Question II:
Le régime matrimonial
1. Les régimes matrimoniaux appellent quatre observations liminaires.
1°/ Les époux choisissent librement leur régime matrimonial : c’est le principe de la liberté des conventions matrimoniales.
Plus précisément, la loi leur propose un régime qui sera le leur s'ils n'en choisissent pas un autre : c'est le régime légal. Mais ils peuvent le modifier, ou adopter un régime complètement différent qu'ils choisissent parmi certains modèles prévus par la loi ou qu'ils bâtissent de toutes pièces : on parle alors de régime conventionnel.
Cependant, la liberté des conventions matrimoniales est bornée par deux limites :
- D'abord, par une limite qui s'impose pour toutes les conventions, et qui tient au respect de l'ordre public et des bonnes mœurs (un contrat de mariage ne peut contenir aucune stipulation sur une succession future ou sur l'autorité parentale).
- Ensuite, par une limite particulière à la matière des régimes matrimoniaux, et qui tient à l'existence de règles impératives formant ce que l'on appelle le régime primaire : ces règles qui s’imposent à tous les époux, comme des effets obligés du mariage, sont celles : - qui mettent à la charge de chacun des époux une obligation de contribuer aux charges du mariage; - qui les obligent solidairement au paiement des dettes contractées par chacun d'eux pour l'entretien du ménage et l'éducation des enfants (on parle de "dettes ménagères"); - qui imposent le consentement des deux époux pour disposer des droits assurant le logement de la famille (vente de l’immeuble ou résiliation du bail).
2°/ Les futurs époux qui adoptent un régime conventionnel ou les époux qui souhaitent changer de régime matrimonial doivent recourir au notaire. Le contrat de mariage est nécessairement un acte authentique : un contrat de mariage sous seing privé est radicalement nul.
3°/ Depuis la loi du 13 juillet 1965, les époux peuvent changer de régime matrimonial en cours de mariage, pourvu que ce changement soit conforme à l’intérêt de la famille. Jusqu’à la loi du 23 juin 2006, ce changement supposait une décision de justice : cette procédure d’homologation judiciaire a aujourd'hui disparu.
4°/Tout régime matrimonial règle trois questions.
- Première question : c’est celle de la propriété des biens ou de la répartition de l’actif. A cette question, deux réponses sont possibles. Soit chaque époux conserve la propriété exclusive de ses biens : de ceux qu’il a acquis avant le mariage comme de ceux qu’il acquiert au cours du mariage. Soit il s’établit entre les époux une union d’intérêts
pécuniaires : certains biens deviennent la propriété commune du mari et de la femme ; ces biens communs forment une masse commune, que l'on appelle la "communauté".
- Deuxième question : c'est celle de la délimitation du gage des créanciers des époux ou de la répartition du passif. Il s'agit de savoir quels biens le créancier d’un époux peut saisir. Aujourd’hui, cette question se pose surtout, et presque exclusivement, lorsqu’il existe une masse commune : les créanciers d’un époux peuvent-ils alors saisir, outre les biens personnels de leur débiteur, les biens communs ?
- Troisième question : c'est celle de la gestion des biens où de la répartition des pouvoirs. Il s'agit de savoir qui a le pouvoir de gérer, d'administrer les biens du ménage ? Comme la précédente, cette question se pose surtout, et presque exclusivement, lorsqu’il existe une masse commune : qui peut, par exemple, disposer des biens communs ? ou, moins gravement, qui peut les donner à bail ?
2. Les régimes matrimoniaux ont été refondus en droit français par la loi du 13 juillet 1965 et amendés par la loi du 23 décembre 1985. La loi, aujourd’hui, propose trois types de régime : des régimes de communauté, le régime de la séparation de biens et, intermédiaire entre les deux précédents, le régime de la participation aux acquêts.
Les développements qui suivent se limiteront aux régimes de communauté et à la séparation des biens.
I. Les régimes de communauté
3. Ils sont tous caractérisés par une union d’intérêts pécuniaires, par l’existence de biens communs, d’une communauté, qui est une sorte de copropriété familiale.
Parmi ces régimes de communauté, il en est un qui a une importance particulière : c’est celui qui constitue le régime légal (c’est-à-dire le régime que tous les époux qui n’ont pas passé de contrat de mariage : supra, n° 1) et que l’on appelle la communauté légale, la distinguant ainsi des autres, que l’on appelle les communautés conventionnelles.
On se bornera ici à l’étude de cette communauté légale, en distinguant les trois questions qui ont été évoquées plus haut.
4. S’agissant de la répartition de l’actif, il existe trois masses : la communauté et les patrimoines propres de chacun des époux.
La communauté est réduite aux acquêts : elle comprend tous les revenus des époux, ceux de leur travail et ceux de leurs biens propres, ainsi que tous les biens acquis à titre onéreux au cours du mariage, y compris ceux qui ont été créés (telle une entreprise industrielle ou commerciale).
Les patrimoines propres de chacun des époux comprennent les biens acquis par les époux avant le mariage et les biens acquis par eux à titre gratuit au cours du mariage (-par succession ou libéralités). S’y ajoutent : - les biens qui ont un caractère personnel accentué, que l’on appelle biens propres par nature (par exemple, les dommages intérêts réparant un préjudice moral) ; - les biens ont été acquis au moyen de deniers propres et suivant certaines formalités, qui sont des biens propres par subrogation.
Comme on le voit, la répartition de l’actif obéit à une idée simple : sont communs aux époux les richesses dont la constitution correspond à un effort conjoint d’économie, dont la formation est le fruit d’une coopération conjugale.
5. S’agissant de la répartition du passif, le principe est que les dettes nées du chef d’un époux au cours du mariage sont exécutoires sur ses biens propres et sur les biens communs, à l’exception des gains et salaires du conjoint. On voit ainsi le danger que peut présenter la communauté : un époux peut voir saisis par les créanciers de son conjoint tous les acquêts qu’il a réalisés, notamment les biens qu’il a acquis grâce à ses revenus professionnels,
Ce principe souffre deux exceptions :
- Les dettes ménagères sont exécutoires sur les trois patrimoines, de sorte qu’il se produit ici une extension du gage ordinaire des créanciers (supra, n° 1);
- Les dettes d’emprunts ou de cautionnements consentis sans le consentement du conjoint ne sont exécutoires que sur les biens propres et les revenus de l’époux débiteur, à l’exclusion des autres biens communs : il se produit ici une restriction du gage ordinaire des créanciers, qui se justifie par le souci de protéger les époux contre des engagements jugés particulièrement dangereux.
6. S’agissant de la répartition des pouvoirs, il faut distinguer entre les biens propres et les biens communs.
Les biens propres relèvent d’un système de gestion exclusive : chaque époux a le pouvoir d’administrer seul ses biens propres et il est le seul à pouvoir les administrer.
Les biens communs relèvent en principe d’un système de gestion concurrente : chaque époux, agissant seul, a pareillement le pouvoir d’administrer les biens communs. Sauf deux exceptions :
- La première concerne les actes graves telles la donation, l’hypothèque, la vente d’un immeuble ou d’un fonds de commerce. Ces actes relèvent d’un système de cogestion : ils exigent le consentement des deux époux ;
- La seconde concerne les actes portant sur les biens affectés à l’exercice d’une profession séparée (par exemple, le local où un époux exerce une profession libérale). Ces actes relèvent de la gestion exclusive, sauf pour les actes graves : le souci de sauvegarder l’indépendance professionnelle de chacun des époux fait que la gestion exclusive chasse la gestion concurrente (mais non la cogestion).
II. Le régime de la séparation des biens
7. Il s’agit d’un régime individualiste.
Théoriquement, c’est le plus simple des régimes : 1°/ Chaque époux conserve la propriété exclusive des biens qu’il possédait avant le mariage comme de ceux qu’il acquiert au cours du mariage : il n’y a aucune union d’intérêt pécuniaire. 2°/ Chaque époux n’engage par ses dettes que ses seuls biens personnels. 3°/ Chaque époux conserve les pleins pouvoirs d’administration de ses biens ; chacun, notamment, peut disposer librement de ses biens. On a pu dire que c’était un régime matrimonial de célibataires.
Pratiquement, ce régime pose de sérieuses difficultés. Voici les trois principales :
- La première concerne les biens meubles : il s’agit de difficultés de preuve. Il est souvent difficile de savoir à qui tel ou tel meuble appartient. En cas de doute persistant, la loi pose une présomption d’indivision par moitié. Mais, le contrat de mariage peut stipuler des présomptions différentes.
- La deuxième difficulté concerne les immeubles. Souvent, les époux acquièrent ensemble tel ou tel immeuble, notamment celui qui leur tient lieu de logement. Or, cette indivision pose deux séries de difficultés : d’abord des difficultés de fonctionnement, car l’indivision est une forme de propriété collective plus rudimentaire, moins organisée que ne l’est la communauté ; ensuite des difficultés de liquidation lorsque l’immeuble acquis par les deux époux a été financé par un seul, il se pose de redoutables difficultés de liquidation pécuniaire (s’agit-il d’une donation ? ou d’un simple prêt ?).
- La troisième difficulté se rencontre dans le cas de la femme séparée de biens qui ne travaille pas. En cas de divorce, elle risque de se trouver complètement démunie. Aussi, la jurisprudence vient-elle à son secours lorsque sa collaboration à la profession de son mari ou son activité au foyer est allée au-delà de ce à quoi elle était tenue au titre de son obligation de contribuer aux charges du mariage : d’une part, elle lui reconnaît parfois une créance d’enrichissement sans cause, qui lui permet d’obtenir, sous la forme d’une indemnité, la rémunération de son activité, professionnelle ou ménagère ; d’autre part, elle considère que le paiement par le mari de la totalité du prix d’un bien acquis ensemble ne constitue ni une donation (qui serait exposée aux causes de révocations propres aux libéralités) ni un prêt (qui obligerait à un remboursement), mais la rémunération de son travail.