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Le quasi-contrat : regard français

Le quasi-contrat : regard français

 

Marie GORE

Professeur à l’université Paris II-Panthéon-Assas

Directeur de l’Institut de droit comparé

 

 

Avec les réserves qu’exigent les difficultés de toute traduction, la lecture du Titre III du Livre III du Code civil chinois appelle une observation générale sur la notion même de quasi-contrat et quelques remarques plus spécifiques à la gestion d’affaires.

 

On sait que l’origine romaine de l’expression quasi-contrat ne s’est affirmée que progressivement. Gaius au IIè siècle considérait que celui qui avait reçu un paiement qui ne lui était pas du devait le rendre : il était tenu « comme si » l’obligation était née d’un contrat, « quasi ex contractu ». Mais c’est principalement avec Justinien que le quasi-contrat apparait comme une source directe d’obligations. Le Code civil 1804, sensible à une philosophie volontariste, consacre cet héritage dans ses articles 1370 à 1381. Aussi bien trouve- t-on un titre IV, intitulé « des engagements qui se forment sans convention », l’article 1370 servant de préliminaire pour annoncer la définition donnée par l’article 1371 : « les quasi-contrats sont les faits volontaires de l’homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers, et quelque fois une engagement réciproque des deux parties ». Le Code civil de 1804 ne traitait que de la gestion d’affaires et de la répétition de l’indu et s’il ne contenait, à proprement parler, aucune théorie générale du quasi-contrat, la jurisprudence a pris le relais pour consacrer par de « Grands arrêts », l’action de in rem verso et son caractère subsidiaire (Req.13 juin 1892, GAJC n°241 ; Civ. 2 mars 1915, GAJC n°242). De son côté, la doctrine s’y est intéressée, soit pour construire une unité conceptuelle des quasi-contrats, soit au contraire pour remettre en cause la notion, car il est inexact de parler de « quasi -consentement » ou de « quasi -volonté ». Aussi bien a-t-on plutôt fait référence à l’idée d’autres sources d’obligation.

Le quasi-contrat, on le voit, ne laisse pas indifférent et il est heureux que le Code civil chinois ait, à l’instar du Code civil français, intégré la notion en créant un chapitre 28 pour la gestion d’affaires et un chapitre 29 pour l’enrichissement injustifié.

D’emblée on relèvera que si la terminologie figure dans le Code civil chinois, aucune définition n’en est donnée, ce qui au demeurant est une constante de la codification chinoise qui préfère illustrer ou expliquer pragmatiquement un concept plutôt que le définir abstraitement. A l’inverse, l’ordonnance de 2016 a maintenu en la reformulant la définition du quasi-contrat à l’article 1300, alinéa 1. Il s’agit désormais de « faits purement volontaires dont il résulte un engagement de celui qui en profite sans y avoir droit et parfois un engagement de leur auteur envers autrui. » Et l’article 1300 alinéa 2 poursuit en précisant que « les quasi-contrats régis par le présent titre sont la gestion d’affaire, le paiement de l’indu et l’enrichissement injustifié ». L’enrichissement injustifié fait son entrée dans le Code civil français, tandis que dans le Code civil chinois le paiement de l’indu est inclus dans l’enrichissement injustifié. Ces dispositions laissent entière, tant en droit français qu’en droit chinois, la question de leur caractère exhaustif ou non. D’autres quasi-contrats pourraient-ils être retenus comme celui consacré par la Cour de cassation dans le contexte des loteries publicitaires : si le caractère aléatoire du gain n’est pas clairement annoncé, le destinataire du gain pourrait obtenir le paiement du gain promis. L’avenir le dira, la rédaction des textes laissant place aux deux interprétations possibles tant en droit chinois qu’en droit français.

 

La comparaison de la gestion d’affaires dans le contexte français (art. 1301 à 1301-5) et chinois (art. 979 à 984) conduit à plusieurs observations. La définition même de la gestion d’affaires attire notre attention. La formulation chinoise précise que le gérant agit « sans être tenu d’une obligation légale ou conventionnelle », le droit français de son côté use d’une expression plus générique, « sans y être tenue ». Leur application donnera probablement lieu à des solutions équivalentes : le texte chinois inclut certainement le cas où le gérant serait tenu en raison d’une décision judiciaire, comme cela a été admis en droit françaisMais des interrogations demeurent. En effet, le caractère spontané de l’intervention comme l’intention de gérer l’affaire d’autrui ne résulte pas clairement de l’article 979. Les termes « sciemment et utilement », au cœur de la gestion d’affaires en droit français, n’y trouvent pas d’écho. Sans doute est-ce latent et il faut lire entre les lignes. Mais alors on comprend mal que l’alinéa 2 de l’article 979 envisage l’hypothèse où « la gestion n’est pas conforme à la volonté réelle du maître de l’affaire ». Les conditions de la gestion d’affaires laissent également quelques hésitations. L’article 981 précise que le gérant « gère l’affaire d’un tiers pour le compte et en vue de la préservation des intérêts de celui-ci ». Certes le gérant ne peut agir dans son seul intérêt. Peut-on au regard de cette formulation considérer que la seule exigence est que le gérant ne doit pas agir dans l’intérêt exclusif du maître de l’affaire ? Une réponse positive rejoindrait la jurisprudence française qui applique la gestion d’affaires à l’hypothèse où le gérant agit dans son propre intérêt comme dans celui d’autrui. Reste la condition de l’utilité de la gestion d’affaires, notion centrale pour le droit français, qui n’apparaît qu’indirectement semble-t-il dans le texte chinois. En effet, celui-ci ne mentionne que la gestion « pour le compte et dans l’intérêt de la préservation des intérêts » du tiers.  Par la préservation, nous comprenons la conservation de l’affaire d’autrui. Certes. Mais les actes de toute nature sont -ils comme en droit français inclus dans la gestion d’affaires ? Les actes d’administration certainement. Quid des actes de disposition dont le droit français admet que s’ils sont utiles ils rentrent dans le champ de la gestion d’affaires. Rien dans la formulation chinoise ne permet de répondre positivement à ce stade. D’autres interrogations apparaissent quant au moment de l’appréciation de l’utilité de l’acte de gestion, ou quant au caractère objectif ou non de son appréhension. Si le droit français s’attache à une appréciation objective, la formulation de l’article 979 alinéa 2 faisant référence à « la volonté réelle du maître de l’affaire », ferait plutôt songer à une appréciation subjective…

Quatre textes sont consacrés dans le Code civil chinois à l’enrichissement injustifié dont on a déjà dit qu’il incluait la répétition de l’indu, contre neuf dans le Code français séparant la répétition de l’indu (art.1302 à 1302-3) de l’enrichissement injustifié (art.1303 à 1303-4). Plus fondamentalement le Code civil chinois est silencieux sur le caractère subsidiaire de l’action en enrichissement injuste consacré par l’article 1303-3 du Code civil français et dont on sait qu’il est interprété parfois avec des nuances par la jurisprudence française.

La conclusion revient à Portalis : « les codes des peuples se font avec le temps ; mais à proprement parler, on ne les fait pas ». Il faut donc attendre avec impatience les applications jurisprudentielles du Code civil chinois et les interprétations explicatives de la Cour Populaire Suprême.

 


 

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