Notariat
et nouvelles technologies : Faut-il craindre ChatGPT 4 ?
Olivier
VIX
Docteur en droit, Notaire, Rapporteur général
de la 69ème session de l’AL consacrée
à l’intelligence artificielle
Voilà
près de 5 ans que l’Assemblée de liaison des notaires de France consacrait ses
travaux à l’intelligence artificielle et ses conséquences pour le notariat.
Plus d’un millier d’acteurs du monde des nouvelles technologies dont Elon Musk,
John Hopfield et Sturart Russel viennent de cosigner une mise en garde
demandant une pause dans le développement des programmes d’IA depuis la sortie
de cette nouvelle IA particulièrement performante qu’est Chat GPT 4.
L’Italie vient d’en interdire l’utilisation suspectant des violations aux règles du RGPD
mais aussi à cause de l’absence de contrôle de l’âge de l’utilisateur. Les questions abordées
lors la session par l’Assemblée de liaison raisonnent à nouveau avec une
certaine obstination. Commence-t-on à entrevoir-le début de la singularité
technologique qu’annonçait dans son livre d’anticipation Raymond Kurzweil ? Sommes-nous, comme à la
veille de toute nouvelle technologie, envahis par la crainte d’être dépassés
par notre propre invention ? Le notariat a-t-il des raisons de s’en
inquiéter ? Pour répondre à ces questions il faut essayer
d’identifier les dangers voire les opportunités de ce nouvel outil pour le
notariat (II) mais préalablement de tenter
d’en décrypter l’utilité (I).
I
- A quoi sert Chat GPT ?
Dans
les années 1980 les philosophes John Lucas et John Searle s’étaient appuyés, le
premier, sur le théorème d’incomplétude de Gödel, le second, sur la métaphore
de la chambre chinoise, pour expliquer les limites des algorithmes par rapport
à l’intelligence humaine incitant les chercheurs à se concentrer plutôt sur le
développement d’IA spécialisées que l’on désigna par le terme d’IA faible
opposée à l’IA forte capable, comme l’intelligence humaine, d’avoir une approche holistique.
Avec ChatGPT,
créé par la société américaine OpenAI en 2018, cofinancé par la société
Microsoft, on a le sentiment d’un franchissement d’une nouvelle frontière. Ce
chatbot est basé sur une IA générative,
qui se développe grâce à la technologie du deep learning. Cette
technique d’apprentissage a été utilisée par le logiciel AlphaGo pour battre le
champion du monde au jeu de go en 2016. Elle nécessite des grandes masses de
données et une forte puissance de calcul permettant à la machine de reconnaitre
des objets, des images, des sons et de faire de la prédiction grâce à un
paramétrage plus ou moins important. Yann Lecun l’un des meilleurs spécialistes
dans ce domaine, évoquait cette technique dans une conférence en 2015 en
indiquant qu’une reconnaissance d’images ou d’objets nécessitait 5 milliards
d’opérations.
ChatGPT 4 en utilise 175 milliards ce qui permet de rendre plus efficients le
réseau de neurones artificiels qui le développe et les réponses que l’on
attend. En peu de temps, ce nouvel outil vient de déclasser tous les agents
conversationnels connus jusqu’à présent SIRI, ALEXIA entre autres Les bases qu’utilise
ChatGPT couvrent tous les domaines de la connaissance. Son auto apprentissage
est assuré grâce aux nombreuses interactions avec ses utilisateurs.
Cette nouvelle version de ChatGPT est
capable de gérer des instructions nuancées, de lire, analyser ou générer
jusqu’à 25 000 mots de texte, Elle peut
non seulement interpréter des images,
mais aussi transformer des croquis en applications ou sites internet. Elle peut
composer des chansons, créer des romans dans tous les styles possibles ou des
scénarios, coder.
Avec tant de capacités, on imagine
aisément les multiples usages qui en découlent.
Compiler et résumer des textes, faire des recherches, établir des
comptes rendus, écrire un programme informatique, envoyer des courriers,
analyser des données, effectuer des traductions, améliorer l’efficience des
moteurs de recherches, (son programme est intégré dans Bing), passer des
examens, organiser les agendas, Appliquer au notariat qui est un métier avant
tout de l’écrit, conduit à penser que la perspective d’aller à la pêche à la
ligne pendant que la machine recompile les projets d’actes et adresse les
courriers aux clients, voire les renseignent puisque c’est aussi un agent
conversationnel, ne relève plus du domaine de la réalité virtuelle. Faut-il le
redouter ?
II – CHATGPT 4 une opportunité ou un
danger pour le notariat ?
Dans certains cabinets d’avocats
américains plusieurs activités sont déjà
laissées entre les mains de Harvey la version juridique de ChatGPT :
l'analyse de contrats, la due diligence, les litiges ou la conformité
réglementaire.
Le cofondateur d’Open AI, Greg Brockman,
a d’ailleurs annoncé que sa nouvelle version venait de réussir haut la main l’examen
du barreau de NYC en se plaçant parmi
les meilleurs candidats (s’agissant des QCM). De là à penser que les
différentes firmes du droit ayant permis de développer Harvey sont en réalité
des scieurs de bois malgré eux…
Cette même version a également réussi
l’examen de médecine toujours aux États-Unis. Une solution pour combler les
déserts médicaux et le déficit de la sécurité sociale pourrait bien poindre
dans peu de temps. L’idée de lui faire passer l’examen de notaire n’a pas
effleuré les dirigeants d’Open AI puisque les EU en sont dépourvus. Il y aurait
cependant fort à parier qu’en France ce programme réussirait certainement aussi
bien cet examen et, puisque nos instances locales ne sont plus sollicitées lors
des nominations, il n’est pas exclu qu’un jour ce ChatGPT version juridique
pourrait, pourquoi pas, être horodatée. Force est de constater que les choses
s’accélèrent et les progrès annoncés par les meilleurs spécialistes il y a 5
ans comme devant intervenir au milieu du 21ème siècle, ont plusieurs
années d’avance. Ce qui explique la pétition réclamant un moratoire.
La volonté de marquer une pause peut être
interprétée diversement. On relèvera que certains signataires sont des
développeurs d’IA mais… en retard. Il serait surprenant que
Google, Huawei, Baidu ou Alibaba restent sagement sur la touche pour des
raisons éthiques.
L’idée
défendue est en effet d’accompagner le développement de
l’intelligence artificielle (IA), par des règles éthiques. Le Future of Life Institute avait
déjà proposé il y a quelques années ses « 23 principes d’Asilomar » dans le droit fil des
trois lois d’Asimov sur la robotique. En Europe, où nous
excellons dans la régulation, depuis que le règlement sur l’IA a été
proposé en 2021, le Parlement européen a voté en mars 2024 la première loi mondiale
visant à réguler l’IA, et nous devons encore suivre avec une législation plus
complète sur les produits d'IA tels que le ChatGPT.
Les risques sous-jacents existent et
peuvent être dystopiques. Surpuissance des entreprises maitrisant l’outil par
rapport aux États ; Absence d’études d’impacts sur des produits qui
influencent notre manière de penser, de réfléchir, de nous former. Problème de
fiabilité et d’objectivisation des sources et des données. Près de la moitié
des bases de connaissance utilisées est d’origine anglo-saxonne… Uniformisation
de notre expression écrite. Accès à la connaissance payante. Respect de la
propriété intellectuelle et de la vie privée. Transparence. Face à l’opacité de
ces systèmes algorithmiques, régime de responsabilité, en sont quelques
exemples.
ChatGPT est une révolution d’usage, plus
qu’une révolution technologique puisque le deep learning existe déjà
depuis plusieurs années. L’outil reste expérimental et évolutif. Les « hallucinations »
même si elles se sont raréfiées avec la 4ème version, persistent toujours. Certains, plutôt que de
l’interdire, prennent le parti de l’apprivoiser et de l’utiliser comme un outil
de plus pour améliorer la qualité de leurs prestations. C’est sans doute cette
voie qu’il nous faut emprunter, bien que l’outil mérite encore de se
perfectionner. Pour le tester, nous lui avons demandé de définir ce qu’est le
droit civil local alsacien mosellan. La réponse de cette IA fut imprécise
et inexacte puisqu’elle indiqua qu’il s’agissait de la z: fusion du droit
d’origine allemande et du droit français applicable dans les trois départements
de l’Est de la France. Pour le coup ChatGPT aurait succombé au concours
organisé dans ces trois départements pour titulariser les notaires, ce qui
démontre l’importance cruciale des bases de données.
En l’état actuel du développement de
cette IA, l’on peut constater qu’elle n’est pas encore à même à se substituer
aux humains que nous sommes. Pour précieuse que soit l’aide que ChatGPT peut
apporter aux notaires, cet outil reste un « perroquet stochastique » très loin encore de
pouvoir remplacer le témoin neutre qui sonde les motivations de ses clients et
leur capacité juridique, qui parvient à découvrir dans les non-dits, les
véritables motivations de ses clients lorsqu’elles ne sont pas clairement
exprimées, qui leur explicite les actes
que ces derniers signent, comme le ferait un instituteur avec un véritable
démarche pédagogique sur mesure et par-dessus tout, en sa qualité d’officier
public, en étant dépositaire de la confiance de l’État. Cela étant dit, le
progrès ne se préoccupe pas de simples déclarations d’intention… À suivre,
donc !
Pour aller plus loin :
Rapport du 117ème congrès des notaires de
France, Nice 2021 et plus spec. p 762 et s.
Intelligence artificielle –
collectif - Dalloz 2019
Rapport de la 69e session de
l’AL: L’intelligence artificielle : dangers ou opportunités pour le
notarIAt ? Paris 2018
R Kurzweil : the Singularity is near · When Humans Transcend Penguin Books 2006
édité en français sous le titre
Humanité 2.0 Ed. M21 2006
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