Le notaire et la collecte d’informations environnementales
Yves
CHARPENEL
Premier
avocat général honoraire à la Cour de Cassation
L’importance
prise dans notre droit positif par la nécessité de mieux protéger notre
environnement s’est notamment traduite par l’adoption de très nombreuses
normes.
Celles-ci
imposent qu’avant toute transaction pouvant avoir un impact sur l’environnement
les données utiles au respect des règles environnementales soient portées à la
connaissance des parties.
Le
notaire, de part son double statut d’officier public voué à la bonne
application de la loi en vigueur et de conseil des parties chargé d’établir un
acte présentant le maximum de sécurité juridique, a naturellement un rôle
important à jouer dans la garantie de l’état de droit environnemental.
Son
rôle dans L’accès aux données environnementales procède de dispositions générales
qui connaissent en matière de droit de l’environnement une déclinaison profuse
et en constante évolution, contexte qui implique une connaissance experte
sur l’état de droit.
C’est
la loi du 17 juillet 1978 qui a consacré « le droit de toute personne à
l’information » (art. 1er) et a généralisé l’accès aux documents administratifs
conçu comme une garantie fondamentale accordée aux citoyens pour l’exercice des
libertés publiques.
Le
notaire, expert en matière de transaction immobilière, est donc particulièrement
concerné en tant que garant de la sécurité des transactions et conseil des
parties dans un domaine où la sanction de l’inobservation des normes devient de
plus en plus contraignante, dans le cadre de ce qui est devenu un ordre public
écologique aux conséquences sociales et économiques majeures.
Assurer
le respect de ces réglementation complexes relève également du rôle de défense
de l’intérêt général caractéristique de la mission notariale tout autant que
d’une connaissances approfondie des règles de fond comme des règles
processuelles que le notaire doit être à même de porter à la connaissance des
parties.
La
loi distingue trois types de situations qui donnent un rôle de collecte de
données environnementales au notaire :
D’une part, les informations que la loi impose au
vendeur de délivrer à l’acquéreur et dont le notaire doit vérifier qu’elles
sont effectivement communiquées.
Ainsi
l’article L 271-4 du code de la construction et de l’habitation (CCH) prévoit
la constitution d’un dossier de diagnostics techniques.
Lors
de la signature d’une promesse de vente d’immeuble bâti, cet article L 271 - 4
impose d’annexer à l’acte un dossier de 9 diagnostics techniques.
En
l’absence de promesse préalable à la vente, ce dossier doit d’ailleurs être joint
à l’acte authentique de vente.
L’importance
du respect de cette formalité est à nuancer selon la nature des diagnostics
requis par la loi et il revient au notaire d’en exposer les exigences et durées
de vie variables, et d’apprécier leur validité au moment de la signature de
l’acte authentique de vente.
Le
plus souvent, leur absence à l’acte de vente empêche de se prévaloir de la
garantie des vices cachés correspondante à l’élément non contrôlé.
Seul
l’état des risques naturels et technologiques est exigé à peine de nullité,
relative, l’acquéreur pouvant poursuivre la résolution de la vente, ou encore
demander une diminution du prix.
Quant
au diagnostic de performance énergétique, il n’a qu’une valeur informative.
Ajoutons
que l’article L 271 – 1 du code de la construction et de l’habitation impose de
notifier à l’acquéreur, par lettre recommandée avec accusé de réception, ou
bien encore remise en mains propres (si le rédacteur est un professionnel) la
promesse qu’il vient de signer, lui ouvrant ainsi un délai de rétractation de
10 jours.
Cet
acte n’est cependant complet que si les différents diagnostics y sont annexés
(L 271 - 4), sauf à rendre l’acte imparfait et donc à ne pas pouvoir faire
courir le délai de rétractation, ce qui serait un risque sérieux pour le
vendeur en cas de désistement par l’acquéreur, sans pouvoir lui poser son délai
de rétractation.
Par
ailleurs leur absence prive le vendeur de la possibilité de s’exonérer de la
garantie des vices cachés correspondant.
Cette
sanction reste cependant théorique dans la mesure où l’usage s’est instauré de
réaliser l’ensemble des diagnostics, quand bien même le vendeur aurait la
conviction que certains sont inutiles car les éléments contrôlés sont
conformes.
Observons
qu’aucun notaire n’accepterait de régulariser un acte de vente auquel un des
diagnostics ferait défaut.
Certains
de ces diagnostics ayant une durée de vie limitée, ils doivent être en cours de
validité lors de la signature de l’acte authentique de vente.
Il
peut ainsi arriver que l’un de ces contrôles soit valable lors de la promesse,
mais expiré à la signature de l’acte notarié ; dans ce cas, il doit être
refait.
Ces
9 états distincts sont réalisés par des diagnostiqueurs dont la compétence est
assurée par des certifications délivrées par un organisme accrédité, et leur
responsabilité garantie par la souscription d’une assurance professionnelle.
La
loi leur donne au surplus un rôle d’information des pouvoirs publics à fin
d’études statistiques et d’évaluation du parc immobilier, il est donc essentiel
que le choix du diagnostiqueur soit éclairé par l’information que donnera le
notaire.
Leurs
fautes sont sanctionnées en vertu des principes généraux de la responsabilité,
et la jurisprudence est là pour le confirmer.
Depuis
un arrêt rendu en chambre mixte par le Cour de cassation en date 8 juillet 2015
(n°13-26.686), il a été précisé qu’en cas
d’un diagnostic termite défaillant, ni le notaire, ni le vendeur ne sont tenus
de réparer les conséquences d’une erreur d’un diagnostiquer dès lors que le
notaire avait donné la bonne information sur l’établissement du diagnostic et
que le vendeur s’y était conformé.
La deuxième situation est celle où le notaire doit
rechercher lui-même l’information utile car légalement indispensable pour
parfaire l’acte.
La
loi a en effet, dans l’article L514-20 du code de l’environnement prévu
l’obligation pour le vendeur d’informer l’acquéreur de l’exploitation passée
sur le terrain vendu d’installations soumises à autorisation ou à
enregistrement, ainsi que les dangers ou inconvénients qui en résulterait et
dont il aurait connaissance.
Si
le vendeur est l’exploitant de l’installation, il indique également par écrit à
l’acheteur si son activité a entraîné la manipulation ou le stockage de
substances chimiques ou radioactives. L’acte de vente atteste de
l’accomplissement de cette formalité.
En
France en effet, une installation classée pour la protection de l’environnement
(ICPE) est une installation exploitée ou détenue par toute personne physique ou
morale, publique ou privée, qui peut présenter des dangers ou des nuisances
pour la commodité des riverains, la santé, la sécurité, la salubrité publique,
l’agriculture, la protection de la nature et de l’environnement, la
conservation des sites et des monuments.
Leur
nombre est d’environ 500 000 réparties sur tout le territoire.
Afin
de réduire les risques et les impacts relatifs à ces installations et d’évaluer
leurs aléas technologiques, la loi définit et encadre de manière relativement
précise les procédures relatives aux ICPE ainsi que la manière dont ces
installations doivent être gérées.
Les
conséquences d’un défaut d’information sont importantes puisque dans cette
hypothèse l’acquéreur peut demander la résolution de la vente, se faire
restituer une partie du prix ou demander la remise en état du site état aux
frais du vendeur, lorsque le coût de cette remise en état ne paraît pas
disproportionné par rapport au prix de vente.
Depuis
l’adoption de la loi ALUR le 24 mars 2014, ces règles ont &té modifiées
dans le sens d’un relatif assouplissement de ces conséquences en revenant sur
leur automaticité en cas de défaut d’information.
Désormais
il faut établir que la pollution a été régulièrement et effectivement
constatée, qu’elle rend le terrain impropre à la destination précisée dans le
contrat et enfin le délai pour agir est désormais fixé à deux années à compter
de la découverte de la pollution.
C’est
dire que le notaire se doit de vérifier avec une attention particulière
l’exacte situation du bien en cause pour donner aux parties une information
pertinente.
Pour
y parvenir il dispose de plusieurs outils qu’il lui revient de mobiliser au
profit de ses clients :
Le
décret mettant en place les secteurs d’information sur les sols (SIS) prévus
par la loi Alur est paru le 28 octobre 2015 afin de permettre au rédacteur
d’actes de déterminer si le bien sur lequel il travaille se trouve ou non
inclus dans un SIS lequel est sous la responsabilité du préfet.
Pour
le notaire il devient donc indispensable de se livrer à la consultation
systématique des bases de données environnementales (BASOL, BASIAS, Géorisques,
sites des DREAL...), dès l’ouverture du dossier, mais aussi au fur et à mesure
de son déroulement.
BASOL
est une banque de données publique sur les sites et sols pollués (ou
potentiellement pollués) appelant une action des pouvoirs publics, à titre
préventif ou curatif.
BASIAS
est également une banque de données publique ayant pour double objectif de
réaliser un inventaire historiques régionalisé des sites industriels et
activités de service, en activité ou non, et d’aider, dans les limites des
informations récoltées, les notaires et les détenteurs des sites, actuels ou
futurs, pour toutes transactions immobilières.
Ces
bases sont actualisées sur le terrain par directions régionales de
l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), sous l’autorité du
préfet de région, et l’ensemble de ces données sont également disponibles sur
le site officiel du ministère de la transition écologique, GEORISQUES).
Le
rédacteur doit en outre veiller à faire apparaitre le SIS en annexe du Plan
Local d’Urbanisme, (R 125-46 C. Environnement) et de le mentionner dans les
certificats d’urbanisme (R 410-15-1 C. Urbanisme).
Enfin le notaire doit rester attentif à détecter et
fournir toutes les informations non spécialement listées par le législateur
mais qui se rattachent au devoir précontractuel d’information.
La
réforme du droit des contrats réalisée par l’ordonnance du 10 février 2016 a
réaffirmé l’importance des informations légales indispensables à la conclusion
d’un contrat.
Ainsi
le nouvel article 1112-1 du code civil a établi le principe d’un véritable
devoir précontractuel d’information qui est « déterminante » et donc
d’ordre public quand « l’information a un lien direct et nécessaire
avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ».
Il
est encore précisé qu’aucune clause contractuelle ne peut exonérer le
possesseur d’une telle information de cette obligation, et qu’outre la
responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir
d’information peut entraîner l’annulation du contrat.
Ce
renforcement de l’obligation de communique des informations déterminante
renvoie à l’obligation générale prévue par le code civil depuis 1804 aux termes
de son article 1602 par lequel « le vendeur est tenu d’expliquer
clairement ce à quoi il s’oblige. Tout pacte obscur ou ambigu s’interprète
contre le vendeur.
Pour
le notaire, l’ensemble de ces actions relève du devoir de conseil :
Ce
devoir de conseil n’est pas un simple complément de l’obligation d’efficacité.
Il est en réalité une composante active de celle-ci.
C’est
une obligation qui pèse sur le notaire depuis le moment où il a été requis
d’intervenir par son client jusqu’à l’achèvement de son intervention.
L’officier
public doit, à ce titre, d’abord, proposer, en fonction des indications que lui
fournit son client ou du projet souhaité par celui-ci, les actes qui sont
propres à satisfaire ses besoins. Il lui revient, aussi, de l’éclairer quant
aux différents effets que les actes qu’il établit doivent produire et, le cas
échéant, lui en indiquer les limites et les insuffisances.
Il
en ressort que le notaire est tenu de délivrer une information complète et de
conseiller son client. Ainsi, l’obligation va au-delà de la simple information
puisque le notaire doit vérifier que les parties ont conscience des
conséquences des actes qu’elles sont sur le point de réaliser. L’exigence porte
sur le fait que l’information ne doit pas être uniquement communiquée mais doit
être claire, précise et adaptée.
Le
devoir de conseil apparaît ainsi comme une obligation d’une très large portée.
Il convient alors de préciser que ce conseil est dû par le notaire à tous ses
clients. Il n’y a pas de distinction à faire à cet égard entre les clients
habituels et les clients occasionnels.
Il
n’y a pas davantage à distinguer selon que le client est ou non lui-même un
juriste, ou encore selon qu’il bénéficie de l’assistance d’une tierce personne,
par exemple un avocat. Le notaire reste dans tous les cas tenu du même devoir
de conseil.
Il
reste à observer que, dans le procès en responsabilité pour défaut de conseil
qu’il engage contre son notaire, le client est, par dérogation au principe
général, dispensé de faire la preuve de cette omission.
C’est
à l’officier public qu’il revient de prouver qu’il a donné le conseil requis.
Il peut, à cette fin, introduire dans l’acte qu’il établit des mentions,
attirant l’attention des parties sur telle ou telle difficulté ou telle ou
telle incertitude, par exemple, qui lui permettront ensuite, en cas de besoin,
de prouver que le conseil a bien été donné.
La
loi nouvelle a en réalité instauré explicitement un devoir de mise en garde
pesant sur le notaire et dont la jurisprudence s’attache à définir les limites
en puisant dans les principes classiques de l’obligation de conseil propre au
notaire.
Donnons
quelques exemples tirés de la jurisprudence en matière de vente immobilière, de
l’étendue de cette obligation de conseil, génératrice de multiples contentieux,
et qui pèse d’autant plus sur le notaire que ces informations déterminantes
sont en constante évolution.
Le
premier exemple résulte d’un arrêt rendu le 31 janvier 2018 par la première
chambre civile de la Cour de cassation (n°16-10.961)
qui retient la responsabilité du notaire pour n’avoir pas informé de manière
« claire et précise » les acquéreurs des modalités de desserte de la
propriété acquise.
Le
deuxième exemple est tiré de l’arrêt rendu par la même chambre le même jour (n°17-13.303)
où il est reproché au notaire une mise en garde insuffisante sur la
constructibilité du terrain en cause.
Le
troisième rendu toujours le même jour (n°17-40.249) reproche cette fois au
notaire une insuffisante précision sur les conditions hypothécaire d’une vente
en état futur d’achèvement.
Cette
nouvelle lecture de l’obligation de conseil impose au notaire, qui est un
professionnel de l’immobilier, d’avoir un rôle actif à l’occasion de la vente
immobilière mais également de procéder aux investigations nécessaires afin
d’éclairer ses clients de manière complète et circonstanciée tant en ce qui
concerne leurs droits respectifs, leur situation juridique, la nature et la portée
de l’opération qu’il entreprend que sur les avantages et les inconvénients qui
en résulteront.
Un
arrêt (n°16-27263) rendu le 14 février 2018
l’illustre en matière de droit de l’environnement en précisant que cette
obligation d’information et de conseil s’impose au notaire notamment en ce qui
concerne le risque d’inondation.
L’arrêt
rappelle à cette occasion, d’une part, que le notaire ne doit pas se contenter
d’une simple note d’urbanisme pour justifier son ignorance d’un texte publié à
savoir l’arrêté préfectoral concernant le plan de prévention des inondations,
lequel lui aurait permis d’informer pleinement l’acquéreur du risque
d’inondation, information d’autant plus précieuse en l’espèce que le risque
s’est réalisé.
D’autre
part, le notaire ne peut se décharger de son devoir d’information et de conseil
du fait de la possibilité pour la partie à qui l’information serait bénéfique
de se la procurer elle-même puisque tant le vendeur que l’acquéreur pouvaient
en théorie, comme tout citoyen, obtenir cette information.
En
revanche la Cour rappelle régulièrement que cette lourde obligation peut être
évidemment levée dès lors que le notaire rapporte la preuve de ses diligences
et qu’en outre il n’est tenu de l’obligation qu’à l’égard des seules parties le
consultant pour la réalisation d’un acte, comme l’indique la première chambre
civile le 3 mai 2018, FS-P+B,(n° 17-12.473) :
« Le
notaire qui instrumente un acte de vente n’est tenu d’aucun devoir
d’information et de conseil envers les tiers dont il n’a pas à protéger les
intérêts et qui ne disposent pas d’un droit opposable aux parties. »
A
l’évidence la place grandissante du droit de l’environnement dans notre système
normatif, va rendre cette collecte d’information de plus en plus pesante pour
le notaire, compte tenu du nombre, de la variété et de l’évolutivité des
données environnementales imposées par la loi.
Les
outils d’informations de formations développés dans ce domaine par la
profession notariale française sont le signe que ce défi peut être relevé.
Voilà
qui nous permet d’invoquer la logique d’humilité et de volonté chère à Antoine
de Saint Exupéry : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de
la prévoir mais de le rendre possible. »
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