Panorama de l’évolution du droit au logement en France
Jérôme CAURO
Notaire, Expert auprès du Conseil Supérieur du Notariat pour la Chine
Le Code civil de la République populaire de Chine vient d’entrer en vigueur le 1er janvier 2021. Œuvre de grande envergure, il consacre pour la première fois en Chine un « Droit au logement » (articles 366 à 371) conçu comme un droit de jouissance personnel, incessible et intransmissible, pouvant être constitué par convention ou testament.
Le droit d’avoir un toit est un droit fondamental reconnu dans les sociétés modernes. En France, la loi Besson du 31 mai 1990 qui a consacré le « Droit au logement », disposait dans son article premier que « Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour la nation ».
La question du logement en France est une préoccupation très ancienne.
Le logement : une politique d’État depuis la fin du 19ème siècle
Les pouvoirs publics ont fait naître progressivement ce que l’on pourrait appeler une « politique du logement » avec l’avènement de la troisième République et la révolution industrielle de la seconde moitié du 19ème siècle.
Plusieurs lois de cette époque vont jeter les bases d’une politique du logement social. La loi Siegfried du 30 novembre 1894 instaure un système qui perdure encore aujourd'hui : celui de l'utilisation du Livret A pour financer la construction de logements locatifs sociaux. Elle définit les habitations à bon marché (HBM) et encourage leur construction par des exemptions fiscales. D’autres lois suivent, sur le permis de construire, l’accession à la petite propriété, ou la stimulation du crédit aux personnes peu fortunées pour acquérir ou construire leur maison.
Après la première guerre mondiale, la construction peine à reprendre alors que la demande de logements augmente. La loi Loucheur du 13 juillet 1928 marque l’interventionnisme de l’État en matière de logement. On assiste à la naissance de l’urbanisme : des programmes de construction d’envergure voient le jour dans les années 1930.
En 1945 une partie de la France est en ruines et les besoins en logement sont immenses. Dans l’urgence, l’État construit des habitations provisoires destinées aux réfugiés et crée un droit de réquisition au bénéfice des sans-abri. La loi du 1er septembre 1948 réorganise le marché du logement et institue le droit au maintien dans les lieux pour les locataires avec un encadrement des loyers pour certains logements.
À partir des années 1950, la reconstruction s’accélère. La création du « 1% patronal » impose aux entreprises de plus de 10 salariés le versement de 1% de la masse salariale pour la participation à l’effort de reconstruction du pays.
Dans les années 1960 et 1970, le pouvoir d’achat des ménages en augmentation et le développement du crédit favorisent l’accès à la propriété. Mais le rythme des constructions peine à suivre la progression démographique. Vient le temps de l’omnipotence de l’État, qui va impulser et conduire les politiques du logement.
La consécration du droit au logement opposable
À compter des années 1980 et 1990 se développe une politique sociale du logement. La Loi Quilliot du 22 juin 1982 énonce pour la première fois dans son article premier le « Droit fondamental à l’habitat », mais c’est la loi Besson du 31 mai 1990 qui consacre le « Droit au logement ».
Or, les pouvoirs publics étant le plus souvent dans l’incapacité de garantir ce droit au logement, il devient nécessaire de passer à la vitesse supérieure. La loi DALO du 5 mars 2007 instaure le « Droit au logement opposable » en reconnaissant un droit au logement décent aux personnes défavorisées, résidant en France de façon stable, et qui ne peuvent accéder par leurs propres moyens à un tel logement. Cette loi fait passer le droit au logement d’une obligation de moyens à une obligation de résultats. Elle désigne l’État comme le garant de ce droit et institue une voie de recours amiable devant une commission de médiation départementale, et une autre, contentieuse, devant le juge administratif.
Une fois le droit au logement reconnu à une personne, le préfet doit lui proposer un logement dans un délai de six mois, à défaut le requérant a la possibilité de faire condamner l’État à des astreintes et des dommages et intérêts pouvant osciller entre 2 000 et 10 000 euros par famille.
L’obligation pour les communes d’accueillir des logements sociaux
Pour être en capacité d’attribuer des logements aux mal logés, encore faut-il en construire suffisamment. Or, l’offre de logements sociaux demeure insuffisante, et certains quartiers sont devenus au fil du temps des lieux de ségrégation sociale où se concentrent les difficultés.
Un an après la loi Besson, la loi d’orientation pour la ville du 13 juillet 1991 fait obligation aux communes déficitaires en logements sociaux situées dans des agglomérations de plus de 200 000 habitants de disposer de 20 % de logements sociaux sur leur territoire.
Cette loi est modifiée par la loi SRU du 13 décembre 2000, dont le maître mot est la mixité sociale, qui impose en son article 55 aux communes de plus de 1 500 habitants en Île-de-France, et de plus de 3 500 habitants pour les autres régions, et comprises dans une agglomération de plus de 50 000 habitants, de disposer d'au moins 20 % de logements sociaux. Ce taux est porté à 25 % par la loi Duflot I du 18 janvier 2013.
La loi SRU prévoit toutefois que les communes concernées par cette obligation peuvent s'y soustraire par le paiement d'une taxe annuelle. Cette option a été utilisée par des communes estimant manquer de l'espace nécessaire, ou refusant de construire de nouveaux logements sociaux.
C’est pourquoi ce dispositif a été corrigé : l’État procède chaque année à un inventaire avec les communes concernées, et celles n’ayant pas suffisamment de logements sociaux doivent rattraper leur retard. Elles sont redevables d’un prélèvement annuel opéré sur leurs ressources, et soumises à une obligation de rattrapage définie pour trois ans pour leur permettre d’atteindre le taux légal en 2025.
À l’issue de ces trois ans, le préfet vérifie le respect de ces objectifs de rattrapage, et peut sanctionner une commune qui ne les a pas remplis. Il peut ainsi se substituer au maire dans le domaine de l’urbanisme, et notamment reprendre la délivrance des autorisations d’urbanisme, exercer le droit de préemption urbain de la commune pour la réalisation de logements sociaux, conclure une convention avec un bailleur social pour la réalisation d’une opération de logement social, ou encore majorer jusqu’à cinq fois le prélèvement dû par les communes qui ne respectent pas leurs objectifs de production de logements sociaux, et augmenter le plafond des pénalités pour les communes les plus riches.
Toutes les politiques du logement mises en œuvre ces dernières années s’articulent autour de trois axes majeurs : développer à la fois l’offre publique et privée, soutenir la mixité sociale pour répartir les difficultés dans la ville, et mieux partager les efforts entre les communes.
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