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La propriété en droit comparé

Il n’est pas facile de comparer la propriété  dans les différents systèmes de droits. Il est peu de notion qui soit si rattachée à un système. Comment comparer la conception du droit de propriété absolue, individualiste, reconnue dans le droit romain et   exaltée par le code civil, la propriété socialiste basée sur la philosophie marxiste, utilisée pendant  la période communiste dans les pays de l’ Est, que l’on retrouve d’une certaine manière en Chine, la conception anglo américaine du droit de la terre, marquée par l’histoire de l’Angleterre  ayant  conduit à  la féodalité  et au  trust , le waqf musulman inspiré par  l’Islam,  ou la propriété africaine qui voit dans le sol un élément surnaturel. Il n’existe pas une notion universelle de la propriété,  car  la propriété est liée à la civilisation qui la reçoit. C’est pour cela sans doute que la propriété, contrairement à d’autres institutions, juridiques,  circule mal.. Le droit de propriété, malgré certains traits uniformes de la nature humaine ( dont le goût de posséder)  a des racines trop profondément ancrées dans le fondement même des systèmes pour s’adapter dans un autre.

 

 

 Mais en revanche il est exact qu’une notion de propriété , quelle que soit sa conception, sa diversité, son objet, son titulaire, a toujours existé, Certains pensent même que la propriété  aurait été la première institution juridique existante. Portalis  estimait qu’il y a des propriétaires depuis qu’il y  des hommes « et que c’est la propriété qui a fondé les sociétés humaines.

 

Le droit de propriété n’est réglementé que si  l’homme vit en société, clan, famille, territoire, région, Etat…Et l’on trouve là  la justification  aux  deux formes principales  de la propriété.. Propriété  individuelle, propriété  collective. Propriété individuelle pour  seul le plaisir, la liberté, l’utilité de l’homme, d’un homme  ou propriété collective  pour  un bien être commun. Sans doute la réunion des deux formes de propriété est elle nécessaire  La propriété libère l’homme, elle lui confère le bien le plus précieux qui est la  liberté  mais  la propriété  oblige, son exercice est  limité. Cette  obligation semble aujourd’hui reconnu dans un grand nombre de systèmes. La propriété aurait une « fonction  sociale »  reconnue expressément dans certaine constitution ou certaines codifications récentes Et si les mots ne sont pas utilisés, les limitations apportées au droit de propriété dans d’autres systèmes tendent au même résultat.

 

 

 

 

 

 

Analysant essentiellement le droit sur la terre, anthropologues et historiens  ont avancé l’idée que apparu comme un droit collectif ,ce n’est qu’avec le temps  que le droit de propriété serait devenu individuel . L’appropriation du sol aurait été faite par un groupe. On serait passé d’un clan,  à un groupe de voisinage, puis à une propriété de village, qui aurait laissé la place au groupe familial qui se serait effacé au profit de l’individu. Certains ont pu prétendre que ce passage du collectif a l’individuel se retrouverait dans toutes les formes de civilisation. Mais cette théorie  a été fort critiquée et rien ne démontre que le temps aurait permis le passage  du collectif à l’individuel, il semblerait plutôt que les deux formes d’appropriation auraient coexisté. D’autres encore ont pu soutenir que le passage se serait  plutôt fait de l’individuel vers le collectif. Ce serait à nouveau le mouvement actuel.  Il y aurait une socialisation du droit de propriété  allant de pair avec un déclin de l’individualisme. (cependant exalté par les textes relatifs aux droits fondamentaux). Et il faut rappeler que l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme  et du citoyens de 1789 a déclaré  que sont des droits naturels et imprescriptibles «  la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression » .

 

Mais au fond quel que soit la réalité, le comparatiste constate l’existence dans les différents systèmes de droit  d’une forme de propriété individuelle  et d’une forme de propriétés collectives façonnées par l’histoire, la religion, la philosophie, l’économie, retenues dans  les différents systèmes de droit.

 

Le droit de propriété  est un droit prépondérant dans tous les systèmes car il est à la source de l’activité économique qui engendre la richesse, propre  à assurer le bien être individuel  du propriétaire et  le bien être collectif. Le lien entre la propriété et l’activité économique est certain. Mais il y a différentes manières de satisfaire ces buts. Ainsi les systèmes capitalistes  préconisant  la libre entreprise  et l’économie de marché sont fondés sur la conception de la propriété individuelle ( même si celle-ci connaît de nombreuses limitations) et les pays d’économie collective, communistes ou socialistes, retiennent la conception d’une propriété collective ou d’une  propriété étatique,  apte à assurer le bien être général, tout en  reconnaissant souvent une forme de propriété individuelle qui peut être limitée à certains objets. Mais il y a différentes manières d’aborder la propriété dans  les systèmes capitalistes et dans les systèmes socialistes.

 

Mettant fin au système féodal ( que l’Angleterre conservera jusqu’en 1925) le code civil français s’est inspiré du dominium du droit romain : la propriété est le droit de jouir et de  disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois et par les règlements ». Cette formule définit le droit de propriété et reconnaît les restrictions de ce droit.». Elle conduisait à faire de la propriété un droit direct du propriétaire  sur la chose, un droit  réel, le plus complet : un droit absolu, exclusif et perpétuel. L’opposition entre droit réel et droit personnel est une distinction fondamentale du droit des pays romanistes. Le droit réel confère à son titulaire un droit direct sur la chose, il y a un lien entre l’homme et la chose, le droit personnel  ( comme le droit de créance) crée un lien entre deux personnes, le créancier et le débiteur. Cette distinction reçue dans les pays inspirés par le droit romain ne se retrouve pas dans tous le systèmes.  Ainsi la common law  ne connaît pas la notion de droit réel. Il semble en être de même en Chine

 

La conception du droit de propriété était générale et unique, elle était indifférente à la qualité de son titulaire et à  l’objet  sur lequel il porte

 

Le droit de propriété  a évolué depuis le code civil, d’une part il  a étendu son domaine, à tout les nouveaux biens incorporels, on parle même de droit de propriété des créances. D’autre part il a subi des restrictions de plus en plus importantes : l’interventionisme de l’Etat, dans  un but d’intérêt général a apporté de très nombreuses limitations à ce droit, qui, dit-on, s’est publicisé.

 

.Mais la définition de l’article 544 est demeurée. Le droit de propriété est encore un rempart contre les entreprises étatiques.

 

Le code civil allemand ( le BGB), entré en vigueur cent ans après le code français, en 1900 ,a aussi consacré un droit de propriété  individualiste,  soumis seulement à quelques restrictions légales. Les rédacteurs du BGB avaient été indifférents aux critiques de la conception individualiste, formulées par une partie de la doctrine tel Iehring estimant  que la propriété ne comportait pas seulement des droits mais aussi des devoirs et que son exercice ne pouvait se faire qu’en observant certaines limites, les intérêts de la collectivité ne pouvant être méconnus.

 

Ces critiques ne seront entendues que plus tard, en 1919, lors de la république de Weimar.L L’article 3  de la Constitution de Weimar proclamait «  La propriété oblige » Deux obligations pesaient sur le propriétaire, il  devait faire usage de sa propriété si l’intérêt général le demandait et il ne pouvait exercer son droit de propriété que conformément aux intérêts publics.

 

 La constitution allemande actuelle, de 1947, a  fait de la propriété une institution sociale. L’article 14 de cette constitution impose à tout propriétaire d ’exercer son droit conformément à la nature de la chose qui lui appartient en respectant l’intérêt général de la société. Les restrictions au droit de propriété ne sont pas exceptionnelles ou extérieures à la propriété, elles touchent à l’essence de la propriété, elles lui sont inhérentes

 

La propriété  anglaise relève d’une conception individuelle très différente de celle adoptée  dans les pays romanistes. Le système juridique anglais, la common law, n’a pas reçu le droit romain et  la féodalité a marqué profondément le droit de propriété portant sur les terres. L’histoire et la procédure anglaises, à la base de la common  law expliquent la conception actuelle de la propriété. Il n’y a pas une conception unique, les règles relatives à la real property ( portant sur les « immeubles « ) et à la personal property ( portant sur les « meubles » ) sont différentes. Il n’y a donc pas unité de conception. La personal property  est proche de la conception romaine, de la propriété individuelle et exclusive. Et le maintien du principe de la féodalité a conduit, dans le principe, à l’inexistence d’une propriété exclusive sur la terres. Aujourd’hui encore  intellectuellement, toutes les terres d’Angleterre appartiennent à la reine. Il n’est possible que d’avoir un droit sur la terre ( an estate on the land). Le droit de propriété  ne donne pas juridiquement un droit direct et complet sur l’immeuble. Et selon les règles de l’équity, ( autre source de règles de droit à coté de la common law ) applicables dans le trust, il existe concomitamment deux droits sur la terre, le legal estate du trustee  et l’equitable interest du bénéficiaire. Chacune des parties au trust ayant deux droits profondément différents, qui s’exercent en même temps.

 

 Cependant le titulaire d’une droit sur la terre peut avoir  en réalité une maîtrise totale sur son bien. Ce n’est intellectuellement qu’il n’a qu’un droit sur le bien. Concrètement, il jouit d’un droit complet auquel toute idée d’intérêt social est étrangère. La célèbre formule «  My Home is my castle »  illustre bien cet individualisme.  Toutes les restrictions apportées par l’ Etat pour que soient respectées les règles de bon voisinage et le welfare state  sont considérées comme étrangères à la notion même de propriété et nullement inhérentes à sa nature. Ce sont seulement des exceptions au droit de propriété Il n’existe nulle fonction sociale de la propriété en Angleterre, pays où règne le libéralisme. Il s’agit bien de propriété  individuelle, même si le titulaire du droit n’est pas seul à avoir un droit sur la chose, comme en cas de trust

 

 

Une toute autre conception du droit de propriété a été reçue par les pays communistes  ou socialistes, qui a joué un rôle déterminant dans la création des régimes politiques communistes adoptés dans les pays de l’ Europe de l’Est jusqu’au changement récent de régime, mais le passé soviétique se retrouve quelque peu aujourd’hui dans le droit de la Fédération de Russie et sa doctrine  a grandement influencé certains systèmes comme les systèmes chinois ou vietnamien ou de Cuba.

 

 La doctrine communiste était fondée sur la pensée de Marx et Engels selon laquelle le mode de production de la vie matérielle conditionne le progrès de la vie sociale, politique et spirituelle. Ce qui est décisif dans une société c’est son infrastructure économique, l’essentiel était la manière dont étaient appropriés les biens.. D’où l’importance dans le droit soviétique de la propriété dont la conception rejaillissait sur toutes les autres branches du droit. La conception du droit de propriété dans le régime soviétique était très différente de la conception reçue dans les pays d’économie libérale. Il n’y avait pas lieu de faire une distinction entre meuble et immeuble. En application de la théorie marxiste la distinction devait être faite entre biens de production et biens de consommation. Le droit de propriété comprenait l’ensemble des règles ayant trait non seulement à l’appropriation des biens et à leur transfert mais aussi au mode de gestion de ces biens et aux opérations juridiques les concernant.

 

A l’unité du droit de propriété des pays romanistes s’opposait la triple conception de la propriété : la propriété  étatique, la propriété coopérative et la propriété personnelle (cette dernière étant limitée à certains objets obtenus par les revenus du travail) 

 

Aujourd’hui la Constitution de la  Fédération de Russie reconnaît expressément le droit à la propriété privée qui est réglementé dans le code civil de 1994. L’article 8 de la constitution déclare «  Dans la Fédération de Russie sont également reconnues et protégées la propriété privée, d’Etat, municipale,  et les autres formes de propriété et l’article 36 dispose : « Le droit de  propriété  privée est protégé par la loi »

 

Il y a  donc plusieurs formes de propriété, en fonction de son titulaire. L’article 212 édicte ainsi «  Un bien peut être la propriété  des citoyens et des personnes morales ainsi que de la Fédération de Russie, de sujets de la Fédération de Russie et des formations municipales. Ces droits de propriété, quel que soit leur titulaire sont également protégés.

 

La reconnaissance de la propriété privée à conduit à l’abandon de l’ancienne division entre biens de production et de consommation. Le code aujourd’hui distingue entre meubles et immeubles. La propriété privée peut avoir pour objet la terre. Mais le code foncier, adopté seulement en 2001, s’il légalise bien la propriété de la terre, ne la prévoit que sur quelques types de terre, dont sont exclues les propriétés agricoles .

 

Le code civil russe a également maintenu certains anciens droits réels socialistes :  « droit de compétence économique » et de «  gestion opérationnelle, droits relatifs à la gestion de la propriété publique, qui sont considérés comme des droits réels, constituant un démembrement du droit de propriété . Ces droits correspondent à une dissociation de la propriété ( étatique ) des biens et de leur gestion.

 

D’autres droits, inspirés par les anciens droits socialistes donnent une prédominance à la propriété d’Etat ou plus généralement à la propriété collective. C’est le cas de la Chine ou de Vietnam.

 

La Chine s’inspirant du droit soviétique, a spécialement développé  la notion de propriété publique et retenu  la «  propriété individuelle du citoyen », ( celle-ci  limitée dans son objet ( comme l’était la propriété  personnelle en URSS). Mais depuis mars 2004 un amendement à la constitution a déclaré pour la première fois que «  la propriété privée légale du citoyens est inviolable ». Nos éminents amis et juristes chinois nous expliqueront certainement  comment se caractérise le droit de propriété en Chine et les changements éventuels que ce nouveau texte constitutionnel pourra apporter.

 

 

On retrouve d’autres formes de propriétés collectives sous d’autres horizons. Le droit traditionnel africain ( avec évidemment de grandes variétés selon les pays ) ne connaît pas la propriété  privée des terres. La terre a un caractère sacré, magique, religieux. Elle recèle un pouvoir surnaturel qui conduit à des relations mystiques entre la terre, les vivants et les ancêtres morts. Les relations familiales ou claniques, le respect dû aux ancêtres et la croyance en un pouvoir surnaturel de la terre, ont donné au droit de propriété un caractère très particulier. La terre ne peut pas appartenir à une seule personne  elle appartient toujours à un groupe et elle ne peut pas être vendue car les ancêtres pourraient se venger.

 

 

 

On peut aussi constater  l’influence de la religion  de l’Islam sur une forme de propriété reconnu dans le droit  musulman :   Le waqf est une institution selon laquelle la propriété légale de certains biens se trouve remise à Dieu, leurs revenus étant alors affectés au fonctionnement d’une oeuvre pieuse ou d ‘intérêt général ( mosquée, hôpital, Université ) Le waqf serait une préfiguration du trust anglais apparu  six ou sept siècles plus tard.

 

L’étude des  systèmes de droit fait apparaître différentes approches du droit de propriété, mais l’existence dans tout système d’un droit de propriété permet de se demander d’une part si existent  malgré la diversité des caractères fondamentaux du droit de propriété  (I) et d’autre part s’il existe ou peut exister une conception unitaire de la propriété ou si une telle conception ne peut être reçue (II) .

 

 

 

I)   Les caractéristiques de la propriété

 

 

Le droit de propriété  existant dans tous les systèmes de droit, quelle qu’en soit l’approche, on est conduit à se demander d’une part, s’il existe  un caractère commun fondamental propre à cette institution. Et d’autre part quel rôle joue la propriété, quelle est sa fonction ?,  Doit-elle seulement servir les intérêts exclusifs de son propriétaire ?

 

 

 

A)  Le caractère exclusif de la chose.

 

 

 

Dans les droit occidentaux romanistes, la propriété contient le droit de jouir, d’user et de disposer de la chose. Cependant le caractère dominant du droit de propriété semble être son exclusivité. Le propriétaire, personne physique ou personne morale est seul maître  de son bien, il peut s’opposer à toute ingérence des tiers. L’exclusivité n’est pas mentionnée dans le texte de l’article 544 du code  civil, mais  elle était contenue dans  le vocabulaire  lui-même : le mot «  « propriétas » du droit romain du bas empire suggère l’idée d’une appartenance de la chose à un personne excluant de la chose toute autre personne, l’idée de propre ((propriétas) étant l’antithèse de commun. L’exclusivité serait donc le critère de l’opposition entre propriété privée et propriété collective, cette dernière contenant l’idée d’une appartenance commune.  La notion d’exclusivité  justifie donc la distinction entre propriété privée et propriété collective

 

 

L’exclusivité caractérise la conception individualiste de la propriété », elle  semble le meilleur rempart contre les différentes interventions extérieures qui pourrait survenir, et remettre en cause la maîtrise du titulaire du droit sur le bien.  Toute la théorie des droits subjectifs ( qui n’est pas reconnue dans tous les systèmes de droit ) mais admise dans les droits romanistes  a été élaborée en songeant certainement  (certain auteurs pensent même exclusivement)  au droit de  propriété  et les objets sur lesquels porte  ce droit subjectif n’a cessé de  s’étendre, propriété  des personnes sur leur nom, sur leur image,  sur leur corps , sur les créations intellectuelles «  Toutes les branches du droit veulent avoir leur propriété car celle-ci est le symbole de la protection juridique absolue «  (Christian Atias). L’exclusivité fait la force du droit de propriété.

 

 

L’exclusivité  est amoindrie dans l’indivision et est exclue des formes de propriété collective. Si plusieurs personnes sont ensemble propriétaires, elles partagent  les attributs de la propriété, et le problème est alors celui de la gestion du bien qui exigera soit l’unanimité soit le plus souvent la majorité.

 

Les sociétés ( commerciales ou civiles)  peuvent poser des problèmes car elles ont un patrimoine collectif  (ou indivis). Même si l’on veut considérer la personne morale comme ayant les mêmes droits qu’une personne physique, il y a concrètement des différences, aussi certains droits ont-ils  élaboré une forme distincte de propriété communautaire ( te l’Allemagne),. mais il faut de toute manière organiser la gestion des sociétés pour exploiter le patrimoine social.

 

Dans les pays qui reconnaissent la prédominance de la propriété étatique, ou collective, la gestion des biens, des entreprises publiques sera assurée par une autre entreprise publique, ou une entreprise privée voire même par une personne physique. Mais il ne peut s’agir que de l’organisation de la gestion de la société. La personne ou l’entité  gestionnaire ne peut être  titulaire d’un quelconque droit de propriété, elle sera liée par un contrat au propriétaire et exploitera le bien du propriétaire en fonction de l’objet social tel qu’il aura été déterminé. Il ne s’agit là ni de propriété ni de droit exclusif de propriété. Seulement d’un droit d’usage et d’exploitation particulier.

 

Si concrètement, ce droit d’usage et d’exploitation, peut être rapproché du droit de propriété,  juridiquement; la situation est différente, car le droit d’usage contrairement au droit de propriété  peut être précaire, il n’est pas perpétuel et ne donne pas la plénitude de droit qui existe dans le droit de propriété. 

 

Si l’exclusivité du droit de propriété  privée parait être  dans les systèmes romanistes, le caractère fondamental des systèmes de droit romaniste, il n’en est pas de même en droit anglais, système de droit, où cependant la propriété privée est fortement défendue, plus même qu’en France. L’existence de deux corps de règles de droit différents, la common law et l’équity ont conduit à reconnaître des formes d’appropriation, selon la common law et selon l’équity. Il  n’existe pas en droit anglais de forme de propriété «  absolue » . Des fragments de propriété ( le mot démembrement ne paraît pas approprié car il n’y pas de propriété absolue et donc pas réellement de démembrement d’un droit complet) coexistent sur un même bien ou se succèdent dans le temps sur une même chose ; ces différents éléments de propriété pouvant un jour se réunir pour former la  propriété la plus complète possible, qui ne sera  cependant jamais sur la terre qu’un droit sur la chose ( le fee simple). Le trust  est le plus illustre exemple  de l’existence de droits différents, en common law et en equity. Un même bien peut donc  servir de support à  de nombreux droits, différents, qui sont concomitants et qui peuvent ne donner lieu à la possession ( et donc à la maîtrise de la chose) que de manière échelonnées dans le temps.  Un bien représentant en Angleterre une valeur peut être  plus utile s’il sert divers intérêts plutôt qu’un seul.

 

La conception de la propriété n’étant  pas absolutiste, le droit anglais a pu imaginer un grand nombre de droits ou d’intérêts, Ces droits « riches en choses incorporelles (puisqu’il n’existe que des droits sur la terre) a pu favoriser une forme de désincarnation de l’objet , le droit anglais a pu développer des formes d’emprise appropriées à la richesse ( quelle qu’elle soit). La notion de chose en common law est détachée de la notion de biens corporels. Le droit anglais considère comme des choses tout élément patrimonial ayant une valeur marchande ou une utilité pratique ; ainsi les créances, les droits viagers, les obligations et les actions. sont considérés comme des choses qui subissent le même sort que n’importe quel autre objet de propriété.. La notion de valeur transcende la nature concrète ou incorporelle du bien.

 

 Le trust, par sa structure et sa souplesse permet de répondre aux problèmes économiques d’aujourd’hui.. Il est à la base des montages juridiques industriels, financiers ou patrimoniaux actuels.

 

. En revanche, la souplesse des notions conduit à des frontières imprécises entre des catégories juridiquement fermement établies dans les pays romanistes. En Angleterre les frontières entre droit réel et droit de créance sont fort imprécises. Il en est de même entre le droit des biens et le droit des obligations.

 

 

L’exclusivité n’est donc pas un caractère universel du droit de propriété, elle existe dans certains systèmes, d’autre ne la reçoivent pas Elle n’existe pas pour les propriétés collectives, puisque par hypothèse il n’y a pas un propriétaire unique, l’exclusivité pourrait être celle peut être de gestion mais non pas de propriété.

 

Mais quels que soient les caractères de la propriété  son but n’est-il pas de satisfaire les intérêts du propriétaire ? Quelle est la véritable destination du droit de propriété ?

 

 

B) L’utilité de la propriété.

 

La propriété doit elle seulement servir les besoins de son titulaire, peut-il exister une conception égoïste de la propriété ? La réponse semble négative. Aucun système n’ a pu reconnaître que le droit de propriété était sans limites. Tout en reconnaissant le caractère absolu de la propriété, le code  civil , admettait qu’ il ne pouvait en être fait un usage prohibé par les lois et  par les règlements. Il était prévu des restrictions à ce droit. Le  code civil, comme le BGB réglementait ainsi expressément des limitations concernant le voisinage, mais bien d’autres restrictions au fur et à mesure du temps ont été imposées par les lois et les règlements.  Toutes les dispositions relatives à l’urbanisme, aux lotissements, aux alignements, à l’environnement, qui existent aujourd’hui dans  les pays sont autant de restrictions au libre exercice du droit de propriété.

 

Mais l’idée de restriction imposée par l’intérêt d’autrui ou un intérêt public ou général, ne modifiait en rien l’idée d’un droit de propriété privée, absolu, donnant une plénitude de droit à son titulaire. Seulement, comme tout droit, on ne pouvait en abuser. Et l’intérêt général, l’ordre public a toujours justifié des dispositions restreignant le droit des particuliers.  Mais avec l’évolution du temps et des idées, il est apparu une notion nouvelle de la propriété. Celle-ci devait avoir une « fonction sociale ». L’idée est ancienne Il y a  toujours eu des réactions contre une propriété individualiste . Le propriétaire n’a pas que des droits il a aussi des devoirs

 

La  fonction sociale de la propriété signifie que la propriété n’est plus considérée comme un droit absolu, illimité. Le propriétaire a l’obligation  d’exercer son droit d’une manière qui ne soit pas préjudiciable à la société, ou même d’une manière qui s’harmonise avec les intérêts de la société, ou qui favorise de tels intérêts. Mais  la propriété même ayant une fonction sociale, demeure un droit réel subjectif. Elle confère à son titulaire un pouvoir individuel lui laissant toute libre initiative sur le bien, objet du droit de propriété  Seulement la propriété a un double aspect, alliant le pouvoir individuel à l’obligation sociale.

 

La fonction sociale est reconnue expressément dans la constitution ou le code civil de certains Etats. Tels l’ Italie ou le Brésil.

 

Le code italien de  1942, influencé par la Constitution de  Weimar, a abandonné la conception individualiste du droit de propriété qu’elle avait adopté influencée par le code civil français. A la fin du XIX° siècle les organisations syndicales, les groupements, associations, ont imposé le respect de leurs intérêts collectifs. Leurs poids l’a emporté sur les tenants de la propriété privée romaine. Il fallait tenter de résoudre les problèmes sociaux. Le changement apporté dans le code de 1942  est profond. Le code ne se contente pas de tenir compte des restrictions imposées mais a accordé à l’élément social un rang fondamental. Les restrictions de la propriété ne sont plus «  accidentelles » limitant un droit subjectif de par sa nature «  absolu » et en principe «  intangible ». Elles sont dorénavant inhérentes à la notion même de propriété, ayant leurs sources et leur fondement dans l’élément social qui est partie intégrante de la notion même de propriété. Il est imposé au propriétaire d’utiliser leurs biens selon leur fonction économique et les exigences de la production nationale. Le code civil s’est donc écarté du caractère absolu de la propriété  en affirmant le caractère social de la propriété privée.

 

Le droit italien ne  prive cependant  pas son titulaire d’un pouvoir exclusif sur la chose , il demeure une propriété individuelle mais sans doute plus une propriété individualiste.

 

Le tout récent code brésilien ( il date de 2002) en conformité avec la Constitution de 195-88 a  également reconnu la fonction sociale de la propriété, marquant ainsi la supériorité des intérêts publics sur les intérêts privés. La Constitution  reconnaît expressément, de manière générale, cette fonction sociale qui conditionne tout le droit de propriété et affirme le lien entre la propriété  privée et sa fonction sociale comme principe d’un ordre économique.

 

En application des textes constitutionnels, le  nouveau  code civil prescrit que le droit de propriété té  doit être exercé en conformité avec ses finalités économiques et sociales  de «    manière à préserver la faune, les fleurs les beautés naturelles , l’équilibre écologique et le patrimoine historique et artistique, à éviter la pollution de l’air  et des eaux ».

 

 

Le code civil a  ainsi prévu certaines règles nouvelles pour satisfaire à cette fonction sociale. Le Brésil connaît un problème grave de populations pauvres et inactives confrontées à l’existence de très importantes exploitations agricoles. Il y a un mouvement  des «  gens sans terre » qui voudraient une meilleure répartition des sols agricoles. Le code civil pour tenter d’établir un certain équilibre entre ces intérêts antagonistes, a prévu des délai brefs de prescription acquisitive. Ainsi les personnes qui occupent pendant 5 ans des terres improductives, soit pour les cultiver, soit pour y habiter, en deviennent propriétaires. De même le code civil a autorisé une forme d’expropriation indirecte, par la simple occupation d’immeubles, un  prix fixé par l’autorité judiciaire devant être versé au propriétaire à posteriori. Une simple situation de fait peut donc justifier l’expropriation. Il existe donc aujourd’hui au Brésil, à coté de la possession-occupation traditionnelle, une possession-travail basée sur l’intérêt social.

 

Mais la fonction sociale de la propriété  est une notion indéterminée, qui devra être appréciée en fonction d’éléments qui pourront varier avec le temps, dans l’espace et en fonction de la culture.

 

Cette notion imprécise et floue devra être laissée à l’appréciation du juge. Et là est le danger, (que l’on retrouve au Brésil aussi pour le contrat, car le nouveau code civil affirme également la fonction sociale du contrat.)  Qu’est réellement la fonction sociale du droit de propriété ? Les interrogations sont grandes parmi  une partie de la doctrine  qui  se demande si les juges brésiliens sont aujourd’hui aptes, à donner une interprétation équilibrée de cette notion floue.   

 

 

Dans la propriété étatique ou collective, c’est  l’intérêt général, l’intérêt de la collectivité qui est recherchée. L’intérêt des individus est résiduel, il ne peut de toute manière que provenir de la réalisation de l’intérêt public. Si celui-ci est satisfait, indirectement les intérêts individuels le seront également.  L’exercice de la propriété publique ne néglige donc pas l’intérêt de chacun, mais il poursuit  un intérêt supérieur.

 

Il semble donc qu’aujourd’hui dans les différents systèmes de droit , quelle que soit la manière dont cela est réalisé, il y a un volonté de recherche d’un équilibre entre l’intérêt collectif et l’intérêt individuel.

 

Il coexiste dans les différents systèmes juridiques des zones de propriété privée et des zone de propriété publique, ou collective, selon la philosophie ou l’analyse économique dominante, ces zones sont plus ou moins importantes, ou déterminantes dans la conception du droit de propriété.  Mais dans tous les systèmes  quelle qu’en soit la manière ( et quelle qu’en soit la réussite concrète), c’est le bien être social de tous qui est recherché.

 

Mais pour assurer cette utilité  individuelle ou collective du droit de propriété  les différents systèmes connaissent-ils une conception unitaire ou pluraliste du droit de propriété ?

 

 

 

 

II ) Unité ou pluralité de la notion de propriété ?

 

Le code civil français a entendu  consacrer une notion unique du droit de propriété, Le droit français a mis l’accent sur le droit lui-même,  le droit de propriété serait identique quel que soit le bien (ou les biens) objet du droit de propriété ( meuble ou immeuble), ou quel que soit le titulaire de ce bien ( personne physique, ou personne morale) 
Il faut évidemment mettre à part les biens publics appartenant à une personne publique (comme l’Etat ou des collectivités publiques), ces biens indispensables à l’exécution de missions de services publics ou d’intérêt public ressortissant d’un régime particulier, exorbitant du droit commun. Des règles spéciales existent relativement à leur incorporation dan le domaine public, leur utilisation, leur protection ( ils sont inaliénables et imprescriptibles ). Propriété publique et propriété sont distinctes  Mais   l’Etat ou des collectivités publiques peuvent avoir des biens qui font partie de leur domaine privé ,et ces biens, avec quelques nuances, suivent alors le régime de la propriété privée, et rentrent dans le droit commun du droit des biens.

 

 

A) Les biens objet du droit de propriété

 

 

Le bien sur quel porte le droit de propriété  a t-il une incidence sur la conception de la  propriété ?.

 

La distinction romaine et classique de meubles et immeubles n’a dans le principe aucune influence sur la conception du droit de propriété. Les règles sont les mêmes qu’il s’agisse de la propriété d’un bijou, de  parts sociales, ou d’un immeuble. La maîtrise de la chose, le lien direct entre la chose et le titulaire demeure, même s’il faut bien reconnaître que l’apparition  et l’abondance aujourd’hui des biens incorporels rendent assez périlleuse l’affirmation de l’unité de la notion.. Néanmoins, la protection par le droit de propriété privée est encore si bien assuré ( malgré toutes les restrictions) que l’on tente de reconnaître un droit de propriété sur ces nouveaux biens, ignorés au XIX° siècle et qui souvent cadrent mal avec la conception du droit de propriété essentiellement élaborée pour des meubles corporels.

 

Malgré la reconnaissance d’un droit de propriété, à l’origine unitaire, le code civil ne prenant pas en compte la nature ni l’origine des biens, il semble aujourd’hui que la chose sur lequel porte le droit de propriété ait une influence sur la situation juridique de son titulaire. Les auteurs les plus autorisés estiment qu’il n’y aurait pas une propriété, mais des propriété dont certaines pourraient plus facilement être restreintes  par l’Etat. Il y aurait un droit de propriété différent sur les immeubles d’habitation, ou sur les terres agricoles ou sur l’entreprise. De tels biens, ayant un rôle particulier, assurer le droit au logement de tout individu, permettre la rationalisation des cultures, assurer la production des richesses justifieraient des règles particulières, des restriction spécifiques qui changeraient la nature même du droit de propriété unitaire tel que résultant du code civil. Il y aurait pour certains biens une remise en cause des « attributs classiques du droit de propriété. La notion ne serait plus unitaire.

 

Les auteurs remarquent que seul un droit commun des biens a été établi, mais aujourd’hui il devrait aussi exister un droit des biens spéciaux ( comme il existe dans le code à côté du droit commun des contrats, un droit des contrats spéciaux). Cette réflexion sur le droit français vaut pour l’ensemble des pays romanistes qui ont été influencés par la conception française de la propriété

 

En revanche le droit anglais (nous l’avons dit) n’ a jamais eu une conception unitaire du droit de propriété. L’histoire a conduit au développement de manière différente  et séparée de la real property, le droit sur les terres, développée selon les règles de la féodalité,, et les règles relatives à la personal property ( tous les autres bien )  élaborées sous un aspect économique, commercial. L’esprit des deux formes de propriété, la manière de les considérer, la transmission des biens sur lesquels ils portent, sont profondément différents. Il n’y a jamais eu un droit unitaire de la propriété en Angleterre.

 

Il en est de même  dans les régimes socialistes où la propriété d Etat, la propriété collective et la propriété personnelle ( ou individuelle) suivent des règles différentes. Mais le  régime spécifique, et donc non unitaire, reconnu dans ces différentes formes de propriété tient il  réellement aux biens sur lesquels porte la propriété ? N’est ce pas plutôt le titulaire du droit qui conduit à l’adoption d’un régime différent de propriété ?

 

La conception de la propriété peut elle être alors dépendante de son titulaire ?B) le titulaire du droit de propriété.

 

Nous avons évoqué dans l’introduction les différentes  manières dont a été dans le temps et dans l’espace reconnu un droit de propriété, et nous avons vu qu’un grand nombre de titulaire peuvent avoir des droits particuliers, Dieu, le Roi, l’ Etat, des collectivités, des personnes morales,( publiques ou privées)  des groupes, clans, lignages, familles, des personnes privées. Une même conception du droit de propriété peut elle donc réellement exister ?

 

Même si une conception unitaire a été recherchée pour la propriété privée et c’est le cas de la France , il y a toujours la différence entre la propriété publique et la propriété privée. Le rôle des biens appartenant à l’Etat  des biens appartenant à des personnes privées, ne peut être le même.  Il existe donc des régimes différents  dans tous les systèmes selon le titulaire du droit de propriété.

 

Même en France où  un droit de propriété privé unitaire a été recherché, on peut voir se profiler des intérêts  conduisant à des règles spécifiques. Même si le droit des successions en France a toujours proclamé l’indifférence des titulaires, et l’indifférence des biens meubles ou immeubles et quelle que soit leur origine, le législateur a imposé une « réserve héréditaire » au profit de certains héritiers, essentiellement les enfants du défunt. N’est-ce pas reconnaître là un statut particulier, en fonction du titulaire du droit de propriété, qui, membre d’une famille, doit être privilégié.  La réserve n’existe pas dans tous les pays. Le droit anglais ne connaît pas la réserve. Il est possible de léguer librement ses biens à sa morts.

 

Dans les pays musulmans, la femme hérite de la moitié de la part dont hérite  un homme. Ici encore le titulaire du bien a un effet sur les règles relatives à la propriété, à sa transmission.

 

Le  problème peut se poser aussi pour les personnes morales. Le droit de propriété portant sur le patrimoine social est-il exactement le même que celui qu’un particulier a sur son propre patrimoine. Il semble qu’intellectuellement la réponse soit affirmative. Mais concrètement les règles sont différentes 

 

 

 

 

Conclusion :

 

La comparaison des différents systèmes de droit démontre leur richesse.. Le comparatiste est toujours émerveillé par l’imagination  et la diversité  de la pensée qui appliquées au droit de propriété a conduit à la recherche d’un équilibre entre les intérêts individuels et des intérêts communs. La comparaison  témoigne de la force et de la vitalité de la propriété institution phare, destinée à assurer le bien être des hommes et leur liberté.

 


 

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