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L’approche française de la propriété industrielle

Arnaud Raynouard Professeur à l’Université des Sciences sociales Toulouse 1



La planète est saisie aujourd’hui par le démon de la propriété intellectuelle, disait, il y a peu de temps, un auteur français.

Il est vrai que, plus spécialement, la propriété industrielle a pris au cours des dernières décennies un essor considérable.

La mondialisation de l’économie y est pour beaucoup, ainsi que le caractère technicien de nos civilisations pour reprendre le terme d’un livre de Jacques Ellul.

Dans des sociétés industrielles ou dans les sociétés dites « de l’information » (c’est-à-dire post-industrielle), le rôle de la technologie est un moteur essentiel de la croissance économique.

Du coup, l’innovation technique sous toutes ses formes occupe une place prééminente, la richesse des nations se trouvant désormais beaucoup plus dans les informations, les savoirs et les connaissances que dans le seul travail physique de la terre.

=> c’est le développement des brevets, de la protection du secret et du savoir-faire, des nouvelles espèces végétales, de la topographie des semi-conducteurs et des dessins et modèles

En même temps, l’essor des industries de services, la diversification des productions et l’âpreté de la concurrence conduisent à une plus grande volatilité des clientèles.

D’où alors la recherche, par les acteurs économiques, d’une identification et d’une authentification de leurs produits aux travers de divers signes de reconnaissance, aux travers de signes distinctifs.

=> c’est le développement du droit des marques, la protection du nom commercial, de la dénomination sociale et de l’enseigne, des labels, des indications de provenance géographique et des appellations d’origine, voir du nom de domaine.

Ce n’est pas un hasard si les Américains sont devenus, il y a quelques années, les ardents défenseurs des propriétés intellectuelles sous toutes leurs formes ; et si l’Union européenne en a fait de même. Ce n’est pas un hasard non plus si les gouvernements placent les propriétés industrielles au cœur des politiques publiques économiques.

Qu’en est-il de l’approche française de la propriété industrielle ? J’essayerais de donner une piste de réponse au travers de deux observations.

 

1ère observation.  La propriété industrielle sort à peine de l’enfance puisqu’elle n’est pleinement apparue qu’au moment des révolutions (1624 et 1710 en Angleterre ; 1787 aux Etats-Unis, 1791 en France), en dépit de prémices dans l’Antiquité et au Moyen-Age (cite de Sybaris en Sicile en 510 avant l’ère chrétienne, droit de marque en Mésopotamie, droit de brevet avec la loi vénitienne de 1474).

Surtout, la propriété industrielle est née sous le signe de l’internationalité. Les grandes conventions internationales datent de la fin du XIXè siècle (Me Triet en parlera après). Avant cela les droits nationaux seuls réglaient la question … mais ils ne différaient pas fondamentalement les uns des autres, lorsqu’ils avaient une telle législation.

Les propriétés industrielles s’envisagent naturellement dans une dimension internationale qui oblige les nations aux intérêts identiques ou de même nature à  défendre grosso modo la rentabilité des investissements et à rechercher des solutions communes.

La pratique aussi amène des rapprochements entre des systèmes que l’on dit, parfois avec violence, opposés : les droits d’auteur et le copyright par exemple, approche française contre approche américaine.

Du coup le constat est imparable : il n’y a pas de spécificité essentielle de l’approche française aujourd’hui.

 

2nde observation. Le lien entre la propriété industrielle et l’économique est une idée très simple et très pertinente. Mais il est argué aujourd’hui d’une expansion excessive de ces propriétés.

Un exemple dérisoire : le professeur Rule (Princeton, USA) suggérait il y a peu l’instauration d’un droit au nom au terme duquel chaque fois qu’une société privée emploierait le nom d’une personne, il devrait verser une redevance.

La question se pose de savoir, selon certains auteurs, si la propriété intellectuelle est ou n’est pas naturelle. Le débat n’est pas inintéressant, j’y reviendrai pour la propriété industrielle. Mais à ce stade, je dirais que les sociétés choisissent leur propriété –ce n’est pas une donnée de nature- et la propriété reconnue est très largement tributaire de l’état économique de la société.

Du coup, la véritable question est de savoir si les options adoptées sont justifiées. Précisément, sur ce point, l’ascension irrésistible de la propriété industrielle est liée à la mondialisation, elle-même placée sous le signe d’un certain libéralisme.

Mais alors, on doit constater que les options faites nationalement d’une forme de propriété industrielle sont moins une question de choix critique, que l’adoption du système qui prévaut (à tort ou à raison) ; l’efficacité prime. L’approche française, là encore, ne peut pas être très différente des autres.

Il y a peut-être une approche française dans la façon d’exposer, dans la façon de présenter les propriétés industrielles : j’essayerai de le faire en deux temps. Qu’est ce que la propriété industrielle (1) et quelle est sa justification pratique (2). Définition et intérêt, donc.

 

1. Définition de la propriété industrielle.

Il y a deux portes d’entrée possible : définir la propriété industrielle par son objet ou par sa nature ; je vous propose d’emprunter, rapidement, les deux.

 

1.1. Définition par l’objet

Il s’agit ici d’énumérer les différents droits qui constituent la propriété industrielle.

Commençons par poser une définition doctrinale : la propriété industrielle est « l’ensemble des droits destinés à la protection des créations de nature industrielle ou de signes distinctifs à vocation industrielle et commerciale, et énoncés par la loi de façon limitative » (J.-C. Galloux). Les droits de propriété intellectuelle ne sont, en effet, pas librement créés, pour des raisons évidentes de sécurité et de prévisibilité juridique.

La propriété industrielle est constituée des :

- brevets d’invention,

- modèles d’utilité,

- dessins et modèles industriels,

- marques de fabrique ou de commerce,

- marques de service,

- nom commercial,

- indications de provenance ou appellations d’origine,

- certificat d’obtention végétale,

- topographies des semi-conducteur.

On y adjoint également la concurrence déloyale, bien qu’il s’agisse d’une action en responsabilité civile et non d’une propriété (mais il est vrai que cette action sanctionne … une propriété !).

Ce qui distingue la propriété industrielle de la propriété intellectuelle est la nature industrielle de la création. La propriété littéraire et artistique protège en effet des œuvres dont la nature est avant tout esthétique et n’a pas vocation à une utilisation technique ou industrielle.

Cela étant, s’il existe deux régimes juridiques distincts, les deux propriétés ont la même charpente : ce sont les deux faces des propriétés intellectuelles.

Une remarque s’impose : la ligne de partage est plus facile à énoncer qu’à mettre en pratique.

Certains droits sont rattachés à un régime de manière artificielle : c’est le cas de la protection des bases de données qui n’est ni un droit d’auteur, ni un droit voisin, mais qui est pourtant rattaché à la propriété artistique et littéraire ;

d’autres oscillent entre les deux : c’est le cas du logiciel, non brevetable jusqu’à présent, et rattaché à la propriété littéraire et artistique, alors que si le logiciel est bien une œuvre de langage, sa nature ou sa vocation sont plus technique qu’esthétique ;

d’autres, enfin, cumulent les deux : les dessins et modèles industriels, propriété industrielle, peuvent également bénéficier du droit d’auteur.

 

Deux observations supplémentaires sur l’objet de la propriété industrielle :

 

1ère observation. Certains droits ne sont pas visés par la nomenclature française de la propriété industrielle : c’est le cas des découvertes scientifiques qui ne bénéficient pas d’une protection privative en France ayant été exclu du champ de la brevetabilité (du coup, il vaut mieux être technicien qu’inventeur !).

Par ailleurs, il existe des droits qui semblent progresser vers le statut de propriété industrielle : droit d’obtention animale, droit protégeant les savoirs traditionnels des populations autochtones, le nom de domaine.

Certains droits comportant un monopole d’exploitation d’éléments incorporels, établis par la loi mais non qualifiés de propriété industrielle, font hésiter sur leur qualification : le droit des organisateurs d’événements sportifs sur les retransmissions, l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament, pour prendre deux ex. Ces droits ont bel et bien été conçu pour pallier l’absence de protection juridique des investissements importants nécessaires dans ces hypothèses alors que le bien qui en résulte est incorporel.

 

2nde observation. Utilisant la propriété de droit commun, l’article 544 du code civil, la jurisprudence a pu reconnaître un droit de réservation portant sur l’image de son bien au propriétaire du bien (mais la Cour de cassation a brutalement, et à tort selon moi, mis fin à cette jurisprudence en mai 2004). Par ailleurs, en conférant au droit à l’image d’une personne des prérogatives patrimoniales, la jurisprudence tire toutes les conséquences de la notion de propriété et de son étroite parenté avec la propriété intellectuelle.

 

1.2. Définition par la nature.

Qualifier un droit par son objet (ce que l’on vient de faire), a été critiqué parce que cela revient en réalité à énoncer seulement les caractéristiques du droit, et non le définir lui-même. Je serais relativement bref ici car proposer une définition de la propriété industrielle selon sa nature revient à ouvrir le portail d’un temple chinois sur une controverse non éteinte qui s’énonce ainsi : la propriété industrielle est-elle une propriété ?

La doctrine est divisée :

- Pour certains, la propriété industrielle ne peut pas être la propriété de l’article 544 du code civil car elle porte sur un objet incorporel, elle est temporaire et les pouvoirs conférés sont limités par la loi. La propriété industrielle est donc un monopole temporaire établis par la loi avec un objet strictement défini.

- Pour d’autres, la propriété industrielle constitue une forme de droit de clientèle car elle n’a d’intérêt qu’au regard de la concurrence, afin de garantir la conquête d’une clientèle.

Il me semble que la réponse est pourtant simple : la propriété industrielle est une propriété (l’article 544 pose le principe d’un droit de jouir et de disposer « pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ») qui bénéficie d’un régime spécifique. Cela est conforme à ce que j’ai indiqué précédemment à propos des biens incorporels !

D’ailleurs, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 18 décembre 2000 comporte un article 17 consacrée à la propriété qui vise … la propriété intellectuelle !

Sans doute, la propriété industrielle comporte-t-elle deux traits caractéristiques :

1er trait caractéristique. C’est une propriété qui porte sur des informations techniques ou des signes distinctifs.

L’information dont il s’agit ici est identifier en raison de sa valeur économique, justifiant un droit privatif.

Sans doute l’information n’est-elle pas appropriable en elle-même de manière générale ; il appartient donc à l’Etat de reconnaître ces propriétés et des les organiser : l’inconvénient pratique et théorique d’un droit général sur l’information fait que ce sont des droits spécifiques qui sont créées au fur et à mesure des nécessités économiques et sociales.

2nd trait caractéristique. La propriété industrielle est organisée par l’Etat. La propriété industrielle ne naît que du respect d’un formalisme constitutif (en France, c’est le rôle que joue l’INPI, Institut national de la propriété industrielle,

Cela distingue la propriété industrielle des droits de propriété littéraire et artistique qui naissent du seul fait de leur création sans formalisme spécifique.

Encore faut-il observer que cela n’exclu pas l’intervention des milieux professionnels concernés, bien au contraire, ici le principe de la co-régulation, impliquant la collaboration étroite de l’Etat et des professionnels, joue pleinement.

 

2. Intérêts de la propriété industrielle.

Un constat pour commencer : la propriété industrielle (mais cela est vrai de la propriété intellectuelle en général, voir de la propriété tout court) ne se justifie pleinement que dans le cadre d’une économie de marché libérale, de type capitaliste.

En effet, cette propriété stimule l’innovation en garantissant la rentabilité des investissements, d’une part, et attire la clientèle dans un monde de concurrence, d’autre part.

Il existe pourtant des courants de pensées opposés aux propriétés industrielles, pour des raisons dogmatiques (ce sont les écoles de pensée économiques néo-marxistes et certaines écoles néo-libérales). Ces discussions en sont pas exclusivement théoriques car elles servent à fonder les tendances internationales, ce qui peut influencer la jurisorudence, et c’est surtout à partir de ces analyses économiques que sont élaborés les politiques publiques économiques et le cadre réglementaire. Je vous propose d’envisager donc les arguments en faveur et les arguments en défaveur de la propriété industrielle.

 

2.1. Arguments en faveur.

On peut en citer trois.

En premier lieu, les droits de propriété industrielle sont des instruments juridiques.

Pour un acteur économique, la propriété industrielle a l’intérêt de lui conférer un monopole d’exploitation, donc un droit exclusif.

Cette exclusivité se mesure par l’efficacité des actions et des sanctions qui permettent de défendre ce droit exclusif : l’action en contrefaçon.

Une remarque, évidente sans doute, mais qu’il faut rappeler : ce ne sont pas les textes relatifs à la contrefaçon qui sont importants, mais la possibilité de les mettre en œuvre !

Si on regarde les statistiques des saisies et des retenues en douanes de produits contrefaisants (augmentation de 900 % aux frontières de l’Union européenne entre 1999 et 2003 !), on saisi la nécessité et l’efficacité de cet instrument juridique.

En second lieu, les droits de propriété industrielle sont des armes industrielles et économiques.

L’arme peut être défensive, car un brevet, par ex., permet de barrer la route à des concurrents : soit ils doivent changer leur stratégie, soit ils doivent obtenir une licence d’exploitation. Autre ex., d’utilisation défensive, la marque sert à identifier non seulement un produit mais également sa qualité.

Mais l’arme est aussi offensive. Un brevet, par ex., permet d’entrer dans un nouveau marché ou de consolider sa position, c’est une monnaie d’échange. La marque permet une meilleure différenciation (lisibilité) des produits auprès des consommateurs et elle assure une fonction publicitaire.

Enfin, en troisième lieu, la propriété industrielle est un véhicule technologique. Cela est notamment vrai pour les brevets d’invention qui sont publiés, et donc aisément accessibles.

Du coup, favorisant l’innovation, la propriété industrielle réalise un progrès économique (et un avantage pour le consommateur).

 

2.2. Arguments en défaveur.

Mais, adorés par certains, la propriété industrielle est maudite par d’autres. On peut isoler deux types de contestation, celles qui partent de l’économie de marché organisé autour de la concurrence, celles qui sont beaucoup plus radicales.

 

2.2.1. La contestation au nom de la concurrence.

L’idée centrale est simple : le droit de la concurrence vise à supprimer tous les obstacles à la libre concurrence, celle-ci assurant la pleine efficacité à moindre coût du marché (optimum de Pareto).

Dès lors, la propriété industrielle, parce qu’elle confère un monopole d’exploitation qui peut dès lors, non seulement être juridique, mais également de nature économique (ce n’est pas systématique, mais cela suffit pour que dans certains pays, la titularité d’un brevet entraîne une présomption de puissance économique).

En outre, la propriété industrielle doit être articulée avec le principe de la libre circulation des biens (principe européen) ; d’où la doctrine de l’épuisement des droits qui permet de considérer qu’une fois mis sur le marché de manière licite, un bien objet d’une propriété industriel circule librement.

 

2.2.2. La contestation radicale

La propriété industrielle a fait l’objet d’attaques plus systématiques venant d’au moins deux directions opposées.

En premier lieu, l’Ecole de Chicago (pensée économique néo-libérale) considère que le principe même de la propriété industrielle est anti-économique. En effet, elle crée des distorsions sur le marché, accroît l’asymétrie de l’information disponible entre les intervenants.

En second lieu, une école de pensée (un mouvement plutôt) issu d’une idéologie constestataire de la mondialisation considère que la propriété industrielle est nocive en ce sens qu’elle accroît le déséquilibre Nord-Sud. Selon ces auteurs, il faut redéfinir l’ordre économique mondial en limitant les droits de propriété industrielle au bénéfice d’un meilleur partage des richesses.

Mais le nombre élevé des brevets et des droits de marque ainsi que l’activité contentieuse qui les entoure, indique que ces critiques, légitimement discutables et discutées, n’atteignent en rien le pouvoir attractif et l’utilité des propriétés industrielles pour les professionnels.

***

 

En guise de conclusion, j’insisterai simplement sur un double constat :

Si la propriété industrielle est une propriété au sens banal, elle dispose d’un régime spécifique tenant compte de l’état de développement des pays concernés.

De sorte que c’est un domaine en mutation constante, dont l’efficacité dépend des structures juridiques et judiciaires du pays concerné

 


 

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