Présentation
des concepts de la propriété intellectuelle ou incorporelle
Denis
ROCHARD
Université
de Poitiers – Directeur du Diplôme supérieur du notariat
« Au
commencement est la liberté. La liberté surveillée du jardin d’Eden, la liberté
d’aliénée du contrat social, la liberté proclamée par les textes
révolutionnaires : libertés d’entreprendre, de créer, de commercer ou de
travailler, et dont le Droit contemporain rappelle fermement la
supériorité ». La liberté du commerce et de l’industrie et le postulat de
la libre concurrence composent la toile de fond des rapports de droit privé des
affaires[1].
Ce
qui fait dire à la plupart des auteurs en la matière que « les droits de
propriété industrielle (et au-delà intellectuels) ne se conçoivent que dans les
systèmes économiques fondés sur la liberté d’entreprendre », mais à
laquelle les droits de propriété intellectuelle viennent pourtant,
temporairement déroger.
L’intervention
juridique est cohérente. En effet, je n’ai nul besoin d’un droit pour exploiter
une invention, une création artistique, un logiciel ou une marque. Mais je dois
faire appel à la technique juridique du « droit de propriété »
intellectuelle pour interdire à d’autres des actes d’utilisation ou
d’exploitation sur une invention, une création artistique, un logiciel ou une
marque. C’est pour cela que le pouvoir législatif est intervenu afin que la loi
reconnaisse à certains, sous respect de conditions diverses, les bénéfices
exceptionnels d’un monopole d’exploiter.
« Liberté
et propriété se conjuguent ainsi dans un rapport de principe et
d’exception »[2].
En
premier lieu, il faut évoquer les différentes expressions utilisables en la
matière, pour lesquelles on peut parler de propriété incorporelle, de droits de
clientèle ou, plus sûrement, de propriété intellectuelle.
Une propriété
incorporelle : c’est une propriété ayant pour
objet une chose incorporelle, un bien incorporel : c’est-à-dire qui n’ont
qu’une existence abstraite ; ils ne sont pas perceptibles par les sens de
l’être humain.
C’est le droit
qui les créé et cette création se justifie par le fait que les propriétés
incorporelles représentent pour l’homme une valeur économique indéniable.
Envisagée ainsi,
l’expression est prise dans une acception large, au travers de laquelle
on voit que le champ d’application de la notion dépasse de beaucoup celui de la
seule propriété industrielle.
En tout cas,
toutes les propriétés incorporelles ont, entre elles, un certain nombre
de traits communs :
1.
ce ne sont pas des propriétés
oisives : leur existence dépend de l’activité ou de la puissance créatrice
de l’homme (ainsi en est-il du brevet ou de la marque contrairement à
l’appellation d’origine) ;
2.
elles sont toutes regardées et
considérées comme des meubles du point de vue du régime juridique ;
3.
et puis, peut-être le plus important,
les propriétés incorporelles s’analysent comme des « droits de
clientèle ».
« Propriétés
incorporelles » et « droits de clientèle » sont a priori
des expressions synonymes.
Cela étant, il
faut dépasser cela car il existe différentes sortes de droits de clientèles,
dont certains sont totalement extérieurs au domaine des propriétés
incorporelles -on pense notamment à la clientèle civile ou commerciale de
certaines professions (médecin, notaire, commerçant ..)- c’est en tout cas la
preuve que l’expression « propriétés incorporelles » est trop générale
pour notre domaine.
Il n’en demeure
pas moins que les « droits de clientèle » sont
particulièrement nets, présents dans le domaine qui nous intéresse. En matière
de propriété incorporelle, ils prennent la forme d’un monopole,
c’est-à-dire d’une exclusivité par rapport à la clientèle.
Exclusivité sous
deux formes :
. exclusivité
dans l’exploitation de la création (droit d’auteur, brevet)
. exclusivité
dans l’utilisation d’un signe distinctif (marque, AO).
Il faut en tout
cas souligner le particularisme des droits de clientèle :
.
ils diffèrent des droits personnels (droit de créance par ex.), en ce qu’ils
sont opposables à tous, erga omnes ;
.
ils ne peuvent pas davantage être assimilés à des droits réels. Alors qu’un
droit réel est perpétuel, les droits de propriété intellectuelle sont, du moins
en général, temporaires.
.
sont donc finalement ce que l’on appelle des droits sui-généris.
L’expression de
« propriétés incorporelles » est trop large, celle de « droits
de clientèle » aussi (puisque ne nous intéresse pas les clientèles
civiles), il est alors sans doute préférable de retenir l’expression de
« propriétés intellectuelles », même si là encore l’expression
n’est pas à l’abri de quelques critiques, dont la principale est que, parmi les
droits de propriété intellectuelle, seuls certains sont de véritables droits
« intellectuels » :
.
certains droits sont accordés par la loi pour récompenser une création
intellectuelle (brevet, obtention végétale, droit d’auteur, droit sur les
dessins et modèles) ;
.
alors que d’autres sont consacrés par le législateur sans qu’il y ait
véritablement acte de création : on songe à la marque (le commerçant s’est
contenté de choisir souvent son nom, ou une expression, une image, pour
distinguer ses produits de ceux de ses concurrents ; or choisir, ce n’est
pas vraiment inventer, créer), et il en va de même et sans doute encore
davantage pour les appellations d’origine, dont le choix est commandé par des
considérations géographiques (le nom du lieu qui voit naître le produit protégé
par le droit).
L’on pourrait
synthétiser les droits expressions en affirmant que les droits de propriété
intellectuelle soit des monopoles d’exploitations sur une création
incorporelle, permettant de conquérir et conserver une clientèle.
Mais qu’est-ce
qui peut justifier que l’on concède des monopoles dans un système fondé sur la
liberté d’entreprendre et de faire du commerce ?
Le but des
droits de propriété intellectuelle est de promouvoir le développement culturel
et surtout technologique, afin que ceux qui investissent dans les travaux et
recherches conduites puissent en tirer profit, ou à tout le moins couvrir les
frais engagés. Les droits de propriété intellectuelle sont nécessaires car cet
objectif n’est pas réalisé de manière optimale par le libre jeu de la
concurrence. Car si celle-ci est considérée par beaucoup d’économistes comme la
loi sociale par excellence, elle ne saurait être sans frein ; elle ne peut
constituer, pour un commerçant ou un industriel, un droit absolu, sar sinon il
en résulterait des conflits insurmontables. Il est donc nécessaire de fixer au
principe de libre concurrence, des limites qui délimiteront son cours, et
constitueront des positions qui ne pourront être emportées.
Mais si ces
droits servent l’intérêt général, l’intérêt particulier de ceux qui en sont
titulaires, les droits de propriété intellectuelle sont aussi utiles pour les
consommateurs que nous sommes. En effet, le brevet organise l’accès à
l’innovation, au progrès technique, la marque renseigne sur l’identité du
produit, du fabricant, l’appellation d’origine renseigne sur la provenance du
produit et ses qualités dues à son terroir d’origine.
Maintenant,
puisqu’ils sont une dérogation à la liberté du commerce et l’industrie, à la
libre concurrence, ces monopoles ne sont pour la plupart admissibles que
limités dans le temps. Le droit d’auteur est accordé pour la vie durant de
l’auteur et 70 ans après sa mort (s’il y a des ayants droit pour en assurer la
défense), le brevet d’invention assure une protection pour une durée maximale
de 20 ans (25 ans pour les obtentions végétales), le droit sur les dessins et
modèles industrielles est accordée pour une durée de 25 ans maximum. Les droits
de la propriété industrielle que sont notamment la marque et l’appellation
d’origine connaissent un régime un peu différent en ce que la protection
accordée étant moins forte (encadrée notamment par le principe dit de
spécialité : pour exemple le signe distinctif déposé à titre de marque ne
sera protégé par principe que contre son utilisation pour des produits
identiques ou similaires à ceux visés au dépôt lors de l’enregistrement de la
marque) elle peut durer plus longtemps : ainsi une marque est protégée
pour une durée de dix ans, mais renouvelable indéfiniment ; quant à
l’appellation d’origine, elle fait figure d’exception en ce qu’elle est
imprescriptible, les textes ne prévoyant pas de limite dans le temps pour sa
protection.
Le sûr est que
l’on peut distinguer, au sein des droits propriété intellectuelle (voir
tableau joint) entre d’un côté, les droits de propriété littéraire et
artistique (PLA) et de l’autre, les droits de « propriété
industrielle ».
En effet, bien
qu’ils appartiennent tous à la catégorie plus vaste de la propriété
intellectuelle, la logique qui les anime et peut être surtout les conditions de
leur naissance sont assez différentes.
A la différence
des droits de propriété littéraire et artistique, les droits de propriété
industrielle ne naissent pas automatiquement du seul fait de leur création (dès
lors que l’on a écrit un roman, produit un dessin : on est titulaire du
droit dessus) ; ceux-ci sont accordés par l’autorité publique (en
l’occurrence, l’INPI (établissement placé auprès du ministre de l’industrie)
pour les marques, les brevets ; et l’INAO (ministre de l’agriculture) pour
les AO, AOP et IGP), et ce après qu’une demande ait été présentée par la ou les
personnes intéressées.
Présentons
maintenant de manière sommaire les différents droits qui composent les deux
branches de la propriété intellectuelle.
1. La propriété littéraire et artistique
Selon
le Code de la propriété intellectuelle, la PLA comprend le droit d’auteur et
les droits voisins.
Le
droit d’auteur : s’entend de l’ensemble des prérogatives,
d’ordre moral et d’ordre patrimonial, reconnue aux auteurs d’œuvre de l’esprit
(œuvres littéraires, œuvres musicales, œuvres d’art, logiciels ..).
Les
droits voisins : désignent les prérogatives reconnues aux
auxiliaires de la création littéraire et artistique que sont les auteurs
interprètes, les producteurs de disques, de cassette, CD, DVD .. et les
entreprises de communication.
Ces
droits confèrent à leur titulaire différentes prérogatives que sont le droit au
respect de l’œuvre, le droit à la paternité de l’œuvre, le droit de
divulgation, le droit de repentir ou de retrait pour ce qui concerne les droits
moraux, le droit de représentation, le droit de reproduction, ou encore le
droit de suite pour ce qui concerne les droits patrimoniaux.
2.
Le droit de la propriété industrielle
Les
prérogatives conférées par les droits de propriété industrielle sont de deux
sortes.
1. Tantôt, il
s’agit pour un producteur de faire respecter par ses concurrents les signes
distinctifs de son exploitation, la marque qu’il appose sur ses
marchandises, le nom commercial qu’il emploie sur ses papiers, l’enseigne qu’il
place sur la façade, l’AO sur le produit …. Ces
signes distinctifs ont une grande valeur comme moyen de rallier la clientèle,
et permettent à celle-ci de reconnaître l’entreprise ou les produits qui ont sa
préférence (lieu de provenance, méthode de production …).
2. Tantôt, il
s’agit pour un producteur de faire respecter de véritables valeurs nouvelles
qu’il a crées, et qui n’existaient pas auparavant dans l’économie. Ce
sont : les inventions utilitaires, consistant par exemple en un
produit nouveau ou un moyen nouveau de fabrication. Le droit se concrétise par
un brevet délivré par les autorités publiques (brevet d’invention), ou des
droits voisins (obtentions végétales, secret de fabrique …) ; les créations
ornementales, œuvres de l’art (dessins et modèles industriels).
Ces
créations industrielles reposent sur des droits plus complets que les premiers
(signes distinctifs), dans la mesure où ils aboutissent à l’octroi d’un
véritable monopole d’exploitation (temporaire) de ces inventions ou créations.
Le droit des brevets couvre les créations utilitaires ; le droit des
dessins et modèles couvre les créations ornementales.
On
voit ainsi la différence fondamentale entre les deux. Les droits sur les
créations nouvelles risquent de peser de façon bien plus lourde sur la
production d’un pays.
Ceci explique
que les droits sur les créations nouvelles n’aient qu’une durée de
protection temporaire (droits d’auteur : vie de l’auteur et 70
ans après sa mort ; dessins et modèles industriels : 25 ans
renouvelable une fois ; obtentions végétales : 20 ans, voire 25 ans
si nécessité ; brevet : 20 ans). Cela s’explique par le fait que les
monopoles accordés sur les créations nouvelles apparaissent comme des
récompenses destinées à stimuler le génie créateur mais aussi permettant de
rentabiliser les capitaux affectés à la recherche, celle-ci étant éminemment
profitable à l’intérêt général (l’intérêt du consommateur n’intervient pas en
premier, pas directement).
Alors que les droits
sur les signes distinctifs, sous réserve d’être conservés ou renouvelés
selon les modalités prévues par la loi, ont vocation à la pérennité
(AO : pas de durée ; marque : 10 ans indéfiniment
renouvelables).
Comme
aime à le rappeler l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété
intellectuelle » : « la protection de la propriété
intellectuelle ne constitue pas, bien entendu, une fin en soi ; elle est
un moyen propre à encourager l’activité créatrice, l’industrialisation,
l’investissement et le commerce honnête. Tout cela doit contribuer à plus de
sécurité et de confort, moins de pauvreté et plus de beauté dans la vie de
l’homme », en somme la paix sociale bien connue en Chine.
[1] - « Droit de la propriété industrielle »,
par Raynard, Py et Tréfigny, LexisNexis 2016, p. 1.
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