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Notariat et nouvelles technologies : Faut-il craindre ChatGPT 4 ?

Notariat et nouvelles technologies : Faut-il craindre ChatGPT 4 ?

Olivier VIX

Docteur en droit, Notaire, Rapporteur général de la 69ème session de lAL consacrée à lintelligence artificielle

Voilà près de 5 ans que l’Assemblée de liaison des notaires de France consacrait ses travaux à l’intelligence artificielle et ses conséquences pour le notariat[1]. Plus d’un millier d’acteurs du monde des nouvelles technologies dont Elon Musk, John Hopfield et Sturart Russel viennent de cosigner une mise en garde demandant une pause dans le développement des programmes d’IA depuis la sortie de cette nouvelle IA particulièrement performante qu’est Chat GPT 4.[2] L’Italie vient d’en interdire l’utilisation suspectant des violations aux règles du RGPD mais aussi à cause de l’absence de contrôle de l’âge de l’utilisateur.[3] Les questions abordées lors la session par l’Assemblée de liaison raisonnent à nouveau avec une certaine obstination. Commence-t-on à entrevoir-le début de la singularité technologique qu’annonçait dans son livre d’anticipation  Raymond Kurzweil [4]? Sommes-nous, comme à la veille de toute nouvelle technologie, envahis par la crainte d’être dépassés par notre propre invention ? Le notariat a-t-il des raisons de s’en inquiéter ? Pour répondre à ces questions il faut essayer d’identifier les dangers voire les opportunités de ce nouvel outil pour le notariat (II) mais préalablement de tenter  d’en décrypter l’utilité (I).

I -  A quoi sert Chat GPT ?

Dans les années 1980 les philosophes John Lucas et John Searle s’étaient appuyés, le premier, sur le théorème d’incomplétude de Gödel, le second, sur la métaphore de la chambre chinoise, pour expliquer les limites des algorithmes par rapport à l’intelligence humaine incitant les chercheurs à se concentrer plutôt sur le développement d’IA spécialisées que l’on désigna par le terme d’IA faible opposée à l’IA forte capable, comme l’intelligence humaine,  d’avoir une approche holistique.

Avec ChatGPT, créé par la société américaine OpenAI en 2018, cofinancé par la société Microsoft, on a le sentiment d’un franchissement d’une nouvelle frontière. Ce chatbot est  basé sur une IA générative, qui se développe grâce à la technologie du deep learning. Cette technique d’apprentissage a été utilisée par le logiciel AlphaGo pour battre le champion du monde au jeu de go en 2016. Elle nécessite des grandes masses de données et une forte puissance de calcul permettant à la machine de reconnaitre des objets, des images, des sons et de faire de la prédiction grâce à un paramétrage plus ou moins important. Yann Lecun l’un des meilleurs spécialistes dans ce domaine, évoquait cette technique dans une conférence en 2015 en indiquant qu’une reconnaissance d’images ou d’objets nécessitait 5 milliards d’opérations[5]. ChatGPT 4 en utilise 175 milliards ce qui permet de rendre plus efficients le réseau de neurones artificiels qui le développe et les réponses que l’on attend. En peu de temps, ce nouvel outil vient de déclasser tous les agents conversationnels connus jusqu’à présent SIRI, ALEXIA entre autres[6] Les bases qu’utilise ChatGPT couvrent tous les domaines de la connaissance. Son auto apprentissage est assuré grâce aux nombreuses interactions avec ses utilisateurs.

Cette nouvelle version de ChatGPT est capable de gérer des instructions nuancées, de lire, analyser ou générer jusqu’à 25 000 mots de texte,  Elle peut non seulement  interpréter des images, mais aussi transformer des croquis en applications ou sites internet. Elle peut composer des chansons, créer des romans dans tous les styles possibles ou des scénarios, coder. [7]

Avec tant de capacités, on imagine aisément les multiples usages qui en découlent.  Compiler et résumer des textes, faire des recherches, établir des comptes rendus, écrire un programme informatique, envoyer des courriers, analyser des données, effectuer des traductions, améliorer l’efficience des moteurs de recherches, (son programme est intégré dans Bing), passer des examens, organiser les agendas, Appliquer au notariat qui est un métier avant tout de l’écrit, conduit à penser que la perspective d’aller à la pêche à la ligne pendant que la machine recompile les projets d’actes et adresse les courriers aux clients, voire les renseignent puisque c’est aussi un agent conversationnel, ne relève plus du domaine de la réalité virtuelle. Faut-il le redouter ?

II – CHATGPT 4 une opportunité ou un danger pour le notariat ?

Dans certains cabinets d’avocats américains  plusieurs activités sont déjà laissées entre les mains de Harvey la version juridique de ChatGPT : l'analyse de contrats, la due diligence, les litiges ou la conformité réglementaire[8].

Le cofondateur d’Open AI, Greg Brockman, a d’ailleurs annoncé que sa nouvelle version venait de réussir haut la main l’examen du barreau de NYC  en se plaçant parmi les meilleurs candidats (s’agissant des QCM). De là à penser que les différentes firmes du droit ayant permis de développer Harvey sont en réalité des scieurs de bois malgré eux…

Cette même version a également réussi l’examen de médecine toujours aux États-Unis. Une solution pour combler les déserts médicaux et le déficit de la sécurité sociale pourrait bien poindre dans peu de temps. L’idée de lui faire passer l’examen de notaire n’a pas effleuré les dirigeants d’Open AI puisque les EU en sont dépourvus. Il y aurait cependant fort à parier qu’en France ce programme réussirait certainement aussi bien cet examen et, puisque nos instances locales ne sont plus sollicitées lors des nominations, il n’est pas exclu qu’un jour ce ChatGPT version juridique pourrait, pourquoi pas, être horodatée. Force est de constater que les choses s’accélèrent et les progrès annoncés par les meilleurs spécialistes il y a 5 ans comme devant intervenir au milieu du 21ème siècle, ont plusieurs années d’avance. Ce qui explique la pétition réclamant un moratoire.

La volonté de marquer une pause peut être interprétée diversement. On relèvera que certains signataires sont des développeurs d’IA mais… en retard. Il serait surprenant que Google, Huawei, Baidu ou Alibaba restent sagement sur la touche pour des raisons éthiques.

L’idée défendue est en effet d’accompagner le développement de l’intelligence artificielle (IA), par des règles éthiques. Le Future of Life Institute avait déjà proposé il y a quelques années ses « 23 principes d’Asilomar »[9] dans le droit fil des trois lois d’Asimov sur la robotique[10]. En Europe, où nous excellons dans la régulation, depuis que le règlement sur l’IA a été proposé en 2021, le Parlement européen a voté en mars 2024 la première loi mondiale visant à réguler l’IA, et nous devons encore suivre avec une législation plus complète sur les produits d'IA tels que le ChatGPT.

Les risques sous-jacents existent et peuvent être dystopiques. Surpuissance des entreprises maitrisant l’outil par rapport aux États ; Absence d’études d’impacts sur des produits qui influencent notre manière de penser, de réfléchir, de nous former. Problème de fiabilité et d’objectivisation des sources et des données. Près de la moitié des bases de connaissance utilisées est d’origine anglo-saxonne… Uniformisation de notre expression écrite. Accès à la connaissance payante. Respect de la propriété intellectuelle et de la vie privée. Transparence. Face à l’opacité de ces systèmes algorithmiques, régime de responsabilité, en sont quelques exemples.

ChatGPT est une révolution d’usage, plus qu’une révolution technologique puisque le deep learning existe déjà depuis plusieurs années. L’outil reste expérimental et évolutif. Les « hallucinations [11]» même si elles se sont raréfiées avec la 4ème version,  persistent toujours. Certains, plutôt que de l’interdire, prennent le parti de l’apprivoiser et de l’utiliser comme un outil de plus pour améliorer la qualité de leurs prestations. C’est sans doute cette voie qu’il nous faut emprunter, bien que l’outil mérite encore de se perfectionner. Pour le tester, nous lui avons demandé de définir ce qu’est le droit civil local alsacien mosellan. La réponse de cette IA fut imprécise et inexacte puisqu’elle indiqua qu’il s’agissait de la z: fusion du droit d’origine allemande et du droit français applicable dans les trois départements de l’Est de la France. Pour le coup ChatGPT aurait succombé au concours organisé dans ces trois départements pour titulariser les notaires, ce qui démontre l’importance cruciale des bases de données.

En l’état actuel du développement de cette IA, l’on peut constater qu’elle n’est pas encore à même à se substituer aux humains que nous sommes. Pour précieuse que soit l’aide que ChatGPT peut apporter aux notaires, cet outil reste un « perroquet stochastique »[12] très loin encore de pouvoir remplacer le témoin neutre qui sonde les motivations de ses clients et leur capacité juridique, qui parvient à découvrir dans les non-dits, les véritables motivations de ses clients lorsqu’elles ne sont pas clairement exprimées,  qui leur explicite les actes que ces derniers signent, comme le ferait un instituteur avec un véritable démarche pédagogique sur mesure et par-dessus tout, en sa qualité d’officier public, en étant dépositaire de la confiance de l’État. Cela étant dit, le progrès ne se préoccupe pas de simples déclarations d’intention… À suivre, donc !

 

Pour aller plus loin :

Rapport du 117ème congrès des notaires de France, Nice 2021 et plus spec. p 762 et s.

Intelligence artificielle – collectif - Dalloz  2019

Rapport de la 69e session de l’AL: L’intelligence artificielle : dangers ou opportunités pour le notarIAt ? Paris 2018

 



[1] 69e session de l’AL: L’intelligence artificielle : dangers ou opportunités pour le notarIAt ? Paris 2018

[3] https://etudestech.com/decryptage/chatgpt-interdit-italie/

[4] R Kurzweil : the Singularity is near · When Humans Transcend   Penguin Books  2006  édité en français sous le titre  Humanité  2.0  Ed. M21 2006

[5] https://www.youtube.com/watch?v=RgUcQceqC_Y

[6] S. Migayron Intelligence artificielle – Faut-il avoir peur de ChatGPT ? CCE n° 4 avril 2023, 8.

[7] https://etudestech.com/decryptage/chat-gpt-4-fonctionnalites-open-ai-intelligence-artificielle/

[8] B. Deffains : Intelligence artificielle – ChatGPT et le marché du droit  JCP G 3 avril 2023 doc. 430

[9] https://futureoflife.org/open-letter/ai-principles/

[10] https://www.developpez.com/actu/115925/Conference-Beneficial-AI-2017-les-23-principes-d-Asilomar-adoptes-par-les-specialistes-pour-encadrer-le-developpement-ethique-de-l-IA/

[11]  Vise le cas où une intelligence artificielle écrit quelque chose de complètement faux avec un ton assuré et une syntaxe juste.

[12] Impact du ChatGPT sur la justice, France culture, 15 mars 2023



 

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