1. Un créancier, par exemple, un prêteur de deniers, ou un vendeur qui fait crédit à l'acheteur, est exposé au risque de voir son débiteur devenir insolvable, et donc incapable de rembourser sa dette lorsque celle-ci deviendra exigible.
Pour se protéger contre ce risque, il obtient en général une garantie. La garantie peut prendre deux formes. La première consiste dans l'engagement d'une tierce personne, -parent, amis, associés de la société emprunteuse, banque-, aux côtés du débiteur; si celui-ci devient insolvable, le créancier pourra réclamer le paiement à cette personne. Ce premier type de garantie est une garantie personnelle, qui peut elle-même consister en un cautionnement ou une garantie indépendante. Le second type de garantie consiste à obtenir, sur un bien appartenant au débiteur (ou même à un tiers), un droit de préférence qui permettra au créancier, en cas de défaillance du débiteur, d'être payé en priorité sur le prix de vente de ce bien. En outre, le créancier peut obtenir généralement un droit de suite sur ce bien, qui lui permettra de le saisir et de le faire vendre même si le débiteur n'en est plus propriétaire. Droit de préférence et droit de suite sont les caractéristiques de la garantie réelle. Dans ce cas, le débiteur reste propriétaire du bien; il peut le vendre, l'exploiter et même souvent l'utiliser. Mais la valeur de ce bien est affectée en priorité au créancier. Si le bien est un immeuble, cette garantie s'appelle l'hypothèque. Si le bien est un meuble (meuble de valeur, matériel, outillage, créance...) cette garantie s'appelle le gage. Le Code civil, le Code de commerce et plusieurs lois particulières réglementent précisément l'hypothèque et les différents gages.
2. Le droit de propriété donne au propriétaire le droit d'user de la chose, le droit de l'exploiter, de la donner à bail, et le droit d'en disposer, de la modifier ou même de la détruire (C. civ. art. 544). C'est un droit exclusif,en ce sens que le propriétaire n'a pas à subir sur la chose la concurrence d'un tiers, et absolu, en ce sens qu'il peut faire de sa chose ce qu'il veut,sans avoir en principe à se justifier.
Il y a donc une différence profonde entre la situation du propriétaire, et celle du créancier bénéficiant d'une garantie réelle: le premier est le maître absolu de la chose qu'il peut utiliser à sa guise; le second n'a sur la chose elle-même aucun droit; il a seulement un droit sur la valeur de la chose, qu'il exerce au moment de sa vente forcée, si la dette n'est pas remboursée. Une même chose, par exemple un immeuble, peut donc être en même temps l'objet de la propriété du débiteur et celui de la garantie du créancier.
3. A l'origine, dans l'ancien droit romain, la notion de garantie réelle n'existait pas. C'était la propriété qui servait de sûreté, de la manière suivante:
Grand colloque de Shanghai dans le cadre de l'année de la France en Chine, 15-19 nov. 2004 organisé par le Conseil supérieur du Notariat, la Caisse des dépôts et consignations et le Centre sino-français de formation et d'échanges notariaux et juridiques à Shanghai
- soit l'emprunteur remettait au créancier un de ses biens en garantie du prêt; si le prêt était remboursé, le créancier lui rendait le bien; si le prêt n'était pas remboursé, le créancier conservait définitivement le bien, à titre de paiement;
- soit, autre solution, le vendeur conservait la propriété de la chose vendue jusqu'à ce que le prix soit payé.
La notion de garantie réelle s'est progressivement dégagée, parce que l'on s'est rendu compte que la propriété transmise ou retenue par le créancier présentait des inconvénients: notamment, la valeur de la chose pouvait être largement supérieure au montant de la dette; de plus, les risques de sa disparition ou de sa destruction pesaient sur le créancier propriétaire... En fait, le créancier n'avait pas besoin de la propriété, pour être garanti. Il suffisait qu'il ait un droit sur la valeur de la chose, proportionnel au montant de sa créance. Ainsi se sont développés progressivement en Europe le gage et l'hypothèque.
4. Mais depuis une trentaine d’années, les créanciers ( prêteurs et vendeurs à tempérament, essentiellement) manifestent un grand intérêt pour l’utilisation de la propriété comme instrument de garantie. Cela s’explique par plusieurs raisons:
- les formalités de constitution des garanties réelles alourdissent le coût du crédit, alors que la propriété peut être transmise au créancier ou retenue par lui de manière très simple, pratiquement sans formalité, surtout en matière mobilière;
- les règles de réalisation des garanties réelles sont complexes et surtout onéreuses, ceci afin de protéger le débiteur, et les autres créanciers de celui-ci. Alors que le créancier propriétaire n’a aucune règle de réalisation à respecter: il était propriétaire, et il le demeure définitivement en cas de défaillance de son débiteur;
- enfin et surtout, lorsque le débiteur est soumis à une procédure d’insolvabilité (essentiellement les commerçants, les agriculteurs, les sociétés et autres personnes morales) , en cas de cessation de ses paiements, ses créanciers, même munis de garanties réelles, sont soumis à une discipline collective qui leur interdit de réaliser dans certains cas, les empêche définitivement d’exercer leur droit de préférence. Au contraire, s’ils sont garantis par la propriété d’un bien, ils sont à l’abri de ces inconvénients: le bien dont ils sont propriétaires ne fait pas partie des biens du débiteur en faillite ; ils ne subissent donc pas la concurrence des autres créanciers.
La propriété présente évidemment certains inconvénients pour le créancier: celui-ci ne peut pas disposer librement du bien, puisqu’il devra le rendre si la dette est remboursée; en attendant, il doit veiller à sa conservation. Le système peut s’avérer coûteux, si le bien est soumis à des droits de mutation élevés ( cas des immeubles) ... Ce qui explique que tous les biens ne se prêtent pas également à la propriété-sûrté. Mais ces inconvénients peuvent être jugés mineurs, par rapport aux faiblesses des sûreté réelles traditionnelles.
5. La question de savoir si le créancier peut librement choisir la propriété plutôt qu'une garantie réelle organisée par la loi a été, pendant un certain temps, discutée. Certains prétendaient que la propriété-sûreté se heurtait à des obstacles juridiques ou politiques: la propriété-sûreté appauvrit le débiteur, en conférant au créancier un droit exclusif sur une chose qui peut avoir une valeur bien plus grande que le montant de la dette, ce qui est un inconvénient, non seulement pour le débiteur –dont le crédit est gelé- mais pour ses autres créanciers.
Mais en vertu du principe de liberté qui domine en droit français: on peut faire tout ce que la loi n’interdit pas; or, nulle part la loi n’interdit de donner au créancier un droit de propriété à titre de garantie, plus personne ne conteste aujourd'hui la validité de la propriété-sûreté. La loi a même consacré celle-ci dans certains cas. Et les tribunaux n'hésitent pas à la consacrer dans différents domaines.
En revanche, on s'attache aujourd'hui à souligner les particularités cette propriété, qui n'est pas absolue, mais affectée à la garantie d'une créance: une propriété limitée par la finalité de garantie.
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6. Après avoir exposé les applications pratiques de la propriété-sûreté (I)
on dira quelques mots de son régime juridique(II).
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I – Applications de la propriété-sûreté
Il existe deux manières d’utiliser la propriété d’un bien comme garantie d’une créance : soit le débiteur transmet au créancier la propriété d’un ou plusieurs de ses biens (A) ; soit le créancier se réserve la propriété de la chose vendue jusqu’à ce que le prix soit payé ( B)
A- Transmission de la propriété par le débiteur
7. Cette première manière de faire est simple à comprendre. Supposons que le débiteur emprunte une somme d’argent. Le créancier réclame une garantie. Plutôt que de lui consentir un gage, le débiteur lui remet la propriété d’un bien, sans forcément le lui livrer : si le débiteur rembourse le crédit, le créancier lui retransmet la propriété, si le débiteur ne rembourse pas, le créancier conserve définitivement le bien, dont il peut alors faire ce qu’il veut.
Ce type de transfert est qualifié de transfert fiduciaire (de fiducia = confiance), parce que le créancier est le dépositaire de la confiance du débiteur : il est propriétaire, mais tant que dure le crédit, il doit conserver le bien afin de le retransmettre au débiteur si celui-ci rembourse le prêt.
Il n’existe pas actuellement en France de disposition générale dans la loi sur le transfert fiduciaire, mais plusieurs consécrations particulières, de même que dans la législatioin européenne.
8. Les transferts fiduciaires sont pratiquement inexistants en matière immobilière, parce que le transfert de propriété est lourdement taxé : le transfert fiduciaire, suivi du retransfert éventuel coûterait trop cher.
9. En revanche, les applications sont fréquentes dans trois domaines :
- le gage-espèce, par lequel un débiteur remet au créancier une somme d’argent que celui-ci conserve pendant toute la durée du crédit ;
- les cessions de créances professinnelles à titre de garantie d’un crédit professionnel consenti par un établissement de crédit, très pratiquées en France et organisées par la loi ;
- les cessions en propriété d’actions, de créances ou de valeurs en garantie d’opérations financières sur titres (également consacrées par la loi).
B. Réserve de propriété par le créancier
10. L’hypothèse ici est celle dans laquelle le créancier est actuellement propriétaire et vend à crédit le bien, ou finance son acquisition.
11. Tel est le cas, d’abord, de la vente avec réserve de propriété : le vendeur de matériel ou de marchandises se réserve la propriété des biens jusqu’à complet paiement du prix. La chose est livrée à l’acquéreur ; mais le vendeur pourra la revendiquer s’il n’est pas payé, spécialement en cas de « faillite » de l’acquéreur. Il suffit d’une simple clause pour retarder le transfert de propriété jusqu’au paiement du prix.
Cette garantie est très fréquente dans le commerce des marchandises.
Elle est également possible en matière immobilière ; mais plutôt rare, parce que le crédit est généralement consenti par un prêteur, et que la garantie immobilière classique (hypothèque) est efficace et sûre.
12. Ensuite, la propriété-sûreté se rencontre également dans l’opération de crédit-bail (leasing) mobilier et immobilier : le crédit-bailleur demeure propriétaire pendant toute la durée du crédit. Le crédit-preneur peut devenir propriétaire s’il lève l’option et paie la valeur résiduelle convenue. C’est une opératin plus complexe que la vente avec réserve de prorpiété, puisqu’elle associe un contrat de location à une promesse de vente. L’opération repose sur une logique financière particulière ; mais elle comporte cet effet de garantie.
II- Régime juridique
13. La constitution est généralement simple et peu onéreuse, parce qu’en France, la propriété est réservée ou transmise de manière consensuelle (par le seul accord de volonté des parties, sans forme).
Certaines opérations sont soumises à des formes ou formalités particulières (cession-fiduciaire de créance, crédit-bail).
Mais en règle générale un accord entre créancier et débiteur suffit.
14. La réalisation par le créancier est également très simple : il était propriétaire temporaire ; après la défaillance du débiteur, il est définitivement propriétaire. Il y a évidemment un risque d’enrichissement du créancier, si la valeur du bien est supérieure au montant de sa créance. C’est pourquoi il peut être obligé, dans plusieurs cas (« faillite » du débiteur), de payer l’excédent.
15. Enfin, ce droit de prorpiété est l’accessoire de la créance qu’il garantit, ce qui signifie :
- qu’il est transmis en même temps que la créance qu’il garantit. Ainsi, le vendeur avec réserve de propriété peut financer sa créance en la transmettant à un banquier, qui acquiert automatiquement la propriété réservée ; le caractère accessoire facilite grandement la circulation de la créance.
- qu’il disparaît si la créance vient à s’éteindre ou à être annulée.
Ainsi, la propriété garantie se rapproche-t-elle d’une garantie classique.
Conclusion: Le développement de la propriété comme garantie joue un rôle important dans la distribution du crédit.
Elle présente cependant le danger d’épuiser le crédit du débiteur, au profit d’un créancier excessivement garanti. Il est important de respecter un équilibre entre les intérêts en présence. On considère généralement en France que cet équilibre est atteint et il n’est pas question, à l’heure actuelle, de le modifier sérieusement.