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Le décret du 3 avril 2020 sur l’acte notarié à distance

Le décret du 3 avril 2020 sur l’acte notarié à distance[1]

 

Michel GRIMALDI, professeur émérite à l'Université Panthéon-Assas

Charles GIJSBERS, professeur à l'Université de Rouen Normandie

Bernard REYNIS, président honoraire du Conseil Supérieur du Notariat

 

1. Genèse

Il est peu de dire que les mesures de confinement décidées par le gouvernement le 16 mars dernier ont brutalement paralysé l’activité des offices de notaires. Faute pour les parties de pouvoir se rendre dans une étude (ou pour un notaire de pouvoir se déplacer chez les parties), la possibilité même de signer des actes authentiques ne paraissait pouvoir emprunter que le canal de procurations sous signature privée. Mais, outre le fait qu’un tel procédé fragilise considérablement la chaîne de l’authenticité (dont il constitue le « maillon faible »), il ne peut y être recouru pour les contrats dont la validité suppose qu’une partie s’engage devant notaire (constitution d’hypothèque, achat d’un immeuble à construire dans le secteur protégé, donation ostensible). Sans compter qu’en période de confinement, c’est l’impossibilité de trouver un mandataire, même parmi les collaborateurs de l’étude, eux-mêmes confinés, qui soulevait de graves difficultés.

En réaction à ces difficultés, le ministère de la Justice a, en collaboration avec les responsables de la profession, adopté le décret n° 2020-395 du 3 avril 2020 qui adapte les modalités d’établissement de l’acte notarié électronique afin, selon la notice accompagnant le texte, « de tenir compte […] de l’impossibilité pour les parties de se rendre physiquement chez un notaire ».

Ce décret est, dans son intitulé, présenté comme « autorisant l’acte notarié à distance pendant la période d’urgence sanitaire ». En réalité, l’acte notarié à distance existe depuis près de quinze années si l’on entend par là un acte notarié reçu entre parties distantes : il l’est depuis les modifications que le décret n° 2005-973 du 10 août 2005 a apportées au décret n° 71-941 du 26 novembre 1971 relatif aux actes établis par les notaires. Simplement, tel que modifié en 2005, le décret de 1971 exige que le consentement de chaque partie soit recueilli par un notaire « devant lequel elle comparaît » (D. n° 71-941, 26 nov. 1971, art. 20). Or c’est cette comparution physique, exclue par le confinement, dont le décret du 3 avril suspend la nécessité. Dit autrement, la distance qu’il autorise n’existe pas uniquement entre les parties, mais bien entre le notaire et les parties : l’acte notarié à distance qu’il vise n’est pas seulement un acte passé entre parties distantes, mais un acte reçu par un notaire distant.

 

2. Domaine d’application

Ratione temporis, le décret limite la durée des mesures d’exception qu’il contient à la période d’urgence qui les justifie. Ces mesures entrent en vigueur immédiatement, c’est-à-dire le lendemain du jour de la publication du décret au Journal officiel, soit le 5 avril à zéro heure. Elles cesseront de l’être à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence : donc, en l’état actuel des textes, le 23 ou 24 juin à minuit (l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, qui déclare l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter de son entrée en vigueur, faisant sur ce point l'objet d'interprétations divergentes).

Ratione loci, le décret ne dit rien du lieu où se trouvent les parties. À partir du moment où la validité de l’acte instrumentaire ne suppose pas que les parties aient exprimé leur consentement en présence d’un notaire, on ne voit point de raison d’exiger la présence de la partie qui s’oblige sur le territoire national, auquel se limite la compétence du notaire. L’officier public a pour mission de recevoir le consentement, et sa compétence est donc déterminée en fonction du lieu de la réception, et non de l’émission, du consentement. Voici donc le notaire habilité, pour un temps, à recevoir des actes transfrontaliers, ce qui, compte tenu de la suppression des attributions notariales des consuls, est d’ailleurs de nature à résoudre des difficultés qui se posent aux Français de l’étranger hors toute mesure de confinement.

Ratione materiae, le décret est applicable à tout acte notarié sur support électronique. Il autorise en effet le notaire à établir, suivant les modalités qu’il prévoit, « un acte notarié » : formule on ne peut plus compréhensive. Il n’y a donc pas lieu de distinguer suivant que l’authenticité est requise par la loi pour la validité de l’acte juridique (p. ex., donation ostensible, hypothèque conventionnelle, fiducie immobilière, vente en l’état futur d’achèvement du secteur protégé), pour les besoins de la publicité foncière (p. ex., ventes d’immeubles existants), pour préconstituer une preuve plus que parfaite (p. ex., reconnaissance de dette) ou pour détenir un titre exécutoire (p. ex., prêt de somme d’argent, bail, transaction).

Deux limites doivent cependant être envisagées.

– La première tiendrait aux conditions de validité de l’acte juridique que porte l’acte notarié. Ainsi, la loi impose parfois que le consentement soit donné « devant notaire » (C. civ., art. 348-3 : consentement à l’adoption ; C. civ., art. 403 : désignation d’un tuteur par le père ou la mère de l’enfant mineur ; C. civ., art. 788 : acceptation à concurrence de l’actif net ; C. civ., art. 931 : donation ; C. civ., art. 1346-2, al. 2 : subrogation par le débiteur ; etc.) ou en sa « présence » (C. civ., art. 930 : renonciation anticipée à l’action en réduction ; C. civ., art. 973 : testament authentique ; etc.). Faut-il en conclure que ces actes juridiques sont exclus du périmètre de l’acte authentique à distance ? La conclusion serait erronée. Non pas que la comparution par visioconférence équivaille par nature à une présence virtuelle : en indiquant qu’il s’applique dans le cas où les parties ne sont « ni présentes ni représentées », le décret signifie clairement que la présence des parties s’entend, dans la langue ordinaire de la loi, d’une présence physique et non dématérialisée. Mais toutes les dispositions en question ayant été écrites à une époque où la réception de l’acte notarié impliquait la présence physique du notaire, on ne saurait y lire la condamnation anticipée d’une comparution à distance dont on n’avait à l’époque nulle idée.

Ainsi encore, la loi peut imposer que les parties échangent leur consentement en présence l’une de l’autre. L’hypothèse n’est pas d’école : l’article 1394, alinéa 1re, du Code civil, mettant fin à une ancienne controverse doctrinale et jurisprudentielle (A. Ponsard, sur Aubry et Rau, Régimes matrimoniaux, Librairies Techniques, 1973, n° 65) prescrit que le contrat de mariage ne peut être passé qu’« en la présence et avec le consentement simultané » des parties. Cette exigence exclut-elle que l’instrumentum soit établi par un notaire distant ? Elle n’interdit certainement pas que le notaire recueille à distance le consentement que les futurs époux ou leurs représentants, en présence physique l’un de l’autre, donneraient simultanément là où ils se trouvent. Et elle ne semble pas davantage empêcher que le notaire constate à distance l’accord de deux époux qui seraient eux-mêmes distants l’un de l’autre. Ce qui importe, en effet, ce n’est pas que les époux soient en présence physique l’un de l’autre, puisqu’ils peuvent être représentés, c’est la simultanéité de l’expression de leur consentement.

– La deuxième tiendrait à l’impossibilité pour certains actes notariés d’être établis sur support électronique : actes qui se trouveraient alors, par hypothèse, hors du domaine du décret du 3 avril 2020. Il ne saurait s’agir d’une impossibilité de droit : l’équivalence entre le support électronique et le support papier (C. civ., art. 1174 et C. civ., art. 1366), qui souffre des exceptions pour les actes sous seing privé (C. civ., art. 1175), est absolue pour les actes authentiques. Il s’agirait d’une impossibilité de fait, d’ordre technique. On pense ici aux actes notariés qui requièrent la signature de deux notaires, tels le testament authentique (C. civ., art. 971) ou la renonciation anticipée à l’action en réduction pour atteinte à la réserve (C. civ., art. 930). Leur gravité ne saurait en elle-même les exclure du domaine de dispositions conçues dans les termes les plus généraux, qu’il s’agisse de celles qui, en 2005, ont pleinement consacré l’acte notarié dématérialisé ou de celles qui, aujourd’hui, adaptent à la crise sanitaire les dispositions prises en 2005 : ubilex nondistinguit…Simplement, les raisons techniques qui, pour l’instant, empêchent, dit-on, qu’un acte notarié sur support électronique puisse comporter la signature de deux notaires font, si elles se vérifient, que la question de l’application du décret ne se pose même pas. Serait-il alors possible, pour le testament authentique du moins, que le second notaire fût remplacé par deux témoins (C. civ., art. 971), comme cela se fait aujourd’hui ? Encore faudrait-il, pour satisfaire les exigences du nouveau décret, que les deux témoins disposent, comme le testateur, d’un procédé de signature électronique qualifié (alors que, s’agissant du testament authentique sur support électronique établi en temps ordinaire, donc dicté en présence physique du notaire, les dispositions générales du décret de 1971, tel que modifié en 2005, se satisfont, pour les parties et les témoins, d'une signature sur tablette [art. 17, al. 3], laquelle, loin d’être une signature qualifiée, n’est qu’une image de signature manuscrite) (sur ce, v. infra, n° 4).

 

3. Conditions

S’agissant des conditions de validité de l’acte, on relèvera d’abord que la loi prévoit l’hypothèse où « une ou toutes les parties » ne sont point présentes. Il se peut donc que le notaire soit seul en son étude ou… ailleurs, au lieu où il est confiné.

La passation de l’acte suppose l’existence d’un certain nombre d’outils (a) et le respect d’une certaine procédure (b).

a. Outils

S’agissant des outils, le texte en vise trois : un système informatique, une signature électronique sécurisée des parties et une signature sécurisée du notaire.

Le troisième outil n’appelle aucun développement particulier. Les notaires ont depuis longtemps, avec la clé REAL, une « signature électronique sécurisée » (art. 1, al. 4 in fine). Le Conseil supérieur du notariat s’y est employé avec un succès unanimement reconnu. On reviendra plus loin sur les caractères de cette signature.

Les deux autres outils appellent plus de précisions.

1. S’agissant du système informatique, le texte vise un « système de communication et de transmission de l’information garantissant l’identification des parties, l’intégrité et la confidentialité du contenu et agréé par le Conseil supérieur du notariat ».

Ce système ne doit pas être confondu avec celui qui est prévu par l’article 16 du décret du 26 novembre 1971, modifié en 2005, pour établir les actes sur support électronique en général, et qui est un « système de traitement et de transmission de l’information agréé par le Conseil supérieur du notariat et garantissant l’intégrité et la confidentialité du contenu de l’acte ».

En effet, alors que ce système-ci vise à une communication entre notaires (l’acte entre parties distantes impliquant, dans les textes de 2005, la mise en relation des deux notaires devant lesquels les parties consentent), celui prévu par le décret du 3 avril doit permettre une communication entre le notaire et le client. D’où l’exigence que ce système garantisse l’identification des parties.

Ce système doit avoir été agréé par le Conseil supérieur du notariat. Les applications usitées dans le grand public – Skype, Zoom, WhatsApp, FaceTime – ne sont ici d’aucune utilité. À ce jour, un seul logiciel de visioconférence a reçu l’agrément du Conseil supérieur du Notariat : LifeSize.

2. S’agissant de la signature des parties, le texte dispose qu’elle intervient « au moyen d’un procédé de signature électronique qualifié répondant aux exigences du décret du 28 septembre 2017 » (art. 1, al. 3, in fine). Ce décret renvoie lui-même au règlement (UE) européen n° 910/2014 du 23 juillet 2014 (règlement eIDAS), qui distingue la signature qualifiée des autres signatures électroniques en ce qu’elle est certifiée par un tiers de confiance, lequel, après un certain nombre de vérifications, remet au signataire un certificat numérique lui permettant de s’identifier de manière sûre.

Or si chaque notaire, comme il a été dit, dispose d’une telle signature, le tiers certificateur étant le CSN, peu (très peu ?) de particuliers en ont une. C'est que, jusqu’à présent, le besoin ne s’en faisait pas sentir pour l’établissement d’un acte notarié sur support électronique. Dès lors que les parties signaient toujours devant un notaire, fût-ce, si elles étaient distantes l’une de l’autre, chacune devant un notaire différent, il était possible de se satisfaire « de l’apposition, sur l’acte notarié, visible à l’écran, de l’image de leur signature manuscrite » (D. n° 71-941, 26 nov. 1971, art. 17, al. 3) : après tout, cette signature avait peu d’importance, le notaire ayant de propriissensibus constaté l’identité des parties et recueilli leur consentement. Mais à partir du moment où le notaire officie à distance, il ne peut constater que ce qu’il voit à l’écran et il est sage alors de prévenir le risque, qui se trouve accru, d’une usurpation d’identité. D’où l’exigence d’un procédé de signature qui, dans l’ordre des signatures numériques, est celui qui offre les plus larges garanties d’imputabilité. Il appartiendra naturellement au notaire de dire aux parties comment procéder pour en obtenir une, au moins pour les besoins de l’acte qu’il reçoit. Actuellement, le seul certificateur de confiance habilité à délivrer une signature qualifiée serait Docusign France.

b. Procédure

La procédure de réception de l’acte reste ce qu’elle est aujourd’hui : elle se décompose en trois temps, que le décret fait nettement apparaître.

Le premier temps est celui du dialogue entre le notaire et les parties par le biais de la visioconférence. Le texte se réfère à « l’échange des informations nécessaires à l’établissement de l’acte ». Malgré la modestie de la formule, il est certain que ce premier temps sera aussi celui où le notaire procédera à la lecture de l’acte et éclairera le consentement des parties. Il est celui où le notaire tout à la fois se prépare à exécuter son devoir d’authentification et accomplit pleinement son devoir de conseil.

Le deuxième temps est celui du recueil des consentements par le notaire : consentement que chaque partie exprime au moyen de sa signature électronique.

Le troisième temps est celui de la signature du notaire. En y apposant sa signature, par hypothèse électronique, l’officier public confère l’authenticité à un acte qui n’était jusque-là qu’un acte sous seing privé : il lui donne la force probante et la force exécutoire attachées aux actes publics, il le rend éligible à la publicité foncière, et, si l’acte juridique est solennel, il en permet la formation. En énonçant que « l’acte est parfait lorsque le notaire instrumentaire y appose sa signature électronique sécurisée », l’article 1, alinéa 4, du décret fait écho à l’article 1367, alinéa 1er, du Code civil, suivant lequel la signature « apposée par un officier public […] confère l’authenticité à l’acte ».

 

4. Questions

Le décret du 3 avril pose un certain nombre de questions.

1. La plus sérieuse d’entre elles, qui est à la fois d’ordre théorique et pratique, touche au rôle du notaire dans la réception de l’acte et, par là, au fondement de l’authenticité. Parce qu’un acte notarié fait foi de son origine jusqu’à inscription de faux, l’identité des signataires doit être très précisément contrôlée. C’est pourquoi le décret de 1971 impose à l’officier public de procéder à ce contrôle, sous sa responsabilité : l’article 5 précise que, s’il ne connaît pas les parties, le notaire doit se faire communiquer tous documents justificatifs. Or, sous l’empire du décret du 3 avril, cette tâche n'incombe plus au seul notaire : elle est au moins partagée avec le tiers de confiance sans l’intervention duquel les parties ne peuvent disposer d’une signature qualifiée. Mais, ce partage est inévitable dès lors que la réception se fait par un notaire distant : la vérification de l’identité d’une personne que l’on ne voit pas en chair et en os et qui se dote d’une signature numérisée exige des compétences techniques qui relèvent, non du juriste, mais de l’informaticien.

Ce concours appelle deux remarques.

En premier lieu, l’intervention du tiers de confiance dans la création de la signature sécurisée est limitée à l’identification du comparant (à distance). Or, comme le dit très clairement l’article 1367 du Code civil, la signature a une double fonction : non seulement elle « identifie son auteur », mais elle « manifeste son consentement ». Aussi faut-il souligner que la signature sécurisée, en ce qu’elle vaut, comme toute signature, approbation du contenu de l’acte, est reçue par le seul notaire : c’est l’officier public et lui seul qui recueille le consentement des parties. C’est seulement sur le contrôle de l’identité du signataire que le décret organise le concours d’un technicien et d’un officier public.

En deuxième lieu, ce concours évoque celui qu’a organisé la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 en prévoyant que le testament authentique d’un non-francophone peut être reçu avec l'assistance d’un interprète : d’un interprète de confiance naturellement, choisi sur une liste d’experts agréés par l’autorité judiciaire (C. civ., art. 972, al. 4). Or, dans les deux cas, l'intervention d’un technicien introduit dans la chaîne de l’authenticité un corps étranger dont il faut se demander si l'intrusion n’est pas de nature à fragiliser l’acte. S'agissant du testament, nul doute qu’un héritier exhérédé pourrait, sans s’inscrire en faux, soutenir que l’interprète a trahi la volonté du testateur. S'agissant de l'acte reçu par un notaire distant, la signature sécurisée d'une partie pourrait-elle être désavouée, sans recours à l'inscription de faux, par celui auquel on l'oppose ? Il faut ici distinguer (M. Grimaldi, « La signature électronique », JCP G, hors-série, déc. 2017, p. 29, n° 11). D’un côté, il est clair que la présomption de fiabilité attachée au procédé de signature qualifiée ne doit rien à l’intervention du notaire et doit donc pouvoir être combattue de la même façon que si la signature était employée pour signer un acte sous seing privé (étant observé qu’une telle contestation, au regard des précautions qui auront dû être prises par le tiers certificateur, aura, dans les faits, de bien maigres chances d’aboutir). De l’autre, l’apposition de cette signature qualifiée, quelle qu’en soit la fiabilité intrinsèque, est bien constatée par le notaire, qui, selon les termes du décret, « recueille […] la signature électronique de chaque partie ». L’authenticité couvre donc, de son autorité probatoire, la déclaration que telle personne a signé – en l’occurrence électroniquement – l’acte notarié : la foi publique procède sur ce point et des vérifications opérées par l’officier public et de la fiabilité du système de communication et d’identification agréé par le notariat (v. supra, n° 4, 1).

2. Le notaire pourrait-il recevoir un consentement distant sans apposition de la signature sécurisée de son auteur en application de l’article 10, alinéa 3, du décret de 1971, qui vise le cas où « les parties ne savent ou ne peuvent signer » ? L’argument, qui vaudrait pour tout acte notarié sur support électronique, serait qu’une partie qui n’est pas pourvue d’une signature électronique est dans la même situation qu’un manchot face à un acte sur support papier. Il est douteux qu’une telle idée prospère. Car les conditions mêmes d’un consentement reçu à distance exigent que ce consentement, faute d’être exprimé corps présent, le soit par une signature présentant le plus haut degré de fiabilité.

3. L’usage de ce nouvel acte à distance s’impose-t-il au notaire ainsi qu’aux parties ? S’agissant du notaire, l’obligation d’instrumenter dont il est tenu inclinerait à retenir une réponse affirmative, qu’il faut toutefois assortir de la double réserve tirée : d’une part, de l’impossibilité matérielle de recevoir un acte à distance faute de disposer de l’équipement adéquat ; d’autre part, du devoir fait au notaire d’assurer l’efficacité de son acte, qui lui commande de refuser son ministère lorsqu’il doute de la qualité des consentements qu’il reçoit. Quant aux parties, la réponse dépend très certainement des circonstances. On peut comprendre qu’un client, peu familier des nouvelles technologies ou jugeant que son affaire ne peut se traiter qu’en personne, souhaite attendre la fin de la période critique afin d’être reçue à l’étude du notaire pour exprimer son consentement. Gare toutefois aux attitudes dilatoires qui peuvent engager la responsabilité civile de leur auteur : le refus sans motif légitime d’intervenir à un acte instrumentaire dont la forme est imposée par les circonstances peut constituer une faute, contractuelle ou extracontractuelle selon qu’il existe ou non un avant-contrat.

4. Si cet acte nouveau devait se pérenniser (v. infra, n° 5), ne serait-il pas concevable que le tiers certificateur de la signature électronique des parties fût le Conseil Supérieur du Notariat lui-même, et, à travers lui, les notaires de France ? L’acte notarié resterait ainsi tout entier dans la sphère du service public de l’authenticité. En attendant le jour peut-être où des outils de signature électronique qualifiée seront mis à la disposition des citoyens par les pouvoirs publics eux-mêmes, notamment dans la puce de leurs pièces d’identité, le tiers de confiance étant alors l’État... Ce fut envisagé lors de l’élaboration du décret de 2005…

 

5. Destinée

L’acte notarié autorisé par le décret du 3 avril est-il un acte éphémère, justifié par l’urgence sanitaire et appelé à disparaître avec elle ? Ou est-il un acte expérimental, qui, si l’expérience réussit, deviendra un acte de droit commun ?

Le décret le présente clairement comme une mesure tout exceptionnelle : il rappelle, en creux, le principe suivant lequel les parties ne peuvent consentir que physiquement présentes (ou représentées) devant le notaire, puisqu’il n’autorise l’acte que le temps d’un état d’urgence qui rend impossible la comparution physique. Si tel devait être le cas, cet acte notarié pourrait être conservé en réserve pour le cas malheureux d’une nouvelle crise sanitaire. Il évoquerait le testament – dit privilégié – prévu par l’article 985 du Code civil, qui peut être reçu par un juge d’instance ou un officier municipal lorsque le testateur se trouve « dans un lieu avec lequel toute communication est impossible à cause d’une maladie contagieuse ».

Cela dit, il est clair que ce décret intervient à un moment où, depuis quelques années déjà, on envisage de permettre pour le temps ordinaire le formalisme qu’il autorise pour une période d’exception. Et, à cet égard, il faut en rapprocher la proposition de loi adoptée par le Sénat qui, pour remédier à la suppression des attributions notariales des postes diplomatiques, vise à permettre « à titre expérimental » au notaire de recueillir le consentement de Français résidant à l’étranger. Aussi bien, suffirait-il, si l’on souhaitait pérenniser et généraliser un tel acte à distance, de retrancher quelques mots du texte actuel du décret, à savoir : « Jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée (…) par dérogation aux dispositions de l’article 20 du décret du 26 novembre 1971 susvisé (…) ».

Ce n’est pas ici le lieu d’entrer plus avant dans ce débat, qui devra prendre en compte tout à la fois les attentes des citoyens, dont on dit que le déplacement chez le notaire les embarrasse parfois, les exigences de la sécurité juridique, qui est d’intérêt général, les conditions nécessaires au maintien de l’authenticité et du notariat comme garants de cette sécurité, et enfin les positions adoptées par les autres notariats, notamment au sein de l’Union européenne.

Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que la crise actuelle est propice à alimenter la réflexion. D’abord, parce qu’elle conduit à repenser le rôle de l’État, la puissance des marchés et la mondialisation. Ensuite, parce qu’il sera instructif de tirer les leçons du régime d’exception qui vient d’être institué par le décret du 3 avril : les notaires auront-ils eu recours à ce nouvel acte authentique et se seront-ils heurtés à des difficultés ?

Affaire à suivre…

 

 



[1] Réf : Defrénois 9 avril 2020, n° 159j2, p. 20


 

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