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L’administration de la succession en droit français

L’administration de la succession en droit français

 

Michel GRIMALDI

Professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas

 

1. Importance de l’administration de la succession et rôle du notaire. Dans leur étude de « La participation notariale au système de gestion du patrimoine successoral sous l’angle du Code civil », publié dans le Courrier du Centre du premier trimestre 2021, M. LI Zhijiang, du Bureau de la Justice de la province du Jiangsu, et M. JI Songxiang, notaire à Nanjing, ont souligné toute l’importance que revêt l’administration des successions et le rôle que pourrait ou devrait jouer le notaire en ce domaine.

C’est à la lumière de cette réflexion que je voudrais vous présenter sommairement l’état du droit français. 

Observation liminaire. En droit français, l’administration de la succession désigne la gestion du patrimoine successoral, et non le partage de la succession, à la différence du Code civil chinois qui règlemente le partage dans un chapitre intitulé « Administration des biens successoraux » (C. civ., art. 1145 à 1163). S’agissant d’exposer le droit français, il ne sera en principe question que la gestion de la succession, à l’exclusion du partage.

 

2. Saisine et administration de la succession. Le principe en droit français est que les héritiers sont dès le décès habilités à entrer en possession de la succession et à exercer les droits du défunt. C’est le principe dit de la saisine, suivant lequel les héritiers sont saisis automatiquement des droits du défunt : ils peuvent appréhender les biens laissés par le défunt ; ils peuvent payer ses dettes et exiger le paiement des créances dont il était titulaire ; ils lui sont substitués, en demande comme en défense, dans les actions en justice (C. civ., art. 723). C’est l’un des traits qui caractérise le système de la succession à la personne, par opposition au système de la succession aux biens, où l’administration de la succession est confiée à un tiers.

 

3. Trois mandats. Cela dit, le droit français prévoit la possibilité que l’administration de la succession soit confiée à un tiers. La loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions a créé dans le Code civil un chapitre intitulé « De l’administration de la succession par un mandataire » (art. 812 à 814-1). Trois mandats y font l’objet chacun d’une section distincte.

Le premier est le mandat à effet posthume, qui est donné et imposé par le de cujus. Réglementé en douze articles (art. 812 à 812-7), il constitue, à la différence des deux autres, une innovation majeure de la loi de 2006. Il permet au de cujus de confier la gestion de sa succession à un tiers et emporte corrélativement le dessaisissement de ses héritiers.

Le deuxième est le mandat conventionnel, qui est donné et consenti par les héritiers. Objet d’un unique article (art. 813), il est un mandat banal que les héritiers donnent à l’un d’eux ou à un tiers de gérer la succession. Il relève entièrement du droit commun du mandat, auquel le texte renvoie, et il n’emporte donc aucun dessaisissement des héritiers.

Le troisième mandat prévu par la loi est le mandat judiciaire, qui est donné et imposé par le juge. Prévu et réglementé par onze articles du Code civil (art. 813-1 à 814-1), qui, pour une part, consacrent des solutions jurisprudentielles bien acquises, il emporte le dessaisissement des héritiers.

 

4. Rôle du notaire. Ici, dans ce Centre qui un lieu de formation d’échanges notariaux et pour faire écho à l’étude de M. LI Zhijiang et M. JI Songxiang, il convient de rechercher quel est le rôle du notaire dans les quatre figures qui peuvent se présenter, suivant que l’administration de la succession ne fait l’objet d’aucun mandat ou qu’elle fait l’objet de l’un des trois mandats qui viennent d’être indiqués.

1°. La succession sans mandat.

5. Comme il a été dit, les héritiers sont habilités par la saisine à administrer la succession. Mais il ne faudrait pas en conclure qu’ils peuvent « se débrouiller » tout seul. En effet, pour exercer leurs droits, ils recourent très souvent aux services du notaire. En voici quelques illustrations :

         Pour exercer leurs droits héréditaires, il leur faut évidemment prouver leur qualité d’héritier. Or cette preuve est le plus souvent rapportée par un acte notarié, que l’on appelle acte de notoriété. Le notaire qui établit cet acte ait deux choses : d’une part, il procède à certaines vérifications en consultant des documents tel le Livret de famille (ou sont portés le mariage, les naissances et les décès) ; d’autre part, il recueille la déclaration des héritiers qui affirment leur qualité et aussi, parfois, les déclarations de témoins qui confirment les dires des héritiers. Et l’acte ainsi dressé a pour effet majeur d’établir la vocation successorale des héritiers à l’égard des tiers, qui peuvent ainsi s’y fier sans crainte. On soulignera ici que cet instrument de sécurité juridique avait été créée par le Notariat avant que la loi de 2006 ne le consacre : bel exemple de l’inventivité notariale !

         Lorsque l’héritier veut vendre un immeuble, il faut que la transmission héréditaire ait été publiée sur les registres de la publicité foncière. Or cette publication est nécessairement celle d’un acte notarié, que l’on appelle attestation immobilière, où la transmission successorale se trouve relatée.

         Tout héritier doit établir une déclaration qui permette à l’administration fiscale de calculer l’impôt sur la succession dont il est redevable. Or cette déclaration de succession est très souvent confiée à un notaire. 

         Tout testament olographe découvert après l’ouverture de la succession doit être déposé chez un notaire, qui en assure ainsi la conservation.

         Lorsque la succession est acceptée à concurrence de l’actif net (ce qui a pour effet que l’héritier n’est plus tenu au passif indéfiniment et ne doit donc payer les dettes du défunt qu’à hauteur de l’actif)), toute la procédure prévue par la loi est très généralement diligentée par un notaire (qui établit l’inventaire que l’héritier est tenu de faire et auprès duquel les créanciers procèdent à la déclaration de leurs créances que la loi leur impose).

 

6. Ajoutons que lorsque le partage est judiciaire, parce que les héritiers ne s’accordent pas sur le calcul des droits de chacun, ou se disputent sur la composition ou l’attribution des lots, le rôle du notaire est essentiel.

Dans toute succession de quelque importance, le tribunal qui ordonne la liquidation et le partage commet un notaire chargé de proposer un acte contenant le calcul des droits de chacun et précisant la composition des lots (qui seront ensuite tirés au sort). Le notaire est alors un auxiliaire du juge et joue un rôle central : il a le pouvoir de convoquer les héritiers, il leur présente l’état liquidatif qu’il a établi et recueille leurs observations. Souvent, il obtient leur adhésion grâce à ses talents de conciliateur qui font de lui un magistrat de l’amiable : le partage cesse alors d’être judiciaire pour devenir un partage amiable. Mais s’il ne réussit pas accorder les héritiers, son état liquidatif est soumis au tribunal et, si le tribunal l’approuve, il devient l’acte de partage de la succession. Ajoutons que si un héritier fait de l’obstruction – il ne répond jamais, ne dit ni oui ni non, ou encore ne se rend pas aux convocations sans en donner de motif sérieux – le notaire peut demander au juge de désigner une personne qui le représentera au cours des opérations du partage judiciaire.

 

2°. La succession sous mandat posthume

7. Le mandat posthume est le mandat par lequel le de cujus, en prévision de sa mort, confie à un tiers la gestion de tout ou partie de sa succession dans l’intérêt et pour le compte de ses héritiers ou de certains d’entre eux. Il retire ainsi l’administration de tout ou partie de sa succession à tous ses héritiers ou à certains d’entre eux.

Ce mandat n’est cependant valable que s’il est justifié par un intérêt légitime et sérieux, tenant soit à la personne de l’héritier soit à la nature des biens successoraux : il peut ainsi être causé par l’âge, l’incompétence, la prodigalité ou l’incapacité de tel ou tel héritier, comme par les difficultés de gestion que peuvent poser des biens tels des entreprises, des œuvres d’art, des valeurs mobilières sensibles ou des propriétés intellectuelles.

Ce mandat est, selon sa cause, d’une durée maximum de deux à cinq ans, mais il peut être prorogé par le juge de sorte qu’il peut perdurer de nombreuses années.

Quant aux pouvoirs du mandataire, ils varient selon que les héritiers ont accepté la succession ou n’ont pas encore opté, et aussi, bien entendu, selon les termes du mandat. On se bornera à signaler ici que le mandataire peut toujours prendre des mesures fort utiles en présence d’une entreprise qui dépend de la succession : il peut accomplir tous les actes qui permettent d’assurer la poursuite de l’exploitation et même la restructuration qu’avait décidée le de cujus.

 

8. Ce mandat intéresse le notariat à deux titres.

• En premier lieu, il est un contrat solennel : à peine de nullité, il doit être passé par acte authentique. Cette exigence s’explique par la nature de l’acte, qui est une disposition à cause de mort d’une particulière gravité. Le conseil du notaire est précieux. A noter que l’acceptation du mandataire, qui doit intervenir du vivant du de cujus, doit aussi être faite devant notaire si elle est donnée par un acte séparé.

• En second lieu, un notaire peut être choisi comme mandataire. Trois précisions sur ce choix :

         Le notaire qui a accepté les fonctions de mandataire successoral ne peut prendre en charge le règlement de la succession : la loi prévient ainsi une confusion des genres, notamment celle qui pourrait résulter de la réunion sur la tête du même notaire de plusieurs mandats différents (mandat posthume d’administrer la succession ; mandat conventionnel de la liquider et de la partager).

         Le notaire peut convenir avec le de cujus d’une rémunération, qui est toute naturelle s’agissant d’une prestation professionnelle (même si, en principe, le mandat est gratuit).

         Le notaire doit rendre compte de sa gestion chaque année et en fin de mandat. Et toute faute de gestion engage sa responsabilité suivant les règles du droit commun du mandat, qui sont plus rigoureuses lorsque le mandat est rémunéré que lorsqu’il est gratuit.

 

9. Dernière observation. Le mandat posthume ne doit pas être confondu avec l’exécution testamentaire (différence avec le droit chinois ? : V. art. 1145, C. civ.).  Certes, ces deux mandats donnés pour après la mort du mandant. Mais ils se distinguent clairement par leur objet. La mission de l’exécuteur testamentaire, précise et ponctuelle, est d’exécuter les legs consentis par le de cujus, alors que celle du mandataire posthume, plus générale et plus durable, est d’administrer tout ou partie de la succession. 

Certes, il peut arriver que leurs pouvoirs se recoupent. Ainsi, un désaccord peut naître entre un exécuteur testamentaire investi du pouvoir de vendre les meubles pour exécuter les legs de sommes d’argent et un mandataire posthume ayant reçu un mandat étendu à l’ensemble des meubles : ils peuvent s’opposer sur les meubles qu’il convient de vendre pour payer les légataires. Mais, en ce cas, les pouvoirs de l’exécuteur testamentaire tiennent en échec ceux du mandataire posthume. La raison en est que le mandataire ne saurait perturber l’exécution des legs consentis par celui-là même de qui il tient ses pouvoirs. Naturellement, un notaire peut tout à fait être désigné comme exécuteur testamentaire.

 

3°. La succession sous mandat des héritiers

10. Ce mandat est sans doute le plus usuel. Il a toujours existé : en droit, il s’agit d’un mandat de droit commun, qui n’a besoin d’aucun texte particulier ; en fait, il est la manifestation des relations de confiance qui se créent entre un notaire de famille et ses clients.

Ainsi, souvent, l’héritier ou les héritiers donnent un mandat au notaire pour encaisser les sommes dues par les créanciers ou pour recevoir les sommes que le de cujus avait déposées en banque. Ces sommes sont alors versées sur un compte que le notaire ouvre au nom du client (plus exactement, au nom de la succession). En outre, le notaire reçoit aussi mandat de payer avec cet argent les dettes dont la succession peut être tenue. Si, par exemple, un immeuble locatif dépend de la succession, le notaire encaisse les loyers dus par les locataires et paie les charges qui incombent au propriétaire, les impôts fonciers, les primes d’assurance, etc. Un tel mandat n’a pas pour seul avantage la commodité des héritiers, déchargés d’une gestion qui peut être lourde. Il a aussi pour mérite d’assurer la sécurité des créanciers, qui sont sûrs de payer ce qu’ils doivent en de bonnes mains sans se préoccuper de la dévolution de la succession.

Ainsi encore, lorsque les héritiers décident de vendre un immeuble successoral, parce que cet immeuble n’est pas divisible entre eux, ou parce qu’il n’intéresse aucun d’eux, ou parce qu’ils ont besoin de liquidités (par exemple, pour payer les droits de succession), ils peuvent demander au notaire de chercher un acquéreur. Le notaire, qui est un acteur présent sur tout le marché immobilier, est bien placé pour mener à bien cette mission. Il exécute ainsi une mission de négociation, qui est évidemment distincte de la mission d’authentification qu’il accomplira lorsqu’il dressera l’acte de vente.

 

11. Ce mandat appelle deux précisions, qui montrent toute l’utilité, aux yeux de la loi, de ce mandat conventionnel.

• En premier lieu, si la succession est indivise parce que dévolue à plusieurs héritiers, le peut être donné par celui ou ceux des indivisaires qui sont titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis. Le mandat est encouragé car l’indivision est souvent une source de conflit entre indivisaires qui ne s’accordent pas sur la gestion des biens indivis. Mais il ne peut alors s’agir que d’un mandat général d’administration, duquel sont exclus les actes de disposition.

• En second lieu, lorsque des titres de participation dans un société (des actions, par exemple) sont indivises entre les héritiers, le mandat devient obligatoire. Les héritiers doivent donner mandat, à l’un d’eux ou à un tiers, à l’effet de les représenter dans les assemblées générales. S’ils ne s’accordent pas sur cette désignation, qui doit se faire à l’unanimité, le juge y procède à la demande du plus diligent. Ce mandat vise à éviter que la vie sociale ne soit perturbée par un désaccord entre les héritiers sur la position à adopter lors des votes en assemblée. Aussi bien les héritiers conservent-ils le droit de recevoir les informations dues aux associés, de participer aux assemblées et de s’y exprimer : c’est au moment du vote seulement, que leur mandataire leur est substitué. 

 

4°. La succession sous mandat judiciaire

12. Le mandat judiciaire est, comme son nom l’indique, un mandat que donne le juge à une personne de gérer la succession au nom des héritiers. Parce qu’il aboutit à un dessaisissement imposé aux héritiers, privés du pouvoir de gérer des biens qui leur appartiennent, il ne peut être qu’exceptionnel.

• Ainsi, s’agissant de ses conditions, la loi précise que ce mandat peut être donné pour des raisons qui tiennent soit à la personne d’un ou de plusieurs héritiers, soit à l’état de la succession. Plus précisément, ce mandat suppose soit l’inertie, la carence ou la faute d’un ou plusieurs héritiers dans l’administration de la succession, ou encore une mésentente entre eux, soit la complexité de la situation successorale.

Mais toute personne qui y a intérêt, et aussi le Ministère public, peut demander au juge la nomination de ce mandataire : un héritier, un créancier de la succession, toute personne qui, avant l’ouverture de la succession, administrait tout ou partie des biens du de cujus (par exemple, un fiduciaire).

• Quant à l’étendue du mandat, elle est fixée par le juge.

S’agissant de son assiette, le mandat peut porter sur toute la succession, ou sur tel ou tel bien particulier (une entreprise, un monopole d’exploitation, un portefeuille de valeurs mobilières, un immeuble locatif, etc.).

S’agissant de sa durée, elle est librement fixée par le juge : la loi ne prévoit aucun maximum, et le juge peut toujours la proroger.

S’agissant des pouvoirs du mandataire, ils sont encore définis par le juge. Celui-ci peut autoriser le mandataire à effectuer l’ensemble des actes d’administration : il lui donne alors, lors de son entrée en fonction, une habilitation générale. Il peut aussi l’autoriser à accomplir les actes de disposition nécessaires à la bonne administration de la succession : il lui donne alors, le moment venu, une habilitation spéciale, où il précise le prix et les conditions principales de la cession.

Une précision importante : les pouvoirs du mandataire judiciaire ne peuvent empiéter ni sur ceux du mandataire posthume ni sur ceux de l’exécuteur testamentaire. Cette hiérarchie s’explique aisément : tant que leur validité n’a pas été contestée avec succès, les dispositions prises par le de cujus pour assurer la gestion de sa succession ou l’exécution de ses dernières volontés s’imposent au juge, qui ne saurait les neutraliser en nommant un mandataire judiciaire.

13. Ce mandat intéresse le notaire à un double titre.

• D’une part, le notaire peut être désigné comme mandataire judiciaire. La loi vise en effet une « personne qualifiée » : ce qu’est évidemment un notaire. Étant ici précisé :

         que le mandataire judiciaire est rémunéré, le montant de sa rémunération étant fixée par le juge ;

         qu’il est tenu d’une obligation de rendre compte de l’exécution de sa mission, aux héritiers et au juge ;

         qu’il est placé sous la surveillance du juge qui peut le convoquer, lui demander des informations et lui enjoindre l’accomplissement de certains actes ;

         que, s’il défaille dans l’exercice de sa mission, il engage sa responsabilité civile dans les conditions propres au mandat salarié, et peut, en cas de manquement grave, être dessaisi de sa mission.

• D’autre part, le notaire, étant chargé de régler la succession, et le mandataire judicaire, chargé de l’administrer, seront très souvent en relations étroites. Et le notaire sera bien placé pour contrôler le mandataire judiciaire et dénoncer au juge ses fautes de gestion. A cet égard, on relèvera que, dans leur étude, M. LI Zhijiang et M. JI Songxiang soulignent le rôle que devrait jouer le notaire chinois en tant que « superviseur de l’administration de la succession » (4.3).

 

14. Pour conclure, retenons que le notaire occupe en France une place de tout premier plan dans l’administration de la succession, mais que ce n’est pas une place que le Code civil lui a expressément réservée : c’est une place que d’autres peuvent occuper, mais que le notaire a su conquérir parce qu’il est à la fois l’homme du compromis, de l’amiable, et l’homme de la sécurité juridique.

Or, dans leur étude, M. LI Zhijiang et M. JI Songxiang soulignent tout à la fois que « le grand public chinois a toujours gardé une aversion pour les procès » (2.) et que la sécurité juridique est une exigence de l’état de droit. Il y a donc tout lieu de penser que le Notariat chinois, s’il le veut bien, est appelé à jouer dans l’avenir un rôle majeur dans l’administration des successions.



 

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