LI Bei
Professeur de la Faculté de droit Kaiyuan, Université Jiao-Tong de Shanghai
Dans l’histoire humaine, la naissance d’un code civil est soumises à une série de conditions préalables : le développement de l’économie doit avoir atteint un certain niveau, l’attente du public en matière d’État de droit doit être devenue un consensus, le parti au pouvoir doit avoir une volonté politique suffisante pour promouvoir la législation, etc. Au cours des 70 années parcourues par la République populaire de Chine, plusieurs tentatives d’élaboration d’un code civil ont été faites, mais pour des raisons diverses, toutes se sont soldées par l’échec. À l’heure actuelle, toutes les conditions requises ont été remplies pour donner naissance à un code civil et, sous la poussée commune du développement social, de l’attente populaire et de la volonté étatique, Le Code civil de la République populaire de Chine (ci-après le Code civil) a enfin vu le jour. Du point de vue de la forme, le Code civil, en tant que la première loi qui porte le nom de « code » depuis la fondation de la Chine nouvelle, jette sans aucun doute un jalon dans le processus de l’édification de l’État de droit chinois, sa sortie a aussi suscité une attention sans précédent dans l’histoire sur le système du droit civil. En ce sens, la signification de l’adoption du Code civil est indéniablement évidente.
Du point de vue du fond, le Code civil est un regroupement des droits civils et définit les rapports entre les droits et les obligations de chaque individu depuis sa naissance jusqu’à son décès, c’est pourquoi il est réputé comme « encyclopédie de la vie ». Contraint par le volume du présent article, nous sommes dans l’impossibilité d’entrer en détail sur toutes les dispositions prévues par le Code civil, et nous nous contenterons de faire une brève présentation sur le contenu des livres « Mariage et famille » et « Succession ».
En réalité, avant même l’élaboration du Code civil, la Chine a déjà adopté différentes lois sectorielles et par conséquent, elle était dotée d’une législation civile assez riche. En ce qui concerne les domaines qui nous intéressent dans le présent article, la loi sur le mariage et la famille et celle sur la succession existent déjà en Chine avant le Code civil. Pour cette raison, ce dernier n’est pas une création à partir de rien ni une négation totale de la législation existante, mais plutôt un héritage, un développement et une optimisation de celle-ci. Autrement dit, d’un côté, le Code civil est dans l’ensemble une continuité des textes existants et, de l’autre côté, introduit des éléments novateurs qui répondent à l’air du temps. Ce qui se manifeste clairement dans les dispositions prévues dans ses livres « Mariage et famille » et « Succession ».
1. L’héritage des textes existants
1.1 La réduction du nombre des articles
Comparé aux codes civils des pays de droit continental, les livres « Mariage et famille » et « Succession » de celui de la Chine, sur le plan de la forme, sont plutôt caractérisés par le nombre limité de leurs articles : le livre « Mariage et famille » en compte moins de 100, alors que celui « Succession » n’en recèle de 44. En fait, dans les différentes versions proposées par les experts avant la sortie du Code civil, les deux livres en questions avaient plus d’articles. Mais finalement, la version définitive a poursuivi la tradition législative de la Loi sur le mariage et la famille et de celle sur la succession, et a opté pour la concision des articles. Certains chercheurs regrettent cette option, estimant que c’est la preuve de l’insuffisance de la législation chinoise dans le domaine familial. Ce sur quoi nous pouvons réagir en donnant deux réponses différentes : d’abord, s’agissant du livre « Succession », si les législateurs ont jugé qu’il n’est pas nécessaire de lui apporter beaucoup de modifications, c’est justement parce que les litiges sont assez peu nombreux dans ce domaine et en aucun cas, la législation existante n’a montré des signes d’insuffisance quelconques. Ensuite, Jean Carbonnier, célèbre juriste français, a affirmé que dans le domaine de mariage, le modèle législatif idéal est de réduire autant que possible le nombre des lois, car seules les familles frappées par le malheur en ont besoin.
1.2 Le prolongement de la tradition en matière d’union du couple
Aujourd’hui dans le monde, une des tendances importantes de l’évolution du droit familial, c’est la diversification des modèles de l’union des couples. Beaucoup de pays ont reconnu et légitimé des unions familiales autres que celle traditionnelle à savoir mariage conclu entre deux individus de sexes différents : la cohabitation s’est vu accorder un statut juridique de plus en plus élevé, tandis que le partenariat enregistré a donné une option alternative à ces couples qui souhaitent conclure une union assez officielle et stable sans pourtant se marier. Par rapport à ces pays, le livre « Mariage et famille » du Code civil se montre relativement conservateur. Il prescrit toujours que seule l’union d’un couple résultant du mariage est protégée par la loi. Si les textes n’utilisent plus le terme « cohabitation illégale », la cohabitation reste non moins seulement un rapport de fait. En outre, le Code civil n’a rien prévu sur le partenariat enregistré. Preuve de son caractère encore conservateur et traditionnel.
1.3 La définition du lien familial tenant compte des relations intimes de facto
Contrairement au conservatisme de la Loi sur le mariage en matière d’union des couples, les textes chinois ont combiné l’identité légale des parties et leur relation de facto pour définir les liens familiaux. Dans certains cas, le lien familial peut être établi entre les parties grâce à leurs relations effectives de dépendance. L’exemple le plus typique est le lien entre les enfants et leurs beaux-parents. Sur ce sujet, l’article 1072-2 du Code civil a gardé les dispositions prévues par les textes existants : « Les relations de droits et d’obligations entre le beau-père ou la belle-mère d’une part, et les beaux-enfants pris en charge par eux d’autre part, sont régies par les dispositions prévues par le présent Code en matière de relations entre les parents et leurs enfants. » Sur la droite ligne de cette disposition, le Code civil a accordé plus d’attention aux relations intimes de facto entre les parties, en instaurant une hiérarchie de liens selon un ordre croissant du degré d’intimité, laquelle hiérarchie est constituée de « parents », de « proches parents » et de « membre de famille ». En plus, il a délimité clairement les personnes ayant la qualité de « proche parent » : conjoint(e), enfants, frères et sœurs, grands-parents, petits-enfants ; et celles faisant partie des « membres de famille » : « conjoint(e), père et mère, enfants, et autres proches parents vivant sous le même toit ». Ainsi, en introduisant le critère « vivre sous le même toit », le Code civil a renforcé l’implication des relations de facto des parties sur leurs droits et obligations réciproques.
1.4 Le lien maintenu entre la prise en charge et la succession
La loi chinoise sur la succession accorde une importance simultanée aux relations de facto des parties et à leur identité légale. Ce qui se manifeste notamment dans les implications omniprésentes des relations de prise en charge sur les règles de la succession. Cette tradition législative de la loi sur le mariage a été gardée dans le Code civil. Pour dire plus concrètement, les implications des relations de prise en charge sur les règles de la succession se manifestent surtout sur deux aspects. Premièrement, le défunt qui de son vivant assume une obligation de prise en charge doit accorder des traitements plus favorables à un successible particulièrement vulnérable, ou à une personne tierce qui lui est dépendante. De ce point de vue, les besoins réels de la personne prise en charge pourraient avoir des influences directes sur sa qualité de successible ou sur sa part de succession. Par exemple, dans la succession légale, la dévolution successorale se fait en principe à parts égales entre les héritiers d’un même ordre. Cependant, la loi prévoit en même temps que les héritiers particulièrement vulnérables et sans capacité de travail doivent bénéficier des traitements favorables dans le partage. De même, conformément à l’article 14 de la Loi sur la succession (aujourd’hui l’article 1131 du Code civil) : « Les personnes n’ayant pas la qualité de successible mais qui dépendent du défunt […] ont droit à une part raisonnable de la succession. » Enfin, lors de l’exécution du testament, il faut prévoir des parts nécessaires aux successibles sans capacité de travail ni sources de recettes. Deuxièmement, le défunt qui de son vivant fait l’objet de la prise en charge se doit d’accorder des traitements favorables au successible ou à la personne tierce qui avait rempli son devoir alimentaire. Pour cette raison, une bru veuve ou un gendre veuf serait susceptible de figurer parmi les héritiers du premier ordre s’il (elle) avait honoré l’obligation alimentaire principale devant ses beaux-parents. De même qu’un héritier ayant rempli le devoir alimentaire principal vis-à-vis du défunt, une personne tierce qui n’a pas la qualité de successible mais qui a rempli le devoir alimentaire principal, peut également avoir droit à une part plus grande de succession. Dans le cas inverse, celui qui en a la capacité mais qui a manqué son devoir alimentaire n’obtiendra qu’une part plus petite de succession, voire sera privé totalement de succession.
Nous voyons qu’à la différence de la loi successorale de la plupart des pays du monde, la loi chinoise sur la succession se caractérise notamment par le lien établi entre les relations de prise en charge d’une part, et la qualité de successible et les parts de succession de l’autre. Au cours de l’élaboration du Code civil, certains chercheurs ont préconisé l’introduction de la part de réserve obligatoire pour limiter la liberté du testateur. Mais compte tenu de son incompatibilité avec la tradition successorale de notre pays, cette proposition n’a pas été adoptée.
2. L’innovation institutionnelle
2.1 Relever les défis de la société en vieillissement
À l’heure actuelle, la société chinoise est confrontée à un double défi : la baisse de la natalité et le vieillissement de la population. Le Code civil, dans une certaine mesure, a réagi devant ce défi. En premier lieu, le livre « Mariage et famille » ne pose plus le planning familial comme principe fondamental pour s’aligner avec la politique de « second enfant ». De même, la partie « Adoption » de ce livre a abaissé les limites du nombre autorisé des enfants adoptés, prévoyant qu’un adoptant sans enfant peut adopter deux enfants, tandis que celui qui a déjà des enfants peut en adopter un. En second lieu, dans le domaine successoral, afin de réduire les problèmes liés à la déshérence qui résultent du vieillissement de la population, le livre « Succession » du Code civil a d’une part élargi le champ d’application de la succession par subrogation pour l’étendre jusqu’aux enfants des frères et des sœurs du défunt, et d’autre part imposé des contraintes sur l’usage des biens en déshérence qui reviennent à l’État, précisant qu’ils doivent « être destinés aux œuvres d’intérêt général ». Enfin, l’accord de la prise en charge contre le legs a aussi élargi sa couverture : auparavant, quand le légataire est une organisation, il devait être une organisation collective alors que maintenant, cette restriction est entièrement levée, afin que ce dispositif à caractère chinois puisse mieux assumer sa fonction de prise en charge des personnes âgées.
2.2 Refléter les progrès du développement à l’ère numérique
En tant qu’un droit élaboré au 21e siècle, le Code civil chinois prend la manifestation des caractéristiques de la société numérique pour une tâche qui lui incombe. Ce que l’on constate dans ses livres « Mariage et famille » et « Succession ». D’abord, au lieu d’énumérer de façon exhaustive les patrimoines faisant l’objet de la succession, le Code civil a prescrit que tous les biens peuvent être hérités sauf dispositions particulières prévues par la loi. Ce mode législatif à la fois récapitulatif et ouvert du Code civil donne une énorme facilité à la succession des biens des types nouveaux, tels que comptes virtuels, équipements des jeux vidéo, etc. Ensuite, le Code civil a enrichi les façons de faire le testament, y ajoutant le testament vidéo et le testament imprimé. Ces nouvelles dispositions sont considérées comme ayant, d’une part, accru énormément la liberté testamentaire du défunt et d’autre part, réagi de façon positive devant la société numérisée. Ceci dit, comment coordonner les relations entre le testament vidéo et d’autres testaments plus traditionnels entre autres le testament olographe, le testament écrit par autrui, ou le testament par acte authentique ? Cette question attend encore à être éclaircie dans les pratiques judiciaires ultérieures.
2.3 Protéger les groupes particulièrement vulnérables
L’élaboration du Code civil suit une autre orientation très importante, à savoir celle de renforcer la protection des groupes d’individus particulièrement vulnérables dans la famille. On pourrait ainsi dire que la protection des groupes vulnérables est déjà devenue un principe législatif fondamental des livres « Mariage et famille » et « Succession ». Par exemple dans l’article 1141 du Code civil, il est clairement prescrit : « Il faut protéger les droits et intérêts légitimes des femmes, des mineurs, des personnes âgées et des handicapés. » Force est de signaler que c’est la première fois que les « handicapés » sont inclus dans les groupes d’individus vulnérables. Parallèlement, le Code civil a aussi revu les clauses liées aux conditions de la nullité du mariage. Dans son article 1051, le fait de souffrir des maladies nuisibles sans en être guéri après le mariage n’est plus considéré comme cause de la nullité du mariage. Ce qui écarte la possibilité que les autorités civiles ou le tribunal privent certains individus de leur droit de mariage sous prétexte du défaut de compétence ou des risques de reproduction de ces derniers. Par ailleurs, sur le sujet de la nullité du mariage, il y a une nouvelle disposition qui, dans le but de protéger le droit à l’information et celui de consentement du conjoint ou de la conjointe, stipule qu’« au cas où l’une des deux parties du couple souffrirait d’une maladie importante, elle serait tenue d’en informer à l’autre partie avant l’enregistrement du mariage ; sans quoi l’autre partie serait en droit de demander la nullité du mariage auprès du tribunal ». Nous voyons que la nouvelle disposition a réussi à trouver un point d’équilibre plus convenable.
La protection des groupes vulnérables par le Code civil se manifeste en outre dans le partage des patrimoines lors de la dissolution du mariage. En cas de nullité ou de dissolution du mariage, si les parties n’arrivaient pas à s’accorder sur le partage des biens qu’elles ont acquis durant leur vie commune, alors ledit partage devrait se faire selon le principe consistant à tenir compte de la partie innocente. En plus, cette dernière a le droit de demander une indemnité. D’ailleurs, ce qui mérite d’être mentionné également, c’est l’élargissement du champ d’application de l’indemnité financière du divorce. Selon les dispositions prévues par la loi chinoise sur le mariage, les clauses d’indemnité financière n’étaient applicables qu’au régime matrimonial de séparation de biens. Cependant en Chine, sauf quelques rares exceptions, la majorité écrasante des époux n’ont pas l’habitude de conclure un contrat pour préciser le régime matrimonial. D’où l’application générale du régime légal à savoir celui de communauté des biens. Dans ce contexte, l’indemnité financière au moment du divorce n’est pratiquement pas envisageable. Lors de l’élaboration du Code civil, les législateurs ont supprimé certaines conditions restrictives et ainsi, réussi à étendre le champ d’application de l’indemnité financière du divorce au régime de communauté des biens. Ceci évidemment procure une meilleure protection aux intérêts financiers de la partie qui reste au foyer.
2.4 Réduire le taux de divorce
Au cours de l’élaboration du Code civil, l’introduction d’un « délai de réflexion » dans la procédure du divorce a suscité une vive polémique. Depuis longtemps, la législation chinoise prévoit deux types de divorce : divorce contentieux et divorce par consentement mutuel. Dans la pratique, c’est le dernier type qui est plus fréquent : les époux s’entendent sur la rupture du mariage et signent une convention réglant les conséquences du divorce, avant de soumettre et d’enregistrer en personne leur demande de séparation aux autorités compétentes. En vue de maintenir la stabilité des relations familiales et d’éviter des « mariages flash » qui sont à l’origine du taux élevé du divorce, les législateurs ont conçu, dans le livre « Mariage et famille » du Code civil, un « délai de réflexion » pour le divorce par consentement mutuel. Concrètement dit, dans un délai de 30 jours à compter de la date du dépôt de la demande de divorce aux autorités compétentes, cette demande peut être retirée unilatéralement par l’une des deux parties qui revient sur ses idées. Le délai de 30 jours atteint, les deux parties doivent aller en personne à l’établissement d’enregistrement pour prendre le certificat de divorce, faute de quoi la demande de divorce serait également considérée comme étant retirée. La stipulation de cette clause dans le Code civil a évidemment pour objectif de baisser le taux de divorce. Mais est-ce que le résultat escompté pourrait être vraiment au rendez-vous grâce à cette mesure qui augmente la difficulté de la séparation ? En plus est-ce que cette mesure ne créerait pas d’autres effets négatifs ? Les réponses ne seront données que par les pratiques judiciaires ultérieures.
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