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2024
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Synthèse du colloque relatif à la propriété au service du développement économique

Par M. Bergel, professeur de Droit privé à la faculté d’Aix-Marseille III Spécialiste et auteur d’ouvrages sur la propriété et sur les biens

 

Je mesure l’honneur qui m’est fait de presenter ce rapport de synthèse et je remercie les juristes chinois pour leur accueil remarquable. Néanmoins, je mesure les difficultés de ma tâche, en raison de la richesse des exposés et des débats de ces deux jours de colloque et d’autre part, en raison de la brièveté du temps qui m’est imparti et qui ne me permet pas d’en extraire toutes les ressources et tous les enseignements.

    Entre les droits et les choses, ce sont les droits qui vivifient les biens et les choses qui en sont l’objet. La valeur économique des biens depend des droits sur lesquels ils portent, de leur usage, de leur exploitation et de leur transmission que permet le contrat. Le droit de propriété, pris dans son acception la plus large, à la française, réunit entre les mains du propriétaire toutes les prérogatives que l’on peut avoir sur les biens: le droit d’en user, d’en percevoir les fruits et les revenus et le droit d’en disposer. Dans cette perspective, le droit de propriété est donc la quintescence de l’analyse économique du Droit des biens.

 En ouvrant ce colloque, M. le Ministre chinois de la Justice évoquait hier les liens qui existent entre les échanges juridiques et les échanges économiques à propos de la propriété; et le professeur Grimaldi insistait sur l’importance de la propriété pour la sécurité des investissements immobiliers, pour le développement des créations intellectuelles, pour garantir les financements. Le Président Dejoie remarquait hier que le rôle du notariat est un bon révélateur de l’histoire de la propriété car le notaire rédige des actes qui scellent des contrats ; sa fonction manifeste la vie même du droit de propriété.

Néanmoins, il n’y a pas de notion universelle de la propriété, comme le soulignait hier Mme Jauffret-Spinosi, mais simplement un sens permanent de la propriété dans toutes les civilisations. Il n’existe pas de modèle juridique unique et le modèle de la propriété doit s’adapter à la société où il s’applique et où il vit. Ainsi, plusieurs conceptions de la propriété se sont succédées dans le temps et coexistent dans les différents systèmes juridiques. La diversité des modèles juridiques de la propriété, qu’il est parfois difficile de comparer, correspond à ce lien intime qui existe entre la propriété et le système social et juridique dans lequel on l’examine. Mme Jauffret-Spinosi a évoqué à ce titre des approches aussi différentes que celles du Droit anglais – et plus généralement des Droits anglo-saxons -- et du Droit français – ou des Droits dits continentaux – mais également de Droits différents tels que les Droits africains qui consacrent le caractère surnaturel de la terre.

 Il me semble qu’il y a toutefois une constante et qu’elle se rattache à la vieille distinction entre domaine éminent et domaine utile. Au fond, toutes les prérogatives susceptibles de s’exercer sur les biens correspondent soit à leur appropriation, soit à leur exploitation. L’analyse des différents systèmes juridiques révèle que ces prerogatives sont tantôt regroupées entre les mains d’un seul, tantôt disséminées entre les mains de plusieurs. Tenter de rationaliser la diversité de ces modèles de propriété pourrait revenir à se demander si l’appropriation – le domaine éminent – et l’exploitation –le domaine utile – sont réunies ou séparées. Quoi qu’il en soit, il existe partout une forme de propriété conçue comme un droit fondamental lié à l’activité économique, qu’il s’agisse d’ailleurs de propriétés publiques ou de propriétés privées.

La question est donc de savoir si le droit de propriété relève d’un concept unique ou d’une pluralité. Dans un même système de Droit, les deux peuvent coexister et hier, il a été rappelé à ce titre qu’en Droit anglais, il n’y a jamais eu de concept unique. Le Droit anglais distingue le droit de propriété sur les terres -- the real property -- et d’autre part, le droit de propriété sur tout le reste -- the personal property. Dans les pays d’inspiration socialiste, la propriété est également caractérisée par cette pluralité. Y est ditinguée la propriété étatique, la propriété collective et la propriété personnelle et individuelle. La Constitution de la Fédération de Russie a conservé cette trilogie qui était issue de la période socialiste qui l’a précédée. Nos collègues chinois nous ont montré qu’il existe également  une trilogie en Droit chinois -- propriété de l’Etat, propriété collective et propriété privée – mais le phénomène nouveau, révélateur d’une évolution, est la consécration plus affirmée d’une propriété privée. Le dernier amendement de l’article 13 de la Constitution – mars 2004--  précise que la propriété privée est “inalienable” ou “inviolable”, suivant les traductions. Quoi qu’il en soit, c’est un moyen d’affirmer l’avènement de la propriété privée aux côtés de la propriété d’Etat et de la propriété collective, ce qui signifie qu’il n’y a pas d’antinomie absolue. Bien que cette dernière soit souvent soulignée, il peut y avoir une “coexistence pacifique” entre les deux. Me Pisani évoquait hier dans la conclusion de son rapport la conception réaliste de l’objet de la propriété, la richesse des techniques industrielles et la sécurité juridique que notre Droit français tente de concilier. C’est me parait-il toucher à la problématique de ce colloque, qui revient à se demander comment la propriété peut être au service du développement économique ; et il me semble qu’à cette question, la réponse et double. La propriété est un droit protégé qui se caractérise par une valeur économique et c’est instrument privilégié de développement économique. Ce sont si vous le permettez, les deux enseignements que je souhaiterais dégager des travaux de ce colloque.

 

          La propriété apparaît tout d’abord comme un droit protégé à valeur économique. Le professeur Périnet-Marquet insistait hier sur l’importance économique de la propriété immobilière en France pour les particuliers. Elle représente encore aujourd’hui l’essentiel de la fortune de la plupart des français et il soulignait l’importance de la propriété immobilière en tant qu’objet de contrat, tandis que M. Grimaldi avait également relevé l’importance de la propriété pour le développement économique et social. Propriété urbaine pour le développement des villes, propriété rurale pour l’exploitation des sols, propriété des sites industriels. Je crois qu’en réalité, il y a une véritable dualité dans le droit de propriété. Le droit de propriété est d’une part un droit privé individuel et collectif et c’est d’autre part un droit limité à fonction sociale.

C’est d’abord un droit privé, individuel ou collectif. Un droit privé individuel, cela correspond à la conception consacrée par le Code civil. En 1804, la propriété a été conçue comme un droit individuel fondamental, comme une liberté et la Déclaration des droits de l’homme précise comme un « droit inviolable et sacré ». Le Droit français s’est inspiré à l’époque du dominium du Droit romain et de la trilogie usus, fructus, abusus, le droit d’user, de percevoir les fruits et d’en disposer.                                                                 

    

Néanmoins, il convient de ne pas oublier que ce droit était également limité. Limité d’une part par la possibilité d’expropriation pour cause d’utilité publique, moyennant une juste et préalable indemnité. D’autre part, limité « en germe » puisque la définition de l’article 544 prévoit que « la propriété est un droit absolu, pourvu que cela ne soit pas contraire aux lois et règlements ». Ce germe a fortement prospéré avec le temps.

Quant aux limitations inhérentes à la propriété, elles font référence à des restrictions visant à promouvoir les droits individuels d’autrui. Hier, M. Périnet-Marquet faisait référence aux limitations liées à l’organisation des rapports de voisinage par le Code civil. Ainsi, les servitudes légales ont pour but de prévenir ou d’atténuer les problèmes de vis-à-vis ou ceux liés aux plantations, lorsqu’elles se situent trop près de la ligne séparative de propriété. Dès le XIXème siècle, ces limitations ont été instaurées par la jurisprudence. La théorie des inconvénients anormaux de voisinage est apparue dès le XIX ème siècle dans la jurisprudence et elle a fait fortune. A l’heure actuelle, le Droit de l’environnement est largement assuré par la responsabilité de l’auteur des nuisances à l’égard des victimes, même si ce fondement est loin d’être satisfaisant ; les nuisances ne sont sanctionnées de cette manière que lorsqu’elles sont excessives. Autrement dit, on peut causer des nuisances mais sans excès. Cela se rapporte d’ailleurs à l’une des questions que posait hier un intervenant chinois qui se demandait ce que devenait, dans ce montage juridique, le principe « pollueur-payeur ».

Quant aux caractéristiques communes de la propriété, Mme Jauffret-Spinosi rappelait que c’est finalement l’exclusivité. C’est également le critère de différenciaton entre la propriété individualiste et la propriété collectiviste. L’exclusivité fait la force de la propriété. Bien que je ne n’ai pas la prétention d’effectuer une synthèse de Droit chinois, il me semble qu’il m’appartient de rapporter un enseignement précieux du professeur Fu Ding Xian ( je ne suis pas sûr de l’othographe de ce nom donc si tu ne le connais pas, il faudra que je consulte la liste demain au centre). Ce-dernier précisait que la propriété impose une exclusivité : un seul droit sur une seule chose.

Quant à la propriété droit collectif, elle peut se concevoir de deux manières.

Selon la conception chinoise, il s’agit de la propriété collective des coopératives ou des producteurs agricoles, des collectivités de travailleurs... 

              Elle peut également s’envisager selon une conception devenue fréquente en Droit français : celle de l’immersion progressive des droits de propriété dans des ensembles collectifs qui limitent les prérogatives de la propriété, ne serait-ce qu’en raison de la discipline commune qu’il faut respecter. Cela se manifeste notamment dans les copropriétés ou dans les ensembles immobiliers. Emergent donc de nouvelles formes de droits collectifs à partir du droit individuel d’exercicie du droit collectif de propriété.

Quant à la fonction sociale de la propriété, elle correspond à cette idée fondamentale que le droit de propriété peut être un pouvoir individuel mais qu’il doit conserver une fonction sociale. Ce droit ne doit pas être en contadiction avec les exigences de la vie collective et de l’intérêt général, ce qui justifie en Droit français la recherche d’un équilibre qui s’avère relativement satisfaisant et qui consiste à admettre des limitations au droit de propriété mais seulement dans la mesure où il ne s’en trouve pas dénaturé. C’est le sens de la jurisprudence constitutionnelle et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Trop de restrictions tuent le droit et le droit de propriété en particulier. Le bon équilibre de la propriété ne peut être ni dans son exclusivité absolue, ni dans sa limitation excessive. Il n’y a ni archi-propriété, ni anti-propriété dans la conception française ; le droit de propriété s’est trouvé sérieusement limité et cela ne l’a pas pour autant détruit. Hier, il a été rappelé à quel point la propriété a conservé à l’heure actuelle une importante valeur économique. C’est évidemment dans ses multiples restrictions que réside l’évolution de ce droit. Néanmoins, cette évolution n’est pas sans limites. En faisant valoir le principe de proportionnalité entre les restrictions et les objectifs poursuivis, la jurisprudence du Conseil constitutionnel et celle de la Cour européenne des droits de l’homme ont permis de valider des limites au droit de propriété sans pour autant le dénaturer. Pas de dépossession mais des limitations possibles, dès lors qu’elles sont mesurées.

La propriété est un droit protégé à valeur économique mais c’est également un instrument privilégié de développement économique. Cette fonction se manifeste me semble-t-il dans deux aspects :

-la diversification de la propriété comme moteur de développement économique  

-l’affectation de la propriété au financement de l’économie

Concernant la diversification, l’évolution actuelle de notre Droit --et j’aurais tendance à dire de nos Droits-- permet une diversification des biens objet de la proriété et des droits issus de la propriété.

La diversification des biens doit être protégée et sécurisée, comme le rappelait Mme Gallot-Monod. A ce titre, il convient de noter qu’à l’heure actuelle, au-delà des créances qui sont classiques et traditionnelles, notre Droit a vu l’émergence, en tant que biens, de valeurs mobilières même dématérialisées, d’universalités telles que le fonds de commerce ou les portefeuils de valeurs mobilières, de biens liés aux nouvelles technologies comme les logiciels ou les bio-technologies et d’autres biens inhérents à la nouvelle économie. Ajoutons à cela l’entreprise ou le secret commercial. Ces biens ont en commun de se caractériser par une exclusivité appliquée à des valeurs économiques. Même s’ils posent un certain nombre de problèmes particuliers, la possession des biens incorporels se concevant différemment de celle des biens corporels, il y a malgré tout un objet de propriété sur ces biens incorporels. Cela peut être autre chose que jadis mais c’est toujours de la propriété. J’aurais tendance à penser qu’au-delà de la théorie générale de la propriété, il y a à présent différents droits spéciaux de la propriété et que le droit de la propriété immobilière tel qu’il apparaît dans le Code civil est un droit spécial parmi d’autres, qu’il y a également un droit des biens incorporels et que par conséquent, il y a une place pour les propriétés incorporelles et intellectuelles. Ce matin, le professeur Raynouard évoquait la différence entre l’incorporalité et l’immatérialité. Certes, c’est une question de support : y a-t-il un support, fût-ce-t-il magnétique ? Il n’en est pas moins vrai que les propriétés intellectuelles, grâce à la protection qui leur est assurée, constituent des biens nouveaux à valeur économique. A ce titre, l’exemple de la propriété industrielle et des brevets est significatif. En outre, l’indivision ou l’usufruit peuvent avoir pour objet un bien incorporel.

Quant à la diversification des droits issus de la propriété, il apparaît qu’elle peut prendre deux aspects. Il peut s’agir d’une décomposition du droit de propriété au sens classique du terme, ce qui permet une valorisation économique des biens. Il me semble que le droit de propriété, même à la française, peut se décomposer dans tous les sens. Il peut être démembré à travers ses prérogatives juridiques : l’usufruit, la nue-propriété... Il peut également être dissocié physiquement : la dissociation de la propriété, les droits du tréfonds et les droits de superficie, la propriété spacio-temporelle, même si cette dernière ne correspond pas à la conception retenue par le Droit francais dans la loi de 1986. Enfin, ces décompositions peuvent permettre la valorisation des biens publics par des acteurs privés. Ainsi, les droits que Me Pisani évoquait hier tels que le droit sur le domaine public de l’ Etat ( loi de 1994) ou sur celui des collectivités locales ( loi de 1988) permettent, à condition de leur donner des droits et de leur ouvrir la possibilité d’obtenir des financements, à des acteurs privés de gérer des équipement publics que la collectivité ne pourrait pas assumer. Par ailleurs, il existe des droits spécifiques de la propriété ; ils sont de nature particulière et méritent protection. M. le Ministre français de le Justice soulignait hier que le Droit français s’attache à garantir la sécurité de la propriété industrielle, intellectuelle et artistique par la sécurité juridique, l’égalité des transactions économiques et la juste rétribution des talents. Le problème n’est pas spécifiquement français et Me Triet rappelait ce matin à quel point la propriété industrielle a depuis longtemps fait l’objet de conventions internationales : la Convention de Paris dès 1883, avec le cortège d’aménagements successifs que le monde moderne tenta d’y apporter ; la Convention de Marrackech instituant l’OMC en 1994 qui comporte une annexe consacrée aux Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce international, communément appelée « ADPIC ». Cela place la propriété industrielle dans un cadre plus global.

L’affectation de la propriété au financement de l’économie est un phénomène familier aux chinois. Ainsi, le professeur Gu Tchang Hao a dressé un panorama des hypothèques ( par exemple sur les constructions) ; il a relevé des particularités liées à l’impossibilité d’une hypothèque sur le sol et à l’interrogation planant autour de la possibilité d’une hypothèque sur le droit d’usage. Il évoquait la loi maritime de 1992, la loi aérienne civile, le nantissement, les privilèges sur les aéronefs... C’est un phénomène commun. Comme l’évoquait le professeur Grimaldi, les sûretés réelles peuvent prendre des formes diverses et répondre à des classifications riches de sens mais elle correspondent cependant à deux mécanismes essentiels :

-propriété conservée à titre de garantie par son propriétaire  

 -propriété cédée par le débiteur

Lorsqu’on envisageait la propriété retenue, Me Lièvre évoquait toutes les richesses de l’hypothèque et les questions qui ont suivi ont montré à quel point c’était important. D’autre part, il est apparu au fil des explications du professeur Aynes que la réserve de propriété ou le crédit-bail, mobilier ou immobilier permettent effectivement de garantir l’activité économique et une fois de plus, ce n’est pas vrai qu’en France. Ainsi, Mme Marie Goré nous a présenté, en Droit international, la  problématique des risques spécifiques aux opérations internationales et les difficutés qui en découlent : obligation de trouver des règles uniformes ou de se contenter de lois internes différentes entre lesquelles il faut alors faire un choix, problèmes liés à la dualité éventuelle de la loi du contrat et du statut réel, difficultés se rapportant au crédit-bail ou à la clause de réserve de propriété.  

 Le professeur Aynes a également évoqué le transfert fiduciaire qui, en matière de remise de somme d’argent, de créance professionnelle, de cession d’action en propriété à titre de garantie, présente une souplesse qui n’est évidemment pas transposable en matière immobilière, en raison des exigences fiscales. S’agissant du Droit international et européen, Mme Goré insistait sur les problèmes, les risques, les solutions, les exigences particuliers de la cession de créance à titre de garantie.

 En guise de conclusion, il convient de souligner qu’à condition de diversifier ses formes, ses prérogatives et ses fonctions ainsi que d’harmoniser les exigences privées et l’intérêt général, la propriété apparaît effectivement comme un vecteur privilégié du développement économique. 

  


 

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