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Notaire + IA = notar’IA

Notaire + IA = notar’IA[1]

 

Alexandra BENSAMOUN

Professeure de droit à l’Université Paris-Saclay, Membre de la Commission interministérielle de l’IA

 

Pierre-François CUIF

Directeur du Cridon de Paris

 

Thibault DOUVILLE

Professeur de droit à l’Université de Caen

 

 

POINTS-CLÉS Toujours confronté à la technologie, le notariat – notar’IA – se saisit de l’intelligence artificielle et notamment de l’IA générative, en explorant les enjeux posés par la technologie Une version développée de cette réflexion est disponible (A. Bensamoun, P.-F.Cuif et Th. Douville, Le « notar’IA » à l’assaut de l’intelligence artificielle : JCP N 2024, 1061, étude)

 

Contexte. - L’actualité sur l’intelligence artificielle (IA) est foisonnante. Le 13 mars dernier, la Commission interministérielle de l’IA remettait son rapport au président de la République, présentant une stratégie nationale en la matière (IA : notre ambition pour la France, rapp., mars 2024). À la même date, le Parlement européen votait, en assemblée plénière, la première loi mondiale visant à réguler l’IA, l’AI Act ou règlement sur l’IA (RIA), adoptant une approche fondée sur les usages et les risques liés (V. déjà A. Bensamoun et F. Masmi-Dazi, Intelligence artificielle : pour l’émergence d’un écosystème européen éthique et compétitif : JCP G 2024, doctr. 101, étude). Parmi les technologies d’IA, les modèles de fondation (ou IA à usage général), entraînés sur des masses de données, ont toutefois fait l’objet d’un encadrement spécifique. Il faut dire que la mise à disposition du public des applications, sous forme d’IA génératives (IAG) comme ChatGPT, DALL-E, Mid-Journey, a renouvelé l’analyse.

 

Enjeux. - Dans le notariat, des IAG spécialisées pourraient permettre la réalisation de recherches, analyses, synthèses de documents ou de rendez-vous, confection d’audits, actes… La création d’une IAG notariale supposerait, partant d’un grand modèle de langage existant, une optimisation subséquente par un en traînement sur des sources spécialisées ou une connexion à une base spécialisée en utilisant la technologie RAG (retrieval augmented generation, ou génération augmentée de récupération), qui permet de connecter un grand modèle à une base de connaissances fiables externe aux sources de données utilisées pour l’entraînement, en temps réel (sans besoin de réentraîner le modèle). Il est peu probable, au moins dans un premier temps, que se développent des outils propriétaires (qui nécessiteraient en outre une gouvernance adaptée). Les éditeurs juridiques commencent d’ailleurs à développer des solutions. Quoi qu’il en soit, la création d’un outil spécifique au notariat implique d’abord de s’attacher à la disponibilité des données d’entraînement ou de connaissance. Elle requiert ensuite de s’interroger sur la responsabilité du notaire. Enfin, le notaire désireux d’utiliser la technologie devra s’en emparer et donc la comprendre : c’est tout l’enjeu de la formation.

 

Données et notariat. - Les données pertinentes pour la création d’une IA spécialisée en matière notariale sont multiples. C’est le cas de l’information légale et administrative, qui fait l’objet d’une mise à disposition auprès du public et qui peut donner lieu à une réutilisation gratuite. C’est aussi le cas des documents administratifs, dont certains doivent, depuis la loi pour une République numérique n° 2016-1321 du 7 octobre 2016, être mis à la disposition du public comme les bases de données (CRPA, art. L. 312-1-1. – V. J. Chevallier, Les nouveaux développements de l’État plateforme 2020, doctr. 611, étude).Un service public de la donnée est même chargé de cette mission concernant les données de référence comme la base « adresse nationale », la base Sirene des entreprises et de leurs établissements ou le plan cadastral informatisé (CRPA, art. L. 321-4 et R. 321-5 et s.).

 

Une mise à disposition des décisions de justice (V. Quel avenir pour la jurisprudence à l’ère des données ouvertes ? : JCP G 2024, n°1007, suppl. n°7-8, 19 févr. 2024) a également été consacrée, du moins pour les décisions rendues publiquement et sous certaines conditions (CJA, art. L. 10 et art. L. 111-13). On peut aussi, naturellement, se demander si les actes notariés peuvent faire l’objet d’un traitement pour l’entraînement d’un système d’IA. En l’état du droit positif, la réponse semble négative pour au moins deux raisons. La première tient au régime de ces actes, notamment des actes authentiques électroniques. S’ils font l’objet d’un enregistrement dans un minutier central électronique dès leur établissement, c’est pour permettre leur conservation (Décret n°71-941 du 26 novembre 1971 relatif aux actes établis par les notaires, art. 28 al. 3). Seul le notaire instrumentaire ou celui qui en détient la minute y a accès ; il est tenu d’en conserver la confidentialité et seuls les intéressés peuvent en obtenir une expédition. Le second tient au droit des données à caractère personnel. De manière générale, le traitement ultérieur de données dans une finalité de recherche scientifique ou statistique est admis, mais cette possibilité semble ici exclue en raison de la base juridique du traitement, qui est une obligation légale et de la finalité limitée à la conservation des actes (RGPD, art. 6. §1, c) et § 2). Pour dépasser cette difficulté, on pourrait alors penser à la publicité de certains actes, mais celle-ci repose sur un droit d’accès reconnu en faveur du public et non sur une mise à disposition des actes. Un assouplissement de ces dispositions est-il alors envisageable ? Au préalable, encore faut-il que les actes comportent des données utiles pour l’entraînement d’une AI notariale. Tout dépend des usages envisagés. Si tel est le cas, différents facteurs contraignants doivent être pris en compte, en particulier la nature des actes et la sensibilité de l’atteinte qui en résulterait notamment pour la protection du droit au respect de la vie privée, impliquant la mise en place de garanties tenant par exemple à la limitation des finalités poursuivies ou des actes concernés en raison de leur nature ou de leur objet, à la pseudonymisation des données ou à la détermination des acteurs autorisés à procéder au traitement des données, en particulier le Conseil supérieur du notariat. Une alternative intéressante pourrait alors consister à créer une base reposant sur des données synthétiques.

 

Données : les contenus doctrinaux. - La création d’une IAG notariale supposerait une optimisation d’un grand modèle par des contenus pertinents. Les contenus propriétaires – pour autant qu’il y en ait – ne pourraient suffire à constituer la masse critique nécessaire et il serait indispensable de recourir à des contenus sous droits. Car de la qualité de la donnée entrante dépend en partie la pertinence de la donnée sortante. Une IAG notariale devrait donc être optimisée sur des contenus de qualité – articles de doctrine, encyclopédies juridiques, commentaires de jurisprudence, etc. Protégés par le droit d’auteur, ces contenus ont en principe fait l’objet d’une cession à l’éditeur. Leur utilisation doit donc être autorisée, sauf exception légale. Or, la directive 2019/790 du 17 avril 2019 a bien consacré à son article 4 une exception pour la fouille de textes et de données, pour tous les acteurs et tous les usages (y compris commerciaux), à condition que l’accès au contenu protégé ait été licite et que le titulaire de droits n’ait pas exercé son droit d’opposition à la fouille ou opt out (permettant alors de revenir à l’exclusivité). Désireux de négocier une rémunération, les titulaires de droits ont tous exercé leur opposition. Pour autant, les conditions de l’exception de fouille restent très théoriques si les fournisseurs de modèles ne révèlent pas leurs sources d’entraînement. Le RIA a donc imposé cette transparence par la mise à disposition d’un résumé détaillé. Les fournisseurs devront aussi mettre en place une politique interne de respect des droits de propriété littéraire et artistique.

 

Responsabilité. - L’IAG fera très certainement évoluer la profession dans son fonctionnement et sa relation à la clientèle sans pour autant faire disparaître la fonction d’officier public. Délégataire de la puissance publique dans sa mission de conseil et d’authentification, le notaire ne saurait en effet sous-traiter ces missions qui constituent le cœur de son statut ; il ne peut non plus limiter ou s’exonérer de sa responsabilité civile, par nature délictuelle. Par principe, lorsqu’il exerce son activité, le notaire le fait ès qualités, s’engageant personnellement, tout en offrant les garanties de la profession que sont l’assurance civile professionnelle et la couverture de la Caisse de garantie. Ainsi, il restera par principe le responsable de premier plan des activités ainsi exercées, tout en demeurant l’interlocuteur privilégié des clients qui se confieront à lui. Il lui reviendra – ce que ne peut pas faire le système d’IAG – de qualifier juridiquement la situation de fait, de vérifier l’existence des consentements, d’interpréter les actes juridiques ou de hiérarchiser les différentes solutions données pour un problème posé. Il devra également veiller à la bonne utilisation de l’IAG car les risques liés sont nombreux : informations erronées ou fabriquées («hallucinations »), discriminations, production de contenus illicites, violation de droits de propriété intellectuelle, atteinte à la vie privée ou divulgation d’informations confidentielles. Ce contrôle nécessitera qu’il évalue et valide les conseils ou informations produits par l’IA avant leur mise en œuvre. Le notaire devra encore veiller à ce qu’aucune décision ne soit prise par l’IA sans supervision humaine et à ce qu’aucune information confidentielle ou personnelle ne soit renseignée dans le système sans le consentement du client.

 

Si l’utilisation inappropriée de l’IA conduit à un préjudice pour le client, le notaire pourra être tenu pour responsable. Sa responsabilité repose principalement sur une faute, en lien avec son devoir de conseil et son devoir d’assurer la légalité des actes qu’il rédige. La question de la responsabilité civile liée à l’IA a déjà suscité de nombreuses discussions, avec une attention particulière portée par le droit de l’Union européenne qui dessine progressivement un cadre pour réguler cette responsabilité. Se profile un régime spécifique pour les dommages causés par l’IA, fondé sur les principes de faute, de dommage et de lien de causalité, mais comportant des adaptations dans les règles de preuve pour faciliter la reconnaissance de la responsabilité, que ce soit celle de l’utilisateur, du développeur ou du fournisseur de l’IA (V. PE et Cons. UE, prop. dir. relative à l’adaptation des règles en matière de responsabilité civile extracontractuelle au domaine de l’intelligence artificielle, 28 sept. 2022 (2022/0303 (COD)). – V. A. Bensamoun, Maîtriser les risques de l’intelligence artificielle : entre éthique, responsabilisation et responsabilité : JCP G 2023, doctr. 181, étude ; L. Grynbaum, La future «Législation sur l’IA » à l’aune de la responsabilité civile. - L’indemnisation au défi de l’innovation : JCP G 2023, act. 859, Aperçu rapide). Une présomption de causalité serait établie entre la faute et le dommage produit par l’IA, offrant la possibilité au défendeur de se prévaloir de certaines causes d’exonération. Parmi celles-ci, l’acte d’un humain intervenant entre l’IA et le dommage pourrait jouer un rôle crucial. On songe à l’hypothèse où le notaire utiliserait des systèmes d’IA pour la prise de décision ou la recommandation.

 

Formation du notaire. - La bonne maîtrise de l’outil supposera enfin que le notaire en comprenne le fonctionnement et qu’il ait pour cela reçu une formation adéquate à son utilisation, pour évaluer le résultat et toujours conserver son esprit critique. L’acculturation est ici fondamentale. La formation devra impérativement porter sur plusieurs aspects, tant technologiques que juridiques. C’est tout l’enjeu des conférences du Forum Tech Not’ 2024, sur l’IAG, organisé par les Notaires du Grand Paris le 4 avril 2024, et de la formation Notar’IA qui sera proposée en collaboration avec l’Institut DATAIA (Université Paris-Saclay).

 

 

 



[1] Source : La Semaine Juridique - Édition générale - N° 13 - 1er avril 2024 - © LEXISNEXIS SA



 

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