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Le notaire et le règlement amiable des litiges

Le notaire et le règlement amiable des litiges 

 

Charles GIJSBERS

Agrégé de droit privé et de sciences criminelles

Professeur à l’Université de Rouen Normandie

 

1.        Au-delà des implications patrimoniales et extrapatrimoniales évoquées dans les interventions précédentes, la circulation des hommes et des capitaux est la source inévitable de litiges transfrontaliers entre particuliers ou entre acteurs économiques, qui peuvent éprouver quelques réticences à l’idée d’avoir à plaider devant des juridictions étrangères dont ils ignorent le fonctionnement et les rouages.

 

2.        Or il n’y a pas de fatalité, pour les parties à un litige, à devoir subir un procès long et coûteux devant une juridiction lointaine. La résolution de leur désaccord peut emprunter une autre voie, celle d’une justice alternative qui fera primer la logique du dialogue sur celle de l’affrontement, ce que nous avons pris l’habitude de désigner en France par l’expression : « modes amiables de règlement des différends », ou encore « modes alternatifs de règlement des litiges ».

 

3.        C’est cette manière « pacifique » de résoudre les litiges que j’aimerais présenter dans cette communication, en vous faisant part de l’expérience française en la matière, et en tâchant plus précisément d’expliquer

 

-            d’abord, les causes et les manifestations du succès de ces modes amiables de règlement des litiges sur notre sol (I)

 

-            puis, la part croissante que sont appelés à y prendre les notaires (II). 

 

I. Le succès des modes de règlement amiable des différends

 

4.        Débutons par une définition : en quoi consiste le règlement amiable des différends ?

 

Il y a deux pièges qu’il faut à tout prix éviter.  

 

1/ Un premier piège consisterait à penser que la résolution amiable est une manière extra-juridique de résoudre les litiges, autrement dit qu’elle permet de bannir l’application des règles de droit.

 

Rien n’est plus inexact.

 

Sans doute le droit n’est-il pas toujours la considération prépondérante dans l’obtention d’une solution négociée. Sans doute d’autres facteurs, humains, psychologiques, économiques, d’équité entrent en jeu.

 

Mais l’on ne saurait, pour autant, se détacher totalement des règles de droit.

 

-          La meilleure preuve en est que ces modes alternatifs sont tendus vers la conclusion d’une transaction entre les parties qui, à peine de nullité, ne saurait méconnaître les règles d’ordre public.

 

-          En outre, nous verrons que, lorsque le juge est sollicité pour homologuer cet accord, il exerce un contrôle de l’accord conclu entre les parties dont il doit vérifier qu’il n’est pas contraire à l’ordre public. 

 

2/ Le deuxième piège serait de penser que la résolution amiable des différends est une manière d’évincer totalement et définitivement le juge. 

 

Erreur profonde ici encore...

 

-          Pour s’en convaincre, on relira d’abord l’article 21 du Code de procédure civile selon lequel « il entre dans la mission du juge de concilier les parties ». Mission qu’il peut d’ailleurs déléguer à un conciliateur de justice ou un médiateur judiciaire.

Il est d’ailleurs devenu courant de distinguer, au sein des modes de règlement amiable : ceux qui s’organisent dans l’orbite de l’institution judiciaire, c’est-à-dire en cours d’instance et sous l’égide du juge (la médiation et la conciliation judiciaire[1]) ; et ceux qui prospèrent en dehors de toute instance et que l’on appelle, pour cette raison, les modes extrajudiciaires de règlement des litiges[2].

 

-          Ensuite, et surtout, même lorsque le règlement amiable a eu lieu en dehors de toute intervention judiciaire, le juge pourrait intervenir a posteriori : soit pour conférer à l’accord des parties la force exécutoire (ce qui sera nécessaire si un notaire n’est pas intervenu : v. infra), soit pour apprécier la validité de cet accord dans le cadre d’une éventuelle action en nullité introduite par l’une des parties.

 

Ces pièges évités, comment définir positivement le règlement amiable des litiges ?

 

La réponse est en réalité très simple : le règlement du litige est amiable lorsqu’il prend fin par l’effet d’un accord des parties, que celles-ci élaborent avec l’aide d’un tiers.

 

C’est donc très différent d’un jugement rendu par un tribunal étatique ou d’une sentence émanant d’un tribunal arbitral car c’est alors une décision du juge ou de l’arbitre qui tranche le litige et s’impose aux parties.

 

Dans les modes de règlement amiable, c’est la volonté des parties qui résout le différend, le tiers – médiateur ou conciliateur – étant là pour aider les parties à élaborer la solution.

 

C’est d’ailleurs ainsi que le droit européen conçoit les choses puisque la directive européenne du 21 mai 2008 définit le règlement amiable comme « tout processus structuré, quelle que soit la manière dont il est nommé ou visé, dans lequel deux ou plusieurs parties à un litige tentent par elles-mêmes, volontairement, de parvenir à un accord sur la résolution de leur litige avec l’aide d’un médiateur ».[3]

 

5.        Ainsi défini, tâchons de montrer brièvement les manifestations du succès du règlement amiable des litiges en France (A) avant d’analyser les causes de ce succès (B). 

 

A/ Manifestations

 

Il serait vain de penser pouvoir présenter, dans un si bref délai, l’ensemble de la réglementation française en la matière. Je me bornerai à retracer cinq grandes étapes de l’essor du règlement amiable des litiges en droit français.

 

6.        La première étape, qui est en réalité un point de départ, est le Code français de procédure civile de 1975, dans lequel le législateur n’avait pas été très bavard sur le règlement amiable des litiges même s’il avait inscrit la conciliation parmi les principes directeurs de la matière, en tant que composante de la mission du juge[4].

 

7.        La deuxième étape est marquée par la loi du 8 février 1995 qui introduit la conciliation et la médiation judiciaires, c’est-à-dire la possibilité pour les parties, si elles veulent bien s’y engager, de conduire des discussions sous l’égide d’un tiers désigné par le juge, qui doit informer celui-ci de l’avancée de sa mission[5].

 

Les textes distinguent formellement la conciliation judiciaire et la médiation judiciaire : la différence n’est pas très sensible, sinon sous l’angle du coût car la conciliation est gratuite alors que le médiateur est rémunéré par les parties.

 

8.        La troisième étape est plus diffuse. En marge de cette loi de 1995, qui intéresse le droit commun du règlement amiable des litiges, le législateur a développé les modes alternatifs dans un nombre considérable de branches du droit, avec des adaptations rendues nécessaires aux enjeux propres à chaque matière.

 

Le phénomène se manifeste ainsi, notamment, en matière familiale, en droit des entreprises en difficultés, dans les rapports du droit de la consommation, en matière prud’homale, dans le secteur bancaire, cinématographique, sportif, en droit administratif, en matière pénale, etc. et la liste pourrait encore être très longue.

 

9.        La quatrième étape trouve son origine dans un texte européen : c’est la directive du 21 mai 2008 dont l’objet affiché est de « faciliter l’accès à des procédures alternatives de résolutions des litiges en encourageant le recours à la médiation et en garantissant une articulation satisfaisante entre la médiation et les procédures judiciaires ». Directive très importante car elle vise précisément à un traitement global des modes alternatifs, qu’ils soient judiciaires ou extrajudiciaires.

 

Cette directive sera transposée par l’ordonnance du 16 novembre 2011 et par le décret du 20 janvier 2012 qui introduisent dans le Code de procédure civile un Livre V consacré à la « résolution amiable des différends » qui concerne la « médiation et la conciliation conventionnelles »[6]. C’est symboliquement très important.

 

10.    Cinquième étape : les textes ultérieurs se sont succédés et n’ont fait qu’amplifier le phénomène.

 

Je n’en prends qu’un exemple, tiré de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle en date du 18 novembre 2018 qui a créé une obligation pour les parties à un litige inférieur à 4000 euros de se concilier avant de pouvoir saisir la juridiction[7]. La conciliation n’est plus alors perçue comme quelque chose de souhaitable : elle devient obligatoire !

 

***

 

Cela invite à se demander pourquoi le législateur plébiscite à ce point les modes alternatifs de règlement des litiges.

 

B/ Causes

 

11.    La première raison du succès du règlement amiable des litiges tient à l’intérêt qu’il représente pour les justiciables.

 

Il y a, d’abord, un intérêt négatif qui tient dans l’évitement des maux habituellement associés au procès.

 

Ces maux, chacun les connaît : le coût, la durée, et l’incertitude liée à l’inévitable aléa judiciaire[8].

 

Sous ce premier regard, les modes alternatifs se présentent donc comme une réaction aux défauts de la justice étatique : ils sont moins lents, moins chers et moins incertains puisque les parties élaborent ensemble la solution.

 

Mais il faut également, ensuite, envisager la médiation pour ses avantages propres et non en raison des inconvénients qu’elle permet d’éviter.

 

A cet égard, on dit souvent que la justice négociée permettrait un meilleur traitement du différend noué entre les parties, en le réglant sous tous ses aspects : non seulement les aspects juridique et financier mais également les aspects psychologique, humain, relationnel.

 

Le juge va certes clore le litige en surface par une décision qui s’impose aux parties mais ne va pas éradiquer le conflit lui-même qui pourrait reprendre de plus belle sur un nouveau terrain (la décision n’offrant aux plaideurs qu’un répit temporaire).

 

Les modes amiables permettent au contraire de traiter le mal à la racine et de l’éradiquer complètement. Ils permettent aux parties de renouer le dialogue et de préserver leur relation future, qu’elle soit familiale ou économique. Là où le procès excite les passions et attise les haines, les modes alternatifs permettent, dit-on de restaurer la concorde et la paix[9].

 

12.    L’intérêt du règlement amiable pour les justiciables n’explique pas à lui seul l’engouement des pouvoirs publics pour ces modes alternatifs. L’État, lui aussi, y trouve intérêt puisque cela permet une économie des deniers publics.

On espère, par le développement des modes alternatifs, désengorger les juridictions, et réaliser ainsi d’importantes économies sur le budget , , de fonctionnement de la justice.

 

L’idée n’est d’ailleurs pas seulement française. Un rapport de la Direction générale des politiques internes présenté au Parlement européen en 2011 comparait le coût de différentes manières judiciaires et non judiciaires de résolution des conflits, pour conclure que les bénéfices économiques pour l'État penchent nettement en faveur des modes alternatifs[10].

 

Toutes ces raisons font dire que la résolution amiable des litiges est désormais bien ancrée dans le paysage juridique français et européen et il est clair que les notaires ont un important rôle à y prendre.

 

II. Le rôle du notaire dans le règlement amiable des différends

 

13.    Deux raisons fondamentales justifient le rôle important que le notaire est appelé à jouer dans le règlement amiable des litiges.

 

La première est liée au statut du notaire dont les devoirs professionnels en font un parfait médiateur pour mener les parties vers un accord. 

 

La seconde est liée aux attributs de l’acte authentique qui est un instrument particulièrement fiable pour relater l’accord des parties et lui donner toute l’efficacité qu’il mérite.

 

A – Le statut du notaire

 

14.    N’est pas médiateur qui veut.

 

La loi impose plusieurs exigences :

 

1/ ne pas avoir été condamné à certaines peines incompatibles avec la probité attendue d’un médiateur ;

 

2/ posséder la qualification requise eu égard à la nature du différend ou justifier d’une formation ou d’une expérience adaptée ;

 

3/ accomplir sa mission avec impartialité et loyauté ;

 

4/ conserver le secret sur tous les éléments échangés pendant la médiation[11].

 

15.    Or il est peu dire que ces exigences seront satisfaites en la personne du notaire puisqu’elles font largement double emploi avec les devoirs qui lui sont faits en qualité d’officier public.

 

1/ Il est évident d’abord que le notaire ne peut exercer ce métier que s’il n’a pas fait l’objet de condamnations qui seraient incompatibles avec la probité attendue de lui.

 

2/ Le notaire a, deuxièmement, une formation juridique de haut niveau et un large spectre d’intervention (droit des biens, droit de la famille, droit des contrats, etc.) qui lui permettra d’analyser le litige sous tous ses ressorts et de favoriser la conclusion d’un accord qui ne viole aucune règle impérative.

 

3/ Quant à l’impartialité et à la loyauté, elles figurent dans la définition même du métier de notaire, tiers impartial et désintéressé, qui doit pareillement ses conseils à toutes les parties à l’acte et doit tenir la balance égale entre elles[12].

 

4/ On en dira de même du secret professionnel qui est une règle capitale du statut du notaire, entourée de nombreuses garanties et sévèrement sanctionnée.

 

16.    C’est dire que le notaire remplit haut la main le cahier des charges imposé à tout médiateur. J’ajouterais volontiers une qualité supplémentaire que présente tout notaire : la culture de l’amiable. Le notaire a pour mission première d’éviter l’apparition des conflits par l’application non contentieuse de la règle de droit et, si une difficulté se fait jour, d’en favoriser l’apaisement en rapprochant les points de vue antagonistes. Ce travail pacificateur est déjà le quotidien de la plupart des notaires qui, dans de nombreux dossiers (ex. : vente immobilière, droit des successions, divorce, etc.), sont souvent des médiateurs sans le savoir...

 

B – Les attributs de l’acte notarié

 

17.    Propice à la réconciliation des parties, le statut du notaire se prolonge dans les attributs particulièrement énergiques de l’acte qu’il reçoit et qui sont particulièrement précieux pour renforcer l’efficacité de l’accord des parties.

 

18.    Le premier de ces atouts est la force probante. Les éléments relatés dans l’acte et que le notaire a personnellement constatés sont dotés d’une force quasi-indestructible qui empêche toute contestation ultérieure, ce qui est la première des qualités pour un acte précisément censé mettre fin à tout litige.

 

19.    Le deuxième atout est la force exécutoire.

 

Si les parties n’ont pas recours au notaire mais préfèrent constater leur transaction dans un acte sous signature privée, elles devront, si elles souhaitent lui conférer la force exécutoire, présenter leur convention au juge pour homologation.

 

Cela est totalement inutile si l’accord est constaté devant notaire, celui-ci pouvant délivrer copie exécutoire des actes qu’il dresse. C’est un atout colossal puisque le créancier impayé pourra s’adresser à la force publique pour obtenir le paiement de ce qui lui est dû, sans avoir à solliciter du juge la condamnation du débiteur défaillant.

 

20.    Enfin, dans l’hypothèse où le litige porterait sur des droits immobiliers, un accord notarié aurait l’immense intérêt de pouvoir être publié au registre de publicité foncière, et de pouvoir ainsi être rendu opposable aux tiers, ce qui ne serait  pas possible si l’accord était relaté dans un acte sous signature privée[13]

 

***

 

21.    Tout cela explique qu’en France, depuis maintenant plus de cinq ans, de nombreux centres de médiation notariale aient vu le jour (à Paris, à Aix-en-Provence, à Rennes, à Lille, etc.).

 

C’est à n’en pas douter un mouvement d’avenir qui donne au notaire l’opportunité de compléter le rôle qu’il joue traditionnellement dans la prévention des litiges par une fonction d’apaisement des litiges, ce qui justifierait plus encore ce titre, cher au Notariat français, de « magistrat de l’amiable ».   

 

 



[1] Articles 127 à 131 du Code de procédure civile.

[2] Le Livre V du Code de procédure civile leur est aujourd’hui dédié.

[3] Définition reprise, avec quelques adaptations, à l’article 1530 du Code de procédure civile.

[4] Etant observé que les parties peuvent évidemment se concilier spontanément en dehors du juge pendant toute la durée de l’instance et y mettre fin par un désistement.

[5] Par la suite, un décret de 2010 viendra apporter des précisions en matière de médiation et de conciliation judiciaire. – Observons que si rien n’est dit de la médiation extra-judiciaire, elle est évidemment possible mais prospère à l’époque à l’ombre des lois, sous la seule bénédiction du principe de liberté contractuelle. Comme l’écriront Cornu et Foyer, « elle entre discrètement dans le système sans appeler d’intervention législative ».

[6] Articles 1530 et suivants du Code de procédure civile.

[7] Observons qu’un décret du 11 mars 2015 oblige déjà le demandeur, dans toute assignation ou requête, à préciser « les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige »  étant observé que si le juge constate que les diligences en vue d’une telle résolution n’ont pas été accomplies, il a le pouvoir de proposer une conciliation ou une médiation aux parties.

[8] Là-dessus, on relira plusieurs fables de la Fontaine (notamment l’huître et les plaideurs) ainsi que tous les auteurs qui ont montré après lui qu’un mauvais arrangement valait toujours mieux qu’un bon procès.

[9] Il s’agirait autrement dit d’une médecine douce qui permettrait d’éviter de se rendre à l’hôpital, c’est-à-dire devant la juridiction.

[10] Ce rapport concluait à la nécessité d’inciter les personnes à utiliser la médiation en suggérant des incitations financières (réduction ou remboursement des frais de justice, fiscales avec crédit d’impôt) et législatives (tentatives de médiation obligatoires).

[11] Les parties doivent pouvoir participer librement et en toute confiance à la tentative de résolution de leur conflit sans craindre que les informations qu’elles communiquent, les propositions qu’elles font, les comportements qu’elles ont ne se retournent contre elles ultérieurement.

 

[12] D’où, d’ailleurs, des incapacités légales de recevoir un acte auquel le notaire ou l’un de ses proches pourrait avoir un intérêt.

[13] C. civ., art. 710-1.


 

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