Quelques réflexions à propos de l’authentification sur Internet
SUN Liang
Notaire à l’Étude notariale Chang’an à Pékin
Depuis ces dernières années, le développement des technologies liées à « Internet + » et au « big data » a apporté aux notaires chinois de nouvelles idées ainsi que de nouveaux modèles d’activité. Faute d’un règlement professionnel unifié en la matière, les offices notariaux des différentes régions de la Chine ont lancé les uns après les autres leurs propres plateformes Internet d’authentification, s’engageant ainsi dans une expérimentation « bottom-up » sur Internet. Dans le contexte du COVID-19 qui s’est déclaré début 2020, l’authentification sur Internet, de par son caractère sans contact, a répondu de façon efficace aux besoins engendrés par l’obligation de la quarantaine et à la nécessité de la reprise sécurisée de l’économie. Ainsi a-t-elle pu se développer davantage dans toute la Chine.
Sur le plan de la forme, l’authentification sur Internet est un modèle d’activité notariale ; tandis que sur celui du fond, elle vise des actes différents et donc correspond à des mécanismes différents aussi. Selon notre avis, l’authentification sur Internet pourrait être classée en trois types : 1) le dépôt des pièces justificatives en ligne, 2) l’authentification (avec la présence du notaire) en ligne, 3) l’authentification électronique.[1] Le premier type d’authentification sur Internet concerne notamment les diplômes d’études, les extraits des casiers judiciaires, etc. Dans ce cas, le dépôt en lignes des documents par les parties ne fait que dispenser ces dernières des déplacements physiques inutiles, et repousser l’examen des documents déposés à plus tard. Aux yeux des notaires, ce type d’authentification n’a presque rien de différent en matière de contenu par rapport à l’authentification en présentiel. Pour cette raison, il ne fera pas l’objet de la discussion de cet article. Le deuxième type d’authentification sur Internet porte surtout sur les procurations, les déclarations, les contrats, etc. ; tandis que le troisième type, en plus des procurations, des déclarations, des contrats, pourrait aussi porter sur la conservation des preuves. Du point de vue théorique, traditionnel et procédural, ces deux derniers types d’authentification sont différents l’un de l’autre entre eux, mais aussi de leurs correspondants en présentiel.
1. Différences des deux types d’authentification : contenu et caractéristiques
1.1 Authentification en ligne
Ce type d’authentification est réalisé par le notaire qui interagit avec la partie en ligne ; dans ce cas, la réception et l’examen préliminaire des documents déposés s’effectuent sur Internet. Par rapport à la forme traditionnelle, l’authentification en ligne ne présente pas beaucoup de différences sur le plan procédural, sauf si la réception et l’examen préliminaire des documents déposés (l’expression de la volonté de la partie, la réponse de cette dernière à l’interrogation et à l’information du notaire, etc.) se faisaient sur Internet par interaction à distance. Beaucoup de travaux, tels que l’élaboration des documents nécessaires à l’authentification (formule de demande, procès-verbal de la discussion, avis d’information, etc.) et que doivent signer les parties, la rédaction de l’acte authentique, etc., incombent toujours au notaire. Les interactions en ligne éliminent seulement les difficultés ou l’impossibilité de la tâche du notaire – la vérification de l’identité des parties, des pièces justificatives concernées, du contenu à authentifier, etc. – causées par la distance spatiale. Dans ce type d’authentification, le notaire fait son devoir en respectant les règles procédurales et en s’aidant des outils en ligne.
1.2 Authentification électronique
« L’authentification électronique se réfère aux activités effectuées par le notaire ou l’office notarial en s’aidant des plateformes ou des outils d’Internet, et qui consistent à authentifier ou à conserver la véracité et la légalité des faits, des actes ou des actions civiles juridiques réalisés sur ou par Internet et présentés sous forme de données électroniques. »[2] Selon cette définition, l’authentification électronique n’implique pas les interactions entre le notaire et les parties, étape pourtant indispensable dans le modèle traditionnel ; l’acte authentique s’appuie sur les données électroniques et non le témoignage personnel du notaire ; qu’il s’agisse de la conservation de la preuve ou de la signature du contrat, la date, le lieu, les parties et les objets (preuve à conserver ou contrat à signer) de l’authentification sont tous enregistrés par le système électronique. Prenons l’exemple de « Attribution de la force exécutoire en ligne », une plateforme intelligente de l’authentification en Chine. La partie dépose les pièces justificatives et signe les documents électroniques nécessaires (contrat, procès-verbal, avis d’information, etc.) en ligne ; le système électronique vérifie l’identité de la partie et fixe par des moyens techniques les signatures électroniques ayant trait aux actes à authentifier, avant de confirmer la véracité et la légalité des actions de la partie en s’aidant des techniques électroniques (infalsifiables). Après que la demande d’authentification a été reçue, un brouillon de l’acte authentique est généré automatiquement par le système électronique. Ainsi, dans ce modèle d’authentification, depuis la réception de la demande jusqu’à la génération de l’acte authentique, aucune intervention humaine n’est nécessaire. Le seul travail que le notaire a besoin de faire, c’est de procéder à une dernière confirmation sur les pièces justificatives mises en ligne et sur le contenu de l’acte authentique généré par le système électronique, avant de décider si l’acte pourra être émis ou non. Il est donc bien évident que l’authentification électronique, hautement automatique, est « réalisée, en tout ou en une très grande partie, sur la plateforme et avec les outils d’Internet et ceci, depuis la demande de l’authentification jusqu’à la délivrance de l’acte, en passant par la réception et l’examen des documents, la rédaction et l’enregistrement de l’acte. »[3]
1.3 Différences des deux modèles d’authentification
Après avoir fait des comparaisons avec le « Tribunal en ligne » largement adopté depuis ces dernières années en Chine, nous nous sommes rendu compte d’un certain nombre de différences essentielles entre l’authentification en ligne d’une part, et l’authentification électronique de l’autre. En effet, lors du « Tribunal en ligne » et de l’« authentification en ligne », les personnels juridiques (juges ou notaires) font appel aux techniques en ligne pour constater les faits et les preuves, définir les lois applicables et exercer leurs fonctions (juger ou authentifier), montrant ainsi la particularité juridique du travail du juge et du notaire, à savoir « intervention humaine ». En revanche, l’« authentification électronique » est un travail « à la machine » assumé par le système électronique,[4]et garanti tant par les techniques de conservation des preuves électroniques que par l’autorité du notaire.[5] Dans la pratique, il n’existe pas de procès jugé « à la machine », ce qui est différent de l’authentification qui peut se faire par l’homme ou par la machine. D’où la nécessité de la réflexion suivante : l’authentification est-elle une activité technique ou juridique ? Ou à la fois technique et juridique ? Contraint par le volume du présent article, nous nous dispensons de développer ici cette question en détail.
1.4 Caractères commode, efficace et peu coûteux de l’authentification sur Internet
En comparaison avec le mode traditionnel, l’authentification sur Internet a l’avantage d’être commode, efficace et peu coûteux. Elle a éliminé les inconvénients causés par la distance spatiale qui sépare les parties et le notaire, et également les parties entre elles. En plus, avec l’authentification électronique (par exemple conservation de l’enregistrement téléphonique, ou celle de la capture d’écran, etc.), on peut s’affranchir des contraintes temporelles (heures non ouvrables, jours fériés) qui perturbent l’authentification traditionnelle. S’agissant de l’efficacité, la réception de la demande d’authentification s’avère plus rapide et plus commode sur Internet, ce qui permet au notaire de traiter plus d’actes dans une unité de temps déterminée et par conséquent, d’augmenter la productivité du travail d’examen des documents. En ce qui concerne la rédaction et l’élaboration de l’acte authentique, la génération automatique du texte par le système électronique a non seulement dispensé le notaire de taper les mots manuellement sur le clavier de l’ordinateur, mais aussi réduit les risques de faute de frappe (notamment en ce qui concerne les chiffres). Quant à l’accès à l’acte, grâce aux techniques de lecture des codes-barres, les parties peuvent lire l’acte électronique sur différents terminaux tels qu’ordinateur personnel ou smartphone, ce qui rend l’accès à l’acte beaucoup plus commode et efficace que le mode traditionnel. En plus de son caractère commode et efficace, le coût peu élevé de l’authentification sur Internet est aussi bien apprécié par les parties. Par « le coût peu élevé », nous entendons le prix le plus bas que les parties ont à payer pour obtenir les produits ou les services notariaux. Il existe deux types de coût : celui pécuniaire et celui temporel. Avec l’authentification sur Internet, les parties n’ont pas besoin de se déplacer en personne, ce qui leur permet non seulement de réduire les dépenses en argent (puisque la conservation des preuves coûte moins cher sur Internet que le mode traditionnel), mais aussi en temps. C’est la raison pour laquelle l’authentification sur Internet est réputée comme étant plus économique que celle traditionnelle.
2. Fondement institutionnel de la naissance et du développement de l’authentification sur Internet
2.1 La disposition concernant l’« examen par le notaire en personne » prescrite dans les règlements notariaux en vigueur en Chine
Le 24 avril 2020, l’Office notarial Lüzheng a publié sur son compte Wechat un article intitulé Commentaire sur le nouveau décret du gouvernement français concernant la réception à distance des demandes de l’authentification durant la période de COVID[6], dans lequel il a présenté et commenté la polémique et le procès générés par le décret en question. La Chine et la France étant toutes membres de l’UINL, les deux notariats ont beaucoup de points communs tant sur le plan de la manière de penser que sur celui du système institutionnel. Pour cette raison, les réflexions des notaires français sur le sujet d’authentification sur Internet peuvent nous servir de référence. En fait, certains notaires français ont remis en cause la légalité de la réception des actes à distance, estimant que cela va à l’encontre du principe selon lequel l’acte authentique doit être accompli ou constaté par le notaire en personne.[7] À propos de cette opinion, l’auteur du présent article a fait une étude comparative sur les dispositions prescrites par les règlements notariaux chinois, et y a constaté des différences d’ordre institutionnel par rapport aux règlements français. D’où les opinions différentes entre les notaires chinois et français à propos du principe d’« examen en personne » dans l’authentification sur Internet.
En Chine, les prescriptions en vigueur en matière d’examen de l’acte authentique se trouvent dans des textes réglementaires très divers, entre autres La loi notarial, Le règlement sur la procédure notariale, Le règlement sur l’administration judicaire, ainsi que d’autres textes publiés par le Ministère de la Justice ou les autorités locales de la même compétence. Mais ces prescriptions ne sont pas claires sur la notion d’« examen en personne ». Par exemple, le chapitre IV (« Procédure notariale ») de La loi notariale prévoit qu’il appartient à l’« établissement notarial » de procéder à l’examen (art. 27-30), tandis que Le règlement sur la procédure notariale dit dans son article 5 qu’« en vertu des dispositions prescrites par La loi notariale et par le présent règlement, les activités qui doivent être accomplies par le notaire en personne au cours du traitement de l’acte ne peuvent pas être confiées aux autres personnels de l’établissement notarial. » Ici, « être accomplies par le notaire en personne » pourrait être vu comme une exigence en matière d’examen des documents. Ceci étant, selon les articles 24 et 25 du chapitre V (« Examen ») du même Règlement, la personne qui fait l’examen est toujours « l’établissement notarial » ; tandis que « les activités qui doivent être accomplies par le notaire en personne » ne sont précisées que dans les articles 52, 53 et 54 du chapitre VIII (« Règles spéciales »), et concernent seulement le témoignage sur place, l’authentification du testament, ou la conservation des preuves en dehors de l’office notarial, etc. Par ailleurs, certains textes ministériels ont aussi fait mention de l’« examen en personne », comme par exemple L’avis du Ministère de la Justice sur les problèmes liés à la gestion rigoureuse des assistants au notaire (No. du document : SBT. 2005-48) publié le 7 juillet 2005, dans lequel il a été clairement précisé « l’obligation du notaire de traiter en personne les actes d’authentification »ainsi que les activités auxiliaires que les assistants au notaire ont le droit d’assumer. En plus des textes susmentionnés, les bureaux de la justice et les associations notariales des différents échelons ont aussi sorti des règles (administratives) concernant l’examen en personne par le notaire.
Selon notre opinion, si les textes réglementaires chinois n’ont pas précisé clairement le contenu de l’obligation d’« examen en personne » du notaire, la raison devrait être cherchée dans le système institutionnel chinois « basé sur les établissements notariaux ». « Selon La loi notariale, les sujets des activités notariales sont les établissements notariaux, ces derniers constituent la base du système notarial chinois, tandis que les notaires ne sont que des professionnels en exercice dans ces établissements. C’est un système institutionnel différent de celui des pays étrangers, là où les sujets des activités notariales sont les notaires. »[8] Dans le système basé sur les établissements, ces derniers doivent assumer à la fois la responsabilité et la crédibilité de l’authentification. Ainsi, l’examen des actes authentiques finit par être réduit à un problème de répartition du travail au sein de l’établissement notarial. Bref, en raison du système notarial chinois basé sur les établissements, et du fait que certaines activités en ligne telles que la conservation des preuves et l’attribution de la force exécutoire à l’acte ne relèvent pas de celles « que doivent accomplir le notaire en personne », le problème d’« examen en personne » dans le processus d’authentification sur Internet, en Chine, n’a pas suscité des débats aussi acharnés qu’en France, où le système notarial se base sur les notaires au lieu des établissements.
2.2 Légalité des actes authentiques : critère d’évaluation et jugement juridique
La loi notariale chinoise a précisé dans son article 2 que la responsabilité de l’établissement notarial consiste à « prouver la légalité de l’acte authentique ». À l’heure actuelle où la libération de l’esprit et le développement grâce à l’innovation sont devenus l’air du temps, la notion de légalité, selon la pensée dominante, est passée de « la conformité du contenu et du motif de l’acte à la norme juridique » à « la non dérogation (au lieu de la conformité absolue) aux lois ou aux règles ».[9]Ce changement de mentalité donne sans aucun doute un coup de pouce à l’élargissement du champ d’activités des notaires, mais en même temps fait apparaître de nouveaux problèmes : en fonction des normes juridiques adoptées, un même acte pourrait être considéré comme étant légal ou illégal. Prenons l’exemple de l’« acte du prêt entre privés ». Selon les droits civils, ce type de prêt est légal tant que l’accord est conclu sur la base de l’égalité et de la volonté libre des deux parties ; autrement dit, il n’est pas interdit puisqu’il ne déroge pas aux règles obligatoires prescrites par la loi. Cependant, selon les droits commerciaux, l’octroi régulier des prêts à but lucratif et en tant qu’activité professionnelle, quand il ne remplit pas les conditions liées à l’enregistrement administratif et au contrôle d’accès au marché, n’est pas légal, de même que la personne qui se livre à cette pratique.[10] Mais malgré ce désaccord entre les lois applicables, l’adoption du principe « non dérogation à la loi » comme critère d’évaluation de la légalité, est le résultat de l’évolution du temps et du système institutionnel.
Revenons au sujet de légalité de l’authentification sur Internet. En effet, de même que les modèles traditionnels, la légalité de l’authentification sur Internet pourrait être envisagée sous deux aspects : 1) l’aspect de la procédure, 2) l’aspect du résultat. Ces deux aspects de la légalité sont exprimés dans l’article 69 du Code de procédure civile comme suit : « Les faits et les actes juridiques authentifiés à la suite d’une procédure légale, doivent être adoptés par le tribunal populaire comme fondement de la réalité, sauf l’inscription du faux de l’acte authentique mentionné. » Pour cette raison, tant qu’il n’existe pas de vices apparents sur le plan procédural (par exemple dérogation aux règles liées à la compétence ou à la récusation), et que les faits authentifiés sont objectifs, authentiques et conformes à la loi, alors l’authentification sur Internet, en tant qu’une forme nouvelle et novatrice de l’activité notariale, est considérée comme répondant au critère de légalité de notre temps, et étant reconnue par la pratique juridique. S’agissant du jugement juridique à propos de la légalité des actes de « prêt entre privés », bien que la profession notariale ait des opinions très différentes sur ce point, jusqu’ici il n’y a encore jamais eu une demande de l’exécution forcée de l’acte authentifié du « prêt usuraire entre privés » qui soit refusée pour cause d’« illégalité » de cet acte. En outre, en tant qu’une forme d’authentification sur Internet, l’authentification électronique a aussi vu sa légalité confirmée par la jurisprudence. Par exemple, dans la décision de justice No.2018-Zh-0782-Civ.-1ère instance-16331, émise par le Tribunal populaire de la Municipalité de Yiwu, province de Zhejiang, le juge a reconnu la véracité et la légalité des vidéos, des audios et des photos réalisées par la partie sur la plateforme Internet de l’authentification, malgré l’absence physique du notaire sur place.[11]
3. Analyse des modèles d’authentification traditionnelle et sur Internet sous l’angle des études des preuves
3.1 Logique générale de l’authentification traditionnelle
L’acte d’attestation se fonde sur la constatation de l’attestataire, c’est un acte dans lequel ce dernier exprime le fait qu’il constate. Il existe deux types d’attestation : attestation à soi-même et attestation à autrui. Le premier type consiste à attester un fait à soi-même et le second type, à quelqu’un d’autre.[12] En adoptant ces deux notions dans cet article, nous croyons qu’elles constituent aussi deux étapes d’un même processus d’attestation : l’attestation à soi-même est la première étape de ce processus, durant laquelle l’attestataire confirme un fait dans son intérieur ; elle est la base de l’attestation à autrui. Quant à cette dernière, il s’agit de l’expression ouverte du résultat de la première étape de l’attestation, et donc de l’achèvement du processus. À notre avis, l’attestation à soi-même, théoriquement, n’est soumise à aucune contrainte extérieure de constatation (en particulier contrainte procédurale), c’est-à-dire que l’attestataire a toute la liberté du monde de croire à ce qu’il constate. Cependant, l’attestation à autrui, notamment dans les actes juridiques tels qu’authentification notariale, exige non seulement l’objectivité et la véracité (du résultat), mais aussi la conformité de l’acte aux règles concernées. Autrement dit, la véracité du résultat de l’attestation n’est pas l’unique condition de la validité de l’acte authentique.
Par ailleurs, l’acte d’attestation consiste à prouver ou à juger l’identité d’une personne ou la véracité d’un fait en s’appuyant sur les pièces justificatives, les expériences ou les faits disponibles.[13] Dans le modèle d’authentification traditionnelle, conformément aux règles de l’examen, le notaire est tenu de vérifier tous les documents et tous les faits ayant trait à l’acte, autrement dit il doit examiner les pièces justificatives soumises par la partie ainsi que l’expression de sa volonté, après quoi il rédige l’acte authentique. Cet examen général sur la personne, les faits et les pièces justificatives par le notaire est déjà devenu une règle observée par toute la profession depuis longtemps. Les notaires chinois utilisent même quatre mots pour résumer le processus de l’examen exigé par cette règle : « regarder » – observer minutieusement pour distinguer le vrai du faux, « écouter » – écouter avec attention afin de saisir les nuances, « interroger » – poser des questions ciblées de manière à comprendre le fond de la réalité, « trancher » – être ferme et résolu dans la prise de décision correcte.[14]
3.2 Modèle de constatation dans l’authentification sur Internet
Par rapport au modèle traditionnel, l’authentification sur Internet a sa propre logique, ceci est notamment vrai dans l’authentification électronique. Dans les paragraphes suivants, nous prendrons l’exemple d’un acte électronique pour effectuer notre analyse.[15] Ledit acte vise à attester les faits liés à la prise de photos et de vidéos à l’usage de preuve par le représentant (B) de la partie (A), dans XX Karaoké. Le contenu attesté dans l’acte en question est comme suit : après avoir vérifié et examiné les documents justificatifs et les preuves conservées dans le NotaryCloud de conservation de données notariales, il est constaté que : (1) B a pris des photos et des vidéos le xx (date) xx (mois) xxxx (année) ; (2) les photos et les vidéos n’ont connu aucune modification depuis le jour de la prise, les informations géographiques indiquées par ces preuves sont authentiques ; (3) les photos et les vidéos en question ont été prises par B à l’endroit même de l’établissement XX et dans les environs. À travers cet acte authentique, nous pouvons apprendre que : (1) le notaire n’a pas été présent à XXKTV ; (2) le notaire, après avoir vérifié le contenu des documents électroniques conservés, a confirmé la véracité du fait qu’ils prouvent dans son intérieur ; (3) le notaire a attesté ouvertement ce qu’il avait confirmé dans son intérieur et dote cette attestation de force probante. De même que la conservation des preuves, l’attribution de la force exécutoire, un autre domaine de l’authentification électronique, suit un processus similaire : (1) le notaire vérifie et confirme en ligne l’identité de la partie ; (2) il examine le contenu des documents électroniques soumis par cette dernière ; (3) il vérifie et confirme la signature électronique ; (4) il rédige l’acte en s’appuyant sur les documents en ligne. Les analyses ci-dessus nous montrent que dans l’authentification électronique, le notaire n’examine que les documents justificatifs soumis par la partie au système électronique et/ou enregistrés ou générés par ce dernier, il n’a pas besoin d’assister au fait concerné en personne et sur place.
En comparaison avec l’authentification électronique, celle (avec la présence du notaire) en ligne suit dans une large mesure la logique du présentiel en matière de constatation de la personne, du fait et des pièces justificatives par le notaire. La différence-clé entre ces deux modèles d’authentification réside dans la vérification de l’identité de la partie et la confirmation de sa volonté libre en ligne. S’agissant de la vérification de l’identité en ligne, les techniques en la matière sont basées sur celles de la reconnaissance faciale en présentiel. D’ailleurs, le rôle important de la reconnaissance faciale en présentiel dans la vérification de l’identité a été déjà prouvé par les pratiques notariales depuis longtemps. Alors, la question est de savoir s’il est nécessaire de faire la distinction entre la reconnaissance faciale en présentiel et celle en ligne, puisque les deux utilisent à peu près la même technique électronique. Selon notre opinion personnelle, la réponse est affirmative. En cas de reconnaissance faciale en présentiel, les appareils électroniques sont contrôlés et maîtrisés par le notaire ; tandis qu’en ligne, l’appareil qui effectue l’opération de reconnaissance est hors du contrôle du notaire. Étant donné que la reconnaissance faciale en ligne s’appuie sur des plateformes qui utilisent des outils grand public de vidéo instantanée, les informations ainsi recueillies à distance sont certainement moins objectives et moins authentiques que celles recueillies en présentiel. Pour cette raison, dans l’authentification (avec la présence du notaire) en ligne, la vérification de l’identité de la partie est, dans un sens rigoureux, également un examen des données électroniques.
3.3 Caractère « déprocédural » de l’authentification électronique
À la suite d’une analyse comparative que nous avons faites entre le modèle de l’authentification électronique ayant pour objet d’examen les preuves mises en ligne, et celui de l’authentification assistée par l’assistant au notaire, nous nous sommes posé une question : le notaire a-t-il le droit d’émettre l’acte authentique rien qu’en s’appuyant sur les documents justificatifs (qui sont parfaits du point de vue technique et en conformité avec la réalité) sans assister en personne au fait concerné par l’acte ? S’il est autorisé à l’assistant au notaire d’aider ce dernier à « vérifier la qualité de la partie et les documents justificatifs qu’elle soumet », et à « rédiger le procès-verbal de l’entretien » (voir L’avis du Ministère de la Justice sur les problèmes liés à la gestion rigoureuse des assistants au notaire), alors est-ce qu’il lui est aussi permis de se rendre chez la partie, d’identifier son identité avec l’appareil de reconnaissance faciale admis par son office notarial, de lui poser des questions préparées par le notaire, de noter fidèlement ses réponses à partir desquelles il rédige le procès-verbal, et finalement de remettre le résultat de la reconnaissance faciale effectuée sur place, le procès-verbal signé par la partie, l’avis d’information et la vidéo de l’ensemble du processus au notaire, afin que ce dernier examine tous ces documents et rédige l’acte ? Du point de vue de la forme, les documents recueillis par l’assistant au notaire et ceux par le système d’authentification électronique sont sans différence, sauf le sujet qui effectue le recueil. Mais c’est justement cette différence du sujet de recueil qui donne lieu à des évaluations diamétralement opposées à propos de la légalité des deux modèles d’authentification : vu « le manque de qualité et de compétence » de l’assistant au notaire, les documents recueillis par lui ne sont pas conformes à la règle procédurale ; pourtant le fonctionnement du système électronique ne subit pas la contrainte de cette règle, laquelle ayant surtout pour objectif de réguler le comportement des hommes. Nous voyons que l’authentification électronique permet de contourner les exigences compliquées imposées par la procédure notarial, , , , , , , e en matière d’intervention humaine, et d’aller directement au cœur de l’acte authentique ; elle exprime un nouveau concept de l’authentification à savoir « qu’ils se rencontrent ou pas, le notaire et la partie sont là, et la véracité du fait ne change pas »[16] et par conséquent, a changé fondamentalement le mode traditionnel d’authentification qui exige « la présence du notaire du début jusqu’à la fin pour constater le résultat ».
Ce changement en matière de constatation des documents dans le processus d’authentification électronique, entraîne un autre changement, qui est fondamental. Dans le modèle traditionnel, le travail d’examen des documents est assumé par le notaire chargé du dossier, et également par la personne qui donne l’approbation et ceci, selon le processus suivant : d’abord le notaire chargé de l’acte constate en personne le fait à authentifier et recueille les documents justificatifs nécessaires (avec l’aide de son assistant) ; ensuite il procède à un examen préliminaire sur ces documents et, les jugeant conformes aux règles, il les soumet avec le résultat de son examen à l’approbation de la personne compétente ; cette dernière vérifie les documents écrits soumis par le notaire et émet son opinion définitive. Dans ce modèle, le travail principal du notaire est de constater en personne le fait à authentifier afin de confirmer la réalité, autrement dit il lui appartient de « vérifier le fait » ; tandis que la personne qui donne l’approbation est surtout chargée de reconfirmer la légalité des documents soumis et les lois applicables, ce qui relève de l’ordre de « vérification juridique ». Ce mode d’examen à deux étapes, depuis toujours, fait partie de la procédure fondamentale de l’authentification traditionnelle. Cependant, dans le modèle électronique, le notaire n’a pas besoin de se présenter en personne au lieu et au moment de la production du fait, il examine directement les documents électroniques générés par le système informatique et les soumet à l’approbation de la personne compétente. C’est dire que dans l’authentification électronique, le notaire n’est plus « la personne qui recueille les documents » telle qu’il est dans le modèle traditionnel, mais plutôt « la personne qui transmet les documents ». C’est donc le mode traditionnel de l’examen à deux étapes qui a changé fondamentalement.
4. Quelques réflexions sur les mesures à prendre
Forte de son mode particulier de constatation, l’authentification sur Internet a pu s’affranchir des restrictions imposées par la procédure notariale traditionnelle, et rendre les activités notariales plus commodes et moins coûteuses. Bien que les débats continuent toujours au sujet de la nature de l’authentification sur Internet, nous préférerions nous concentrer sur les problèmes réels au lieu de nous livrer à des bavardages creux et inutiles sur les concepts. C’est pourquoi nous nous permettrions ici de faire partager nos quelques réflexions sur les mesures à prendre pour favoriser le développement de l’authentification sur Internet.
4.1 Consolider le rôle auxiliaire de l’authentification sur Internet
Les services notariaux, de par leur nature juridique, appellent nécessairement un modèle qui combine le rôle principal de l’authentification traditionnelle et le rôle auxiliaire de l’authentification sur Internet. En effet, pour n’importe quel service juridique, sa première tâche est d’exercer la mission qui lui est conférée par la loi, au lieu de satisfaire aux exigences de ses clients. Si un notaire doit faire le choix entre la constatation de la réalité par sa présence physique et la procuration de la facilité à ses clients par des services en ligne, c’est évidemment le premier qui l’emporte. Dans le modèle traditionnel d’authentification, le notaire, en vertu des lois et des règlements concernés, constate les personnes, les faits et les pièces justificatives à travers ses expériences personnelles et réelles, afin de pouvoir exercer sa responsabilité. Pour cette raison, le modèle traditionnel bénéficie sans aucun doute d’un statut principal et conventionnel. Mais ce modèle, trop dépendant de l’intervention humaine, présente aussi des inconvénients et donc n’arrive pas à répondre à tous les besoins de la société en matière d’attestation. D’où la nécessité d’introduire le modèle d’authentification sur Internet, et notamment celui d’authentification électronique, afin d’augmenter la capacité globale de la profession notariale pour le traitement des actes sans cesse plus nombreux.
Pour consolider le rôle auxiliaire de l’authentification sur Internet, il faut respecter le principe d’« impossibilité de l’authentification en présentiel ». Ce que nous entendons ici par « impossibilité », ce n’est pas l’impossibilité causée par la non-conformité de la demande aux conditions nécessaires de la réception, mais celle qui résulte des restrictions objectives, comme par exemple le cas où l’office notarial se trouve dans l’impossibilité d’ouvrir à cause d’un état d’urgence quelconque ou en dehors des horaires ouvrables, alors que le fait à authentifier demande à être constaté immédiatement car il risque de s’éteindre à tout moment.
4.2 Éclaircir la compétence du notaire sur Internet
Traditionnellement la compétence du notaire se définit sur la base de son champ d’action et de constatation. Bien qu’au fur et à mesure du développement des techniques liées à Internet et aux données électroniques, le champ de constatation du notaire n’est quasiment plus limité par la distance spatiale, on ne pourrait pas prétendre pour autant que le notaire est en mesure d’authentifier tous les faits qu’il est susceptible de constater. Un des problèmes suscités par l’authentification sur Internet, c’est que si la technique nous permet d’accéder aux documents justificatifs qui physiquement se trouvent au-delà de notre compétence géographique, est-ce que nous sommes pour autant compétents pour traiter l’acte concerné ? Autrement dit, est-ce que c’est la technique qui supprime la restriction de la compétence, ou est-ce que c’est l’innovation technologique qui accorde une nouvelle légalité à la nouvelle compétence ? Pour dire plus concrètement : Monsieur A basé en ville A et Monsieur B basé en ville B ont signé un contrat qu’ils soumettent au système électronique de l’office notarial C situé dans la ville C, est-ce que l’office C a la compétence de traiter cet acte ? Du point de vue théorique et pratique, la compétence de l’office notarial dépend du lieu où se situe le système électronique, c’est pourquoi en l’occurrence l’office C n’est pas compétent. En un mot, l’authentification procure des facilités aux clients, mais à condition que ces facilités respectent les règles fondamentales du notariat entre autres les règles en matière de compétence du notaire.
4.3 Optimiser les normes et les plateformes techniques
En Chine, l’évolution de l’authentification sur Internet a suivi un parcours « bottom-up », sous le modèle « techniques des sociétés indépendantes + pratique des offices notariaux ». Bien que les techniques utilisées par les différentes sociétés indépendantes soient à peu près pareilles, il est très important d’établir des règles et des normes techniques unifiées pour favoriser les activités des offices notariaux. Selon les principes techniques du « blockchain » sur lesquels reposent la technologie de la conservation des preuves électroniques, les données générées sur le « blockchain » ne sont certes pas non-modifiables, mais pour les modifier, il faut reconstruire tous les certificats des données et des codes secrets précédemment stockés dans le « block », et en même temps avoir le contrôle sur plus de 50% des points du système. Par conséquent, plus nombreux sont les points de terminaison dans le « blockchain », mieux seront protégés les données qui y sont stockées, d’autant plus que ces points sont contrôlés par l’office notarial. S’agissant de l’authentification sur Internet, la technique en ligne a pour mission de constater et de confirmer à distance les informations identitaires de la partie, et de permettre l’interaction en temps réel entre la partie et le notaire. Mais à l’heure actuelle, en Chine il n’y a pas encore une norme technique destinée à la certification professionnelle et par conséquent, dans l’authentification à distance, nous sommes obligés d’utiliser les logiciels des réseaux sociaux grand public, ce qui fait que la sécurité des données et l’intimité des parties ne sont pas garanties. Pour cette raison, il est nécessaire que l’association professionnelle du notariat prenne l’initiative de mettre en place une norme technique unifié pour faciliter le contrôle d’accès des matériels et des logiciels de techniques à long distance, et pour intégrer plus d’offices notariaux dans le « blockchain » du notariat, de façon à construire une plateforme technique au service de l’ensemble de la profession.
Conclusion
Dans le contexte actuel d’« entreprenariat et innovation pour tous », l’authentification sur Internet voit le jour en tant qu’une pratique novatrice du notaire. D’une part, elle est allée au-delà des règles de constatation imposées par le modèle traditionnel d’authentification et a changé la procédure et le contenu de l’activité notariale. D’autre part, elle s’est affranchie, grâce à des techniques fiables, des contraintes procédurales qui exigent la présence physique du notaire pour constater un fait, augmentant ainsi énormément l’efficacité du travail. En philosophie, il existe un paradoxe nommé « Bateau de Thésée » : il imagine un bateau dont toutes les parties sont remplacées progressivement. Au bout d’un certain temps, le bateau ne contient plus aucune de ses parties d’origine. La question est alors de savoir s’il s’agit du même bateau ou d’un bateau différent. Mais en envisageant ce paradoxe d’un autre point de vue, nous pourrions obtenir une révélation tout à fait différente : si le Bateau de Thésée a pu naviguer intact plusieurs centaines d’années en mer, c’est justement grâce aux travaux ininterrompus de maintien qui consistent à remplacer les parties usées. Dans ce cas, la question n’est plus importante de savoir s’il reste le même bateau ou un bateau différent. La portée philosophique du « Bateau de Thésée » annonce dans une certaine mesure la perspective de l’activité d’authentification : « Du point de vue du modèle et de l’orientation de son développement, l’authentification électronique, lorsqu’elle aura atteint un certain niveau dans le futur, s’effectuera très probablement selon le mode principal ‘sur Internet, en ligne, dans les nuages et par l’ordinateur’, sans pour autant rejeter le mode auxiliaire ‘en présentiel, hors ligne, sur la terre et par l’homme’. Ainsi, quand elle arrivera à sa maturité complète, l’authentification électronique sera naturellement une activité certes toute nouvelle mais au sens complet du mot. »[17]Au fur et à mesure du développement des technologies d’Internet et électroniques, et de la sortie des règles y ayant trait, le jour arriverait sans doute où enfin la crédibilité des notaires n’aurait plus besoin de dépendre, comme dans le passé, de leur surmenage physique imposé par la procédure notariale.
[1] Li Xinhui, « Authentification électronique : définition, caractéristiques et principes » dans Le notariat chinois, 2015, No 6.
[5] Ding Xiao, Études sur le problème de vérification des preuves conservées avec la technique de « blockchain », Mémoire pour l’obtention du Master à l’Université Huaqiao, mai 2019.
[6] https://mp.weixin.qq.com/s/txUvOrroZqo7EzcpX6cUpw
[7] Code civil, art.1371 : « L’acte authentique fait foi jusqu’à inscription de faux de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. »
[8] Wang Shengming, Duan Zhengkun (dir.), Interprétation de « La loi notariale de la République populaire de Chine », Éditions de droits, 2005, p.5
[9] Duan Wei, Li Quanxi, Les responsabilités du notaire, Éditions de droits, 2016, pp.144-145
[10] Bien que dans ce cas, l’acte de prêt ne soit pas forcément frappé de nullité, les opinions sont loin d’être unanimes quant à la légalité de l’acte d’authentification.
[11] En fin de compte, ce que la décision de justice reconnaît, c’est la légalité des preuves obtenues grâce aux techniques électroniques, et non la validité de ces techniques qui sont utilisées dans l’authentification.
[12] He Jiahong, Liu Pinxin, Études des preuves, Éditions de droits, 2008, p.194
[14] https://mp.weixin.qq.com/s/HLHJp_tVmJlvk2s6YbMe9Q
Yu Kun (Bureau notarial de Chang’an, Beijing), Quelques mots sur l’examen des pièces lors de la réception du dossier par le notaire, avec quatre cas comme exemples : regarder, écouter, interroger et trancher, https://mp.weixin.qq.com/s/HLHJp_tVmJlvk2s6YbMe9Q
[15] Source : Formation sur les pratiques notariales en matière de propriété intellectuelle (2eéditon), juin 2019, https://www.ezcun.com/
[16] Li Xinhui, « Authentification électronique : définition, caractéristiques et principes » dans Le notariat chinois, 2015, No 6.
[17] Li Xinhui, « Authentification électronique : définition, caractéristiques et principes » dans Le notariat chinois, 2015, No 6.
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