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Le rôle du notaire dans la remise en état d’un site pollué

Le rôle du notaire dans la remise en état

d’un site pollué

 

Antoine BOUQUEMONT

Notaire à Reims

Rapporteur général du 114ème Congrès des notaires de France

 

Monsieur Yves Charpenel et le Professeur Charles Gijsbers vous ont successivement exposé le rôle du notaire dans la collecte d’informations environnementales et dans la gestion contractuelle du risque environnemental. Il m’appartient désormais de vous présenter son rôle dans le cadre de la remise en état d’un site pollué.

Concernant la réhabilitation des sites et sols pollués, il existe, en droit français, une multitude de débiteurs. Pour en rendre compte, j’isolerai le cas des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), qui seules feront l’objet de mon intervention en raison de leur caractère éminemment polluant. Citons néanmoins à titre d’exemples l’obligation légale du détenteur de déchets et l’obligation prétorienne des propriétaires-détenteurs de ces déchets.

Revenons aux ICPE : qu’il s’agisse d’une installation soumise à autorisation, enregistrement ou simple déclaration, selon le degré de pollution engendré par le site industriel, le dernier exploitant est en principe tenu d’une obligation administrative de réhabilitation, ainsi que l’a déjà évoqué le Professeur Gijsbers. Cette obligation, relevant de la compétence du préfet, est d’ordre public, toute clause de non-garantie l’ayant pour objet étant nulle et sans effet.

Dans un passé récent, cette obligation administrative n’était pas non plus susceptible d’être transmise à un tiers, tel qu’un promoteur immobilier ou un aménageur-dépollueur. En revanche, la jurisprudence avait admis très tôt la possibilité de transférer la charge financière et la maîtrise d’ouvrage des travaux de réhabilitation. Néanmoins, cette convention, conclue entre le dernier exploitant et le tiers acquéreur, était inopposable à l’administration et ne protégeait pas le dernier exploitant d’une éventuelle action en responsabilité extracontractuelle exercée par un tiers. Autrement dit, l’exploitant d’une installation classée pour la protection de l’environnement restait seul responsable de la remise en état du site en fin d’exploitation.

 

En pratique, cette situation engendrait de nombreuses difficultés, notamment lors de l’élaboration par le notaire des accords entre le vendeur et l’acquéreur d’un terrain ayant supporté une ICPE.

 

Cette impossibilité de transfert des obligations en matière d’ICPE a ainsi laissé en friche de nombreux terrains industriels, au détriment non seulement de la protection de l’environnement, mais également d’une densification efficace du bâti en zone urbaine.

La loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové du 24 mars 2014, communément dénommée « loi ALUR », a adopté plusieurs mesures salutaires concernant la réhabilitation des sites pollués. Parmi ces innovations, figure l’article L. 512-21 du Code de l’environnement, qui autorise désormais un tiers intéressé à se substituer à l’exploitant débiteur de l’obligation administrative de réhabilitation dans le domaine des installations classées pour la protection de l’environnement.

Grâce à la loi nouvelle, entrée en vigueur le 18 août 2015, le dernier exploitant d’un site pollué a désormais la faculté de s’affranchir partiellement ou totalement de sa responsabilité, en transférant son obligation de remise en état à un tiers intéressé. Dans cette hypothèse, le tiers s’engage à réaliser les travaux de remise en état du terrain, afin de le conformer à son usage futur. Il prend également en charge les risques environnementaux futurs, le dernier exploitant restant néanmoins tenu subsidiairement.

 

Ce transfert d’obligations nécessite naturellement la rédaction de clauses très précises dans les actes que le notaire est chargé d’instrumenter. La procédure extrêmement encadrée que nous détaillerons dans quelques instants implique également une vigilance accrue du notaire.

 

À titre liminaire, il convient de souligner certains points de souplesse du mécanisme mis en place par le législateur :

 

-      le transfert de responsabilité peut être partiel ou total, tant à l’égard du contenu de la remise en état : l’exploitant et le tiers demandeur pouvant se répartir les mesures de surveillance et de gestion de la pollution, que par rapport à la géographie du site : le tiers intéressé ayant la possibilité de ne se substituer à l’exploitant que sur une partie du terrain. Dans ce cas, le dernier exploitant conserve l’obligation de remise en état de la partie restante ou la transfère à un autre tiers ;

-      le transfert de responsabilité peut intervenir lors de la cessation d’activité de l’installation classée, ou plus tard, sans limitation de temps ;

-      le transfert peut également intervenir alors même que l’exploitant n’existe plus, afin de limiter au maximum les sites pollués « orphelins » ;

-      enfin, le tiers demandeur peut être n’importe quelle personne, publique ou privée, physique ou morale, dès lors qu’elle dispose, outre des garanties financières qui seront détaillées par la suite, soit de la maîtrise foncière du terrain, soit de l’autorisation écrite du propriétaire de réaliser les travaux de dépollution.

 

Ainsi, notamment sur les conseils du notaire, des promoteurs, des aménageurs mais également des sociétés spécialisées dans la dépollution sont amenés à prendre en charge la remise en état de sites pollués.

 

Le tiers demandeur souhaitant se substituer au dernier exploitant pour réaliser les travaux de remise en état doit néanmoins suivre une longue procédure et constituer des garanties financières solides, permettant de s’assurer de sa capacité à couvrir les frais de remise en état envisagés.

Plusieurs points, traités de façon chronologiques, méritent à ce titre une attention particulière :

 

-    l’usage futur du terrain (A) ;

-    la demande d’accord préalable au préfet (B) ;

-    la constitution du dossier de transfert de responsabilité (C) ;

-    la décision du préfet (D) ;

-    et la mise en œuvre des travaux par le tiers demandeur (E).

 

A - L’usage futur du terrain

La notion d’usage futur est fondamentale dans le cadre de la réhabilitation d’un site pollué. L’emploi du mot « dépollution » doit être proscrit dans les actes notariés, l’absence de pollution n’existant pas sur les terrains ayant supporté une ICPE. Ainsi, il convient d’employer les termes plus appropriés de « remise du site dans un état environnemental compatible avec l’usage futur envisagé (usage futur qu’il convient de préciser dans l’acte) ».

Lorsque le dernier exploitant est connu, le tiers intéressé recueille son accord sur l’usage futur du site pollué. Si l’usage envisagé est identique à celui défini lors de l’arrêt de l’installation, il adresse une demande d’accord préalable au préfet.

Si l’usage envisagé diffère, le tiers recueille en outre :

-          l’avis du maire ou du président de l’établissement public intercommunal compétent en matière d’urbanisme ;

-          et l’accord du propriétaire du terrain, s’il s’agit d’une autre personne que le dernier exploitant.

En l’absence de réponse dans un délai de trois mois, leur avis est réputé favorable.

Lorsque le dernier exploitant du site n’est plus connu, le tiers demandeur recueille uniquement l’accord du maire ou du président de l’EPCI et, le cas échéant, celui du propriétaire du terrain.

En cas de désaccord, c’est au préfet qu’il revient de trancher.

 

B - La demande d’accord préalable au préfet

Lorsque l’usage futur du site est défini, le tiers adresse une demande d’accord préalable au préfet. Le préfet détermine alors cet usage futur, en se basant sur la proposition du tiers demandeur, mais également sur les documents d’urbanisme en vigueur ou projetés au moment où le tiers demandeur dépose sa demande et l’utilisation des terrains situés au voisinage du site.

Ainsi, le préfet a la faculté de prendre en considération les projets de modification des documents d’urbanisme en cours d’élaboration pour fonder sa décision. Dans un souci de cohérence globale, il peut également prendre en compte l’usage des terrains voisins, afin d’éviter par exemple des enclaves industrielles dans une zone résidentielle ou commerciale.

Ces dispositions confèrent une marge de manœuvre confortable au préfet dans le cadre de la détermination de l’usage futur du site.

 L’usage déterminé par le préfet est notifié au tiers intéressé, au dernier exploitant s’il existe, au maire ou au président de l’EPCI compétent en matière d’urbanisme et au propriétaire du terrain. Le préfet fixe également le délai dans lequel le dossier de demande de transfert de responsabilité doit lui être adressé par le tiers demandeur. Le silence du préfet pendant plus de deux mois après la réception du dossier vaut rejet de la demande préalable.

Ces modalités et délais doivent être précisément décrits dans l’acte.

 

C - La constitution du dossier de transfert de responsabilité

Lorsque l’accord préalable du préfet est obtenu, le tiers lui transmet un dossier exhaustif comprenant :

-          un mémoire présentant l’état des sols et des eaux souterraines et les mesures de gestion et de surveillance de la pollution à mettre en œuvre pour assurer la compatibilité entre l’état des sols et des eaux souterraines et l’usage futur du terrain ;

-          une estimation du montant des travaux de réhabilitation ;

-          une estimation de la durée des travaux de réhabilitation ;

-          un document présentant les capacités techniques et financières du tiers demandeur ;

-          un document présentant la façon selon laquelle le dernier exploitant et le tiers demandeur entendent se répartir, si elles sont nécessaires, les mesures de surveillance et de gestion des pollutions dues à l’installation classée hors du site ;

-          lorsque le projet comprend plusieurs tranches de travaux, un calendrier de réalisation de chaque tranche, chacune correspondant à la réhabilitation complète des parcelles concernées.

 

Le rôle du notaire est encore à ce stade prépondérant, puisqu’il doit s’assurer de la conformité et de la complétude du dossier transmis au préfet, en érigeant en condition suspensive la transmission du dossier dans un délai déterminé.

 

Une grande partie de l’enjeu du transfert de responsabilité de la remise en état d’un site pollué repose sur la solvabilité du tiers demandeur. En effet, le préfet doit être certain, pour accepter que l’exploitant se décharge de son obligation de remise en état, que le nouveau responsable est bien à même, sur un plan financier notamment, de mener les travaux à leur terme.

 

Les garanties financières exigées par le législateur sont les suivantes, au choix du tiers demandeur :

-          garantie à première demande d’un établissement de crédit, d’une société de financement, d’une entreprise d’assurance ou d’une société de caution mutuelle ;

-          consignation entre les mains de la Caisse des dépôts et consignations ;

-          engagement écrit, portant garantie autonome à première demande, de la personne physique ou de la personne morale possédant plus de la moitié du capital social du tiers demandeur ou contrôlant le tiers demandeur. Dans ce cas, le garant doit lui-même bénéficier d’un engagement écrit d’un établissement de crédit, d’une entreprise d’assurance, d’une société de caution mutuelle, ou avoir procédé à une consignation entre les mains de la Caisse des dépôts et consignations ;

-          engagement du ministère de rattachement si le tiers est un établissement public local ou une collectivité locale.

L’attestation de garantie financière est obligatoirement transmise au préfet avant le démarrage des travaux.

Elle est également transmise au notaire afin qu’il la relate dans son acte et l’annexe.

Sa durée et son montant doivent être conformes aux prescriptions de l’arrêté préfectoral et des éventuels arrêtés complémentaires adressés au tiers demandeur en cas de modification des travaux de remise en état, de leur montant ou de leur durée.

Ces garanties sont actionnées en cas de non-exécution de ses obligations par le tiers demandeur (travaux et délai de réalisation des travaux), en cas de liquidation judiciaire du tiers ou en cas de di, sparition de celui-ci.

Les garanties financières sont levées à l’achèvement des travaux constaté par procès-verbal.

Le non-respect par le tiers demandeur de son obligation de constitution de garanties financières le rend passible de sanctions administratives telles qu’une consignation, l’exécution d’office par l’administration des travaux mis à sa charge, la suspension de ses activités ou une amende.

 

D - La décision du préfet

Au vu du dossier présenté par le tiers demandeur et de l’accord de l’exploitant, le cas échéant, le préfet statue sur la substitution et définit par arrêté préfectoral :

-          les travaux de réhabilitation à réaliser, le cas échéant par tranche. Ces prescriptions sont fixées au regard de l’usage retenu, en tenant compte de l’efficacité des techniques de réhabilitation dans des conditions économiquement acceptables, ainsi que du bilan des coûts et avantages de la réhabilitation au regard de l’usage considéré ;

-          le délai dans lequel ces travaux doivent être mis en œuvre ;

-          le montant et la durée des garanties financières à fournir par le tiers demandeur, le cas échéant par tranche de travaux. Ce montant doit correspondre au montant des travaux de réhabilitation prévus ;

-          le délai dans lequel le tiers demandeur adresse au préfet l’attestation de la maîtrise foncière du terrain ou l’autorisation du propriétaire de réaliser les travaux prescrits, et l’attestation de constitution des garanties financières. Au-delà de ce délai, l’arrêté est caduc et la responsabilité de remise en état du site revient au dernier exploitant ;

-          le cas échéant, les mesures de surveillance nécessaires, conformément à l’accord entre l’exploitant et le tiers demandeur.

Au-delà de l’appui technique fourni par la direction générale de l’environnement (DREAL), le préfet a la possibilité de faire appel à un tiers expert, aux frais du tiers demandeur, pour l’aider à déterminer la nature, le montant et la durée des travaux de réhabilitation.

L’arrêté préfectoral statuant sur la demande et prescrivant les modalités de transfert de responsabilité est notifié au tiers demandeur, au dernier exploitant s’il existe, au maire ou au président de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d’urbanisme, ainsi qu’au propriétaire du terrain. Si le préfet ne s’est pas prononcé sur le dossier dans un délai de quatre mois suivant la réception du dossier, la demande est réputée être rejetée.

 

E - La mise en œuvre des travaux par le tiers demandeur

Le tiers intéressé doit informer le préfet des modifications de son projet et de la découverte d’éléments nouveaux sur la pollution, conduisant à une modification des travaux de remise en état initialement prescrits. Dans cette hypothèse, le préfet a la possibilité de prendre un arrêté complémentaire, afin d’adapter ses prescriptions aux modifications envisagées. Si les travaux dépassent la durée initialement prévue, sur laquelle sont basées les garanties financières, le tiers demandeur a l’obligation de prendre les mesures nécessaires afin d’étendre la durée des garanties.

Lorsque les travaux de réhabilitation sont terminés, le tiers demandeur en informe le préfet. L’inspecteur de l’environnement établit ensuite un procès-verbal constatant la réalisation des travaux. Ce procès-verbal a peu de valeur juridique. Son seul effet est de permettre la levée des garanties financières. L’établissement de ce procès-verbal n’empêche en effet nullement le préfet, en cas de découverte d’un nouveau risque lié à la pollution, de prescrire de nouvelles mesures à l’encontre du tiers intéressé.

Néanmoins, le tiers demandeur est protégé contre une éventuelle modification ultérieure de l’usage du site. Dans cette hypothèse en effet, il ne pourra pas se voir imposer de mesures complémentaires induites par ce nouvel usage, sauf s’il est lui-même à l’initiative de ce changement d’usage.

Enfin, le dernier exploitant, malgré le transfert de responsabilité, n’est pas totalement libéré. D’une part, il conserve parfois une partie de l’obligation de remise en état, comme cela a déjà été évoqué : par exemple, l’obligation de remise en état de la partie du terrain pour laquelle le tiers demandeur ne s’est pas substitué. D’autre part, le dernier exploitant retrouve l’obligation de remettre en état le site dès lors que les garanties financières du tiers demandeur ne peuvent être appelées et mises en œuvre, ou qu’elles sont insuffisantes pour couvrir la totalité des travaux de réhabilitation.

 

Le devoir de conseil impose ici au notaire d’informer pleinement le dernier exploitant de ses obligations et de sa responsabilité résiduelle.

 

Conclusion

En conclusion, la procédure de transfert de responsabilité de remise en état d’un site pollué est extrêmement encadrée, compte tenu des enjeux majeurs qui y sont liés. Elle nécessite de nombreuses précautions en termes d’études, de documents et de garanties à fournir. Elle est par ailleurs susceptible de réfréner les derniers exploitants qui conservent une responsabilité résiduelle.

Pour les notaires, une vigilance accrue s’impose, notamment dans le cadre des silences gardés par l’administration valant refus, des retards de réalisation des travaux entraînant un risque de caducité, des risques de recours contre les arrêtés préfectoraux. La rédaction des conditions suspensives et des obligations des parties au contrat impose ainsi la plus grande méticulosité.

 

 

 


 

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