L’intérêt des notaires pour le droit international privé ne cesse de grandir. Les personnes et les capitaux traversent de plus en plus les frontières, ce qui augmente le nombre de situations internationales que rencontrent les notaires. En 2002, la Commission Européenne confiait à l'Institut notarial allemand (DNotI)1 une étude qui révéla qu’au moins 50.000 successions transfrontalières se réglaient chaque année dans l’Union Européenne. L’élargissement de l’Union et l’ouverture des frontières n’ont cessé de renforcer cette tendance. Les facteurs principaux qui expliquent la multiplication des successions internationales sont l’acquisition de biens immobiliers à l’étranger et l’expatriation.
Le notaire habitué à son droit national n’est pas à l’aise quand il rencontre un élément d’extranéité dans un dossier, car il ne sait pas au premier abord quelles règles appliquer. La connaissance du droit international privé doit lui permettre de démêler ces questions pour y voir clair (I). Il devra ensuite départager ce qui ressort de la loi successorale et ce qui lui échappe (II). Cette clarification de la loi applicable ne suffit pas à surmonter toutes les difficultés pratiques que pose une succession transfrontalière (III) ; c’est pourquoi l’Union Européenne envisage d’uniformiser le droit en cette matière (IV).
I . – D É T E RMI N AT I O N D E L A L O I APPLICABLE
A. CONTENU DE LA RÈGLE DE CONFLIT
En l’absence de toute unification des règles de droit international privé2, la détermination de la loi applicable à la succession obéit en France au droit interne. Le droit international privé français applique aux successions le système de scission de la loi successorale. La loi du dernier domicile du défunt régit la succession mobilière et la loi du lieu de situation règle la succession immobilière3.
Ce principe scissionniste rompt l’unité de la succession, mais il présente un avantage : la loi applicable à la succession immobilière est toujours la loi nationale du notaire chargé d’assurer la transmission des actifs immobiliers. Ceci est d’autant plus appréciable en France où la loi réserve aux notaires l’établissement des actes qui constatent le transfert de propriété des immeubles. Ce morcellement du droit applicable est atténué par la règle du renvoi : un récent arrêt de la Cour de cassation admet le renvoi par loi que désigne la règle de conflit à une autre loi lorsque ce renvoi entraine l’ application d’une loi unique à la succession.
A la différence du droit russe qui est codifié, le droit international privé est principalement l’oeuvre de la jurisprudence. En matière successorale, les règles de conflit sont impératives : la volonté du de cujus ni des héritiers ne peut les écarter.
B. – MISE EN OEUVRE DE LA RÈGLE DE CONFLIT
Le notaire doit connaître la règle de conflit française,et lorsque cette règle désigne une loi étrangère, il doit l’indiquer aux parties et en rechercher le contenu lui-même. On verra plus loin quelles difficultés il rencontre en pratique.
Le principe de scission suppose de déterminer au préalable la qualification mobilière ou immobilière des biens successoraux. La jurisprudence française considère que le juge doit qualifier et rattacher la question qui lui est soumise d’après sa propre loi, la loi du for. Ce sont donc les critères du droit français qui permettront de départager les biens meubles des biens immeubles.
La loi successorale étrangère désignée par la règle de conflit peut être écartée si elle est contraire à l’ ordre public. L’ordre public français prohibe les discriminations fondées sur le sexe, l’âge, la race ou la religion ; il fait par exemple obstacle à l’application du droit musulman qui donne aux héritiers mâles une part double à celle des filles.
Lorsque l’ordre public évince la loi étrangère, il lui substitue la loi du for. Cependant, l’ordre public peut reconnaître des droits valablement acquis à l’étranger alors qu’il s’opposerait à leur acquisition en France ; on parle alors d’ordre public atténué. C’est ainsi qu’ un mariage polygamique contracté à l’étranger pourra produire des effets successoraux en France. Un comportement frauduleux peut également contrecarrer à l’application de la loi étrangère. Il y a fraude à la loi lorsque des particuliers utilisent les règles de conflit dans le seul but de contourner une disposition impérative de la loi française. C’est le cas lorsqu’une personne change de nationalité pour échapper à une prohibition que fixe sa loi personnelle.
La fraude peut aussi porter sur le rattachement en changeant la qualification d’un bien successoral pour qu’il soit régi par une autre loi. L’apport à société permet de transformer un bien immobilier en un bien mobilier : si le défunt résidait à l’étranger, cela permettrait de faire échapper un immeuble à la loi successorale française.
II. – DOMAINE DE LA LOI SUCCESSORALE
La loi successorale définit le lieu, le moment et les causes d’ouverture de la succession.
La loi successorale fixe également les qualités requises pour succéder, et détermine les causes d’ indignité. C’est elle qui indique si un enfant conçu mais encore à naître peut hériter de son auteur. La loi successorale détermine les successibles et la part qui leur revient. Elle établit les droits du conjoint survivant, lorsqu’ils ne résultent pas du régime matrimonial ou d’un avantage matrimonial.
La loi successorale indique qui sont les héritiers réservataires. S'appliquant à la réduction des libéralités qui dépassent la quotité disponible, cette loi fixe l'ordre et les modalités de réduction, les délais de prescription de l'action en réduction, ainsi que les personnes pouvant exercer ladite action.
C’est encore la loi successorale qui fixe : - les conditions de l’option successorale ; - les modes de preuve de la qualité d’héritier ; - les droits et pouvoirs de l’exécuteur testamentaire ; - les règles de vacance de la succession ; - les modalités du transfert de l’actif et du passif. En revanche : - la détermination des liens de parenté relève de la loi personnelle ; - la capacité pour exercer l’option successorale relève de la loi personnelle. - la forme des testaments est régie par la Convention de la Haye du 5 octobre 1961 qui reconnaît comme valable un testament qui répond à la loi : • du lieu où le testateur a disposé ; • de la nationalité qu’avait le testateur au moment où il a disposé ; • de la nationalité qu’avait le testateur à son décès ; • du domicile du testateur au moment où il a disposé ; • du domicile du testateur à son décès ; • pour les immeubles, de leur lieu de situation. - les mesures conservatoires du testament sont soumises à la loi du lieu de découverte du testament ; - les mesures d’exécution du testament sont soumises à la loi du lieu d’exécution.
III. – DIFFICULTÉS PRATIQUES
Après avoir exposé les règles du droit international privé, je décrirai quelques problèmes concrets que rencontrent les notaires et les solutions classiques ou nouvelles qui leur permettent de les résoudre. Le règlement d’une succession internationale soulève en effet de nombreuses difficultés pratiques.
A. CONNAISSANCE DE LA LOI ÉTRANGÈRE APPLICABLE
Lorsqu’une loi étrangère est applicable, le notaire chargé de la succession doit découvrir quelles règles fixe la loi étrangère. La solution classique consiste à demander aux autorités consulaires du pays concerné un certificat de coutume, c’est à dire une consultation écrite expliquant le contenu de la loi applicable.Parfois le consulat sollicité renvoie à un juriste qui connaît et pratique la loi applicable. La valeur d’un tel certificat dépend avant tout de la compétence de celui qui le dresse. Il est souvent difficile au notaire d’ obtenir une réponse suffisamment claire et complète pour régler la succession en toute sécurité. C’est pour surmonter cette difficulté que le Conseil des Notariats de l'Union Européenne (CNUE) a créé en 2006 le Réseau Notarial Européen. Il réunit les notariats des pays suivants : Allemagne, Autriche, Belgique,Bulgarie, Croatie, Espagne, Estonie, France, Grèce,Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie.
Le Réseau Notarial Européen facilite les échanges entre notaires de l’Union Européenne ; il doit permettre au notaire qui a besoin de connaître le contenu d’une loi étrangère d’entrer en relation avec un confère ou l’organisation professionnelle notariale du pays concerné pour obtenir toutes les notions de droit successoral nécessaires pour respecter les règles fixées par la loi applicable.
B. – PREUVE DE LA QUALITÉ D’HÉRITIER
Le droit français exige la légalisation des actes étrangers et leur traduction par un traducteur assermenté, à moins que l’acte ne provienne d’un pays et d’une autorité bénéficiant soit du formalisme simplifié de l’apostille, soit d’une dispense de légalisation.
La difficulté pour le notaire est de savoir quelle preuve admettre. En effet, les modes de preuve varient selon les systèmes juridiques : il peut s’agit d’acte notarié (acte de notoriété ou certificat d’héritier) ou d’une décision de justice, voire d’un acte délivré par une administration. A moins de connaître les règles de preuve fixées par la loi applicable, le notaire risque de se baser sur un document qui ne prouve pas valablement la qualité d’héritier. En l’état actuel, seul un certificat de coutume peut lui indiquer quel type de preuve il doit exiger.
C. – DIFFICULTÉS RELATIVES AUX TESTAMENTS
Le contenu du testament fait le plus souvent implicitement référence à la loi successorale d’un État. Si la loi successorale est finalement une autre loi que celle prévue par le testateur, le contenue du testament peut être inapplicable voir dénué de sens. Par exemple, un testament qui lègue la quotité disponible de la succession ne signifie rien si la loi applicable ne connaît pas la réserve héréditaire. La solution concrète à cette difficulté consiste à faire un testament pour chaque loi qui pourrait s’appliquer en précisant qu’il ne s’exécutera que si loi applicable est celle indiquée par le testament.
La recherche des testaments rédigés à l’étranger représente également une entrave à la liquidation des successions transfrontalières : avant de délivrer un certificat d’héritier ou de liquider la succession, il faut vérifier si le testateur a rédigé un testament dans l’ État où il résidait précédemment. Sans un système efficace de recherche et d’échange d’informations, cette difficulté est pratiquement insurmontable ; c’est la raison pour laquelle le Conseil des Notariats de l'Union Europ
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