Le
développement et l’évolution en Chine du notariat comportant des éléments
d’extranéité
TIAN
Jing, Notaire à l’Étude Dongfang
Les
Initiatives des Nouvelles Routes de la Soie (BRI) sont des mesures stratégiques
prises par la Chine visant à élargir l'ouverture sur le monde extérieur, à
renforcer les coopérations et les échanges économiques et commerciaux
internationaux ainsi que l’interconnexion internationale par les investissements
et le commerce. Les pays concernés par ces initiatives, adhérant pour la
plupart à la tradition du droit continental comme la Chine et la France,
partagent les mêmes principes et présentent des similitudes au niveau des
institutions notariales. On peut citer notamment les similitudes
suivantes : l’authenticité est un service d’attestation juridique apporté
par un organisme professionnel ; l’acte authentique en tant qu’instrument
qui atteste la véracité d’un fait, est doté d’une force probante supérieure aux
autres actes d’attestation ordinaires ; grâce à sa capacité d’accorder la
crédibilité à un acte juridique, l’authentification notariale permet de
renforcer la certification des faits et d’établir des liens de confiance entre
les acteurs du marché dans le cadre de la construction d’une société
respectueuse des principes de loyauté et d’honnêteté ; le notariat fait
partie du système parajudiciaire préventif, indispensable au système judiciaire
de l’Etat. C’est la raison pour laquelle la Chine et la France, pays de droit
continental et les pays sur les Nouvelles Routes de la Soie, ont forcément une
base juridique similaire et une convergence de point
de vue sur les actes authentiques comportant des éléments d’extranéité dans le
contexte de la globalisation. L’évolution ainsi que les perspectives de
développement des actes authentiques chinois impliquant des éléments
d’extranéité pourra vraisemblablement avoir beaucoup de ressemblance avec les
pratiques françaises.
I.
Evolution et défis en matière d’authentification
comportant des éléments d’extranéité
Au
fur et à mesure de l’intensification des échanges internationaux et de l’élargissement
des applications de l’informatique aux activités civiles et commerciales, le
notariat se trouve confronté à de sérieux défis qui touchent le secteur de l’authentification
classique impliquant des éléments d’extranéité, et qui l’obligent à diversifier
ses offres et à étendre ses services en la matière.
1.
Diversifier les offres de services d’attestation des actes juridiques d’abord.
Avec le développement d’Internet international, l’attestation des faits
juridiques qui représentait une partie importante des activités notariales impliquant
des éléments d’extranéité, ne passe plus par la voie notariale dans un grand
nombre de pays qui l’utilisent. Une évolution que j’ai vécue personnellement
lorsque j’assurais la permanence à l’Etude Dongfang de Shanghai. Il y a dix
ans, une proportion importante de personnes se présentant aux études notariales
venait faire authentifier les certificats de scolarité, des diplômes ou des
notes scolaires exigées pour les études à l’étranger. L’année dernière, j’ai
constaté, en assurant la permanence au bureau, une baisse considérable du
nombre de demandes des attestations susmentionnées, car un assez grand nombre
de pays consultent et confirment eux-mêmes les certificats de scolarité et des
diplômes en interrogeant les plates-formes Internet. Certains certificats
comportant des éléments d’extranéité spécifiques, tels que les examens de santé,
et nécessitant dans le passé l’intervention des notaires pour renforcer la
force probante, peuvent maintenant se dispenser des notaires car les services
concernés des pays destinataires contactent pour la plupart directement les
établissements chinois agréés. Mais les informations personnelles sur l’état
civil, la situation de famille… doivent encore être attestées par les moyens
notariaux afin de pouvoir bénéficier d’une reconnaissance internationale mutuelle,
il en est de même pour les informations non-diffusées dans une inscription en
matière commerciale. Par ailleurs, l’attestation de la signature des actes
exprimant la volonté d’une personne physique ou morale tels que celle des
contrats ou des documents, à l’heure où l’intelligence artificielle se trouve
encore en phase immature, nécessite plutôt le concours du notariat pour être reconnue
internationalement. Ce qui veut dire qu’avec l’essor de l’informatique, une partie
des informations qui pourraient être diffusée en matière civile et commerciale,
ou en d’autres termes, l’attestation établie avec des objectifs spécifiques,
réduisent petit à petit leur dépendance vis-à-vis du notariat, d’où la
diminution progressive du volume d’attestations pour les actes traditionnels
simples.
2.
Ensuite, l’approfondissement de l’ouverture et des réformes impose des exigences
de professionnalisme accrues aux études notariales lorsqu’elles procèdent à
l’authentification d’actes impliquant des éléments d’extranéité. Les actes
notariés que nous établissons doivent répondre au besoin effectif d’utilisation dans le pays destinataire, car les exigences à
l’égard des actes authentiques varient considérablement en fonction de la législation
nationale, les pays de droit anglo-saxon qui pratiquent le système de
témoignage sous serment demandent en général au pays émetteur de l’acte
authentique de certifier uniquement l’acte juridique qu’est la signature du
document. Les exigences vis-à-vis des actes authentiques relatifs aux
investissements que les entreprises chinoises réalisent à l’étranger, varient
aussi en fonction des pays destinataires. Les notaires chinois doivent en avoir
une connaissance globale afin de mieux servir les entreprises chinoises. Or
l’accumulation des connaissances et des expériences à ce sujet leur permettant d’offrir
un service juridique approfondi a pour corollaire une exigence plus rigoureuse
en matière de compétence des notaires.
Le
transport maritime des marchandises, les transactions internationales, les transferts
de créances, le règlement des litiges liés aux emprunts, nécessitent de
nombreuses vérifications des lois étrangères et les tribunaux ou les organismes
d’arbitrage concernés acceptent plus facilement les rapports de vérifications
notariés. Pour ce faire, les notaires doivent avoir des connaissances de base
sur le système juridique des différents pays pour savoir comment effectuer la
vérification ; ce n’est qu’ainsi qu’ils pourront fournir des services de
qualité en matière de litiges économiques et commerciaux internationaux.
3.
Les échanges internationaux et l’utilisation des actes authentiques de plus en
plus fréquents appellent un mécanisme qui permettrait de vérifier des actes
authentiques avec plus d’efficacité. Sur le plan technique, le développement
approfondi d’« Internet + » a déjà franchi la barrière technique qui
empêchait la vérification des actes authentiques entre les pays. Par exemple,
l’utilisateur d’un acte authentique électronique français peut vérifier ledit
acte en se connectant au site de l’Association pour le développement du service
notarial[1].
L’expérience française pourra nous servir de modèle, car la Chine a besoin de
se doter d’un mécanisme global permettant de vérifier des actes authentiques
comportant des éléments d’extranéité, indispensable pour faciliter
l’utilisation des actes authentiques et renforcer leur crédibilité envers le
reste du monde.
II.
Développement des pratiques notariales comportant
des éléments d’extranéité
On
célèbrera l’année prochaine le quarantième anniversaire de la politique
d’ouverture et de réformes chinoises. Avec l'ouverture accélérée de la Chine au
monde extérieur, le notariat est appelé à jouer un rôle professionnel plus
important, notamment dans des branches impliquant des éléments d’extranéité concernant
des affaires familiales, des affaires économiques et financières, la protection
de la propriété. Des domaines qui offrent un espace sans cesse élargi pour que
les notaires puissent coopérer avec les avocats de manière à fournir des
services juridiques plus complets pour faciliter des activités civiles et
commerciales comportant des éléments d’extranéité. C’est aussi une opportunité
historique nous permettant de jouer pleinement le rôle du notariat dans le
cadre de la stratégie des Nouvelles Routes de la Soie.
1.
La notarisation en matière civile ayant trait à l’extranéité.
A mesure qu’augmentent les mariages transnationaux, il est de plus en plus
courant que les Chinois prennent la nationalité étrangère et que les étrangers
obtiennent celle de la Chine, par conséquent accroitront continuellement des
besoins pour les services notariaux en matière civile et familiales dans un
cadre international comme le testament, la succession, le partage des biens, trust
dans le cas d’un transfert du patrimoine familial… Le traitement des éléments
d’extranéité dans un acte authentique n’est possible que lorsque les notaires
possèdent une certaine connaissance et maitrise des systèmes juridiques des
différents pays.
2.
La notarisation en matière commerciale ayant trait à l’extranéité.
La notarisation en matière commerciale impliquant des éléments d’extranéité constituera
un aspect essentiel dans le contexte de l’ouverture accrue sur le monde
extérieur, et cette notarisation gagnera des secteurs plus spécialisés et plus pointus.
Elle ne se limitera pas à la simple notarisation des actes prouvant la qualité des
acteurs chinois qui investissent à l’étranger, certifiant le mandat ou à la
notarisation de la qualité des souscripteurs aux appels d’offres internationaux
pour la construction d’ouvrages d’infrastructure hors de Chine continentale
ainsi que des habilitations requises.
Certains
investissements et financements transfrontaliers complexes ouvrent au notariat
un espace d’intervention plus large et à un niveau plus profond : la
consignation notariée en est un exemple. L’opération d’investissement et de
financement transfrontalière est en général caractérisée par une transaction
complexe, par la masse importante de devises impliquées, et l’objet de la
transaction concernée doit souvent tenir compte des contextes juridiques
différents d’un pays à l’autre. En tant qu’investisseurs, les établissements
financiers chinois doivent s’assurer que l’argent est effectivement versé sur
le compte des acteurs conformément aux conditions de la transaction, et cela
pose dans la pratique souvent la question de savoir quelle sera la première
opération : la transaction ou le paiement ? Dans de nombreux cas, le
fonds de la transaction est versé aux entités ad hoc (SPV), qui fera le
transfert sur le compte du destinataire du fonds. Le fonds peut-il
effectivement parvenir aux entreprises qui l’utilisent, voilà le point qui
suscite l’inquiétude des établissements financiers dans ce type de transaction.
L’intervention notariale peut bien résoudre ce genre de problème. Mais à partir
d’un compte consigné chez le notaire peut-on faire directement un virement international ?
Il appartient à l’administration notariale et à l’administration des changes de
se concerter et de coordonner leur position pour résoudre ce problème que l’on
rencontre au quotidien.
Un
autre exemple : la conservation notariale. Dans les pays de tradition
anglo-saxonne, c’est en général à l’avocat de se charger de la surveillance des
fonds et de la transmission des documents importants, tandis qu’en Chine la
consignation et la conservation des fonds ainsi que la conservation des preuves
(la signification notariée des documents) font partie de la mission légale du
notariat. Mais en matière de transaction financière transfrontalière, les
établissements financiers s’adressent souvent aux avocats pour réaliser les
opérations susmentionnées, car le notariat n’a pas su suffisamment communiquer.
Ces opérations par intermédiaires des avocats ne se conforment pas à la loi et pourrait
générer de nombreux risques pour les transactions. Par ailleurs, grâce à la
force probante inhérente à l’acte notarié, le notariat peut parfaitement
participer aux examens de due-diligence et effectuer une partie de travail
d’auxiliaire de la justice, d’autant plus que l’acte notarié dispose d’une très
grande force probante.
III.
Différentes formes de protection
notariale en matière du droit de propriété intellectuelle comportant des
éléments d’extranéité
La
protection notariale du droit de la propriété intellectuelle internationale
couvre les domaines suivants : (1) Certifier le titre de la propriété
intellectuelle. En vertu des conventions multilatérales ou bilatérales dont
la Chine est signataire, certains pays accordent automatiquement une protection
au droit de la propriété intellectuelle reconnu en Chine à condition d’avoir
effectué des démarches d’inscription nécessaire, qui consiste en général en ce
que le titulaire du droit fait notarier son titre de propriété comme, par
exemple, le certificat d’un brevet, l’attestation de l’enregistrement pour des
logiciels ou pour une marque. (2) Fournir des attestations notariées aux
entreprises chinoise qui demandent une protection internationale de leur propriété
intellectuelle. En vertus de la Convention de Paris pour la protection
de la propriété industrielle, une entreprise chinoise qui dépose un brevet
et enregistre une marque de fabrique dans un autre pays peut demander un droit
de priorité. Mais pour ce faire, l’entreprise doit présenter l’attestation de
la première demande de dépôt dans le premier pays. Les pratiques
internationales veulent à cet égard que ce type d’attestations soit notarié. (3)
Fournir l’authentification de la conservation des preuves d’infractions au
droit de propriété afin de protéger les droits de propriété intellectuelle des
entreprises chinoises. (4) L’ère d’Internet dispose de techniques capables
d’anticiper l’intervention des notaires, présents à la naissance même du droit
de la propriété intellectuelle. La conservation des preuves en ligne est une
mesure efficace que nous implantons actuellement. On passe de la consignation immédiate
de preuves à la conservation en temps réel des preuves, à savoir des données.
Les initiatives des Nouvelles Routes de la Soie ouvrent un large espace de
développement pour le notariat en matière de protection de la propriété
intellectuelle impliquant des éléments d’extranéité.
Les
progrès scientifiques et techniques peuvent également apporter de la nouveauté
aux procédures notariales actuelles, concernant par exemple la compétence
territoriale du notariat, la réception des actes notariés, la procédure de
l’établissement de l’acte authentique. Un office notarial situé dans la ville
de Wenzhou a réussi à traiter une succession en Chine pour des ressortissants
chinois résidant à l’étranger grâce à la technique de vidéoconférence. Les
progrès des équipements techniques et l’intégration en profondeur internationale
offriront très probablement de nouvelles opportunités de coopérations
professionnelles entre les notaires chinois, leurs confrères français et
européens ; on peut imaginer notamment l’interprétation des lois
notariales entre différents pays, ou la participation conjointe à la
notarisation en matière civile ou commerciale…
Force
nous est de reconnaitre que les réformes et l’ouverture qui se poursuivent de
manière continue et approfondie, élargissent sans cesse les champs
d’intervention notariale, surtout dans les matières qui impliquent des éléments
d’extranéité. Cela oblige les professionnels que nous sommes à atteindre un
niveau de professionnalisme plus élevé et à faire évoluer notre structure de
connaissances. Tant que nous préserverons cet esprit d’initiative, de pionnier sans
oublier d’innover, nous pourrons certainement déployer plus de potentiel,
montrer la vitalité et le dynamisme de la notarisation, de manière à remplir effectivement
notre rôle d’authentification, de communication, de service et de surveillance
des risques pour accompagner des activités civiles et commerciales
internationales dans un contexte de globalisation et face à la nouvelle vague
de l’économie.
[1] SU
Guoqiang, LIU Zhiyun, Informatisation notariale : théorie et normes
techniques, presse universitaire de Xiamen, 2017, p.159
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