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Le démembrement dans la transmission à titre gratuit

Le démembrement dans la transmission à titre gratuit

 

Pierre-Jean MEYSSAN

Vice-président du Conseil Supérieur du Notariat, Notaire à Bordeaux

 

Mesdames, Messieurs,

 

Il me revient le privilège d’évoquer avec vous le démembrement de propriété en cas de transmission à titre gratuit.

 

En Introduction, je souhaite tout d’abord expliquer ce concept.

 

Le démembrement de propriété est une théorie juridique qui  provient du droit de l’Empire Romain, dans l’histoire antique de l’Europe occidentale.

Les juristes de l’empereur romain ont imaginé que le droit de propriété pouvait se découper en trois morceaux. Comme ils parlaient une langue ancienne, le latin, ces trois morceaux sont parvenus jusqu’à nous en conservant leur nom latin.

Le premier morceau du droit de propriété, c’est l’usus : l’usus c’est le droit d’utiliser le bien.

Le deuxième morceau c’est le fructus : le droit de tirer des fruits du bien.

Le troisième et dernier morceau, c’est l’abusus : seul, ce morceau ne sert à rien. Réunis aux deux autres, il donne au propriétaire le pouvoir ultime : celui de vendre son bien.

 

Opérer un démembrement de propriété, c’est dissocier ces trois droits les uns des autres. En France, l’opération la plus classique consiste à séparer les deux premiers droits du troisième. Les deux premiers droits réunis portent le nom d’usufruit. Par convention, les juristes français appellent le troisième droit la nue-propriété.

 

Le grand principe de ce démembrement, c’est qu’il est temporaire : Un jour, les trois morceaux devront être réunis sur la tête d’une seule et même personne.

Mais en attendant, deux personnes peuvent être titulaires des morceaux de propriété sur un même bien : le titulaire de l’usufruit s’appelle l’usufruitier, l’autre titulaire s’appelle le nu-propriétaire. Et en principe, la grande idée générale, c’est que l’usufruit est un droit qui est viager : l’usufruitier est titulaire de son droit pendant toute sa vie. À son décès, l’usufruit revient sur la tête du nu-propriétaire qui se retrouve alors plein propriétaire.

 

L’origine du démembrement de propriété peut être légale ou conventionnel.

 

Elle est légale le plus souvent en cas de décès. Pourquoi ? Parce que le législateur français a voulu protéger le conjoint survivant du couple, afin que, face au deuil qui le frappe, il conserve son cadre de vie. C’est ce que nous allons voir dans une première partie.

Mais le démembrement peut avoir une origine conventionnelle. C’est le propriétaire qui va, volontairement, transmettre la nue-propriété en se réservant, pour lui-même, le droit d’usufruit. Ce sera notre deuxième partie.

 

Tout d’abord voyons le démembrement de propriété issu de la loi dans le cadre du décès.

 

Au départ, l’idée peut paraître surprenante : pourquoi chercher à découper un droit de propriété ? Ne serait-il pas possible de transmettre seulement la pleine propriété ? Bien sûr, cela serait possible, mais cela ne correspondrait pas à la culture d’une partie de l’Europe occidentale qui a hérité du droit écrit, et donc, de la culture de l’héritage.

Cette culture qui est très ancrée en Europe, implique qu’en cas de décès, nos enfants sont nos héritiers de plein droit. Mais au fur et à mesure du temps, le conjoint survivant a vu sa place s’améliorer dans l’ordre de succession, autour d’un grand principe qui est le suivant : lorsque le premier membre du couple décède, le conjoint survivant ne doit pas être à la merci des enfants. Les lois successives ont amélioré la condition du conjoint survivant en utilisant le démembrement de propriété. Au décès, le patrimoine du défunt est divisé : le conjoint devient l’usufruitier, et les enfants sont les nus-propriétaires. Ainsi, le conjoint conserve son cadre de vie mais ne peut pas vendre les biens de la succession. De leur côté, les enfants n’ont aucun pouvoir vis-à-vis du conjoint. C’est seulement en cas de vente que le conjoint et les enfants, l’usufruitier et le nu-propriétaire, signent ensemble le même document, complétant ainsi le droit de propriété.

 

Pour illustrer ce grand principe, je vous propose trois exemples :

-       Tout d’abord, la loi a prévu qu’en cas de décès, le conjoint bénéficie d’un droit au logement. Il peut donc rester habiter dans la résidence du couple gratuitement, pendant un an. Ce droit s’applique également au mobilier contenu dans le logement. Si le couple n’était pas propriétaire mais locataire, ce droit au logement porte sur le bail. Le conjoint survivant paie le loyer, mais les héritiers doivent le rembourser. Ce droit est d’ordre public, c’est-à-dire que le défunt ne peut pas priver son conjoint de ce droit temporaire.

-       La loi va plus loin et prévoit la possibilité que ce droit du conjoint survivant à conserver son cadre de vie soit viager, c’est-à-dire que le conjoint puisse vivre le reste de ses jours dans le logement de la famille. C’est notre deuxième exemple. Ce droit viager au logement fonctionne exactement de la même manière que le droit temporaire, mais il y a deux différences :

o  Il ne s’exerce que si les époux étaient propriétaires de leur logement. S’ils étaient locataires, ce droit ne s’applique pas.

o  Mais surtout ce droit viager au logement n’est pas d’ordre public. Cela signifie que par testament, je peux priver mon conjoint de ce droit viager. Mais c’est un acte grave, et le législateur a exigé que la personne qui prend cette disposition ait une très grande conscience de ce qu’elle fait : le testament qui sera rédigé aura obligatoirement la forme authentique : le notaire expliquera de façon approfondie à son client les conséquences de ce choix.

-       Troisième exemple : la loi prévoit qu’une personne peut prendre une disposition qui va favoriser son conjoint en cas de décès. Je peux faire un testament ou une donation au dernier vivant en faveur de mon conjoint qui lui donnera, lors de ma succession, non pas simplement la jouissance du logement de notre famille, mais la jouissance de toute la succession que je vais laisser : la jouissance de tous mes biens immobiliers, la jouissance de tous mes actifs financiers, bref de tous mes biens. Mes enfants ne percevront rien tant que mon conjoint sera vivant. A son décès, l’usufruit de mon conjoint s’éteindra et mes enfants redeviendront propriétaires.

 

Nous venons de voir que le démembrement de propriété pouvait trouver son origine dans la loi.

Il peut également trouver son origine dans la convention.  C’est notre deuxième partie.

En droit français, le propriétaire du bien peut transférer de son vivant, la nue-propriété du bien tout en se réservant le droit d’usufruit à son profit.

Dans ce cas précis, le donateur qui veut anticiper la transmission de son bien, va donner la nue-propriété à ses enfants, mais il se réserve le droit de continuer à habiter voir à louer sa résidence jusqu’à son décès. Le démembrement est créé par la volonté du donateur.

Cette opération est tout à fait originale : son effet est en deux temps : Si la libéralité ne porte que sur la nue-propriété au moment où elle est réalisée, elle a vocation à englober la pleine propriété de la chose donnée au décès du donateur. Elle peut aussi porter aussi bien sur des biens immobiliers que sur des biens mobiliers. Elle peut aussi être prévue dans tous les types de donation dressés par le notaire.

L’objet de la donation et l’étendue des prérogatives de l’usufruitier peuvent être ajustées dans la convention.

Le donateur peut réserver l’usufruit à son profit, mais aussi décider que s’il décède avant son conjoint, l’usufruit soit reversé sur la tête de ce dernier. Dans ce cas, au décès du dernier des deux membres du couple, l’usufruit s’éteindra au décès du dernier des membres du couple.

 

Les avantages de ce type de donations sont nombreux :

Pour le donateur-usufruitier, l’avantage principal est de conserver la jouissance de son patrimoine : il peut continuer à occuper sa maison. S’il la loue, il peut continuer à percevoir les loyers.

Pour le donataire nu-propriétaire,  ce dernier ne supporte pas les charges qui peuvent être très lourdes, comme la réfection de la toiture par exemple.

Mais surtout, l’avantage très important est l’avantage fiscal. Vous le savez, en France, les héritiers ne sont pas aussi bien traités qu’en Chine puisqu’ils doivent payer des droits de succession sur la valeur des biens dont ils héritent. Ces droits peuvent être très élevés.

Faire une donation en nue-propriété permet de réduire en toute légalité la valeur d’un bien et de ne payer des droits que sur la valeur transmise. Plus la donation est faite lorsque le donateur est jeune, moins il y a de droits à payer. Par exemple : je suis âgé de 60 ans. Je suis propriétaire d’un appartement d’une valeur de 800.000 Yuans. Lors de la donation signée devant notaire, la taxation fiscale s’opèrera sur la moitié de la valeur : mes enfants ne paieront des droits que sur 400.000 Yuans.

A mon décès, ils deviendront pleinement propriétaires sans rien avoir à payer.

 

En conclusion, j’aimerai insister sur le fait que créer un démembrement de propriété conventionnel est un outil très pertinent pour transmettre son patrimoine. Il existe un dicton chinois qui dit qu’un bon artisan ne blâme jamais ses outils. Nous pourrions retourner ce dicton en indiquant que lorsqu’il existe un bon outil, il faut également un bon artisan qui sait bien l’utiliser. Le notaire est assurément cet artisan.

Je vous remercie.



 

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