La structure de la copropriété
Charles GIJSBERS
Agrégé de droit privé et de sciences criminelles
Professeur à l’Université de Rouen Normandie
L’ambition de ce court propos n’est pas de vous livrer un exposé exhaustif du droit français de la copropriété. Une journée entière n’y suffirait pas.
L’optique est davantage de présenter à un public qui n’est pas familier du droit français les grandes lignes sur lesquelles s’est construite notre législation en la matière.
Le texte fondateur est une loi qui a aujourd’hui plus de 50 ans : la loi du 10 juillet 1965, qui constitue en France la base légale du statut juridique de la copropriété.
En introduction, j’aimerais formuler trois grandes observations relativement à ce texte.
La première observation concerne l’objet de cette loi, qui traite d’une situation très répandue mais qui est en réalité horriblement compliquée à organiser au plan juridique, à savoir : la division d’un immeuble bâti en diverses fractions dont la propriété est attribuée privativement à des personnes distinctes.
D’où vient la complexité de cette organisation ? Elle vient tout simplement de la tension qui se noue entre d’un côté, l’individualisme des copropriétaires, qui animés par leurs intérêts propres et, de l’autre, la dimension collective de l’immeuble qui appelle une administration collégiale et, si possible, démocratique.
Il n’est pas facile de trouver un équilibre satisfaisant entre ces deux forces antagonistes : entre, d’un côté, le respect des individualités ; et, de l’autre, la promotion d’un destin commun qui est celui de l’immeuble. Nous verrons dans un instant comment la loi de 1965 y est parvenue.
Deuxième observation : la loi de 1965 a, dans notre pays, une importance considérable puisqu’elle concerne quelques 7 millions de logements.
Et l’on peut penser, en raison de la densification de la construction urbaine, que ce chiffre ne cessera d’augmenter dans les années qui viennent
On parle donc ce matin d’une institution qui est omniprésente dans la vie des français d’aujourd’hui et qui le sera davantage dans la vie des français de demain.
Troisième observation relative à la longévité de la loi de 1965. Ce texte a remarquablement résisté à l’épreuve du temps, mais il n’y est parvenu qu’à la faveur d’un nombre très important de réformes, qui ont augmenté de manière significative le volume du texte originel qui a été multiplié par cinq.
Ces modifications ont notamment visé à adapter les règles applicables à la taille des copropriétés, à leur situation financière et à la destination des lieux.
- C’est ainsi que des règles simplifiées ont été adoptée par le législateur pour tenir compte des petites voire des très petites copropriétés.
- C’est ainsi, de même, que le législateur a adopté des règles spécifiques aux copropriétés en difficulté, c’est-à-dire des copropriétés dont les finances sont obérées par un passif auquel elles n’arrivent pas à faire face.
- C’est ainsi enfin que la loi française distingue entre les copropriétés d’habitation et des copropriétés dont la destination n’est pas l’habitation (par exemple, des immeubles commerciaux), les premières appelant des règles protectrices qui n’ont pas paru justifié pour les secondes.
Vous noterez, et c’est un point qui distingue notablement le droit français et le droit chinois, que la loi de 1965, maintes fois réformées au fil des années, n’a jamais été intégrée au Code civil. Cela ne veut pas dire que ce texte serait rétif à toute codification. Le gouvernement français a d’ailleurs l’ambition de créer un Code de la copropriété qui reprendra l’entière loi de 1965 et ses décrets d’application.
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Ces remarques liminaires formulées, quels sont les grands principes qui composent le statut juridique de la copropriété en France ? Nous allons tenter, avec Maître Lelièvre, de vous les présenter, en insistant tour à tour sur la structure de la copropriété, dont je vous parlerai, puis de l’administration de la copropriété, dont traitera Maître Lelièvre.
Pour employer un langage imagé, je me chargerai de vous livrer une photographie statique de la structure des copropriétés en France et Maître Lelièvre vous indiquera ensuite, suivant une démarche plus dynamique, comment ces copropriétés vivent en pratique et suivant quels principes elles sont administrées.
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S’agissant de la structure de la copropriété, j’aimerai adopter tour à tour deux points de vue différents : livrer d’abord une analyse purement réelle de la copropriété qui consistera à observer la manière dont la propriété de l’immeuble est objectivement répartie entre les copropriétaires ; puis braquer le projecteur sur les relations personnelles qui s’installent entre les copropriétaires et permettent une organisation collective de la copropriété.
I. La structure réelle de la copropriété
S’agissant de la structure réelle de la copropriété, je ne peux mieux faire que vous donner lecture du premier article de la loi de 1965 qui résume à merveille la manière dont la propriété de l’immeuble est distribuée entre les copropriétaires.
Le statut de la copropriété, nous dit le premier alinéa de cet article, « régit tout immeuble bâti ou groupe d'immeubles bâtis […] dont la propriété est répartie par lots entre plusieurs personnes. »
Je vous propose une rapide exégèse de cette disposition en insistant sur les trois éléments essentiels qui la composent, et qui sont au fond les trois conditions nécessaires pour que s’applique le statut de la copropriété.
- Il est dit, tout d’abord, que le statut de la copropriété ne régit que les immeubles bâtis. Cela paraît évident mais c’est en réalité très important en pratique : cela signifie que le statut de la copropriété ne s’applique pas à celui qui édifie un immeuble du moins pendant toute la période de la construction.
- Il est dit, ensuite, que la copropriété implique une répartition de la propriété entre plusieurs personnes. Cela parait relever de l’évidence. Un investisseur qui acquerrait tous les appartements d’un immeuble afin de les mettre en location n’a pas à se plier au statut de la copropriété. Il est le seul maître des lieux. En d’autres termes, la copropriété suppose l’altérité.
- Il est dit enfin que la propriété de l’immeuble bâtie doit être répartie par lots, et on touche ici à l’un des points clefs de la copropriété à la française, qui est la notion de « lot de copropriété ».
Sur une notion aussi importante, le législateur ne pouvait garder le silence. Aussi nous offre-t-il une définition du lot de copropriété dont il indique qu’il « comporte obligatoirement une partie privative et une quote-part de parties communes, lesquelles sont indissociables ».
Cette définition appelle plusieurs remarques :
- Premièrement, on comprend que l’immeuble en copropriété est matériellement composé de parties privatives qui, comme leur nom l’indique, font l’objet d’un droit exclusif au profit des différents copropriétaires, et de parties communes qui, quant à elles, appartiennent indivisément à tous les copropriétaires.
Notons au passage que cette « indivision », dont font l’objet les parties communes, est d’une nature très particulière puisqu’il est impossible pour les copropriétaires d’en provoquer le partage.
- Deuxièmement, la loi donne des précisions sur ce qu’il faut entendre par parties privatives et parties communes. Les premières sont « les parties des bâtiments et des terrains réservées à l'usage exclusif d'un copropriétaire déterminé. » Les secondes sont « les parties des bâtiments et des terrains affectées à l'usage ou à l'utilité de tous les copropriétaires ou de plusieurs d'entre eux. ».
Ces différents éléments ont vocation à être clairement identifiés dans les documents de la copropriété sur lesquels je reviendrai bientôt.
Si les documents de la copropriété sont silencieux, la loi vient combler le silence des parties en présumant que certaines fractions de l’immeuble sont des parties communes :
o C’est le cas par exemple du sol, des cours, des parcs et jardins, du gros-œuvre du bâtiment, des locaux de service communs, etc.
o C’est le cas aussi de ce que l’on appelle les droits accessoires aux parties communes qui ne sont pas des fractions du bâtiment ou du sol mais qui sont des prérogatives dont on estime qu’elles appartiennent indivisément à tous les copropriétaires : c’est le cas du droit de surélever l’immeuble ou au contraire de creuser le sol, le droit de construire sur les parties communes, le droit d’afficher sur les parties communes, etc.
- Troisièmement, la propriété individuelle qu’exerce le copropriétaire sur sa partie privative et la quote-part indivise qu’il détient dans les parties communes sont agrégées au sein d’un lot de copropriété, objet juridique complexe, qui est lui-même, quoique la chose soit discutée en doctrine, l’assiette d’un droit de propriété.
Et c’est ce lot de copropriété qui va circuler dans le commerce juridique. Ainsi, lorsqu’un copropriétaire veut réaliser une opération sur son appartement comme le vendre, l’échanger, le donner, le louer, le grever d’un usufruit, l’hypothéquer, etc. c’est en réalité le lot de copropriété lui-même qui sera l’objet du contrat. Olivier Vix en reparlera bientôt.
C’est, en pratique, très important : cela signifie que le copropriétaire ne peut pas disposer de sa partie privative tout en conservant la propriété indivise des parties communes.
- Quatrièmement, cette répartition binaire de la propriété de l’immeuble autour des parties privatives dont les copropriétaires ont la maîtrise exclusive et des parties communes qui appartiennent et sont ouvertes à l’usage de tous n’est pas aussi tranchée que cela dans les faits.
La pratique notariale a imaginé des catégories intermédiaires que consacrent aujourd’hui le législateur. J’en donne deux exemples :
- D’une part, le droit de jouissance exclusive sur partie commune qui est le droit pour un copropriétaire de profiter seul d’une fraction de l’immeuble, comme par exemple une terrasse ou un jardin, sans pour autant lui faire perdre son statut de partie commune.
- D’autre part, les parties communes spéciales qui sont des parties de l’immeuble qui sont affectées à l’utilité commune de certains copropriétaires seulement (comme par exemple des toilettes, un couloir, un palier) et qui, par conséquent, n’appartiennent indivisément qu’à ces copropriétaires
Voici brossée, à gros traits, la structure réelle d’un immeuble soumis au statut de la copropriété. J’aimerais à présent compléter cette première approche d’un coup de projecteur sur les relations personnelles qui se nouent entre les copropriétaires.
II. La structure personnelle de la copropriété
On parle ici à l’organisation collective de l’immeuble qui, d’après la loi de 1965, repose sur plusieurs piliers.
J’en retiendrai trois.
- Le premier est le règlement de copropriété, qui est la charte fondamentale de chaque copropriété.
Sans doute n’est-ce pas ce règlement qui donne naissance à la copropriété, laquelle prend vie automatiquement dès lors que les conditions de fond en sont réunies.
L’importance de ce règlement n’en est pas moins capitale puisque, outre le fait qu’il détermine les différentes parties de l’immeuble (parties privatives, parties communes, parties communes spéciales ou à jouissance privative), c’est lui qui fixe la règle du jeu entre les copropriétaires.
Il détermine ainsi la destination des parties privatives et des parties communes, ainsi que les conditions de leur jouissance. Il fixe les règles relatives à l'administration des parties communes.
Bref, il est un acte cadre, le socle juridique sur lequel va pouvoir s’organiser la vie de l’immeuble, et dont devront tenir compte toutes les décisions ultérieures.
- Le deuxième pilier de l’organisation collective est le syndicat des copropriétaires, qui regroupe l’ensemble des copropriétaires de l’immeuble au sein d’une personne morale dont l’objet est la conservation et l’amélioration de l’immeuble ainsi que l’administration des parties communes.
Ce syndicat est donc une personne morale dont tous les copropriétaires sont membres, et qui incarne leurs intérêts collectifs.
Comme toute personne morale, le syndicat a évidemment besoin d’organes pour s’exprimer. Ces organes portent les différents pouvoirs que l’on rencontre dans une démocratie : le pouvoir délibérant, qui est l’Assemblée générale des copropriétaires ; le pouvoir exécutif, qui est dévolu au syndic ; et le pouvoir de contrôle qui revient au conseil syndical.
Je ne développe pas ces points sur lesquels reviendra Maître Lelièvre.
- Le dernier pilier, qui est le nerf de la guerre, est relatif aux moyens financiers de la copropriété.
Les copropriétaires doivent participer aux charges liées à l’immeuble :
o d’une part aux charges relatives à la conservation, à l'entretien et à l'administration des parties communes proportionnellement aux valeurs relatives des parties privatives comprises dans leurs lots ;
o d’autre part aux charges entraînées par les services collectifs et les éléments d'équipement commun, leur contribution étant alors fixée en fonction de l'utilité objective que ces services et éléments présentent à l'égard de chaque lot.
Il y a là un enjeu particulièrement fort : ces charges doivent être recouvrées en temps et en heure, ce qui justifie la mise en place par le législateur d’un certain nombre de garanties au profit du syndicat des copropriétaires, qui se manifestent notamment au moment de la vente des lots de copropriété mais Maître Olivier Vix aura l’occasion d’y revenir.
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