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L’arbitrage : un mode de règlement de litige délaissé par les notaires

L’arbitrage : un mode de règlement de litige délaissé par les notaires[1]

 

Olivier VIX

Notaire à Rouffach, docteur en droit

 

Essentiel

L’arbitrage est un mode de règlement de justice privé ayant la faveur du législateur.

Alors que plusieurs professions judiciaires ont investi ce nouveau domaine, les notaires semblent en retrait sur ce sujet. Pourtant ils réunissent toutes les qualités attendues d’un arbitre ; les freins ne sont ni statutaires, ni matériels.

Il est urgent qu’ils maîtrisent cette alternative au procès qu’il est d’ailleurs possible de développer également dans les affaires internes à leur profession.

 

Le grand comparatiste René David considérait que « l’arbitrage, plutôt qu’une institution juridique » apparaissait plus dans les relations supra-étatiques « comme une institution de paix »[2].

Si ce mode juridictionnel de règlement de conflits semble être privilégié dans le monde des affaires internationales et des affaires tout court, peut-on en dire autant s’agissant des litiges internes et privés ?

À côté des autres modes alternatives de règlement des conflits, le législateur semble privilégier ce système même dans la sphère privée car il est particulièrement bien adapté lorsqu’il s’agit de trancher rapidement un litige sans mobiliser les moyens de l’État (I). Dès lors, en scrutant les qualités exigées pour arbitrer, on peut se demander pourquoi les notaires ne s’approprient pas plus cette nouvelle compétence, alors qu’ils réunissent sur leur tête toutes les aptitudes utiles pour faire de bons arbitres, à condition de le vouloir et de se former (II).

 

I. L’arbitrage favorisé par le législateur, présent dans de nombreux domaines

 

On ne peut ignorer que les dernières évolutions législatives favorisent ce mode de règlement en droit internet[3]. Que ce soit la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, qui étend le domaine de validité de la convention d’arbitrage (C. civ., art. 2061), la loi n° 2016-1574 du 18 novembre 2016, qui modifie le même article et permet à un non-professionnel d’y recourir en privilégiant le critère de l’acceptation de la clause compromissoire plutôt que celui de sa validité[4] et plus récemment, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, qui renforce l’utilisation des plateformes de résolution des différends en ligne, cet engouement est une réalité.

Les avantages de l’arbitrage sont bien connus. Pour l’État le désengorgement des tribunaux, pour les parties, contrairement à une procédure judiciaire classique qui ne propose au justiciable que du « prêt-à-porter », l’arbitrage constitue le costume sur-mesure adapté à chaque litige.

Le juge – l’arbitre – est choisi par les protagonistes, le lieu du règlement l’est tout autant ; la procédure allie souplesse, confidentialité et rapidité. Toute personne peut finalement se compromettre à l’arbitrage dans différents domaines, qu’ils touchent au commerce, au droit de la consommation, à l’immobilier ou à d’autres matières, pourvu qu’elles n’aient pas trait à l’état et à la capacité des personnes, au divorce et à la séparation de corps, ou aux litiges impliquant des collectivités ou établissements publics et plus généralement à l’ordre public (C. civ., art. 2060) – et encore seulement l’ordre public de police puisque lorsqu’il touche à la protection, son bénéficiaire, une fois celle-ci acquise, peut y renoncer.

Partant, il est possible de recourir à cette alternative en droit immobilier, pour régler des litiges nés de statuts de sociétés immobilières, de baux, des ventes immobilières, dans le cadre d’une succession délicate à régler en présence d’une donation-partage par exemple ou encore d’une indivision conventionnelle posant difficulté, dans la mesure où la clause compromissoire contenue dans la convention ayant fait naître le litige a été acceptée.

Ces champs ne sont-ils pas les terrains de prédilection arpentés régulièrement par les notaires ?

 

II. Les notaires ont les qualités requises pour arbitrer, mais en ont-ils la volonté ?

 

Alors que de nouvelles formes d’arbitrage se développent pour ouvrir cette alternative au plus grand nombre (arbitrage accéléré et arbitrage en ligne[5] ), ce mode de justice privé d’origine conventionnel[6] semble sinon ignoré, à tout le moins mésestimé des notaires, ces derniers préférant, peut-être, privilégier des domaines de compétence plus traditionnels et donc plus confortables relevant de leur expertise habituelle, de la conciliation et, depuis quelque temps maintenant, grâce à l’action de quelques visionnaires[7], de la médiation.

Car lorsque l’on arbitre, il faut trancher, choisir entre deux prétentions antagonistes, et la décision du tiers arbitre revêt la même force obligatoire qu’une décision de justice. Tous les conflits ne sont pas des litiges et ne nécessitent pas forcément de recourir à l’arbitrage, mais lorsqu’ils deviennent inextricables et qu’il faut trancher, n’est-il pas regrettable de délaisser ainsi cette alternative en plein essor, qui aujourd’hui, bien plus qu’une simple alternative au règlement de conflits, devient un véritable mode de justice appropriée[8] ?

Ce désamour peut-il s’expliquer par une incompatibilité de statut, puisque la loi du 25 ventôse an XI (art. 7) interdit au notaire d’être en même temps juge ? Cela suppose de considérer qu’un arbitre est un juge. Or comme l’indique pertinemment le professeur Clay, « si La mission juridictionnelle de l’arbitre irrigue son statut aussi bien que sa fonction (…), il ne faudrait pas considérer l’instance arbitrale comme un simple clone de l’instance judiciaire. Les statuts d’arbitre et de juge sont indépendants l’un de l’autre »[9].

On peut rajouter que, contrairement au juge, l’arbitre ne tranche des litiges qu’après avoir accepté de le faire. Il ne dispose pas des mêmes pouvoirs, et ne peut imposer la production de pièces, ni contraindre à témoigner, ou encore recevoir des serments. Les parties conservent la maîtrise totale de la bonne application des éventuelles mesures conservatoires que l’arbitre déciderait de prendre, les astreintes ou les mesures de séquestre ne pouvant pas plus leur être imposées. Contrairement au droit espagnol qui longtemps prévoyait que les personnes exerçant des fonctions publiques rétribuées par un tarif officiel ne pouvaient être arbitres[10] , le droit français n’a jamais interdit au notaire de pratiquer l’arbitrage qui échappe à l’institution judiciaire.

Seraient-ce alors les qualités attendues d’un arbitre qui feraient défaut ? L’impartialité, l’indépendance, la neutralité, la confidentialité et la loyauté ? Si l’on s’attarde à relire les qualités requises du notaire figurant en bonne place dans le règlement national, ne lit-on pas que le notaire doit être loyal, probe, impartial ? Quant à la confidentialité, on sait l’importance du respect du secret professionnel général et absolu que le notaire se doit d’assurer à l’égard de ses clients. Ce constat ne laisserait ouverte que la question de l’indépendance. Sur cet aspect, il est facile de répondre en indiquant que le statut de professionnel libéral confère au notaire toute l’indépendance nécessaire à arbitrer, bien sûr sous réserve que ce dernier ne cumule pas les qualités d’arbitre et de notaire instrumentaire des actes ouvrant les portes de l’arbitrage[11].

On peut rajouter que le droit de l’arbitrage n’impose que peu de contraintes. L’article 1450 du Code de procédure civile se contente en droit interne d’indiquer que l’arbitre doit être une « personne physique jouissant du plein exercice de ses droits ».

Reste la compétence au sens technique du terme. Le droit patrimonial de la famille mais aussi le droit immobilier, lorsqu’ils génèrent des litiges, sont largement arbitrables par les notaires, ces matières formant leur cœur de métier. D’autres matières sont d’ailleurs aujourd’hui particulièrement bien maîtrisées par certains d’entre eux : le droit rural, le droit international privé, le droit commercial et des sociétés. Enfin, l’arbitrage peut aussi intéresser le notariat pour ses affaires internes permettant d’envisager une autre voie que la voie judiciaire lorsque les litiges entre associés, ou avec leurs salariés (s’ils acceptent la clause compromissoire qui leur est en principe inopposable) ne trouvent pas de solution dans la médiation ou nécessitent un positionnement clair sur une interprétation juridique issue d’un contrat.

Le professeur Clay, dans un article consacré au notaire arbitre[12], s’est interrogé quant aux raisons de cette désaffection des notaires et considère que ces derniers devraient s’approprier ce mode alternatif de règlement des litiges puisqu’ils sont d’ores et déjà « cernés » par l’arbitrage, qu’il serait inutile de rejeter ou d’ignorer.

 

En pratique

Nous ne pouvons qu’adhérer à cette recommandation et inciter les notaires, intéressés par le développement de cette activité, à se regrouper pour se former en vue de créer des centres d’arbitrage[13] afin de rajouter cette corde, fort utile, à leur arc comme d’autres professionnels du droit l’ont déjà fait dans un contexte d’une justice devenue plurielle qui se déjudiciarise de plus en plus. Il serait dommageable pour le notariat de ne pas rejoindre ce train déjà en marche. Songeons à la réforme du divorce sans juge, et aujourd’hui, presque sans notaires…

 



[1] Source : DEFRÉNOIS N° 38 22 septembre 2022

[2] R. David, « La technique de l’arbitrage : moyen de coopération pacifique entre nations de structures différentes », in Problèmes contemporains de droit comparé, t. 1, 1962, Tokyo, Institut japonais de droit comparé.

[3] T. Labatut, « L’arbitrage pour tous est-ce possible ? », LPA 31 déc. 2021, n° LPA201i4.

[4] T. Clay, « L’arbitrage, les modes alternatifs de règlement des différends et la transaction dans la loi “Justice du XXIe siècle” », JCP G 2016, 1295.

[5] T. Labatut, « L’arbitrage accéléré : faut-il aller plus loin ? », LPA 26 juin 2020, n° LPA152u7.

[6] Définition proposée par H. Motulsky in Écrits, études et notes sur l’arbitrage, B. Goldman et P. Fouchard (préf.), t. 2, 1974, Dalloz, spéc. nos 2 et 10-12

[7] Not. Me Christian Lefebvre, ancien notaire à Paris.

[8] T. Clay, L’arbitre, vol. 2, 2001, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, p. 45.

[9] T. Clay, L’arbitre, vol. 2, 2001, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, p. 43.

[10] L. n° 36/1988, 5 déc. 1988, art. 12-4, interdiction supprimée depuis par la loi n° 60/2003, 23 déc.2003, art. 25.

[11] La cour d’appel de Paris a dans un arrêt du 27 mai 2014 rappelé cette incompatibilité dans la succession du peintre Vasarely : CA Paris, 27 mai 2014, n° 12/18165 : D. 2014, p. 2555, obs. T. Clay.

[12] T. Clay, « Le notaire arbitre », JCPN 2016, 1352, nos 51-52.

[13] La chambre des notaires de Paris a rajouté en 2016 cette activité à son centre de médiation (le CMANOT). Ce centre a lancé en 2021 le premier cycle de formation des notaires arbitres, v. not. à ce sujet : https://lext.so/youtubeartitrage


 

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