sujets.
IV- Les garanties de la profession : l’assurance couvrant l’exercice des notaires et la caisse de garantie
Le conseil supérieur du Notariat (CSN) signe, au nom de tous les notaires français, un contrat principal d’assurance avec une compagnie d’assurance. Ce contrat est renouvelable tous les trois ans. Ce contrat d’assurance couvre tous les évènements à l’exception de ceux que le contrat interdit expressément. Les événements ne pouvant pas faire l’objet de l’assurance sont généralement : dommage causé au client par une faute ou négligence intentionnelle du notaire, préjudice causé par la pratique du notaire d’opérations interdites dans le cadre de ses fonctions, perte que subit le client en raison de comportements criminels du notaire. Le plafond d’indemnisation s’élève à 30 millions d’euros. Le contrat signé entre le CSN et la compagnie d’assurance couvre outre le notaire dans l’exercice de ses fonctions, également le dommage des biens matériels et la responsabilité civile du gérant de l’étude notariale. Une commission technique est chargée de l’indemnisation. Cette commission est composée de représentants de la compagnie d’assurance, de notaires, de la Société de la Sécurité Nouvelle (intermédiaire de l’assurance) et d’avocats. Chaque Cour d’appel comporte une commission de ce type.
Concernant les dommages causés par des comportements qui ne sont pas couverts par le contrat principal, c’est à la Caisse de Garantie de s’en occuper. La Caisse de Garantie intervient par exemple, dans les dossiers où il y a exclusion de la garantie du contrat d’assurance ou lorsque la franchise de chaque indemnisation... En effet, la compagnie d’assurance fixe un montant de franchise pour chaque indemnisation. Ce montant dépend de l’indemnité mais son plafond est fixé à 7 500 euros.
Dans chaque ressort de cour d’appel existe une caisse régionale de garantie. Le Conseil régional est chargé de sa gestion. Chaque caisse de garantie a le statut d’une personne morale civile. Dotée du statut de personne morale indépendante, la Caisse centrale de garantie se trouve à Paris. Sous la direction du CSN, le rôle principal de la Caisse centrale est de contrôler, de coordonner, de surveiller les caisses locales, d’établir les politiques d’indemnisation vis-à-vis des victimes au niveau national ainsi que de gérer l’ensemble des fonds de garantie. Ce mécanisme de garantie collective est unique parmi les professions juridiques.
Grâce à ce système d’assurance interne et de garantie externe, les risques pour la profession notariale sont contrôlés. Les notaires français peuvent ainsi effectuer pleinement et sans souci leur travail.
V- L’activité principale du notaire français : la transaction immobilière
De tous les types d’actes notariés, celui de la vente immobilière est le plus important. C’est un acte sans lequel le client ne peut accomplir l’enregistrement auprès de la Conservation des Hypothèques. En effet, le certificat de propriété immobilière n’existe pas en France. L’acte notarié sert donc de titre de propriété immobilière pour le client. Les actes notariés sur la vente immobilière sont une source importante des revenus du notaire. C’est pourquoi l’immobilier est un domaine important dans les activités du notaire.
Généralement, la vente se déroule comme suit :
Tout d’abord, le vendeur et l’acheteur signent une promesse de vente devant le notaire. Trois mois plus tard, les deux parties signent le contrat de vente. Entre temps, avec cette promesse de vente l’acheteur peut demander un prêt auprès d’une banque et des documents administratifs auprès de la mairie.
Pendant cette période, afin de protéger le droit à l’information ainsi que les droits et intérêts de l’acheteur et de la banque, le notaire s’assure des éléments suivants : 1- que le vendeur est bien le véritable propriétaire de l’immeuble ; 2- que toutes les transactions portant sur l’immeuble ayant eu lieu dans les 30 années précédant le jour de la signature de la promesse de vente sont légales (en droit français, il y a prescription pour tout procès immobilier datant de plus de 30 ans) ; 3- l’état de l’immeuble et du voisinage ; 4- les risques que présente l’immeuble, par exemple, possibilité d’inondation, état du chauffage ou encore solidité des murs ; 5- que l’avis de la mairie a bien été demandé si celle-ci bénéficie d’un droit de préemption pour des opérations d’ intérêts généraux.
Les deux parties ont la possibilité de changer d’avis avant de signer le contrat. La responsabilité juridique engagée dépend de la date du changement d’avis. Dans les 7 jours suivant la signature de la promesse de vente, les deux parties peuvent changer d’avis sans qu’aucune responsabilité ne soit engagée ; si la banque refuse le prêt (dans les 30 jours d’examen de la demande de prêt par la banque), la transaction immobilière prend fin ; si l’une des partie change d’avis après que la banque ait donné son accord pour le prêt, elle doit engager sa responsabilité d’indemnisation en vertu de ce qui est stipulé dans la promesse de vente.
Une fois l’accord de la banque pour le prêt obtenu, les deux parties peuvent signer le contrat de vente. Le jour de la signature de ce contrat, l’acheteur doit payer le prix de l’immeuble, rémunérer l’agent immobilier et le notaire. Le notaire doit préparer le contrat de vente immobilière et celui de l’emprunt hypothécaire. Suite à cela, le notaire doit aller à la Conservation des Hypothèques pour l’enregistrer. Afin d’éviter la vente d’un même immeuble à deux acheteurs, la signature du contrat de vente et l’enregistrement de l’hypothèque se font le même jour. Il faut noter que le montant versé par le client au notaire comprend non seulement la rémunération du notaire mais aussi le droit de mutation de l’Etat et les frais pour les formalités administratives.
VI- Le développement de la pratique notariale : vers une protection accrue des personnes vulnérables et une ouverture à l’international
Toutes les lois, réglementations et règles professionnelles d’aujourd’hui comportent des dispositions visant à assurer l’indépendance de la pratique des notaires et la protection des droits et des intérêts des parties en cause. En France, seul un acte notarié sur dix mille risque d’entraîner un conflit. Cela reflète le rôle du notaire dans la garantie de la sécurité juridique. De nos jours, les notaires français cherchent à protéger les intérêts des parties en cause de façon plus approfondie, c’est-à-dire en mettant l’accent sur la protection des personnes vulnérables. Par exemple, lorsqu’il s’agit d’une vente immobilière, le notaire privilégiera la protection de l’acheteur car ce dernier n’a pas beaucoup d’informations sur cet immeuble. La loi donne à l’acheteur le droit d’être informé. En tant que juriste, le notaire doit s’assurer par conséquent que l’acheteur dispose d’informations suffisantes sur l’immeuble en question. C’est pourquoi les promesses de vente font souvent plus de 50 pages : le notaire doit s’assurer que les façades sont propres, qu’il n’y a pas de risque pour la santé, que les installations internes sont propres, que le voisinage est bien et que le sol n’est pas pollué.
La complexité de l’environnement législatif, tant national qu’international, a conduit nombre de notaires à se spécialiser dans un domaine. Les échanges entre les notaires de différents pays sont devenus de plus en plus fréquents. L’Union Internationale du Notariat latin fournit une plate-forme pour ces échanges internationaux. Aujourd’hui, les notaires français se forment aux langues étrangères afin que les échanges internationaux soient facilités.
- Propositions inspirées par le système notarial français pour développer le notariat chinois
I- La mise en place de notaires experts
La spécialisation des notaires français nous a beaucoup impressionné. Dans chaque étude notariale, les notaires sont spécialisés selon leurs compétences dans tel ou tel domaine : par exemple, dans les transactions immobilières, le droit de la famille ou encore le droit des sociétés. Au sein même du domaine des transactions immobilières, on distingue la promotion immobilière et la vente des anciens appartements. Le notaire étant spécialisé dans ce domaine, le client lui accorde facilement son respect et sa confiance.
Ce n’est pas du tout le même cas chez nous. En Chine, le notaire est souvent ‘généraliste’. Ce système a bien sûr son avantage. Cependant, il faut admettre qu’avec ce système chacun voit sa compétence limitée. A force de toucher à tous les domaines, il est difficile d’approfondir un domaine en particulier. Ceci explique pourquoi nos notaires ne sont pas suffisamment compétents face à des problèmes juridiques complexes. En Chine, la non spécialisation de la profession notariale a conduit à des problèmes délicats : comme tel notaire ne présente pas d’avantages en matière juridique par rapport à un autre notaire, le client peut le remplacer lors de son service, et par conséquent, quand le client choisit son notaire, ce n’est pas sur le critère de sa compétence. Le client choisit probablement le notaire en fonction d’autres éléments, ce qui peut entraîner une concurrence déloyale.
A notre avis, il faut établir dans les meilleurs délais un système de notaires experts. Actuellement la réussite du Concours national en matière juridique est une condition obligatoire pour devenir notaire, ce qui est très favorable à la mise en place de notaires experts. Nous sommes persuadés que ce système peut voir le jour très rapidement si toute la profession notariale s’y consacre.
II- Définition du statut juridique des notaires
La loi française a bien précisé le statut juridique des notaires : d’après le texte précité, ils sont à la fois officiers publics – nommés par le Ministère de la Justice, délégués par l’Etat et recevant un tarif fixé par l’Etat ; et membres de la profession libérale – l’étude notariale sous forme d’associés est responsable de ses profits et de ses pertes. Chez nous, en revanche, il n’y a pas de définition précise ni du statut juridique des notaires, ni de celui des études notariales. En vertu de l’article 6 de la « Loi sur le Notariat » promulguée le 28 août 2005 et entrée en vigueur le 1er mars 2006 : ‘L’établissement notarial est un établissement d’attestation créé conformément à la loi et sans but lucratif, qui, conformément à la loi, exerce indépendamment les fonctions notariales et assume la responsabilité civile.’ Cet article, cependant, ne précise pas quelle est la nature d’un « établissement d’attestation ». Est-ce un service d’Etat, une entité d’intérêt général ou une étude associée ou coopérative ? De la même manière, les notaires qui travaillent dans une étude notariale donc dans un établissement d’attestation sans nature précise, ont un statut ambigu. Ce manque de précision de la nature des études et des notaires conduit à un rôle relativement réduit des notaires dans le milieu juridique par rapport aux magistrats et aux avocats. De la même manière, le système notarial a été très affaibli.
Nous proposons donc de préciser, au niveau législatif, le statut des notaires et celui des études. Ceci est un élément clé pour le développement futur de la profession notariale.
III- La formation de la profession : à la fois théorique et pratique
Le mode de formation en matière notariale, que ce soit la formation par la voie universitaire ou la voie professionnelle avant d’accéder à la profession notariale ou la formation continue durant toute la carrière nous a beaucoup inspirés. Premièrement, il est difficile de devenir notaire en France, car il faut avoir effectué au moins 7 années d’études en droit et 2 ans de stage à temps plein. Par rapport à la France, il est plus aisé de devenir notaire en Chine. Depuis que le Ministère chinois de la Justice a pris la qualité des notaires en considération, de nos jours, il faut pour être notaire en Chine : avoir un diplôme de licence, réussir le Concours national en matière juridique et enfin effectuer deux ans de stage dans une étude. Ceci est vraiment un grand progrès. Deuxièmement, la formation des notaires en France est à la fois théorique et pratique. Chez nous, pour des raisons pragmatiques, la pratique l’emporte sur la théorie. Cependant, sans une base solide en théorie, un notaire n’arrivera pas à résoudre des problèmes complexes. Troisièmement, en France, la formation continue des notaires prend son sens. Chez nous, un système similaire de formation continue annuelle pendant un nombre d’heures fixe s’applique aussi. Toutefois, en Chine cette formation est superficielle, et ce pour deux raisons : 1) les notaires n’ont pas assez de conscience professionnelle pour se former ; 2) les sujets de formation sont mauvais et n’intéressent pas les notaires. A notre avis, il faut commencer par améliorer le contenu de la formation afin que la formation continue puisse jouer son rôle.
IV- L’acte notarié, résultat du travail intellectuel du notaire
L’acte notarié rédigé par le notaire français fait souvent des centaines de pages, voire même quelques mètres de longueur. Il est le résultat d’un travail intellectuel et le fruit des connaissances spécialisées et du dévouement du notaire. Chez nous, au contraire, l’acte notarié est relativement bref, moins de deux pages. On ne peut pas distinguer les notaires selon les actes notariés. Ainsi, les notaires n’ont pas besoin de se former et ils sont interchangeables. Dans le même temps, un autre phénomène est à constater : la forme standare de l’acte notarié ne permet pas de montrer le temps et l’énergie que le notaire a passé sur les enquêtes et les analyses juridiques. Cela montre le non-respect du travail des notaires. Nous proposons donc de modifier les formes actuelles des actes notariés afin de donner plus de liberté aux notaires dans la rédaction des actes. En outre, il faut permettre aux notaires d’ajouter des pièces jointes aux actes notariés lorsqu’ils le jugent nécessaires ou à la demande du client.
V- Définition de l’intervention obligatoire du notaire
La tranquillité des notaires français et l’honneur qu’ils portent à leur profession proviennent de la reconnaissance de leur statut par la loi mais également des dispositions sur l’intervention obligatoire du notaire. En Chine, les notaires n’ont pas cette protection juridique, ce qui est à l’origine de plusieurs problèmes dans la profession notariale. De nombreux textes sur ce point ont déjà été publiés et nous ne les répéterons donc pas ici.
[1] « Est loi ce que nous consignons »,Adage des notaires (de l’YONNE, vers 1830)
|