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Le Code civil chinois : comparaison franco-chinoise

Le Code civil chinois : comparaison franco-chinoise

 

Michel GRIMALDI

Professeur émérite de l’Université Paris II Panthéon Assas

Ancien président du conseil scientifique de la Fondation pour le droit continental (2007-2019)

 

1. Que la Fondation pour le droit continental dût porter le plus vif intérêt à l’élaboration du Code civil chinois, cela s’imposa comme une évidence à son Conseil scientifique. La codification est l’un des signes auquel se reconnaît le droit continental, et c’est en France, dans la codification napoléonienne, que les codifications modernes trouvent leur source. Une Fondation française visant à promouvoir le droit continental ne pouvait donc qu’être attentive à l’entreprise par laquelle un pays entendait se doter d’un Code civil appelé à régir les relations civiles d’un milliard et demi de citoyens… Au regard de la codification et donc de la place du droit continental, l’évènement était d’une importance planétaire.

Aussi bien la Fondation répondit-elle sans hésiter à la demande que lui présenta le Comité chinois chargé de la rédaction de ce Code, d’apporter son concours à ce travail. Elle le fit au cours de plusieurs missions organisées par l’ambassade de France en Chine, notamment par M. Anthony Manwaring, alors en charge des affaires juridiques. Et elle fut accompagnée dans cette entreprise par d’autres institutions, telles l’Association Henri Capitant des Amis de la Culture juridique française et l’Université Panthéon Assas (Paris 2).  Elle pris soin de former des délégations composées à la fois d’universitaires, de magistrats, d’avocats et de notaires.

C’est peu dire que ces délégations prirent l’affaire au sérieux. Sur les projets de textes communiqués ou sur des questions posées par les autorités chinoises , des observations étaient présentées et des réponses proposées qui, formulées dans des écrits  communiqués à la commission chinoise, étaient ensuite discutées à Pékin au cours de rencontres où les échanges étaient précis et intenses (et parfois agrémentés de savoureux quiproquo sur le sens des mots : ainsi lorsqu’il fallut préciser, lors d’une discussion sur les droits de la personnalité, que le droit à l’honneur n’était pas un droit aux honneurs, et que l’honneur de beaucoup était de ne point convoiter les honneurs….).

2. La lecture du Code civil chinois, dont une traduction en langue française et un commentaire sino-français sont en cours sur l’initiative du Conseil supérieur du Notariat, sera du plus grand intérêt pour le juriste français.

Au premier regard, celui-ci ne sera pas dépaysé. Les divisions du Code lui parleront, où il retrouvera les matières qui forment l’objet du Code civil français, notamment le droit de la famille (qui, dans beaucoup de pays, comme la Suisse ou le Vietnam, fait l’objet d’un Code distinct). Et beaucoup de règles, mêmes différentes de celles du droit français, lui donneront le sentiment que les mêmes questions se posent dans les deux pays : par exemple, en droit des personnes, celle de la protection des droits de la personnalité (notamment lorsqu’ils sont mis en balance avec le droit à l’information ou qu’ils sont menacés par le traitement automatisé des données personnelles) ; en droit de la famille, celle de l’entraide entre parents ou de l’existence d’une communauté, de biens et de dettes, entre les époux ; en droit des contrats, celle de l’imprévision ou des clauses abusives ; en droit des biens, celle des différents modes d’utilisation et d’exploitation des terres. 

Toutefois, au fur et mesure de sa lecture, le lecteur français mesurera le particularisme, tout naturel, de la codification chinoise.

Le style de la loi n’est pas le même. Là où la codification française tend à être concise, la codification chinoise entre parfois dans le détail des choses : par exemple, lorsqu’elle organise les pourparlers et la conclusion du contrat, ou lorsqu’elle détermine le régime du mandat. La raison peut en être que la règle chinoise, à la différence de la règle française, ne porte pas en elle-même un corpus doctrinal et jurisprudentiel qui en éclaire le sens.

La langue juridique peut aussi être différente. Dans le Code civil chinois le même terme semble désigne la résolution et la résiliation. L’annulation y est parfois désignée comme une révocation : lorsque, semble-t-il, l’acte était simplement annulable. Et l’on peut être intrigué par la dénomination d’acte juridique « civil », où « civil » s’oppose, non point à « commercial », mais à « public ».   

Parfois, c’est un concept même qui est compris autrement. Ainsi, aux yeux du lecteur français sinon de la doctrine chinoise, la possession apparaît dans le Code civil chinois comme un droit et un fait, là où, en droit français elle n’est qu’une situation de fait : elle y est présentée tantôt comme un attribut de la propriété, qui confère le « droit de posséder », tantôt comme une situation de fait à laquelle la loi attache des conséquences juridiques, telle l’usucapion. Ainsi encore, le droit d’usage désigne tantôt le droit d’utiliser et d’exploiter le sol (dont la propriété appartient à l’Etat), et qui, cessible entre vifs comme à cause de mort, ressemble à notre propriété, tantôt le seul droit d’user de tel ou tel bien, qui correspond à notre droit d’usage et d’habitation. Ainsi enfin, la combinaison du droit réel et du droit personnel y est particulière, la propriété des créances n’y étant point reçue comme en droit français.

Plus profondément, c’est une certaine vision de la société ou 00une certaine conception du droit, autres que les nôtres, que révèle le Code civil chinois. Ainsi, la famille y est conçue sur un modèle traditionnel, en ce qu’aucune disposition ne prévoit de statut conjugal autre que le mariage, et qu’un mariage hétérosexuel, entre un homme et une femme. Par ailleurs, la part laissée au consensus et à l’équité et, donc, la souplesse de la règle ou… l’incertitude de sa portée… étonneront souvent : autant l’on ne s’étonnera pas que le divorce par consentement mutuel soit privilégié, autant il est plus singulier de lire que le partage de la communauté est librement convenu entre les époux, que celui de la succession peut être inégal si les héritiers en sont d’accord, et il est remarquable que la réserve, conçue comme une fraction abstraite de l’héritage, soit délaissée pour laisser place à une part équitable accordée au parent dans le besoin. On relèvera aussi certaines dispositions d’un grand libéralisme : un exemple en est la liberté laissée aux parents de donner à leur enfant le nom d’un autre ascendant. Et puis, sur le registre tout différent des droits de la personnalité, la protection des données personnelles semble assurée contre leur collecte par des organismes privés, plus que par les Administrations : l’équilibre entre les libertés individuelles et la discipline collective y est compris différemment.

Enfin, le lecteur du Code civil chinois doit avoir présent à l’esprit le rôle déterminant que joue la Cour suprême de Chine dans l’élaboration du droit civil, puisqu’elle peut, en dehors de tout procès, se saisir d’une question et livrer, de telle ou telle disposition, une interprétation qui fixera (un temps…) le droit positif. Et il doit aussi avoir conscience de la persistance d’une tradition confucéenne suivant laquelle la règle juridique ne doit point troubler l’harmonie sociale, de sorte que l’application qui en est faite au cas par cas ne se devine pas toujours à sa simple lecture : le droit vivant n’est pas toujours le droit codifié.

3. Quant à savoir l’influence que droit français a pu avoir sur le Code civil chinois, il n’est pas facile de la mesurer. Il est clair que le codificateur chinois puisé à plusieurs sources d’inspiration, notamment allemande, américaine et… française.

L’influence allemande apparait à l’existence d’une partie générale et à la lecture de certains textes du droit des biens ou du droit des sûretés réelles, où la publicité a un fonction constitutive, et non pas simplement déclarative.

Mais il est permis de déceler une influence française dans le régime des quasi-contrats (dans la réception de cette catégorie, comme dans la distinction entre l’enrichissement sans cause et la gestion d’affaires), dans la règlementation de l’imprévision, dans la consécration d’un droit de résiliation unilatérale dans le contrat à durée indéterminée, dans la création d’un droit d’usage et d’habitation, dans la reconnaissance d’une responsabilité civile environnementale, dans la validation (sous condition) du pacte commissoire apposé à une sûreté réelle conventionnelle, ou encore dans l’identification de dettes communes des époux,

Cela dit, peut-être faudrait-il parler de convergence plutôt que d’influence, car notre époque, qui est celle de la mondialisation, emporte fatalement un rapprochement des différents droits…

Mais ne boudons pas notre plaisir : l’existence d’un Code civil en Chine – d’un vrai Code civil , et non d’une compilation – ne peut que réjouir un juriste français. Ne dissimulons pas davantage notre curiosité : ce Code civil chinois sera ce que les usages sociaux, si importants en Asie, et l’application judiciaire en feront… 

 


 

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