Plan de site  |  Contact
 
2024
eVous êtes ici: Accueil → Courrier du Centr

L’acte authentique électronique en France : les principes fondamentaux

L’acte authentique électronique en France :

les principes fondamentaux

 

 

Maxime JULIENNE

Professeur en sciences juridiques à l'Université Paris Saclay

Professeur de Droit privé

 

 

Le droit français repose sur une distinction fondamentale : celle des actes sous seing privé et des actes authentiques. Cette distinction est très ancienne. Elle existait déjà en Ancien droit (avant la révolution de 1789) et elle fut au centre du Code civil de Napoléon promulgué en 1804. Personne n’a songé à la remettre en cause lors de la réforme du droit des contrats de 2016.

 

Aujourd’hui, l’article 1364 du Code civil dispose que « La preuve d'un acte juridique peut être préconstituée par un écrit en la forme authentique ou sous signature privée. »

 

Quelle est la différence entre ces deux types d’actes ? Leur source et leur autorité.

 

L’acte sous seing privé est dressé par les contractants eux-mêmes (même s’il est préparé par leurs conseils, souvent des avocats). L’autorité de cet acte tient à celle de ses signataires, qui sont de simples personnes privées. Autrement dit, cet acte n’a aucune autorité particulière. Ainsi, par exemple, la date de cet acte ne s’impose pas aux tiers, qui peuvent toujours la contester.

 

Cet acte n’a pas d’autorité particulière parce qu’il ne présente aucune garantie particulière. Lorsqu’une personne produit un acte privé, on ignore son origine et les conditions dans lesquelles il a été élaboré. Peut-être même l’acte est-il faux !

 

Par conséquent cet acte a des effets limités. Il n’a pas de force probante particulière et peut être librement contesté en justice. Par exemple, le défendeur à qui on oppose un acte sous seing privé peut dénier sa signature : il dit que ce n’est pas lui qui a signé l’acte. Comme le juge n’a aucune garantie sur l’origine de l’acte, qui est purement privé, il va devoir faire une « vérification de signature » régie par le Code de procédure civile. C’est seulement si la vérification est concluante que l’acte sera tenu pour valable au plan probatoire, et que le débiteur pourra être condamné.

 

L’acte privé n’a pas de force exécutoire. Il ne peut pas donner lieu à une exécution forcée immédiate. Pour obtenir l’exécution forcée de l’acte il faut recourir au juge et obtenir un jugement de condamnation du débiteur : en fait, c’est le jugement que l’on va faire exécuter, jamais l’acte sous privé lui-même !

 

En outre, l’acte sous seing privé n’est pas publiable au fichier immobilier. Cela s’explique par le fait qu’il n’existe aucune garantie quant à la véracité des informations qu’il contient. Par souci de sécurité, le Code civil réserve la publicité aux actes authentiques.

 

Bref, on voit que l’acte sous seing privé est en quelque sorte incomplet. Il ne produit que des effets limités.

 

L’acte authentique est un acte public. Il est dressé, à la demande des justiciables, par un représentant de l’État. L’acte notarié est le type principal d’acte authentique. Mais cette catégorie englobe aussi les actes dressés par les huissiers de justices, les jugements, les actes d’état civil, etc. Le point commun est que tous ces actes émanent de l’autorité publique.

 

Cela donne à l’acte des garanties très sérieuses quant à son origine, sa légalité, l’identité des parties, etc. Ces garanties justifient que le droit français donne à cet acte des effets beaucoup plus étendus qu’à un acte sous seing privé.

 

Cet acte a d’abord une « date certaine ». Cela signifie que sa date est tenue pour vraie sans qu’on puisse la contester. Par exemple, un locataire peut ainsi prouver que son bail est antérieur à la vente du bien par le bailleur, et opposer ainsi son bail au nouveau propriétaire.

 

Plus généralement, l’acte authentique est doté d’une force probante renforcée. Les parties à l’acte ne peuvent pas dénier leur signature pour déclencher une vérification. L’acte est tenu pour vrai, et c’est aux parties désignées dans l’acte de prouver spécifiquement qu’il s’agit d’un faux. Il faut pour cela faire une procédure très lourde appelée « inscription de faux ». C’est une procédure à la fois civile et pénale ; si le signataire échoue dans cette procédure, il peut être condamné à une amende importante.

 

L’acte authentique est aussi doté de la force exécutoire. Cela signifie que l’acte peut donner lieu à des mesures d’exécution forcée sans qu’il soit besoin d’obtenir un jugement de condamnation contre le débiteur. Cela est d’une importance pratique majeure : le créancier gagne plusieurs mois, voire plusieurs années !

 

L’acte authentique peut enfin être publié au fichier immobilier. Les conditions de son élaboration garantissent la véracité des informations qu’il contient, ainsi que sa légalité et le fait qu’il ne méconnaît pas les droits d’un tiers.

 

Bref, on constate que l’acte authentique est doté de tous les attributs qui font défaut à l’acte sous seing privé. On peut vraiment dire que l’acte authentique est un acte complet, un instrument de preuve, d’opposabilité et d’exécution, tandis que l’acte sous seing privé ne remplit parfaitement aucune de ces fonctions.

 

Si l’on en revient au fondement de l’authenticité, elle réside dans le statut du notaire. Celui-ci n’est pas un fonctionnaire, mais un officier public. Il a une clientèle personnelle et une responsabilité personnelle, mais il agit sur délégation et sous contrôle de l’État. Il est nommé par le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, et doit être titulaire d’un office (sauf dans certains départements).

 

Le notaire pour mission d’assurer la sécurité et la légalité des actes. Il est un « témoin privilégié » qui atteste des conditions d’élaboration de l’acte. Il garantit notamment l’identité des parties, l’objet des obligations, la date de signature, etc. C’est parce que ces vérifications sont faites que l’acte est sûr, et c’est parce que l’acte est sûr qu’on peut lui reconnaître des effets si importants.

 

On voit donc que le cœur de la notion d’acte authentique, c’est le notaire, ses diligences et son statut. Or l’introduction de la technologie dans le processus d’élaboration de l’acte pose des difficultés.

 

Traditionnellement, l’acte était rédigé à la main par le notaire. Cela était lent et compliqué, mais cela présentait une très forte sécurité : il était impossible de substituer une page de l’acte, car il aurait fallu pour cela imiter l’écriture du notaire sur toute une page !

 

Quand la machine à écrire est apparue, on a craint une perte de fiabilité de l’acte. Pendant longtemps, la loi n’admettait pas l’acte notarié tapé à la machine. C’est une loi de 1926 qui l’a autorisé. Et elle a pris des précautions : pour éviter les substitutions de pages, on a imposé le paraphe de chaque feuillet ; pour éviter les altérations frauduleuses du titre, on a imposé l’usage d’une encre spéciale, dont la composition était agréée par le Ministère de la Justice !

 

Ensuite est venu l’acte électronique. Celui-ci a été intégré dans le Code civil par une loi du 13 mars 2000. Mais cette loi posait seulement le principe. Ensuite il a fallu mettre en place tous les outils. Ce fut long, compliqué et coûteux.

 

Un décret du 10 août 2005 a posé le véritable régime de l’acte notarié électronique. Et il a encore fallu attendre 2008 pour que le dispositif soit vraiment opérationnel et que le premier acte électronique soit signé.

 

Le décret du 10 août 2005 prévoyait déjà un acte notarié « à distance », avec deux notaires, quand les clients ne sont pas eu même endroit et ne veulent pas faire le déplacement (par exemple un à Paris, l’autre à Marseille). Mais là encore, la mise en œuvre a pris du temps : c’est en 2018 que l’acte à distance est devenu une réalité de la pratique notariale.

 

Pourquoi cela a-t-il été si long ? Parce que la technique présente des risques qui doivent être maîtrisés. En particulier, c’est la question de la signature qui est délicate dans l’acte électronique et dans l’acte à distance.

 

La signature électronique est aujourd’hui règlementée au niveau européen, par le règlement eIDAS du 23 juillet 2014. Il y a plusieurs degrés de signature en terme de sécurité. Celle qui présente le plus haut degré de fiabilité c’est la signature « qualifiée ». Il y a trois choses à retenir : 1°) elle répond à des conditions très strictes au plan techniques ; 2°) elle est délivrée par un prestataire de service de confiance qualifié ; 3°) elle est délivrée suite à une vérification d’identité opérée par le prestataire.

 

Pour l’acte électronique (non à distance), les textes posent deux règles : 1°) le notaire doit utiliser un procédé de signature électronique qualifiée (en pratique, les Chambres fournissement des Clés Réal) ; 2°) pour les clients, il était trop lourd de leur fournir des instruments de signature, dont les textes se contentent d’une signature sur tablette. Or, comme ce n’est pas une signature manuscrite, ni une signature électronique qualifiée, en fait cette signature sur tablette n’a pas de portée juridique véritable ! C’est un peu comme si l’acte n’était signé que par le notaire ; le consentement et l’identité des partes est suffisamment attesté par les déclarations de l’officier public. Tel est la logique du dispositif actuel.

 

Une fois signé de la sorte, l’acte est automatiquement transmis à un minutier central (le MICEN) qui est géré par l’ADSN. Cela constitue un changement très profond dans la profession : le notaire ne conserve plus ses actes, car cette tâche est gérée de manière mutualisée à l’échelle de la profession.

 

L’ensemble de ce système a été pensé pour que la notion d’authenticité ne soit pas altérée. Il existe un principe d’équivalence entre l’acte papier et l’acte électronique. Ils sont exactement le même statut juridique et les mêmes attributs.

 

La profession a fortement favorisé le recours à l’acte électronique et tend à un objectif de « 100 % AAE ».

 

L’étape suivante, c’est celle de l’acte véritablement à distance. Dans ce cas, le notaire et le client ne sont pas présents au même endroit. Ils communiquent par visioconférence. La possibilité d’un tel acte a été discutée dès la loi de 2000 sur l’acte électronique. A l’époque, tout le monde considérait que cette modalité n’était pas admissible, car le notaire doit recueillir lui-même et directement le consentement.

 

La crise du COVID a fait évoluer les choses : les mesures de confinement ont empêché la réception d’actes authentiques dans des conditions normales. La seule manière de résoudre la difficulté tait d’admettre l’acte à distance ! Un décret fut adopté en avril 2020 « autorisant l’acte notarié à distance ». C’était un texte temporaire, il a cessé de s’appliquer à la fin de la crise sanitaire. Mais la pratique était très favorable à cet outil. Un autre décret, adopté en novembre 2020 à pérennisé l’acte à distance, mais en le limitant aux seules procurations.

 

Dans l’acte à distance, le notaire signe avec sa clé Réal, comme dans n’importe quel acte électronique. En revanche, pour les parties, on a considéré que la distance exigeait des précautions supplémentaires. Le décret impose donc aux clients l’usage d’une signature électronique qualifiée. Cela pose quelques difficultés en pratique, car il faut recourir à un prestataire tiers pour délivrer aux clients les outils de signatures.

 

 

 

 



 

© 2008 Centre sino-français de Formation et d’Echanges notariaux et juridiques à Shanghai.

版权所有 2008 上海中法公证法律交流培训中心

沪ICP备17007739号-1 维护:睿煜科技