Historique
de la fiducie
De
la fiducie romaine à la fiducie à la française.
Sébastien
COLLET, Notaire à Laval
Marjorie
GRAND, Notaire à Valence
Marion
GIRARD-CABOUAT, Notaire à Annecy
D'origine
romaine, la fiducie permet :
• la
gestion d'un patrimoine, fiducia cum amico ;
• la
garantie d'une créance, fiducia cum creditore.
À Rome, la fiducie se présente
comme un transfert volontaire de propriété (mancipio)
auquel on adjoint un pacte (pactum fiducia) qui
détermine les conditions dans lesquelles le bien doit être retransféré.
Le mécanisme a évolué, mais les
principes restent les mêmes : le titulaire d'un droit sur un patrimoine, le
constituant, consent un transfert de propriété de tout ou partie de ses droits
à un tiers, le fiduciaire, au bénéfice d'une troisième personne, le
bénéficiaire, qui peut très bien être le constituant lui-même.
Au Moyen Âge et notamment
durant les croisades, la fiducie permet aux croisés de transmettre la propriété
de leurs terres à un tiers, à charge pour lui de les restituer à leur retour ou
de les transférer à ses héritiers s'il ne rentrait pas de Terre sainte. Elle se
manifeste ensuite sous la forme de substitutions fidéicommissaires permettant
ainsi d'obliger l'héritier ou le légataire à conserver les biens transmis et à
les transférer au décès du constituant à un tiers désigné à l'avance.
Le Code civil l'ignore, y
voyant une réminiscence féodale qui ne visait qu'à éviter le morcellement des
plus grands patrimoines. La thèse de doctorat de M. Witz
montre qu'il existe bien dans notre droit des mécanismes
juridiques qui se rapprochent dans leurs caractéristiques de la fiducie
(cession Dailly, cession-bail...). La doctrine s'intéresse à la question via
divers colloques poussant
également la pratique à militer pour une consécration législative.
La signature par la France de
la Convention de La Haye du 1er juillet 1985,
relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance (qui n'est
toujours pas ratifiée à ce jour...) accélère cette consécration : comment
serait-il possible de reconnaître un trust légalement constitué à l'étranger et
de continuer à ignorer l'institution de la fiducie en droit interne ?
Plusieurs avant-projets de loi,
en 1989, 1992 et 1994 ont été rédigés, tendant à instaurer un régime général de
la fiducie. Devant l'opposition systématique de l'administration fiscale, ces
projets n'ont pas abouti.
Il faut attendre la loi no 2007-211
du 19 février 2007 pour que la fiducie soit enfin reconnue et entre dans le
Code civil. On réservait initialement la constitution d'une fiducie aux seules
personnes morales soumises de plein droit ou sur option à l'impôt sur les
sociétés. Cette limite en restreignait singulièrement l'usage et a suscité de
vives critiques de la doctrine.
Parallèlement à cette
reconnaissance de la fiducie, le législateur a édicté un principe de neutralité
fiscale et ainsi donné à cette technique toutes les chances de succès.
La loi a, en outre, écarté de
manière non équivoque toute utilisation de la fiducie à des fins de
libéralités. La loi no 2008-776 du 4 août 2008 de
modernisation de l'économie (JO 5 août 2008) a
opportunément aménagé la fiducie afin :
• d'étendre la qualité des
constituants de fiducies aux personnes physiques et à toutes personnes morales,
quel que soit leur régime d'imposition et selon le principe susvisé de
neutralité fiscale ;
• de porter à
quatre-vingt-dix-neuf ans la durée maximale de la fiducie ;
• d'ouvrir aux avocats la
possibilité d'exercer les fonctions de fiduciaire.
Ces aménagements appelaient des
mesures d'accompagnement, et le Parlement a alors habilité le gouvernement à
compléter la réforme par voie d'ordonnances.
Ainsi une ordonnance no 2008-1345
du 18 décembre 2008 introduit la fiducie dans différents articles du Code de
commerce relatifs aux procédures collectives, et lui confère une relative
efficacité comme garantie face à l'insolvabilité d'un débiteur.
Une seconde ordonnance no 2009-112
du 30 janvier 2009 vise à protéger les personnes physiques contre
les risques éventuels de cet instrument, notamment lorsqu'elles
sont amenées à transférer dans un patrimoine fiduciaire un bien commun
ou un bien indivis. Cette ordonnance précise également les règles applicables
à la fiducie constituée à titre de sûreté, afin d'en garantir l'efficacité tout
en préservant l'équilibre des intérêts tant du débiteur que du créancier.
La loi no 2009-526
du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement
des procédures (JO 13 mai 2009)
édicte une exception au principe de cessation anticipée de la fiducie en cas de
décès du constituant personne physique dans les hypothèses de fiducie-sûreté.
–
Définition de la fiducie. – L'article 2011 du Code civil, intégré
dans un titre XIV « De la fiducie », définit la fiducie de la manière
suivante : « La fiducie est l'opération par laquelle un ou plusieurs
constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble
de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs
fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un
but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires ».
Le sénateur Philippe Marini,
après l'adoption de la loi du 19 février 2007, tente de définir l'institution
fiduciaire : « Il s'agit d'un contrat synallagmatique
translatif de propriété à titre temporaire et pour une fin déterminée,
impliquant une relation triangulaire. Un constituant transfère ainsi des biens
ou droits de son patrimoine à un fiduciaire qui s'engage à les gérer au profit
d'un bénéficiaire et à les restituer au terme du contrat. Ce bénéficiaire n'est
pas, en tant que tel, partie au contrat, mais peut être le constituant, le
bénéficiaire ou un tiers. Ce transfert en pleine propriété est cependant
doublement limité, dans le temps et dans sa substance, par les stipulations du
contrat de fiducie, de sorte que la fiducie constitue, pour reprendre
l'expression de mon collègue Henri de Richemont, rapporteur de ma proposition
de loi au Sénat, une « propriété dégradée ».
Le fiduciaire ne dispose pas,
en effet, de l'intégralité des prérogatives d'un propriétaire, puisqu'il doit
agir dans un « but déterminé » par le constituant et emportant des obligations
contractuelles. Les grandes caractéristiques de ce contrat spécial à vocation
transversale ouvrent un champ potentiellement large d'applications en droit
patrimonial et en droit des affaires, pour trois grandes opérations que sont la
transmission, la garantie et la gestion ».
La fiducie est donc, en
principe, une opération triangulaire ou tripartite faisant intervenir un
constituant, un fiduciaire et un bénéficiaire. En réalité, dans un certain
nombre d'hypothèses, l'opération sera dénuée du caractère tripartite pour
demeurer bipartite (le constituant ou le fiduciaire pouvant cumuler leur
qualité avec celle de bénéficiaire, tel que le prévoit l'article 2016 du Code
civil). Elle peut aussi faire intervenir une multiplicité d'acteurs. Notamment
le tiers protecteur de l'article 2017 du Code civil désigné, sauf stipulation
contraire du contrat de fiducie, par le constituant pour s'assurer de la
préservation de ses intérêts dans le cadre de l'exécution du contrat. On peut
aussi avoir un contrat qui met en présence plusieurs constituants, fiduciaires
au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires, comme le permet l'article 2011 du
Code civil.
Un
patrimoine d'affectation. – L'objet de la fiducie consiste à
transférer des biens, des droits ou des sûretés, voire un ensemble de biens,
droits ou sûretés, présents ou futurs. Ce transfert de propriété est de nature
particulière : la propriété fiduciaire est différente de la propriété
ordinaire, notamment parce que l'article 2011 du Code civil consacre le
patrimoine d'affectation. Cet article précise ainsi que le ou les fiduciaires
seront obligés de tenir les biens, droits ou sûretés transférés dans un patrimoine
séparé de leur patrimoine propre. La théorie de l'unicité du patrimoine est
donc remise en cause en 2007.
Pour la finalité de la fiducie,
le législateur reste très large, l'article 2011 du Code civil se contentant
d'indiquer que le ou les fiduciaires, au profit desquels s'effectue le
transfert fiduciaire, agissent dans un but déterminé, au profit d'un ou
plusieurs bénéficiaires. De fait, la finalité de la fiducie relèvera de la
seule volonté des parties contractuellement fixée.
Différents
types de fiducie. – Malgré l'imprécision de l'article 2011
du Code civil, il est possible de distinguer différents types de fiducie :
• la fiducie-gestion, qui
permet au fiduciaire de recevoir en propriété des biens qu'il se charge de
gérer, selon les modalités fixées par le contrat de fiducie, pour le compte
soit du constituant soit d'un bénéficiaire, et qu'il est tenu de rétrocéder au
terme du contrat de fiducie ;
• la fiducie-sûreté, par
laquelle un débiteur transfère au fiduciaire, qui peut être le créancier lui-même,
la propriété d'un bien afin de garantir le paiement de sa dette ;
• et la fiducie-transmission,
consistant à transférer des biens à un fiduciaire chargé de les transmettre, à
titre gratuit ou onéreux, à un tiers bénéficiaire dans un délai prédéterminé.
–
L'interdiction de la fiducie-libéralité. – Cependant, si
l'opération fiduciaire correspond à un but déterminé, la liberté n'est pour
autant pas totale puisque l'article 2013 du Code civil émet une réserve notable
en déclarant nuls « d'ordre public » les contrats de fiducie procédant d'une
intention libérale au profit du bénéficiaire. Cette nullité absolue des
fiducies-libéralités témoigne de la persistance d'une défiance ancienne et lui
ôte, par là même, partie de son intérêt.
L'article 2013 du Code civil
doit être complété par :
• l'article 2029 du même code
qui prévoit une révocation de plein droit de la fiducie par le décès du
constituant personne physique ;
• l'article 792 bis du Code
général des impôts qui caractérise l'intention libérale par la transmission
dénuée de contrepartie réelle, ou quand l'avantage en nature ou résultant d'une
minoration du prix de cession est accordé à un tiers par le fiduciaire dans le
cadre de la gestion du patrimoine fiduciaire.
La fiducie ne peut donc, d'une
manière ou d'une autre, profiter à un bénéficiaire, constituant ou tiers, à
titre gratuit et ne saurait se prolonger au-delà du décès. Or c'est justement
le but du trust étranger.
Pourtant, dès 1992, la
Chancellerie avait déposé un projet de loi visant à instituer la fiducie qui
aurait « pour objet la transmission de biens et droits à un ou des
bénéficiaires autres que le constituant » y
compris à titre gratuit. Aucune restriction n'était donc prévue dans un premier
temps en matière d'usage de la fiducie à des fins de transmission à titre
gratuit, même si la fiducie testamentaire était prohibée.
Le professeur Grimaldi,
commentant le projet de loi, désignait alors la fiducie comme une institution
polyvalente et rayonnante irradiant le droit des contrats, des biens, des
libéralités, des sûretés, déjà présente sous des formes plus ou moins masquées
dans notre droit positif d'alors (libéralités avec charges, mandats, cession à
titre de garantie des créances professionnelles…). Dans ce commentaire, il
précisait, au sujet de la fiducie-libéralité, qu'elle n'ébranlait pas les
principes d'ordre public du droit des successions et des libéralités : « elle
ne ruinerait nullement la réserve héréditaire, car le réservataire, fondé à
revendiquer une réserve libre de charge, serait en droit de demander la
réduction ou le cantonnement de celle qui excéderait la quotité disponible ;
elle ne menacerait pas la prohibition des pactes sur succession future, car
elle ne pourrait porter que sur les biens présents du fiduciant. (…) Ainsi,
introduite dans notre droit, la fiducie ne pourrait s'y déployer aussi
amplement que le trust dans les pays de Common
Law. Elle y serait bridée par les principes d'ordre public, notamment
de droit de la famille, qui, lui étant extérieurs, ne seraient pas remis en
cause par sa consécration ».
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