Le
rôle du notaire
dans les investissements internationaux
Jérôme CAURO
Notaire à Paris
Les investissements
internationaux, comme le projet chinois des Nouvelles Routes de la Soie (B.R.I.),
sont des projets qui touchent le plus souvent au foncier, par la construction
de routes, de voies ferroviaires, de bâtiments, avec les infrastructures liées
à leur desserte, et à la détention en propriété de ces ouvrages.
Ces projets impactent
les activités des notariats des pays où ils sont situés et touchent aux
domaines d’expertise des notaires, et en particulier :
-
le foncier et
l’immobilier,
-
les questions
d’environnement,
-
et les problèmes de
garantie des financements.
Ces investissements
ne pourront s’opérer que si, d’abord, les transactions immobilières sont
sécurisées, et leur financement garanti par des sûretés hypothécaires, et les
notaires ont un rôle essentiel à jouer en la matière ( I ).
Et ce rôle est
d’autant plus important que les actes notariés peuvent circuler et être
exécutoires dans un autre pays que celui où ils ont été établis ( II ).
I - Le rôle des notaires dans les différents pays
Le rôle des notaires
dans les différents pays peut varier : s’il y a des activités communes à
tous les notaires, les systèmes juridiques leur accordent ou non des domaines
réservés, et le développement économique ou social favorise chez les notaires
certains types d’activités.
Pour autant, cette
nature variée des notariats dans les divers pays s’appuie partout sur la valeur
de l’acte authentique, qui permet de contribuer à sécuriser les transactions (
A ).
Mais cette
contribution à la sécurité se fait à des degrés divers, en fonction du rôle que
jouent les notaires dans chacun des pays concernés. La sécurité juridique est
d’autant plus grande qu’elle peut s’appuyer sur un système de publicité
foncière précis et fiable qui servira à assoir les sûretés hypothécaires
garantissant les financements des investisseurs ( B ).
A. La valeur de
l’acte authentique
Dans les pays de
droit continental, les actes notariés ont en commun des caractéristiques
essentielles ( 1 ) qui permettent de sécuriser les transactions ( 2 ).
1. Les caractères de
l’acte authentique
Trois caractères
s’imposent dans l’acte authentique tel qu’il est compris dans le notariat
traditionnel de droit continental :
-
La date certaine,
-
La force probante :
l’acte authentique fait foi de son origine, de son contenu et de sa date
jusqu’à « inscription de faux », qui est une procédure de
contestation très lourde à mettre en œuvre ; c’est dire que l’acte
notarié, notamment en matière immobilière, assure une certitude de ne pas être
contesté par des contractants de mauvaise foi. C’est en ce sens qu’il a une
efficacité remarquable.
-
La force
exécutoire : la force exécutoire attachée à l’acte notarié permet au
créancier d’engager, sans besoin de l’intervention du juge dans certains pays,
une procédure d’exécution rapide et efficace.
C’est par ces
caractères que l’acte authentique s’impose face à l’acte sous seing privé, et
cela se vérifie en particulier dans le domaine des mutations immobilières.
2. La sécurisation
des transactions immobilières par le notariat
A la différence des
pays ne connaissant pas le système notarial, où les litiges touchant à des
questions d’ordre immobilier encombrent les tribunaux, dans les pays de droit
continental, la sécurité juridique de la transaction est quasi absolue.
En France, dans la
vente immobilière, c’est par les vérifications approfondies auxquelles le
notaire se livre préalablement à la rédaction de l’acte que le contrat qu’il
établit sera totalement sécurisé.
Le notaire assure
cette sécurité juridique en effectuant un certain nombre de recherches
préalables, et au niveau du contrat lui-même en le rédigeant, puis en
l’authentifiant.
Quels sont ces
contrôles auxquels le notaire doit se livrer ?
o Il va tout d’abord analyser le titre de propriété du vendeur pour vérifier
la désignation et la description des biens vendus, l’absence ou l’existence de
servitudes, la régularité de l’origine de propriété, les éventuels droits des
tiers,
o
Il va procéder à une
vérification de l’identité et de la capacité juridique des parties,
o
Il va examiner
l’ensemble du dossier technique désormais obligatoire avant toute vente d’un
bien immobilier.
Le rôle du notaire
quant à l’analyse de ces différents documents est essentiel : il devra en
tirer toutes les conséquences sous son entière responsabilité et en informer
les parties en s’assurant de leur parfaite compréhension.
C’est une fois toutes
ces formalités accomplies que la signature de l’acte authentique de vente
pourra intervenir.
Enfin, le notaire est
tenu de conserver dans ses archives, tous ses actes (ses « minutes »)
pendant une durée de 75 ans. Cette conservation permet de garder la preuve des
engagements souscrits et des contrats passés, qu’elle qu’en soit la date.
Mais cette sécurité
assurée par le notaire doit s’appuyer, en matière immobilière, sur un système
de publicité foncière performant.
B. Le notariat s’appuie
sur la publicité foncière pour sécuriser les transactions immobilières
Les droits des
personnes sur les constructions et aménagements seront d’autant plus solides
qu’ils pourront reposer sur un système de publicité foncière fiable ( 1 ) qui
permettra l’inscription des hypothèques garantissant les financements des
investisseurs ( 2 ).
1. Le rôle de la
publicité foncière
La publication des
actes de transfert de biens immobiliers est assurée en France exclusivement par
le notariat, à la seule exception des ventes judiciaires. Cette publication se
fait auprès des Services de publicité foncière répartis sur tout le territoire.
Depuis environ 20
ans, les Services de publicité foncière ont été informatisés, et la
transmission de l’acte de mutation immobilière par le notaire au Service de
publicité foncière s’opère de manière entièrement dématérialisée, ainsi que le
paiement des droits d’enregistrement (c’est le système
« Télé@ctes »).
Par ailleurs, à
partir de février 2019, les notaires auront un accès direct au fichier
immobilier et pourront consulter en temps réel la situation hypothécaire des
immeubles (système ANF – Accès des Notaires au Fichier immobilier).
C’est ainsi que la
publicité foncière joue pleinement son rôle d’information et de
protection :
-
information
en permettant à toute personne intéressée par un immeuble d’en connaître en
temps réel la situation juridique (identité du propriétaire, existence de
sûretés réelles),
-
protection
en permettant de garantir à 100% un rang donné au créancier qui aura fait
inscrire son hypothèque.
2. La garantie des
financements par des sûretés hypothécaires
L’essor économique
d’un pays moderne passe par l’accès de tous au crédit. Or, l’octroi d’un crédit
nécessite des garanties. La garantie la plus sûre étant l’hypothèque, qui est
une sûreté réelle, accordée à un créancier sur un immeuble en garantie du
paiement d'une dette sans que le propriétaire du bien en soit dépossédé.
En France, c’est le
notariat qui assure le monopole des inscriptions d’hypothèques
conventionnelles, d’après l’article 2416 du Code civil.
L'hypothèque est
inséparable d'un système de Publicité Foncière car c'est elle qui assure
l'opposabilité aux tiers et la fixation du rang de l’hypothèque.
L'inscription de
l'hypothèque confère au créancier qui en est titulaire deux effets très
importants : un droit de préférence ( a ) et un droit de suite ( b ).
a. Le droit de
préférence
Le droit de
préférence donne au créancier le droit d'être payé par préférence aux autres
créanciers, sur le prix de la vente du bien.
Le rang de
l'hypothèque, qui détermine sa priorité par rapport aux autres hypothèques
prises sur le même immeuble, prend effet à la date de son inscription.
L'hypothèque inscrite
la première sur un immeuble est en conséquence préférée à celle qui est
inscrite postérieurement, et ainsi de suite.
b. Le droit de suite
Le droit de suite
permet au créancier de faire saisir dans n'importe quel patrimoine le bien
grevé de l’hypothèque afin de le faire vendre.
Ce droit apparaît
comme le prolongement nécessaire du droit de préférence et il ne peut être
exercé que par les créanciers ayant fait inscrire leur hypothèque.
Mais les qualités de
l’acte notarié que je viens d’évoquer, qui le rendent incontournable dans les
investissements immobiliers, ne sont pas les seules. Sa force réside aussi dans
sa capacité à circuler d’un pays à l’autre, pour être exécutoire dans un autre
État que celui où il a été dressé.
II - La circulation internationale des actes notariés
Le notariat a su
s’adapter à la mobilité croissante des personnes et des capitaux et il
intervient aujourd’hui de plus en plus dans des situations internationales.
La circulation des
actes authentiques a ses avantages : amoindrissement du coût des transactions
internationales et simplification des procédures, qui aboutissent à une
réduction du nombre des contentieux.
Il faut que l’acte
authentique puisse circuler librement, tout en conservant sa valeur
d’incontestabilité et sa force exécutoire, malgré la diversité des ordres
juridiques existants dans les différents pays.
Cette circulation
existe en droit commun, mais en passant par la procédure d’exequatur pour permettre de le rendre exécutoire dans un pays
étranger ( A ), en revanche, dans le cadre de l’Union Européenne, la procédure visant à
rendre exécutoire un acte notarié dans un autre pays est très simplifiée ( B ).
A. La circulation internationale des actes notariés en droit commun
La première question
qui se pose est la notion d'authenticité susceptible d'exécution, et le niveau
minimum d’authenticité qu’il convient d’exiger de l’acte authentique étranger.
La Cour de cassation
a en droit commun une conception assez souple de l'authenticité. Selon un arrêt
de la première chambre civile du 17 octobre 2000 (Cass. 1re civ.,
17 oct. 2000 : Rev. crit. DIP 2001, p. 121), tout acte, quelle
qu'en soit la nature, qui produit directement ou indirectement des effets de
droit, doit être susceptible d'exequatur.
La Cour de cassation exige également, comme la Cour de justice de l'Union
européenne, que l'acte soit exécutoire dans l'État où il a été établi.
Pour mettre à exécution
en France un acte authentique étranger, la procédure de droit commun nécessite
de mettre en œuvre une procédure d’exequatur.
Il est de fait que
cette procédure se caractérise par sa lourdeur et sa lenteur, car il s'agit
d'une procédure contentieuse devant le Tribunal de grande instance. Pour
accorder l'exequatur, le tribunal
doit s'assurer que l'exécution de l'acte n'est pas incompatible avec l'ordre
public international français.
L'acte dont on
demande l'exécution doit être traduit, et il doit ensuite être légalisé, la légalisation étant définie comme
« la formalité par laquelle est
attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de
l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte
est revêtu ».
En principe, la
légalisation a lieu devant le consul français dans le pays duquel l'acte
notarié a été reçu, ou bien en France par le consul du pays étranger où l'acte
a été établi.
Cependant, un certain
nombre de conventions bilatérales prévoient que les actes publics établis dans
l'un des deux pays sont admis sans légalisation sur le territoire de l'autre.
Mais heureusement, la
France est partie à la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 qui substitue, à
la lourde procédure de légalisation, la formalité plus simple de l'apostille. L'apostille est apposée
sur l'acte lui-même par les autorités compétentes du pays dont émane l'acte,
sans devoir impliquer les autorités du pays dans lequel le document doit être
présenté.
En France, la
compétence appartient aux Procureurs généraux près les cours d'appel.
Cette Convention de
La Haye compte un très grand nombre d'États contractants, ce qui lui assure une
importante effectivité.
B. La circulation internationale des actes notariés en droit européen
En droit européen, la
notion d'acte authentique susceptible d'exécution est plus restrictive qu’en
droit français.
En effet, dans un
arrêt « Unibank » du 17 juin 1999 (CJCE, 17 juin 1999 :
Rev. crit. DIP 2000, p. 245), la Cour de justice de l’UE a exigé la
réunion cumulative de trois conditions pour qu'un acte mérite la qualification
d'acte authentique :
- l'authenticité doit
avoir été établie par une autorité publique,
- elle doit porter
sur la signature et sur le contenu de l'acte,
- et l'acte doit être
exécutoire dans l'État où il a été établi.
Ainsi, la Cour de
justice entend rappeler que, pour elle, un acte n'est authentique que si
l'authentification s'étend au contenu de l'acte, et ne se limite pas à sa seule
signature. Cela conduit à éliminer les actes qui se bornent à attester la
signature figurant sur un document privé, et cela même s'ils sont exécutoires
dans leur État d'origine.
Cette définition a
été depuis reprise dans divers règlements européens, qui facilitent la
circulation des actes notariés dans l'Union européenne. À cette fin, ils
exigent une certification desdits actes.
J’ai choisi, parmi
les différents règlements européens adoptés au fil du temps, deux exemples de
règlements qui permettent l’application simplifiée d’actes notariés dans
d’autres pays de l’UE :
1°. - Règlement (CE) n° 805/2004 du 21 avril 2004 portant création d'un
titre exécutoire européen pour les créances incontestées
Ce règlement
s'applique dans tous les États membres de l'Union européenne, à l'exception du
Danemark.
Il a supprimé
purement et simplement l'exigence de l'exequatur.
Lorsqu'un acte a été certifié en tant que titre
exécutoire européen, il est traité lors de son exécution comme s'il avait
été délivré dans l'État où il doit être exécuté : aucun contrôle n'a à
être exercé dans cet État. Il n'est plus nécessaire de lui faire reconnaître
force exécutoire dans cet État avec les retards et les frais qui en
résultaient.
Lorsqu'un acte
notarié français a été certifié en tant que titre exécutoire européen, il est
traité dans tous les pays membres de l'Union européenne comme s'il s'agissait
d'un titre exécutoire émanant de leurs autorités. Pour obtenir son exécution,
il suffit d'aller voir les agents d'exécution du pays dans lequel on souhaite
l’exécuter muni d'une copie authentique de l'acte notarié et du certificat de
titre exécutoire européen, et d'une traduction de ce certificat. L'acte authentique
proprement dit n'a pas besoin d’être traduit.
La certification en
tant que titre exécutoire européen se fait par les autorités de l'État
d'origine, c'est-à-dire de l'État duquel provient l'acte authentique. Le
règlement a laissé le soin aux États membres de donner la liste des autorités
certificatrices. En France, ce rôle est désormais dévolu au notaire qui a
rédigé l'acte, lequel assurera la délivrance du certificat de titre exécutoire
européen de cet acte. Le contrôle à effectuer par le notaire certificateur est
purement formel. Il s'agit d'une simple reprise de certains éléments de l'acte
notarié qu’il a lui-même dressé.
2°. - Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4
juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et
l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes
authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat
successoral européen
Ce règlement ne
s’applique pas au Danemark, au Royaume-Uni et à l'Irlande.
L'article 60 dispose
qu'un acte authentique qui est exécutoire dans l'État membre d'origine est
déclaré exécutoire dans un autre État membre, conformément à la procédure
prévue pour les jugements. En somme, il conviendra de se faire délivrer dans l'État
d'origine une attestation certifiant que l'acte a bien force exécutoire. Puis
muni d'une copie de l'acte authentique et de cette attestation, il faudra
solliciter de l'autorité compétente dans le pays d'exécution une déclaration
constatant sa force exécutoire. Aucun contrôle substantiel de l'acte
authentique n'est à ce stade effectué.
Par ailleurs,
l’article 62 crée un certificat
successoral européen, qui a pour finalités de permettre aux héritiers,
légataires, exécuteurs testamentaires, ou administrateurs d’une succession
d’invoquer leur qualité et d’exercer leurs droits dans un autre État
signataire.
Le certificat,
d’après l’article 69, produit ses effets dans tous les États membres, sans
qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure.
En France, c’est le
notaire chargé du règlement de la succession qui dresse le certificat
successoral européen.
Il existe d’autres
règlements européens prévoyant des systèmes analogues pour les actes notariés,
mais je m’arrêterai là avec les exemples, pour ne pas prolonger davantage mon
propos.
Ainsi, on assiste sur
le plan communautaire à la mise en œuvre de règles générales offrant à l’acte
authentique un mécanisme simplifié d’exécution dans les États membres de l’UE.
Conclusion
Les investissements internationaux
peuvent s’appuyer sur les diverses relations et organisations internationales
que les notariats ont mis en place ; il s’agit notamment de :
o
L’Union Internationale du
Notariat (UINL),
o
Le Conseil des Notariats de
l’Union Européenne (CNUE),
o
Les notariats de la Méditerranée,
o
L’Asie et le Sud-Est Asiatique.
Ces organisations sont des
plateformes communes qui permettront aux notariats des pays de droit
continental d’établir des relais dans chaque pays pour jouer un rôle essentiel
dans l’accompagnement des projets de développement économique et d’investissements
internationaux.
Les notariats pourront s’appuyer
sur la circulation internationale des actes notariés, consacrée en droit commun
et simplifiée dans l’UE, avec la force exécutoire qui leur est attachée. C’est
déjà une réalité qui va immanquablement se développer au niveau mondial.
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