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La vente immobilière en France

La vente immobilière

 

Charles GIJSBERS

Professeur à l’Université Paris-Panthéon-Assas

Administrateur du Centre

 

Avant toute chose, j’aimerais vous dire combien je suis heureux de me trouver parmi vous après ces années difficiles liées à la crise sanitaire et combien il est agréable de pouvoir renouer le dialogue avec tous nos amis chinois. 

 

Je dois, en quelques minutes, vous livrer une présentation des règles régissant le contrat de vente d’immeuble en droit français. Avant d’y procéder, j’aimerais formuler une triple mise en garde :

 

-        1re mise en garde : je suis un professeur de droit ; pourtant, on aurait légitimement pu confier un tel sujet à un notaire car, j’y reviendrai dans un instant, la vente d’immeuble est, en France et comme dans d’autres pays, une opération pour la réalisation de laquelle le notaire tient un rôle central, un rôle majeur.

 

-        2e mise en garde : longtemps, le régime de la vente immobilière se limitait à quelques articles du Code civil. Depuis environ 25 ans, le nombre des règles applicables a doublé. La législation moderne a considérablement alourdi les contraintes pesant sur le vendeur, notamment en vue de délivrer une information complète à l’acheteur, ce qui ralentit le rythme des transactions.

 

-        3e mise en garde : il ne sera ici question que de la vente d’immeuble existant. Le droit français connaît pourtant un autre type de vente immobilière, essentiellement pratiquée par les promoteurs immobiliers, qui est la vente d’immeuble à construire. L’originalité de ce contrat est que, au moment de la signature de la vente, l’immeuble n’existe pas encore. L’obligation du vendeur consiste précisément à construire l’immeuble et à le livrer dans un délai déterminé.

 

Pour traiter de la vente d’immeuble existant en droit français, le plus simple est encore de retenir une approche chronologie, en abordant tour à tour : la formation de la vente (I), l’opposabilité de la vente (II) et les effets de la vente (III).

 

I – Formation de la vente

 

De prime abord, la conclusion du contrat est d’une simplicité enfantine puisqu’il suffit que les parties se mettent d’accord sur la chose et sur le prix pour que la vente soit parfaite. C’est le sens de l’article 1583 du Code civil selon lequel la vente « est parfaite entre les parties […] dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé ».

 

Une observation attentive du processus de vente donne à voir une réalité nettement plus complexe, pour trois séries de raisons.

 

* Premier facteur de complication : l’acheteur souhaitera très souvent conditionner son engagement d’acheter à la survenance de certains événements qui sont encore incertains au moment où les parties tombent d’accord sur la chose et sur le prix.

 

·       1re exemple : l’acheteur pourra avoir besoin d’un crédit bancaire pour financer son acquisition.

 

·       2e exemple : les travaux que l’acheteur projette de réaliser sur l’immeuble impliqueront d’obtenir une autorisation administrative (comme un permis de construire) ou une autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires lorsque le bien vendu dépend d’un immeuble collectif.

 

Pour parvenir à intégrer ces éléments encore aléatoires dans le champ contractuel, la pratique a recours à ce que l’on appelle des conditions suspensives qui seront généralement intégrées dans ce que l’on appelle un avant-contrat, c’est-à-dire une promesse de vente. Si ces conditions se réalisent, la vente pourra effectivement aboutir. Si elles ne se réalisent pas, la promesse sera frappée de caducité et les parties retrouveront leur liberté.

 

* Deuxième facteur de complication : le législateur impose parfois au propriétaire qui souhaite vendre son bien de proposer en priorité l’acquisition de ce bien à une personne. On appelle cette technique : le droit de préemption.

 

Il en existe une grande variété en droit français.

 

-        1er exemple : les communes peuvent, à certaines conditions, instituer sur une partie de leur territoire un droit de préemption urbain qui leur permet de se porter acquéreur des immeubles qui y seraient vendus.

 

-        2e exemple : en droit des baux, le législateur français donne, dans certains cas, la possibilité au locataire de préempter le local loué lorsque le bailleur décide de le vendre.

 

Le respect de ces droits de préemption retarde la signature finale de la vente. Il est toutefois capital de ne pas occulter cette étape car le non-respect d’un droit de préemption est sanctionné par la nullité de la vente.

 

* Troisième facteur de complication : la loi française a progressivement adopté un dispositif de protection de l’acheteur au regard de la gravité de la vente d’un immeuble. 

 

-        1er exemple : lorsque le bien vendu est à usage d’habitation (ex. : un appartement ou une maison) et que l’acheteur n’est pas un professionnel de l’immobilier, celui-ci bénéficie d’un droit de rétractation d’une durée de 10 jours. Concrètement, il aura la possibilité, dans les 10 jours qui suivent la notification qui lui est faite de la promesse de vente qu’il a signé, de se dégager du projet d’acquisition, sans que cela ne lui coûte la moindre somme d’argent. On cherche, ce faisant, à éviter les achats d’impulsion.

 

-        2e exemple : l’acheteur, professionnel ou non, doit être correctement informé sur les caractéristiques du bien. La loi oblige donc le vendeur à communiquer un très grand nombre de documents relatifs à l’état du bien :

 

o   par exemple, des informations sur le fait que le terrain vendu a pu abriter, par le passé, une installation industrielle potentiellement polluante,

 

o   ou encore, lorsque l’on vend un immeuble bâti, des informations sur l’état des installations de gaz, d’électricité, sur la présence de termites ou de mérule ; sur l’exposition du bien à un risque sismique, d’inondation, de sécheresse, etc.

 

o   ou encore, lorsque l’on vend un lot de copropriété, des informations sur la situation matérielle et financière de l’immeuble collectif, sur le fonctionnement de la copropriété, sur les dernières décisions qui ont été votées par l’assemblée générale, etc. 

 

II – Opposabilité de la vente

 

Même lorsque la vente est conclue, il est important de rendre opposable la mutation aux tiers, ce qui va impliquer de déposer l’acte au service de la publicité foncière. De prime abord, cela fonctionne comme en Chine où la transmission des droits réels doit également donner lieu à une formalité auprès de la publicité foncière.

 

Il y a tout de même deux différentes importantes.

 

- 1re différence :

 

·       En Chine, l’article 209 du Code civil indique que « La création, la modification, le transfert ou l’extinction d’un droit réel immobilier prennent effet à la suite de son inscription effectuée conformément à la loi ; à défaut d’inscription, ils ne produisent pas d’effets juridiques, sauf si la loi en dispose autrement ». La publicité a donc, en principe, un rôle constitutif.

 

·       En France, au contraire, l’effet translatif n’est pas subordonné à la publication. Ce transfert a lieu entre les parties par le seul échange des consentements. La publication de l’acte permet uniquement de rendre la mutation opposable aux personnes qui viendraient à acquérir des droits concurrents sur le même immeuble.

 

Le mot « opposable » est sans doute difficile à traduire en chinois. Concrètement, cela veut dire que si la vente n’est pas publiée et que le vendeur décide de vendre une deuxième fois le même bien à un second acquéreur, le second acquéreur l’emportera sur le premier s’il publie son titre le premier. Tant qu’elle n’est pas publiée, tout se passe comme si la première vente n’existait pas aux yeux du deuxième acquéreur.

 

De même, tant que la vente n’est pas publiée, elle n’existe pas aux yeux d’un créancier du vendeur, lequel pourra donc, malgré la vente, continuer de saisir l’immeuble dans le patrimoine du vendeur.

 

- 2e différence (qui est liée à la première) :

 

·       En Chine, la publicité n’est possible qu’après que des vérifications auront été faites par le bureau des inscriptions, notamment sur les pièces justificatives du droit que l’on veut inscrire.

 

·       En France, le service de la publicité foncière se borne à un contrôle de régularité formelle de l’acte à publier, et cela sur des points précis. Les vérifications de fond sont faites en amont, par le notaire chargé de recevoir l’acte de vente. Le principe, en droit français, est en effet que la vente ne peut pas être publiée si elle n’est pas constatée dans un acte authentique.

 

à Cette authenticité obligatoire des actes que l’on veut publier est justifiée par le fait que le notaire va opérer de nombreuses vérifications (notamment sur la réalité des droits du vendeur) qui permettront d’assurer la fiabilité des informations contenues dans le registre.

 

III – Effet de la vente

 

La vente fait naître des obligations à la charge du vendeur et à la charge de l’acheteur.

 

A – Obligations du vendeur

 

Le vendeur est d’abord tenu d’une obligation de délivrance conforme :

 

-        Cela veut dire d’une part qu’il doit mettre le bien vendu à la disposition de l’acheteur (ex. : remise des clefs).

 

-        Cela veut dire d’autre part que le bien délivré doit être conforme aux caractéristiques fixées dans l’acte de vente.  Par exemple, si le bien vendu est décrit dans l’acte comme un « terrain non pollué », le vendeur engagera sa responsabilité dans l’hypothèse où le bien serait finalement affecté d’une pollution.

 

Des règles particulières détaillent cette obligation de délivrance conforme à propos de la superficie du bien vendu, les textes tolérant ici une marge d’erreur de 5%.

 

Le vendeur est ensuite tenu à une garantie à l’égard de l’acheteur. Cette garantie a un double objet :

 

-        Premier volet : la garantie d’éviction, qui consiste pour le vendeur à garantir à l’acheteur qu’il lui transmet une propriété nette et sans bavure. Elle comporte deux volets.

 

D’une part, le vendeur garantit l’acheteur qu’il s’abstiendra, ultérieurement à la vente, de tout comportement qui réduirait la jouissance des droits qu’il lui a transmis. On parle ici de la garantie d’éviction du fait du vendeur, qui est d’ordre public.

 

D’autre part, le vendeur garantit également l’acheteur qu’aucun tiers n’aurait des droits à faire valoir et dont l’acquéreur n’aurait pas été informé. C’est ce que l’on appelle la garantie d’éviction du fait des tiers qui, quant à elle, peut faire l’objet d’un aménagement contractuel.

 

-        Deuxième volet : Le vendeur doit ensuite garantir l’aptitude du bien à un usage normal, ce que l’on appelle la garantie des vices cachés.

 

La mise en jeu de cette garantie suppose la réunion de plusieurs conditions : 1/ il faut montrer que le bien vendu est affecté d’un défaut qui le rend impropre à l’usage auquel on le destine (ex. : fondations défectueuses, insuffisante solidité de poutres maîtresses d'un appartement, présence de termites, humidité excessive d'un terrain à bâtir, etc.) ; 2/ le défaut doit être caché, c’est-à-dire non perceptible par l’acheteur au moment de la vente.

 

Si ces conditions sont réunies, l’acheteur dispose d’un délai de deux ans pour agir à compter de la découverte du vice, dans la limite d’un délai butoir de 20 ans à compter de la conclusion de la vente.

 

Cette action permet à l’acheteur d’obtenir la remise en cause de la vente ou, plus modestement, une simple réduction du prix.

 

Cette garantie n’est pas d’ordre public : à condition que le vendeur ait ignoré les vices, il peut s’en exonérer (étant observé que le vendeur professionnel est irréfragablement présumé connaître les vices). J’observe que l’on trouve un système comparable à l’article 618 du Code civil chinois.

 

B – Obligations de l’acheteur

 

Les obligations de l’acheteur appellent des développements plus brefs puisqu’elles se résument au paiement du prix.

 

L’investissement immobilier est si conséquent que, très souvent, l’acheteur ne disposera pas des fonds nécessaires. Il lui faudra trouver un moyen de financer le prix d’acquisition.

 

Deux solutions concevables : 

 

-        Il est possible, même si la chose est rare, de prévoir que l’acheteur paiera le prix non pas au moment de la vente mais dans un délai fixé par le contrat, ce que l’on appelle une vente à crédit.

 

Dans ce cas, le vendeur est protégé : il pourra tout d’abord inscrire une hypothèque sur le bien vendu afin de la prémunir contre le non-paiement du prix. En cas de non-paiement du prix, le vendeur aura le choix : soit de procéder à la saisie immobilière du bien vendu et de se prévaloir de son hypothèque lors de la distribution du prix ; soit de provoquer l’anéantissement de la vente en mettant en œuvre la résolution pour inexécution.

 

-        Plus souvent, l’acheteur aura recours au crédit bancaire.

La banque a alors la possibilité de bénéficier d’une hypothèque sur l’immeuble acquis par l’emprunteur. Le recours au crédit est quasi-systématique en France. Le contexte actuel de hausse des taux d’intérêts a pour conséquence un ralentissement très conséquent du volume des ventes, les acheteurs ne parvenant plus à se financer.

 

En conclusion, j’aimerais dire un mot sur l’avenir du droit français de la vente d’immeuble. Vous savez peut-être que les pouvoirs publics français ont engagé une réflexion sur la réforme du droit des contrats spéciaux. C’est un chantier de très longue haleine, au cours duquel toutes les professions sont invitées à formuler des propositions. Lors du 118e Congrès des notaires qui s’est tenu à Marseille en septembre 2022, le notariat a formulé une proposition audacieuse : solenniser la vente d’immeuble ; en d’autres termes, subordonner la perfection du contrat de vente à la signature d’un acte notarié.

 

Ce serait une grande avancée pour la sécurité juridique. Espérons que cette proposition soit entendue, ce qui achèverait d’ancrer le notaire français dans son rôle de chef d’orchestre de la vente des immeubles en France…



 

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