La
donation-partage internationale
Sébastien
COLLET, Notaire à Laval
Marjorie
GRAND, Notaire à Valence
Marion
GIRARD-CABOUAT, Notaire à Annecy
La donation-partage dans un
contexte international est un bel outil de transmission patrimoniale, notamment
quand le patrimoine à transmettre et partager se situe dans plusieurs pays.
D'une part, la possibilité
d'intégrer des patrimoines immobiliers ou mobiliers se trouvant à l'étranger
peut apporter une réponse à la problématique des donations partages indivises,
quand le patrimoine français est insuffisant pour allotir chaque enfant de
droits divis.
D'autre part, l'évolution de la
société, la libre circulation des personnes et des biens en Europe, la monnaie
unique, ainsi que les facilités de déplacement dans le monde entier ont
facilité les investissements extra-frontaliers.
Sur 15 % des ménages possédant
un bien autre que leur résidence principale (résidence secondaire ou
d'investissement), 7 % ont désormais un bien immobilier à l'étranger et ce
phénomène tend à s'accentuer.
Dans le même temps, les
investissements immobiliers privés réalisés en France par des non-résidents
restent nombreux. En Provence-Alpes-Côte d'Azur, par exemple, « un détenteur de
résidence secondaire sur cinq réside fiscalement à l'étranger.
Ces propriétaires étrangers
peuvent être amenés à consulter un notaire pour anticiper la transmission des
biens se trouvant en France. Bien que le notaire ait une compétence
territoriale nationale, rien ne lui interdit de recevoir en son office un acte
réalisé par des résidents étrangers, et portant sur des biens français et
étrangers, ou se trouvant même exclusivement dans des pays étrangers. Notre
compétence territoriale vise le lieu d'exercice et de réception des actes, et
non l'objet (ou leur lieu de situation).
La donation-partage étant, sans
doute, l'outil d'anticipation et de transmission successorale ayant le plus de
succès dans notre pays, il serait dommage, face à une internationalisation du
patrimoine et des richesses, de se priver de cet outil.
Or, force est de constater que
cet outil n'a pas su trouver d'application en droit international privé.
Les
raisons d'un désintérêt pour la donation-partage internationale.
Dans un contexte
transfrontalier, la donation-partage a longtemps été ignorée car le droit
international ne permettait pas d'en assurer l'efficacité :
• La
première difficulté concernait la détermination de sa loi
de rattachement. En droit international privé, il existe quatre statuts que
sont le statut personnel, le statut réel, les faits et actes juridiques et,
deux statuts autonomes que sont les régimes matrimoniaux et les successions.
Chaque opération doit être qualifiée et intégrer l'un de ces statuts.
Nous comprenons aisément
qu'avec sa nature hybride, la donation-partage pourrait, en tant que
libéralité, être rattachée à la catégorie des actes juridiques (comme c'est le
cas pour une donation simple), et, en tant que partage anticipé de la
succession, être rattachée au statut autonome des successions.
Il est désormais admis que la
donation-partage, le partage d'ascendant, et de manière plus générale les
pactes successoraux sont rattachés au statut des successions (qui a vocation à
régir l'ordre des successibles, les qualités requises pour succéder, la date
requise pour la succession, la transmission et l'administration de la
succession, l'obligation et la contribution au passif, la réserve héréditaire,
le partage…) ;
• La
seconde difficulté consistait en ce que, durant de nombreuses
décennies, le droit international privé français prévoyait, en matière de
succession, un morcellement de la succession en soumettant les biens meubles à
la loi du dernier domicile, et les biens immobiliers à la loi de leur lieu de
situation (lex rei sitae). Cette dernière pouvant renvoyer à
une autre loi, et notamment celle du dernier domicile du défunt, et ainsi
soumettre la succession à une loi unique.
À titre
d'exemple, une succession ouverte en France, dont le défunt de nationalité
française, décédé à Paris, était propriétaire d'une maison en Italie, d'un
appartement en France et de comptes bancaires dans ces deux pays.
Les règles de droit
international privé conduisaient à appliquer la loi française, en tant que loi
du dernier domicile du défunt, aux comptes bancaires français et italiens, et
la loi française, en tant que loi de situation de l'immeuble, à l'appartement
français ; pour la maison en Italie, la loi italienne s'appliquait.
La règle de conflit de lois
italienne prévoyait que la loi compétente en matière successorale était la loi
nationale du défunt (même pour les immeubles), donc la loi française. Ce renvoi
permettait d'avoir une loi unique applicable à la succession.
Variante
1 : Mais dans la même situation, si le défunt avait eu, en outre, un
studio au Grand-Duché de Luxembourg, la succession aurait vu deux lois
différentes s'appliquer : la loi française aux comptes bancaires (français et
italien), à l'appartement français, à la maison en Italie (par application de
la règle de conflit de lois italienne et du renvoi à la loi française), et la
loi luxembourgeoise au studio. La règle de rattachement du Grand-Duché était la
même que celle du droit international privé français (lex rei
sitae) pour les immeubles, et loi du dernier domicile pour les
meubles), la loi luxembourgeoise trouvait donc à s'appliquer au seul bien sis
au Grand-Duché.
Aussi, une donation-partage que
le défunt aurait pu consentir à ses trois enfants aurait pu être exécutée et
produire ses effets, à l'ouverture de la succession. La loi française et la loi
luxembourgeoise auraient fait produire à cette donation-partage tous ses
effets, puisque les législations de ces deux États reconnaissent la validité
d'un tel acte.
Variante
2 : En revanche dans la même situation, si le défunt, résident
français, avait été de nationalité italienne, la loi italienne se serait
appliquée à la succession pour la maison italienne (loi nationale qui
s'applique – la loi italienne aurait accepté le renvoi opéré par la loi
française, lex rei sitae). La succession aurait connu
l'application de trois lois.
Et dans ce cas, une
donation-partage que le défunt aurait pu consentir à ses trois enfants aurait
connu une exécution partielle, à l'ouverture de la succession. Car bien que
reconnue par la loi française et la loi luxembourgeoise, la loi italienne quant
à elle prohibe les pactes sur succession future et ne reconnaît pas la validité
d'une telle donation-partage.
Il faut également rappeler que
les règles impératives de la réserve héréditaire relèvent de la loi
successorale. En présence d'un régime scissionniste, la réserve se calculait
par masses soumises à des lois différentes. En d'autres termes, la réserve et
la quotité disponible se calculaient sur chaque masse de biens par loi
applicable. Il s'agit d'une jurisprudence de la Cour de cassation, notamment
dans l'arrêt Pearsh et Tayer du 4
décembre 1990.
Ainsi, à l'ouverture de la
succession, il y avait lieu de considérer qu'il existait trois masses
distinctes : française, italienne et luxembourgeoise. Les donataires des biens
italiens et luxembourgeois pouvaient demander leur part de réserve dans la
masse des biens français au titre de leur réserve, sans avoir à tenir compte de
ce qu'ils avaient pu recevoir dans les autres masses. À l'inverse le donataire
des biens français pouvait réclamer, dans les masses des autres lois
applicables, la part lui revenant sans tenir compte de ce qu'il avait reçu en
France.
Variante
3 : Et si, parmi les lois successorales applicables, certaines ne
connaissent pas la notion de réserve héréditaire, comme en Grande-Bretagne,
l'héritier bénéficiaire du bien immobilier à Londres, par exemple, pouvait
venir demander sa part de réserve sur les autres masses soumises à des lois
connaissant de la réserve, alors que les autres héritiers ne pouvaient pas en
faire de même sur la masse de biens soumise à la loi de la Grande-Bretagne.
Aussi, le résultat était bien
éloigné du vœu d'égalité exprimé par le donateur de son vivant.
– Le
double apport du règlement européen pour les donations-partages.
Le règlement européen no 650/2012
du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 met, tout d'abord, fin au
morcellement des successions en édictant une règle d'unité de la loi
successorale. Ainsi, la succession ne sera plus soumise à plusieurs lois
différentes, mais à une seule loi, celle de la dernière résidence habituelle du
défunt, sauf si la succession entretient des liens manifestement plus étroits
avec une autre loi (Règl., art. 21, § 1).
En outre, le règlement a mis en
avant l'autonomie de la volonté. Il ne s'agit pas d'une véritable professio
juris, comme on aime à le croire, mais d'une optio
juris. En effet, le choix laissé à la personne est assez restreint
puisqu'elle ne peut opter que pour sa loi nationale au jour de l'option ou sa
loi nationale au jour de son décès (Règl., art. 22, § 1, al. 1). Auquel cas, la
succession ou la disposition à cause de mort sera soumise à la seule loi
nationale du défunt/disposant.
Ainsi, le règlement apporte une
solution à la première difficulté évoquée ci-avant, le morcellement de la succession
et l'inégalité pouvant naître d'un traitement différencié de la
donation-partage par les différentes lois applicables à la succession.
En outre, le deuxième apport de
ce règlement est d'édicter le principe de validité des pactes sur succession
future, harmonisant au niveau européen la reconnaissance de ce type d'actes,
dont les donations-partages font partie. Aussi, l'ensemble des États de l'Union
européenne, parties au règlement européen, devront reconnaître la validité du
pacte et lui faire produire les effets qui lui sont attachés.
Le règlement européen joue donc
un rôle primordial pour la validité de la donation-partage tant lors de sa
conclusion que lors de son dénouement à l'ouverture de la succession.
Présentation
du règlement européen. – Le règlement européen no 650/2012
du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, applicable à toutes les
successions ouvertes à compter du 17 août 2015, apporte une solution non
négligeable à l'efficacité des donations-partages réalisées dans un contexte
international.
Préalablement à l'application
de tout règlement ou convention à une situation, il faut vérifier les critères
d'application qu'il contient : matériel, spatial et temporel. C'est une
subdivision à rajouter au raisonnement en quatre questions, présenté ci-dessous.
–Critère spatial.
Tous les pays de l'Union
européenne sont partis audit règlement, à l'exception du Danemark, de l'Irlande
et du Royaume-Uni (jusqu'au 31 janvier 2020, – Brexit).
– Critère temporel.
Ainsi, toute succession ouverte
à compter du 17 août 2015, dans l'un des États partie au règlement européen
sera soumise audit règlement.
– Critère matériel.
Le règlement ne s'applique
qu'aux successions à cause de mort, entendues comme « toute forme de transfert
de biens, de droits et d'obligations à cause de mort, qu'il s'agisse d'un acte
volontaire de transfert en vertu d'une disposition à cause de mort ou d'un
transfert dans le cadre d'une succession ab
intestat ». Il ne s'applique donc qu'aux successions dites ab
intestat, aux successions testamentaires et aux pactes successoraux
(c'est-à-dire notamment, les actes contenant des stipulations à cause de mort :
donation entre époux de biens à venir, donation résiduelle/graduelle,
donation-partage, pacte germanique…). En revanche, il ne s'applique ni aux
donations ordinaires, ni aux matières fiscales ou douanières.
En outre, ce règlement a un caractère
universel, ce qui signifie qu'il trouvera à s'appliquer à l'intégralité des
biens de la succession, et ce même s'ils se situent dans des pays non partis
audit règlement, à toutes les personnes intéressées par la succession, qu'elles
résident dans un pays partie au règlement ou non, ou qu'elles aient la
nationalité ou non de l'un de ces pays.
Conseiller,
désormais, les donations-partages internationales, quelle
méthodologie
?
Dans ce contexte international,
et parce que la donation-partage relève de la loi successorale, le notaire
devra toujours s'interroger :
• tant sur la loi applicable à
la validité de la donation-partage ;
• que sur la ou les lois
susceptibles de s'appliquer à la succession du donateur, quand elle sera
ouverte.
C'est un travail d'anticipation
et de conseil que le notaire devra effectuer.
En effet, pour que la
donation-partage produise tous ses effets, elle devra être reconnue tant par la
loi applicable à la donation-partage que par la loi applicable à la succession.
Les sujets de questionnement
sont donc nombreux, et proviennent de la nature même de la donation-partage,
acte hybride qui produit des effets immédiatement, mais également à l'ouverture
de la succession :
1. Mon acte de
donation-partage sera-t-il valable à l'étranger ?
2. Mon acte de
donation-partage sera-t-il reconnu et exécutoire à l'étranger ?
3. Mon acte de
donation-partage pourra-t-il être publié, inscrit ou transcrit sur les
registres fonciers étrangers ?
4. Mon acte de
donation-partage produira-t-il les effets escomptés à l'ouverture de la
succession ?
On prend ici toute la mesure de
l'ingénierie notariale : le notaire devra, parmi toutes les hypothèses
possibles, pouvoir aider ses clients à choisir celle qui est la plus adaptée
pour eux (par application d'une convention internationale, d'un règlement ou de
droit privé interne et donc de droit comparé), en n'omettant pas l'aspect
fiscal. Si la meilleure solution ne se trouve pas dans ces textes, le notaire
pourra en proposer d'autres à ses clients.
Le notaire devra interroger son
client, propriétaire de biens dans plusieurs pays, sur ses projets et le pays
dans lequel il est susceptible d'avoir sa résidence au jour de son décès (soit
parce qu'il a prévu de passer sa retraite dans sa résidence secondaire au
Portugal, soit parce que résidant au Brésil, il entend en cas de maladie ou en
fin de vie, revenir en France…).
Il faut également garder à l'esprit
que l'aléa du décès peut priver d'effet les projets de vie du client, et il est
dès lors fortement conseillé de s'assurer de l'efficacité de l'opération au
regard des autres lois susceptibles de s'appliquer (que le notaire aura pu
identifier au jour de la donation).
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