À la source du Code civil chinois : retour de mission
– Entretien avec Olivier Vix, notaire,
délégué du CSN pour la Chine, administrateur du Centre
Du 10 au 19 octobre dernier, une délégation
composée des cinq directeurs scientifiques (Michel GRIMALDI, Marie GORÉ,
Charles GIJSBERS, Olivier VIX et LI Bei) de l'ouvrage Code civil de la
République populaire de Chine 2024, traduit et commenté (CCC), accompagnée
d'une partie des auteurs y ayant participé, regroupés sous la bannière du
Conseil supérieur du notariat (CSN), de l'Institut de droit comparé (IDC) et de
l'association Henri Capitant, a rencontré
la profession notariale à Pékin et à Shanghai. Au cours de son séjour en
Chine, la délégation a d'ailleurs été reçue
dans les deux plus prestigieuses universités de Chine, Renmin à Pékin et
Jiaotong à Shanghai, ainsi qu'à l'Ambassade de France à Pékin et au Consulat
général de Shanghai, pour y tenir différents colloques sur le nouveau Code
civil entré en vigueur le 1er janvier 2021.
À l'occasion d'une entrevue, Olivier Vix,
délégué du CSN pour la Chine et un des directeurs scientifiques de l'ouvrage
précité, revient sur ces événements en nous proposant notamment une analyse
comparative des fondements des codes civils chinois et français. (Ci-dessous des extraits de l'entretien.)
La Semaine juridique : Ce nouveau Code
civil ressemble-t-il à notre Code napoléon ?
Olivier Vix : Portalis indiquait dans son
discours préliminaire présentant le Code civil français que « de bonnes
lois civiles sont le plus grand bien que les hommes puissent donner et
recevoir ; elles sont la source des mœurs, le palladium de la propriété,
et la garantie de toute paix publique et particulière : elles le
maintiennent ; elles modèrent la puissance, et contribuent à la faire
respecter, comme si elle était la justice même ».
Ces observations siéent au Code civil chinois. Tout comme notre code
napoléonien, le code chinois réalise un travail de rationalisation en
regroupant des lois qui étaient auparavant disséminées. Il les harmonise et
apporte cette sécurité juridique propre aux pays de tradition du droit écrit,
laquelle caractérise le droit continental.
Les matières traitées sont très proches de celles du droit civil
français. On constate que sa structure s'inspire plus du BGB (Code civil
allemand) : le livre Ier, par exemple, intitulé « Partie
générale », regroupe des règles fondamentales suivies de différentes
définitions des sujets de droit, de l'acte juridique de la représentation, de
la responsabilité ou encore de la prescription. Six livres se succèdent ensuite
qui, bien que s'ouvrant systématiquement sur des dispositions générales comme
le code allemand, se sont émancipés de l'influence des Pandectistes, puisque le
plan ne suit pas celui du BGB. À titre d'exemple, le livre II est consacré
au droit des biens suivi par un livre III dédié au droit du contrat (et
non au droit des obligations). On y trouve également un livre complet dédié
entièrement aux droits de la personnalité, absents du BGB.
Nos amis chinois nous ont indiqué que leur Code civil suivait sa propre
logique et s'inspirait d'abord des lois nationales.
Ce code a pris la mesure de l'évolution des mœurs et des habitudes de
la société chinoise actuelle. Cependant, nous partageons des problématiques
identiques dans certains cas. Ainsi l'enrichissement sans cause (de
l'article 1303 de notre Code civil) qui apparaît aux articles 985 à
988 du CCC, ou encore la gestion d'affaires (des articles 1301 à 1301-5 du Code civil français), qui
figure aux articles 979 à 984 du CCC. On y retrouve également des mesures
que l'ordonnance du 10 février 2016 avait mises
en avant : la lutte contre les clauses abusives dans les contrats
d'adhésion et la théorie de l'imprévision. Le notariat français avait, dans le
cadre de sa coopération, organisé en Chine plusieurs colloques pendant la
gestation du code chinois dont l'un avait été consacré au mandat de protection
future. Nous sommes ravis de constater que cette institution se retrouve dans
le premier livre du CCC sous la dénomination de tutelle conventionnelle
(article 33 du CCC).
En revanche, malgré de nombreuses convergences avec notre droit civil,
nous n'avons pas été les seuls à inspirer le législateur chinois. Ce dernier a
notamment introduit des notions de la common law, telles que l'anticipatory
breach (répudiation ou contravention anticipée du contrat). Il faut dire
que ce principe a déjà été intégré dans plusieurs instruments de droit
international (UNIDROIT ou la convention de Vienne sur les contrats de vente
internationale de marchandises), mais aussi dans la législation de plusieurs
pays de tradition civiliste (Belgique notamment). L'ordonnance de 2016 l'a
d'ailleurs également intégré en droit français à l'article 1220 du Code
civil relatif à l'exception d'inexécution.
On constate également que l'évolution du numérique est bien prise en
compte en Chine. Ainsi, un échange de mails est considéré comme une preuve
littérale et un testament urgent peut être enregistré sur son Smartphone en
présence de deux témoins en cas d'accident.
L'environnement n'est pas en reste. De nombreux textes poursuivent des
objectifs environnementaux. L'article 9 du CCC énonce le principe de la
protection de l'environnement et l'obligation d'éviter le gaspillage des
ressources dans le cadre des activités civiles, repris en droit des contrats à
l'article 509. De plus, un chapitre complet est consacré à la
responsabilité pour pollution et pour atteinte écologique.
La Semaine juridique : Dans tout cela,
quelle est la place que le législateur chinois a retenue pour les
notaires ?
Olivier Vix : Très clairement pas la même
que la nôtre. On n'y trouve aucune consécration de l'acte authentique, très peu
de contrats solennels notariés, et une absence de monopole s'agissant de la
publicité foncière. En conséquence, chaque citoyen peut demander l'inscription
de son bien au registre foncier et le contrat de mariage doit être écrit mais
n'est pas nécessairement notarié. La révocation d'un testament établi en la
forme authentique qui, avant l'entrée en vigueur du Code civil, devait
obligatoirement revêtir la même forme, peut s'effectuer librement maintenant.
Même les donations n'ont pas à revêtir la forme notariée sauf si une personne
l'exige. En revanche, elles sont irrévocables lorsqu'elles sont notariées.
Cette situation s'explique par le nombre très limité de notaires (nous
sommes plus nombreux que les notaires chinois). En effet, ramené à la
population en France, nous avons un notaire pour 3 800 habitants
alors qu'en Chine, il existe un notaire pour 95000 habitants.
Nous représentons à nous seuls près d'un tiers de toute la population notariale
en Europe.
Autre explication, les domaines d'intervention des notaires chinois
sont en train de se développer et nos
confrères doivent progressivement se les approprier, sans compter que la
fiscalité est moins lourde en Chine. Il n'existe pas de droits de succession
par exemple. Mais la situation évolue et nous constatons lors de nos rencontres
régulières que nos confrères gagnent en compétences.
La Semaine juridique : Après la parution
de cet ouvrage, quels sont vos projets dans un avenir proche pour la
coopération franco-chinoise ?
Olivier Vix : Cet important travail
collectif - et je tiens d'ailleurs à rendre hommage à l'ensemble des auteurs et
directeurs scientifiques qui ont rendu possible ce projet - a déjà débouché sur
plusieurs colloques en Chine que nous poursuivrons en France et notamment à
Paris en octobre prochain à l'IDC de l'université Paris Panthéon-Assas. Nous
avons la chance d'avoir pu additionner le talent de nombreuses personnalités et
les ressources de l'IDC, de l'association Henri Capitant et naturellement du
Conseil supérieur du notariat. Le CSN, par ses présidents successifs - dont
l'actuelle présidente Sophie Sabot-Barcet et ses délégués -, est depuis de
nombreuses années très investi dans la coopération chinoise à travers la
cogestion de son centre de Shanghai. Ces derniers rendent régulièrement visite
à leurs homologues chinois. L'exemple est assez unique et mérite d'être relevé.
Il a d'ailleurs été imité dans le domaine médical (en 2008, par la création du
Centre franco-chinois de formation à la médecine d'urgence et de catastrophe de
Pékin). Il faut ici saluer le côté visionnaire de l'un des pères fondateurs de
ce centre, le président Jean-Paul Decorps, qui nous a fait l'honneur de nous
accompagner et de présider notre délégation en octobre dernier.
Cette collaboration nous donnera matière à échanger, à comparer et à
poursuivre ce dialogue indispensable entre nos divers universités et notariats,
et à travers eux, entre nos peuples. Ce dialogue continu, malgré un contexte
international perturbé, permet de promouvoir le droit continental avec sa
justice préventive dans laquelle le notaire tient un rôle tout à fait
fondamental, mais aussi le respect et la tolérance, en comblant les lacunes des
connaissances sur nos deux civilisations. Nous célébrerons cette année le
60e anniversaire des relations diplomatiques franco-chinoises initiées par
les grands visionnaires - À cette occasion, nous organiserons plusieurs
manifestations. Notre accord de coopération entre nos deux notariats sera
d'ailleurs renouvelé prochainement... Comme vous le voyez, la coopération
notariale et universitaire franco-chinoise n'est pas près de se tarir.
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