Sanction de
l’opposition d’intérêts en curatelle renforcée pour congé de bail rural[1]
À propos de Cass.3e civ., 5
oct. 2017, no16-21973
David NOGUÉRO
Professeur à l’Université Paris Descartes
Sorbonne Paris Cité
Essentiel
En cas d’opposition d’intérêts entre le
majeur protégé et son curateur, l’action en nullité de droit des actes passées,
postérieurement à la curatelle renforcée, ne peut être exercée que par le
curatélaire assisté, ou seul après la mainlevée de la mesure, voire ses
héritiers après son décès, non par le preneur de bail rural.
Malgré sa non publication au Bulletin
des arrêts de la Cour de Cassation, la décision inédite ici commentée[2]
mérite un signalement. Connaître la sanction quant au sort de l’acte juridique
lorsque les procédures prévues pour les majeurs protégés n’ont pas été
respectées permet d’adapter sa pratique, en amont, pour éviter d’engager sa
responsabilité civile. Il en va ainsi pour le notaire, qui en sa qualité
d’officier public est tenu d’assurer la validité et l’efficacité des actes
qu’il établit à l’égard des deux parties. En plus des incapacités de défiance
et les interpositions de personnes, qui marquent une autre méthode pour traiter
les oppositions d’intérêts[3],
il faut tenir compte de l’apport de l’arrêt commenté quant à l’exercice
désintéressé de la mission de protection, qui marque une limite des pouvoirs
des organes protecteurs, toute en insistant sur la notion cardinale d’intérêt
du majeur protégé (C. civ., art.415, al.3).
Le père propriétaire est sous curatelle
renforcée, avec son fils pour curateur. Le curatélaire délivre congé, avec
l’assistance du curateur, pour le bail rural consenti[4]. L’objectif
affiché est de permettre une reprise du bail par le curateur, du moins par une
société familiale (EARL) à laquelle il participe comme gérant et associé avec
le père. Il s’agit d’un acte de disposition[5],
non d’un acte d’administration comme cela a été avancé[6].
Le preneur (GAEC) conteste la validité du
congé en mettant en avant l’opposition d’intérêts entre curateur et
curatélaire. La cour d’appel de Caen le suit, indiquant « que l’intérêt personnel
est direct, que le curateur avait à la délivrance du congé, créait une
opposition d’intérêts entre le majeur protégé et le curateur ». Dès lors,
il aurait fallu désigner un curateur ad hoc dans de telles circonstances
– à défaut de subrogé curateur (C. civ., art.454, al.5)-, d’où la nullité du
congé, sans effet. L’annexe de l’arrêt nous apprend que l’article 455 du Code
civil était invoqué, qui prévoit, en son alinéa 1er, la mission de
l’organe ad hoc en cas d’opposition d’intérêts, sans s’attarder sur la
sanction. Mais sur pourvoi formé, la censure intervient au visa de l’article
465 du Code civil.
La décision conduit à préciser l’hypothèse
et la sanction de l’opposition d’intérêts dans les mesures judiciaires, comme
le titulaire du droit de critique, avant d’envisager l’extension de la sanction
à d’autres mesures de protection juridique.
L’hypothèse et la sanction
Dans le principe, il semble que, au moins
implicitement, l’opposition d’intérêts est ici admise, puisqu’il n’y a pas eu
remplacement de l’organe principal en charge. Le curateur ne devait pas
s’abstenir mais agir, par anticipation, afin d’éviter l’opposition, s’il
voulait profiter de la reprise dans son intérêt. En effet, pour la première
fois sous le dispositif de la réforme du 5 mars 2007[7], malgré le
silence légal, la Cour de cassation retient, en cette hypothèse, le principe de
sa sanction, dont la nature est précisée.
Il s’agit de la nullité de droit — non
facultative comme défendu par la quatrième branche du pourvoi exigeant de caractériser
l’existence d’un préjudice[8]
-, est-il jugé en visant l'article 465 du Code civil[9]. Cette
disposition prévoit, en son alinéa 1er, 4°, le dépassement ou
l’absence de pouvoir de l’organe protecteur, agissant seul, sans pour autant
contenir une spécificité pour l’opposition d’intérêts[10]. Même si le
visa demeure évasif, on pourrait prendre appui sur cette disposition pour
justifier la sanction choisie[11].
La disparition rétroactive de l’acte étant la sanction la plus adaptée, il nous
semble qu’une nullité virtuelle, sans texte mémé, se justifie[12]. La nullité de
droit enlève au juge un quelconque pouvoir d’appréciation pour la prononcer, si
ses conditions sont réunies, à l’inverse de celle facultative.
Sa sélection parait pragmatique et
opportune afin d’appréhender la sanction de l’opposition d’intérêts. Ne pas
s‘abstenir face à l’opposition d’intérêts exprime un manquement patent à la
mission pour non-exécution d’un devoir impératif de se faire remplacer (Comp.
C. civ., art. 445 ; C. civ., art. 480, al.2 ; C. civ., art. 494-1, al.2). On
peut le comparer, mutatis mutandis au refus d’instrumenter pour le
notaire face à l’inaptitude avérée du client ou confronté à une incapacité de
jouissance spéciale. La gestion patrimoniale suppose d’agir exclusivement dans l’intérêt
du seul majeur (C. civ., art. 496, al.2. Comp. pour le domaine personnel, C.
civ., art. 459-1, al.2), directement ou de manière substituée, le cas échéant.
La vertu dissuasive de la sanction doit encourager à organiser le remplacement
pour prévenir l’opposition[13].
En outre, cela permet d’opter pour une nullité de droit unifiée pour tous les
régimes de protection judiciaire.
On peut néanmoins se demander si un acte,
certes dans l’intérêt de l’organe protecteur, mais également dans celui du
majeur protégé, traduirait systématiquement une telle opposition[14].
Le pourvoi, en sa deuxième branche, sollicitait, par une motivation idoine, la
caractérisation de circonstances portant l’organe « à satisfaire un intérêt
autre que celui du majeur protégé », en exigeant que soit vérifié si l’intérêt
personnel du curateur « différait de celui du majeur protégé qui prétendait
avoir un intérêt à ce que sa famille reprenne l’exploitation du bien donné à
bail à travers une société ». Le désintéressement propre à l’exercice de la
mission, dans le seul intérêt du majeur, doit conduire à une réponse positive à
l’interrogation soulevée[15].
En ce sens, le juge- ment affirmait que « l’opposition d’intérêts signifie que
le curateur ou le tuteur a un intérêt personnel à la réalisation d’un acte par
le majeur protégé et ne peut donc être qualifié d’objectif dans sa mission
d’assistance », qui n’était pas « neutre ». Il n’est pas démenti par la
cassation qui porte sur un autre point. L’opposition d’intérêts existe, y
compris dans des relations entre proches, la curatelle obéissant ici à la
préférence familiale, n’étant pas confiée à un professionnel extérieur.
À supposer que la procédure pour passer des
actes ne soit pas respectée (le remplacement ponctuel de l’organe principal),
pour l’organe ad hoc comme pour l’organe subrogé[16], on peut se
demander quel sera le sort de l’acte passé en opposition d’intérêts. On peut
hésiter entre la responsabilité civile extracontractuelle de l’organe en
opposition d’intérêts avec le majeur et le maintien de l’acte litigieux, ou la
remise en cause de l’acte alors frappé de nullité, voire d’une responsabilité
en sus[17]
– sans préjudice de la décharge de mission pour l’avenir. Par comparaison, pour
les questions de dépassement ou d’absence de pouvoir de l’organe, l’article
465, alinéa 1er, 4o, institue des nullités de plein droit
(sans preuve d’un préjudice subi). L’arrêt donne une réponse nette, avec
l’appui de l’interprétation large ou souple de ce dernier texte, fondement
affiché, solution spécifique aux majeurs protégés[18].
Le titulaire du droit de critique
Toutefois, la critique du preneur est
rejetée, par la cassation, strictement sur la recevabilité, parce qu’il n’est
pas titulaire de ce droit d’agir en nullité, comme le défendait la troisième
branche du moyen, accueillie[19]
! Si tout intéressé peut solliciter la nomination d’un organe ad hoc dans
les mesures judiciaires (C. civ., art. 455, al. 2. Comp., en mandat de
protection future, C. civ., art. 484) - ce qui doit favoriser concrètement la
disparition de l’opposition -, cela ne préjuge pas de celui ou ceux ayant
qualité pour demander la sanction de l’opposition d’intérêts constatée[20].
Le pourvoi faisait valoir qu’était accordé,
a tort, au « destinataire du congé, le droit de se prévaloir de la nullité du
congé délivré en violation d’une règle qui n’a été posée que dans l’intérêt de
l’incapable ». L’attendu de principe lui donne raison : « l’action en nullité
de droit des actes passés, postérieurement au jugement d’ouverture de la
curatelle, par la personne protégée ou son curateur, ne peut être exercée, hors
le cas prévu à l’article 465, alinéa 2, du Code civil[21], que par le
majeur protégé, assisté du curateur ». Dans l’esprit de la nullité de
protection[22]
(C. civ., art. 1125 anc.; C. civ., art. 1147 et C. civ., art. 1179, al.2; C.
civ., art. 1181, al. 1er), relative[23],
l’action appartient, du vivant du curatélaire, exclusivement à lui, assisté du
curateur si la curatelle est en place (ou avec autorisation supplétive du
juge), ou seul après sa mainlevée. Après son décès, seuls ses héritiers ont
qualité pour exercer l’action. Pour les partisans d’une ouverture à d’autres
demandeurs, seule une intervention de lege ferenda pourrait leur
donner qualité. Le remplacement de l’organe en place pourrait faciliter l’action
grâce au nouveau curateur.
La cour d’appel a décidé « que la
délivrance d’un congé pour reprise par un ascendant constitue un acte de
disposition nécessitant l’assistance du curateur en cas de curatelle renforcée
» (C. civ., art. 467, al. 1er), d’où l’opposition d’intérêts. Donner
son assistance en une telle occurrence, voire représenter le majeur protégé,
selon le régime judiciaire concerné, plutôt que de recourir à un organe subrogé
ou ad hoc, consomme l’opposition, partant dicte la sanction.
Sous la loi de 1968, dans un cas où était
invoquée l’opposition d’intérêts en assurance-vie entre curatélaire et curateur
désigné bénéficiaire, mais où le majeur protégé avait agi sans assistance, la
jurisprudence a admis, même pour des actes de disposition accomplis dans
l’intérêt du curateur, la règle habituelle[24]
de la nullité facultative de protection, non de droit, et l’a écartée dans
l’espèce particulière considérée[25].
L’idée sous-jacente était que l’opposition d’intérêts s’évanouissait du fait de
la non-assistance et qu’il fallait seulement se prononcer sur la nullité au
regard des circonstances de la cause, souverainement appréciées, ici favorables
au maintien de l’acte, ce qui peut ne pas toujours être le cas. La solution
nous semble toujours d’actualité si le majeur a agi seul sans être assisté. Par
comparaison, lorsque le code prévoit l’assistance pour faire une donation, il
pose une règle de fond selon laquelle le curateur est réputé en opposition
d’intérêts, s’il est donataire, à l’inverse du testament réalisé seul par le
curatélaire (C. civ., art. 470)[26].
Par parenthèse, la multiplication des « présomptions légales », qui dictent
autoritairement l’existence indéniable de l’opposition d’intérêts, sans
possibilité de preuve contraire selon nous[27],
qui sont utiles pour attirer l’attention, n’empêche en rien de caractériser
celle-ci, grâce à l’appréciation souveraine du juge, en dehors du strict cadre
légal qui ne prévoit pas forcément tout. Celui qui, dans l’acte, a une
opposition d’intérêts, ne subit pas une incapacité de jouissance, a charge de
respecter la procédure de substitution d’organe.
Cependant, il ne faudrait pas, pour
l’organe protecteur, utiliser le stratagème commode d’un défaut d’assistance,
en laissant le majeur agir seul - et probablement en tentant de l’influencer.
On pourrait y voir une façon de contourner l’obstacle de l’opposition
d’intérêts et de sa sanction plus aisée à mettre en œuvre, automatique par le
seul constat de l’existence de l’opposition d’intérêts bravée par la réalisation
d’une assistance ou une représentation. Dans cette ambiance de fraude, sur le
terrain de la nullité facultative, on peut penser que le juge saisi ne
manquerait alors pas de la prononcer, dans le respect de l’article 465 alinéa 1er,
2°, avec la condition du préjudice (au moins moral). On peut rapprocher de ce
cas celui où l’organe protecteur exercerait apparemment sa mission, sans
opposition d’intérêts, pour aboutir à un acte au profit d’un tiers, espèce de
personne interposée, recueillant indirectement l’intérêt de l’organe protecteur[28].
On voit bien la difficulté pratique, si
personne ayant qualité pour agir ne signale au juge l’anomalie en cours de
régime protecteur[29],
qu’il faut détecter (C. civ., art. 454, al. 4 et 6)[30] pour réagir, du
moins avant le décès et la réponse possible des héritiers. Si la sanction
existe, elle pourrait demeurer lettre morte, parfois, selon l’environnement du
majeur protégé, malgré l’inertie de l’organe protecteur pour se faire
remplacer. En l’occurrence, on peut penser que, vraisemblablement, l’opposition
d’intérêts devait moins nuire au majeur protégé qu’à son cocontractant
insatisfait[31]
! La titularité de l’action évince alors aisément la critique.
L’extension de la sanction à d’autres
mesures de protection juridique
La solution retenue pour une curatelle
renforcée vaut pour les différentes mesures judiciaires[32]. Il faudra voir
si la solution sera étendue à l’habilitation familiale ou au mandat de
protection future.
Pour la première, cela ne fait guère de
doute, en prenant appui sur la lettre de l’article 494-9, alinéa 4, du Code
civil, qui édicte la sanction d’un acte de la personne habilitée sans
autorisation - une nullité de « plein droit » -, combiné avec l’article 494-6,
alinéa 4, qui traite de la nécessaire autorisation à obtenir en cas
d’opposition d’intérêts. II y aurait là une difficulté pouvant éventuellement
mettre fin à la mesure, au regard de l’article 494-10, car les intérêts du
majeur seraient en cause (C. civ., art. 494-11, 2°). L’habilitation spéciale ou
générale ne prévoyant pas d’organe subrogé ou ad hoc, on devine
l’utilité de désigner plusieurs personnes habilitées, l’une d’elle pouvant
jouer ce rôle occasionnel et pouvant agir pour critiquer l’acte litigieux. La
pluralité d’organes comme personnes habilitées peut être une solution comme
remède de fait aux éventuelles oppositions d’intérêts.
ll reste qu’en habilitation familiale
générale, la loi fixe un principe d’interdiction d’accomplir un acte pour
lequel il y a opposition d’intérêts, sauf autorisation du juge des tutelles, à
l’article 494-9, alinéa 4[33].
L’habilitation spéciale, qui semble oubliée, ne l’est pas si l’on considère que
le juge pèsera l’éventuelle opposition lorsqu’il décide d’accorder ou non un
pouvoir de représentation pour tel ou tel acte précis, puisqu’il faut mesurer
l’intérêt du majeur (C. civ., art. 494-5). On retrouve, par comparaison, le
schéma des autorisations judiciaires préalables. Pour l’habilitation générale,
la technique diffère de la curatelle ou de la tutelle. En effet, à titre
exceptionnel et lorsque l’intérêt du majeur protégé l’impose (conditions
cumulatives), le juge autorise la personne habilitée elle-même, qui doit le
solliciter et pas un organe ad hoc.
Pour le mandat de protection future, on
peut davantage hésiter, à la seule lecture des textes disponibles, qui
n’organisent pas le traitement de l’opposition d’intérêts,- tant l’hypothèse
que sa sanction -, ce que l’on peut regretter. Seule est mentionnée la
précaution de l’autorisation judiciaire pour accomplir un acte de disposition à
titre gratuit (C. civ., art. 490, al. 2). Les articles 454 et 455 du Code
civil, comme l'article 465, sont propres aux mesures judiciaires. La situation
existe néanmoins et a médiatement été envisagée par la jurisprudence au travers
de la révocation du mandat[34].
Les recommandations internationales incitent pourtant à s’y intéresser. Le
Comité des ministres du Conseil de l’Europe a émis une recommandation sur les
principes concernant les procurations permanentes et les directives anticipées
ayant trait à l’incapacité, dont le principe 11 est consacré au conflit
d’intérêts : « Les États devraient envisager le règlement des conflits
d’intérêts entre le mandant et le mandataire »[35].
Pour l’heure, a posteriori, la responsabilité du mandataire n’est pas à
exclure en présence d’un préjudice (C. civ., art. 424, al. 1er )[36].
Il a pu être suggéré, par la doctrine, de
s’appuyer sur le principe général de bonne foi[37]
- ce qui est un peu extensif -, ou sur l'article 1161 du Code civil, issu de
l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, en vigueur au 1er
octobre 2016 - et qui devrait évoluer avec la prochaine loi de ratification[38]
-, pour forger une amorce de la réglementation du conflit d’intérêts. Dans la
théorie générale de la représentation, ce texte énonce en son alinéa 1er
: « Un représentant ne peut agir pour le compte des deux parties au contrat ni
contracter pour son propre compte avec le représenté » (le contrat avec
soi-même) ; et en son alinéa 2 : «En ces cas, l’acte accompli est nul à moins
que la loi ne l’autorise ou que le représenté ne l’ait autorisé ou ratifié ».
Contracter pour son propre compte avec la personne protégée que l’on représente
pourrait ainsi être qualifié d’opposition d’intérêts, avec la sanction de la
nullité, non qualifiée. Mais, au-delà, il n’est pas certain qu’une telle
disposition, dans sa dérogation du moins, soit réellement adaptée à une mesure
de protection juridique. Quelle valeur aurait une autorisation ou une
ratification du majeur sous mandat de protection future qui, s’il conserve
l’exercice de ses droits, selon l’analyse dominante, subit néanmoins une
altération de ses facultés personnelles (C. civ., art. 481) ? La contestation
ne manquerait pas de naître, serait-ce post-décès.
L’alternative à plusieurs branches est de
se rapprocher des sanctions des mesures judiciaires (la nullité de droit),
surtout depuis la prévision de la publicité du mandat de protection future, à
organiser encore dans ses modalités (opposabilité aux tiers, support, objet et
accès), ou de celles propres au mandat de droit commun, qui ne règlent pas
directement les oppositions d’intérêts et laissent place à l’analyse (C. civ.,
art. 478. Comp. C. civ., art. 1998, mandant tenu au-delà du pouvoir confié, si
intervient sa ratification), voire de la théorie générale de la représentation
(inopposabilité ; nullité) (C. civ., art. 1153 et s., spéc. C. civ., art. 1156
; C. civ., art. 1157; C. civ., art. 1161). Néanmoins, si la jurisprudence
devait être saisie de la question, on peut penser qu'elle s’alignerait sur la
solution simple, harmonisée et protectrice de la nullité de droit. En
parallèle, sauf clause ayant prévu le remplacement du mandataire de protection
future, sa révocation judiciaire à la demande de tout intéressé (C. civ., art.
483, al. 1er , 4°) risque fort de conduire à la fin du mandat
lui-même.
Prospective
Pour prévenir l’opposition d’intérêts, des
suggestions sont possibles[39].
En cas d’insuffisance du mandat de protection future, le mandataire ad hoc
autorisé par le juge des tutelles n’est littéralement prévu que pour compléter
la protection conventionnelle atteignant ses limites, selon l'article 485,
alinéa 2, du Code civil. Une interprétation extensive pour le conflit ou
l’opposition d’intérêts est-elle permise ? Une réponse favorable semble
adaptée, selon nous, en s’inspirant de la jurisprudence antérieure à la loi de
2007 pour les mesures judiciaires.
On pourrait aussi imaginer une stipulation
faisant jouer à l’organe contrôleur, éventuellement désigné, la fonction d’un
organe subrogé ou ad hoc, car le mandat de protection future fixe les
modalités de contrôle de son exécution, tant pour la protection des biens que
pour celle de la personne, le cas échéant pour cette dernière facultative (C.
civ., art. 479, al. 1er et 3 ; CPC, art. 1258-2, 2°. Condition de
validité du mandat). En entendant de façon compréhensive et préventive ce
contrôle, on pourrait adjoindre l’organisation de l’opposition d’intérêts. Le
notaire est invité à prêter attention à la rédaction du mandat sur ce point.
Encore, pourrait être prévue une obligation (contractuelle) du mandataire de
protection future de saisir spontanément le juge face à la situation
d’opposition d’intérêts. Celui qui est en opposition d’intérêts doit, de façon
générale, être à l’initiative, afin d’emprunter la solution de substitution. Le
contrat pourrait autoriser d’autres personnes que le mandataire, le contrôleur
par exemple non limitatif, afin de solliciter le remplacement, pour sa
meilleure effectivité. Pour sanctionner l’opposition constatée, des tiers
seraient probablement admis, voire tenus d’intervenir - pourquoi pas le notaire
(C. civ., art. 491, al. 2) ? -, par la solution d’évitement de l’opposition
d’intérêts, en temps utile, avant la décharge du mandataire et/ou sa
responsabilité. Au-delà, il faudra voir si la jurisprudence accepte que le
juge, qui peut révoquer le mandat (peut le plus), si son exécution est
de nature à porter atteinte aux intérêts du mandant (C. civ., art. 483, al. 1er,
4°), puisse aussi le maintenir tout en désignant un organe ad hoc, a
l’occasion d’un conflit (peut le moins).
Le pouvoir conféré à l’organe comme remède
a une incapacité ne doit pas se transformer en poison, d’où la vigilance, par
la prévention, et la sanction en cas de transgression !
À la source
Cass. 3e civ., 5 oct. 2017, n°
16-21973, D (cassation) : Defrénois flash 30 oct. 2017, n° 142j0, p. 9
Sur le moyen unique, pris en sa troisième
branche, qui est recevable :
Vu article 465 du Code civil ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (CA Caen, 25
mars 2016), que M. Christian X, propriétaire de parcelles de terre données à
bail rural [a un GAEC], a, avec l’assistance de son fils, curateur, M. Max X,
délivré congé au preneur pour reprise au profit de son curateur ; que le GAEC a
contesté ce congé ;
Attendu que, pour annuler le congé, l’arrêt
retient, par motifs propres et adoptés, que la délivrance d’un congé pour
reprise par un descendant constitue un acte de disposition nécessitant
l’assistance du curateur en cas de curatelle renforcée et que l’intérêt
personnel et direct, que le curateur avait à la délivrance du congé, créait une
opposition d’intérêts entre le majeur protégé et le curateur et imposait la
désignation d’un curateur ad hoc ;
Qu’en statuant ainsi, alors que l’action en
nullité de droit des actes passés, postérieurement au jugement d’ouverture de
la curatelle, par la personne protégée ou son curateur, ne peut être exercée,
hors le cas prévu à l’article 465, alinéa 2, du Code civil, que par le majeur
protégé, assisté du curateur, pendant la durée de la curatelle, par le majeur
protégé après la mainlevée de la mesure de protection et par ses héritiers
après son décès, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs :
Casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 25 mars 2016, entre
les parties, par la cour d’appel de Caen ;
(…)
[1] Source : DEFRÉNOIS No17 26 avril 2018
[2] AJ fam. 2017, p.652, obs.Raoul-Cormeil G. ; Dr. famille 2017,
comm.250, note Maria I ; D. 2017, p.2030 ; JCP N 2017, 890 ; Noguéro D.,
Chronique Majeurs vulnérables, in Defrénois 29 mars 2018, no
134u6.
[3] L’expression est ici privilégiée même si le vocabulaire évoque
aussi le conflit, la contradiction ou la contrariété.
[4] Différent, à cette étape, de prendre à bail ou à ferme (C. civ.,
art.508). Levée de l’interdiction (C. civ., art. 509, 4o), avec la
nécessité d’une autorisation préalable pour le tuteur (hors mandataire
judiciaire à la protection des majeurs dans l’intérêt de façon absolue), réputé
en opposition d’intérêts.
[5] D. no 2008-1484, 22 déc. 2008, ann.1, colonne 2, I,
Actes portant sur les immeubles.
[6] Par la première branche du pourvoi, le but était de tuer dans l’œuf
le débat sur l’opposition d’intérêts à défaut de l’exigence d’assistance.
[7] Auparavant, en assurance-vie, la voie du curateur ad hoc
pour la substitution du bénéficiaire, sinon des dommages-intérêts (C. civ.,
art. 1382 anc.), Cass. 1re civ., 8 juill. 2009,
n° 08-16153 : Bull. civ. I, n° 162 ; Defrénois 30 nov. 2009, n° 39033-8, p.
2200, obs. Massip J. ; D. 2009, AJ, p. 1971, obs. Egéa V. ; D. 2009, p. 2058,
spéc. p. 2062, obs. Auroy N.; D. 2010, Pan., p. 2125, obs. Lemouland J.-J. ; RTD civ. 2009, p. 798, obs. Hauser J. ; LPA 29
juill. 2009, p. 9, note Noguéro D. ; LPA 12 mai 2010, p. 18, note Hamadi H. ;
Dr. fam. 2009, comm. 114, note Maria I. AJ fam. 2009, p. 352, obs.
Pécaut-Rivolier L. ; RGDA 2009, p. 1216, note Mayaux L.
[8] Comp. suggérant cette nature, pour la seule curatelle, à partir de
l'article 465 du Code civil, Douville T., Les conflits d’intérêts en droit
privé, 2014, Institut Universitaire Varenne, coll. Thèses, préf. Alleaume
C., p. 280, n° 240, note 1525 et n° 241.
[9] Al. 2, précisé dans l’attendu de principe, mais relatif au
titulaire de l’action.
[10] La doctrine raisonne parfois, en outre, sur le détournement de
pouvoir, sanctionné par la nullité dans la théorie de la représentation, selon
l'état d’esprit du tiers (C. civ., art. 1157), V. Maria I. et Raoul-Cormeil G.,
obs. préc. ; adde Raoul-Cormeil G., « L’opposition d’intérêts, obstacle
à la magistrature tutélaire (Étude à partir du contrat d’assurance sur la vie)
», RGDA 2011, p. 397, spéc. n° 21, et «L’opposition d’intérêts : une notion à
définir», in Le patrimoine de la personne protégée, 2015, LexisNexis,
p.57, spéc. n° 15: préférant la limite subjective, donc le détournement ;
Douville T., Les conflits d'intérêts en droit privé, op. cit.,
not. nos 233 et s. : préférant le dépassement de pouvoir,
franchissement de la limite objective à l’exercice des fonctions de protecteur,
dont la sanction est la nullité.
[11] Maria I. note préc.: y voyant un dépassement de pouvoir. Déjà
Raoul-Cormeil G., « L’opposition d’intérêts : une notion à définir», préc.
Après 2016, C.civ., art. 1161, peut-être. V. infra.
[12] En ce sens, Raoul-Cormeil G., « L’opposition d’intérêts, obstacle à
la magistrature tutélaire », préc., nos 14 et 21.
[13] En termes de responsabilité (C. civ., art. 421), il y aurait faute
de l’organe se dispensant d’organiser le remplacement (nul n’est censé ignorer
la loi). Elle pourrait être jugée lourde en curatelle renforcée, y compris pour
un curateur non MJPM. Pour plus d’indulgence, v. Raoul-Cormeil G., «
L’opposition d’intérêts,
obstacle à la magistrature tutélaire », préc., n° 24.
[14] Sur les conceptions de l’opposition d’intérêts, v. Raoul-Cormeil
G., « L’opposition d’intérêts, obstacle à la magistrature tutélaire », préc., nos
3-4, et « L’opposition d’intérêts : une notion à définir », préc., n° 6 et nos
22 et s.
[15] Défendant l’impartialité subjective, Raoul-Cormeil G., «
L’opposition d’intérêts, obstacle à la magistrature tutélaire », préc., n° 1,
et « L’opposition d’intérêts : une notion à définir », préc., n° 22.
[16] Prévu aussi pour la curatelle à côté de la tutelle, depuis la
réforme de 2007. Subsidiairement, à défaut d’organe subrogé, il reste le
recours à celui ad hoc. Et si ’organe subrogé existe et qu’il est aussi
en opposition d’intérêts, la voie de l’organe ad hoc devient
indispensable, même si la lettre des textes ne le prévoit pas. En ce sens,
Raoul-Cormeil G., « L’opposition d’intérêts : une notion à définir », préc., nos
11 et 30.
[17] Alternative ou cumul, Raoul-Cormeil G., « L’opposition d’intérêts,
obstacle à la magistrature tutélaire », préc., nos 24 et s., et «
L’opposition d’intérêts : une notion à définir », préc., nos 14 et
s.
[18] Critiquant une telle sanction jugée excessive, Raoul-Cormeil G., «
L’opposition d’intérêts : une notion à définir», préc., nos 15 et
30.
[19] D’où le visa, sans référence à l'article 455 du Code civil, comme
justement observé par Maria I., obs. préc.
[20] V. cependant, favorable à l’assimilation, Raoul-Cormeil G.,
«L’opposition d’intérêts, obstacle à la magistrature tutélaire », préc., n° 21:
argument de article 416 du Code civil. Contra Douville T., Les
conflits d'intérêts en droit privé, op. cit., p. 282, n° 241, note
1534.
[21] L’action de l’organe seul, préalablement autorisé par le juge des
tutelles ou le conseil de famille, pour certaines actions seulement.
[22] V. l'interférence du regrettable droit commun des contrats dans les
sanctions des incapacités, C. civ., art. 1150 et C. civ., art. 1151.
[23] Douville T., Les conflits d’intérêts en droit privé, op.
cit., n° 241. L’auteur écarte le fondement de l’ancien article 1382 (devenu
C. civ., art. 1240) du Code civil, exigeant de caractériser un préjudice.
[24] Cass. 1re civ., 16 oct. 1985, n° 84-11123 : Bull. civ.
I, n° 262; D. 1986, p. 154, note Massip J.; Defrénois 15 mars 1986, n°
33690-11, p. 334, obs. Massip J.- Cass. 1re civ., 1 oct. 1986, n°
85-10648 : Bull. civ. I, n° 233; D. 1986, IR,
p. 457 ; JCPN 1987, ll, p. 145, obs. Fossier
T. - Cass. 1re civ., 11 mars 2003, n° 00-21718, D (nullité).
[25] Cass. 1re civ., 17 mars 2010, n° 08-15658 : Bull.
civ. I, n° 66 ; D. 2010, Pan., p. 2126, obs. Lemouland
J.-J. ; AJ fam. 2010, p. 239, obs. Pécaut-Rivolier L. ; Dr. famille 2010, comm.
88, note Maria I. ; RGDA 2010, p. 398, Mayaux L. ; RJPF 2010/6, n° 36, obs.
Sauvage F. ; Defrénois 30 juin 2010, n° 39133-9, p. 1369, obs. Massip J. Et
Études par Noguéro D., Defrénois 15 juill. 2010, n° 39135, p. 1440; Gaulon N.,
Resp. civ. et assur. 2010, étude 9. Souhaitant un rapprochement avec
l’opposition d’intérêts, Raoul-Cormeil G., « L’opposition d’intérêts, obstacle
à la magistrature tutélaire », préc., n° 22.
[26] En tutelle, opposition d’intérêts pour la donation sera déjà
prévenue par l’indispensable autorisation judiciaire, et un organe subrogé ou ad
hoc peut être désigné.
[27] En ce sens, Pécaut-Rivolier L., obs. préc. sous Cass. 1re
civ., 8 juill. 2009, n° 08-16153 : Bull. civ. I, n° 162 ; Douville T., Les
conflits d’intérêts en droit privé, op. cit., n° 240. Contra
Raoul-Cormeil G., « L’opposition d’intérêts, obstacle à la magistrature
tutélaire », préc., n° 23, et « L’opposition d’intérêts : une notion à définir
», préc., n° 26.
[28] Noguéro D., note préc. sous Cass. 1re civ., 8 juill.
2009, n° 08-16153.
[29] Un changement d’organe protecteur peut favoriser l’action. En
théorie, envisageant même l’action de l’organe fautif, Raoul-Cormeil G., «
L’opposition d’intérêts : une notion à définir », préc., n° 16.
[30] L’organe subrogé exerce une mission de surveillance et est tenu
d’informer le juge, outre le fait qu’il est avisé de tout acte grave de
l’organe principal. Le signalement de tiers, C. civ., art. 499, al. 1er.
[31] Comp., pour la critique rejetée du congé délivré par le preneur
cocontractant du curatélaire ayant agi sans assistance, la mainlevée de la
mesure étant prononcée mais non publiée, Cass. 3° civ., 1er oct.
2008, n° 07-16273 : Bull. civ. III, n° 145 ; Defrénois 15 févr. 2009, n° 38893,
p. 326, note Noguéro D.; Dr. fam. 2008, no 177, note Fossier T. ;
RTD civ. 2009, p.94, obs. Hauser J.
[32] Susceptibles de modulation quant à la capacité du majeur, C. civ.,
art. 471 ; C. civ., art. 473, al. 2.
[33] Par ce droit spécial, on écarte, à coup sûr, l'application de
l'article 1161, alinéa 2, du Code civil.
[34] Cass. 1re civ., 4 janv. 2017, n° 15-28669, PB : D. 2017,
p. 191, note Noguéro D. ; D. 2017, Pan., p. 1490, spéc. p. 1503, obs. Noguéro
D. ; AJ fam. 2017, p. 144, obs. Raoul-Cormeil G. ; Dr. famille 2017, comm. 49,
note Maria I. ; Defrénois 28 févr. 2017, n° 125u1, p. 245, note Batteur A. ;
Defrénois 12 oct. 2017, n° 129s3, p. 28, obs. Combret J. ; JCP G 2017, 200,
note Peterka N. ; LPA 7 mars 2017, n° 124n6, p. 12, note Niel P.-L. et Morin M.
; RTD civ. 2017, p. 100, obs. Hauser J. Et spéc. Batteur A., « De quelques
difficultés pratiques du mandat de protection future », LPA 8 sept. 2017, no
129k5, p. 65.
[35] Recomm. CM/Rec (2009) 11, 9 déc. 2009.
[36] Et alinéa 2 pour l’habilitation familiale. De nature contractuelle
pour le mandataire de protection future, selon Raoul-Cormeil G., « L’opposition
d’intérêts : une notion à définir », préc., n° 18. Position à nuancer en
fonction de la source de l’obligation non exécutée.
[37] Raoul-Cormeil G., « L’opposition d’intérêts : une notion à définir
», préc., nos 18 et 22. Et n° 30, souhaitant un principe général.
[38] Surtout pour les personnes morales, en droit des sociétés.
[39] Raoul-Cormeil G., « L’opposition d’intérêts : une notion à définir
», préc., n° 20.
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